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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
20 novembre 2008

Bel Ami, un roman et un film

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Bel Ami, un roman de Maupassant, un film


résumé : Un cabaret parisien à la fin du XIXe siècle. On chante, on danse, et Georges Durois se désespère. Ancien militaire fraîchement débarqué, il n'a plus un sou et ne connaît personne dans cette grande ville intimidante et mystérieuse. Une rencontre va bouleverser sa vie. Charles Forestier, ancien compagnon d'armes en Algérie, l'engage comme rédacteur à La Vie Française, un journal d'opinion.
En changeant de monde, Georges va changer d'horizon. Fasciné, il découvre la politique et les salons, les calculs et les sourires. Il apprend vite. Il plaît. Sa séduction lui ouvrira toutes les portes croit-il. C'est effectivement par le cœur, l'esprit et le talent des femmes qu'il va se faire une place dans ce monde et à mesure qu'il en comprendra les usages gravir les degrés qui mènent au pouvoir et à la désillusion...
Bel ami, d'après l'œuvre de Guy de Maupassant est l'histoire d'une ascension sociale dans le Paris des années 1880, celle de Georges Duroy interprété par Sagamore Stévenin (Michel Vaillant) opportuniste, ambitieux et séducteur vaniteux.

(dos de la jaquette du film en dvd)

Bel_amiTriboitscene
Rachel et Georges au début du récit


un film de Philippe Triboit (2005)

personages du roman et comédiens du film : Sagamore Stévenin (Georges Duroy), Claire Borotra (Clotilde de Marelle), Florence Pernel (Madeleine), Laurent Bateau (Charles Forestier), Milan Knazko (Walter), Caroline Sihol (Virgine Walter), Caroline Baehr (Rachel), Jean-Pierre Malo (Bardin), Audrey Lunati (Suzanne), Karel Hábl (Laroche Mathieu), Jan Vagner (Jacques Rival)


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Rachel


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"Je ne suis pas un minable", lance Georges à Rachel


146060_1
Charles Forestier, à gauche, l'ancien compagnon d'armes de Duroy, occupe
une place importante dans le journal La Vie française, dirigé par Walter, à droite ;
entre les deux, Virginie, l'épouse de Walter


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Madelaine, l'épouse de Charles Forestier


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Clotilde de Marelle, cousine de Madeleine Forestier

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la première rencontre de Georges et de Clotilde


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la Vie française, le journal


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l'assassin et maître-chanteur ; ce n'est pas un personnage du roman

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Georges Duroy à la merci de son créancier


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Georges et son ami Forestier (à droite)

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le journal


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Madeleine réécrivant le premier article de Georges Duroy


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"signez votre premier article, M. Duroy"


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le duel


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l'angoisse de Clotilde


Bel_Ami_film__7_
le duel


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les deux protagonistes s'effondrent


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Georges à Clotilde : "es-tu prête à divorcer pour m'épouser ?"


Bel_Ami_film__10_
"ma réponse est non"

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visite de Bel Ami à Virginie Walter, l'épouse du propriétaire de La Vie Française


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Bel Ami courtise Virginie Walter

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le constat d'adultère de Madeleine

Bel_Ami_film__14_
Walter, propriétaire de La Vie Française, dans son bureau

Bel_Ami_film__15_
Walter, imperturbable, s'adapte aux succès ou revers des uns et des autres

Bel_Ami_film__16_
j'irai loin, patron


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le désespoir de Virgine Waler quand elle apprend que Bel Ami veut épouser sa fille

__________________________________________________




documentation

extrait du dossier Bel Ami de Maupassant publié sur le site alalettre.com

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affiche du film de Philippe Triboit (2005)


Résumé de Bel-Ami

Première Partie

Juin 1880. Georges Duroy, sous-officier rendu à la vie civile, est un beau jeune homme peu scrupuleux. Nouvellement employé aux chemins de fer du nord, il déambule sur les boulevards parisiens, en quête de fortune et de réussite. Il rencontre un ancien camarade de régiment, Forestier, qui va le recommander au directeur de son journal, la Vie française. Grâce à l'appui de son ami, Georges est embauché comme reporter ce qui lui permet de doubler son salaire.

Le jeune homme découvre les salles de rédaction et les coulisses de a vie parisienne. Il plaît aux femmes et est bien décidé à en profiter pour "arriver" . Mme Forestier, la femme de son ami lui donne des conseils et l'aide à rédiger ses premiers articles. Puis Georges fait la connaissance de Clotilde de Marelle, une sympathique bourgeoise bohème, qui lui délivre une éducation sentimentale très libre. La très jeune fille de Mme de Marelle, Laurine, donne à notre héros le surnom de Bel-Ami.

Offensé par son ami Forestier, Georges décide de séduire sa femme. Dès le lendemain, il déclare son amour à Mme Forestier. Mais celle-ci le tient à distance et lui explique que si elle est disposée à être son amie, jamais elle ne sera sa maîtresse. Sensible pourtant à l'admiration que lui porte le jeune homme, elle lui conseille de rendre visite à la femme de son directeur, Mme Walter, qui "l'apprécie beaucoup". Duroy s'exécute. Il se rend chez elle et la séduit par son esprit. Elle le fait nommer chef des Echos. Cet avancement lui vaut une augmentation. En l'absence de son ami Forestier, malade, Georges Duroy signe plusieurs articles de fond.

Suite à l'un de ces articles il est diffamé par le rédacteur d'un petit journal en mal de publicité. L'honneur de son journal étant en jeu, Walter, son directeur, le pousse à provoquer l'offenseur en duel. Angoissé à l'idée de mourir, Duroy ne ferme pas l'œil de la nuit. Le lendemain, à l'aube, il se rend au bois du Vésinet pour le duel. Les deux adversaires font feu l'un sur l'autre, mais se manquent. Cet épisode, dont lis ressortent tous les deux indemnes, leur vaut une belle publicité. Cet acte de courage permet à Georges de gagner l'estime de son directeur qui lui offre une nouvelle promotion. En plus de son poste de chef des Echos, il devient chroniqueur. Duroy obtient aussi de sa maîtresse, Clotilde de Marelle, qu'elle le loge dans l'appartement de la rue de Constantinople. Elle l'invite également à dîner chez elle tous les jeudis, son mari, M. de Marelle l'appréciant beaucoup...

En février, Georges reçoit une lettre de Madeleine Forestier qui lui demande de venir la rejoindre à Cannes, Charles, son mari étant au plus mal. Il se rend au chevet de Forestier, agonisant. Charles meurt quelques jours après. Pendant la veillée funèbre, Georges Duroy propose à Madeleine de se remarier avec lui. Elle réserve sa réponse. Après l'enterrement de Charles, elle l'accompagne à la gare. De retour vers Paris, Duroy nourrit beaucoup d'espoir.

Bel_Ami__22_


Deuxième Partie

Madeleine accepte quelques mois après, d'épouser Bel-Ami. Rêvant de noblesse, elle convainc Georges de signer ses articles "du Roy" ou "Du Roy de Cantel". Georges est devenu rédacteur politique et ils écrivent ensemble ses articles. Ils se fixent comme objectif d'aider le député Laroche-Mathieu à accéder au pouvoir. Mais Georges a du mal à oublier son ami Forestier. Avoir pris sa place ne lui suffit pas , il éprouve vis à vis du défunt une jalousie obsessionnelle .

Georges découvre alors que le député Laroche-Mathieu mène un cour très assidue auprès de sa femme. Il en éprouve une vive jalousie et décide de se venger. Il entreprend de séduire Virginie Walter, l'épouse de son directeur, et parvient à en faire sa maîtresse.

Virginie lui apprend que Laroche-Mathieu, qui est devenu ministre des Affaires Etrangères, et son mari, M. Walter, ont organisé une spéculation très lucrative au Maroc. Georges éprouve une violente haine de ne pas avoir été mis plus tôt dans la confidence. Il décide dès lors de n'œuvrer qu'à sa seule réussite.

Il fait chanter sa femme et parvient à lui extorquer la moitié de l'héritage que vient de lui léguer un vieil amant millionnaire, le Comte de Vaudrec. Puis il réussit à la surprendre en flagrant délit d’adultère et obtient le divorce .

Durant une réception organisée chez les Walter, Il se met à rêver d’épouser Suzanne Walter, leur fille ; non par amour mais par ambition.

Il parvient à séduire Suzanne et lui annonce qu’il va l’enlever afin d'obtenir l'accord de son père pour leur mariage. Ils se marient à la Madeleine en octobre 1883. Le Baron Du Roy de Cantel sort de l'église au bras de sa nouvelle épouse. Il est riche et sera bientôt député puis ministre.

 

Les personnages de Bel-Ami

  • - Georges Duroy, le personnage central du roman. Celui que l'on surnomme Bel-Ami est un arriviste absolu. Ce petit employé de 25 ans, monté à Paris pour réussir, va, grâce aux femmes qu'il a su séduire, Clotilde de Marelle, Madeleine Forestier et Virginie Walter, gravir tous les échelons d'un grand journal parisien et épouser la fille de son directeur.
  • - Charles Forestier, celui qui permet à Georges Duroy de se faire embaucher comme reporter. Il meurt au milieu du roman, ce qui permet à Duroy d'épouser sa femme.
  • - Madeleine Forestier, la femme de Forestier. C'est une journaliste ambitieuse prête à tout pour satisfaire sa passion de la politique. Après la mort de son mari, elle épousera Duroy. Celui-ci finira par divorcer après lui avoir extorqué sa fortune.
  • - Clotilde de Marelle, une jolie bourgeoise bohème. Ce sera la première maîtresse de Duroy.
  • - Mme Walter, la femme et la fille d'un banquier, c'est la troisième conquête de Duroy, elle est maladroite mais sincère.

    - M. Walter, directeur de La Vie française, financier puissant.

  • - Laroche-Mathieu, député, puis ministre des Affaires Étrangères. Amant de Madeleine Forestier, sa carrière sera brisée par Bel-Ami.

  • - Suzanne Walter, la fille de M. et Mme Walter. Elle s'ennuie dans sa famille bourgeoise. Elle se laissera séduire par Duroy qui parviendra à l'épouser.
  •  

    Maupassant répond aux critiques qui lui ont été adressées

    Bel-Ami fut publié en feuilleton dans Gil Blas entre le 6 avril et le 30 mai 1885. Les réactions des critiques furent vives et partagées. Maupassant, qui était en voyage en Italie lors de cette publication, en eut connaissance. Il adressa une réponse au rédacteur en chef de Gil Blas qui fut publiée dans le journal le 7 juin 1885. En voici quelques extraits :

    Mon cher rédacteur en chef,

    Au retour d'une très longue excursion qui m'a mis fort en retard avec le Gil Blas, Je trouve à Rome une quantité de journaux dont les appréciations sur mon roman Bel-Ami me surprennent autant qu'elles m'affligent (...).

    Donc, les journalistes, dont on peut dire comme on disait jadis des poètes : Irritabile genus, supposent que j'ai voulu peindre la Presse contemporaine tout entière, et généraliser de telle sorte que tous les journaux fussent fondus dans La Vie Française, et tous leurs rédacteurs dans les trois ou quatre personnages que j'ai mis en mouvement. Il me semble pourtant qu'il n'y avait pas moyen de se méprendre, en réfléchissant un peu. J'ai voulu simplement raconter la vie d'un aventurier pareil à tous ceux que nous coudoyons chaque jour dans Paris, et qu'on rencontre dans toutes les professions existantes.

    Est-il, en réalité, journaliste ? Non. Je le prends au moment où il va se faire écuyer dans un manège. Ce n'est donc pas la vocation qui l'a poussé. J'ai soin de dire qu'il ne sait rien, qu'il est simplement affamé d'argent et privé de conscience. Je montre dès les premières lignes qu'on a devant soi une graine de gredin, qui va pousser dans le terrain où elle tombera. Ce terrain est un journal. Pourquoi ce choix, dira-t-on ?

    Pourquoi ? Parce que ce milieu m'était plus favorable que tout autre pour montrer nettement les étapes de mon personnage ; et aussi parce que le journal mène à tout comme on l'a souvent répété. Mais j'arrive à un autre reproche. On semble croire que j'ai voulu dans le journal que j'ai inventé, La Vie Française, faire la critique ou plutôt le procès de toute la presse parisienne.   

    Si j'avais choisi pour cadre un grand journal, un vrai journal, ceux qui se fâchent auraient absolument raison contre moi ; mais j'ai eu soin, au contraire, de prendre une de ces feuilles interlopes, sorte d'agence d'une bande de tripoteurs politiques et d'écumeurs de bourses, comme il en existe quelques-unes, malheureusement. J'ai eu soin de la qualifier à tout moment, de n'y placer en réalité que deux journalistes, Norbert de Varenne et Jacques Rival, qui apportent simplement leur copie, et demeurent en dehors de toutes les spéculations de la maison.   

    Voulant analyser une crapule, je l'ai développée dans un milieu digne d'elle, afin de donner plus de relief à ce personnage. J'avais ce droit absolu comme j'aurais eu celui de prendre le plus honorable des journaux pour y montrer la vie laborieuse et calme d'un brave homme (...).

    Guy de Maupassant

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    Quelques jugements sur Bel-Ami

    - "Bel-Ami...est...ce que M. de Maupassant, pour parler le langage du jour, a écrit de plus fort et je ne craindrai pas d'ajouter : ce que le roman naturaliste, le roman strictement et vraiment naturaliste a produit de plus remarquable... J'entends par là que rarement on a de plus près imité le réel, et rarement la main d'un artiste a moins déformé ce que percevait son œil. Tout est ici, d'une fidélité, d'une clarté, d'une netteté d'exécution singulière." Ferdinand Brunetier, Revue des deux mondes, 1 juillet 1885

    - "Nous avons beaucoup à apprendre de Maupassant sous le rapport de la briéveté et aussi de la compassion humaine. Sa grivoiserie cache un grand écrivain et peut-être un homme d'une grande bonté". Julien Green , Journal, 1971

    - Bel-Ami est né au plus beau moment de la première grande période de spéculation qui ait marqué l'histoire de la troisième République et mérite d'êter considéré comme le chef d'oeuvre qu'ait inspiré les événements de cette période. André Vial, Guy de Maupassant et l'art du roman, 1954


    Source bibliographique

    Anne-Marie Cléret et Brigitte Réauté, Bel Ami de Maupassant (Hachette Education)
    Jacques Vassevière, Bel Ami de Maupassant (Nathan)
    Kléber Haedens  Une Histoire de la Littérature française, Grasset 1970
    Le Robert des Grands Ecrivains de langue française


    Bel_Ami__30_   

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    4 juillet 2015

    Aquitaine, Guyenne, XIIIe-XVe siècle

    Guyenne 1360 carte
    extension maximale de la Guyenne anglaise, 1360

     

     

    Aquitaine, Guyenne, XIIIe-XVe siècle

     

    La Guyenne : Anc. prov. française qui se confondit avec l'Aquitaine jusqu'au XIIe s. Ensemble des possessions françaises du roi d'Angleterre, après le traité de Paris (1259), elle comprenait le Limousin, le Périgord, le Quercy, l'Agenois, une partie de la Saintonge et la Gascogne.  Définitivement reprise par la France en 1453 (bataille de Castillon), elle fut donnée en apanage par Louis XI à son frère Charles (1469), puis revint à la Couronne. Elle forma avec la Gascogne, la Saintonge, le Limousin et le Béarn, un grand gouvernement qui avait Bordeaux pour capitale. » (Le petit Robert des noms propres, 2002)

     

    Le 12 avril 1229 le duché d'Aquitaine prend le nom de duché de Guyenne, lors du traité de Paris.

     

     

    duché d'Aquitaine

     

     

    Guyenne en 1360
    la Guyenne en 1360

     

    Guyenne en 1429
    la Guyenne en 1429

     

     

     

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    29 juillet 2009

    les "notions" au programme de philo

    JANMOT_la_ronde_487
    Louis Janmot (1814-1894), peintre lyonnais, La ronde


    les notions et repères

    du programme de philo en Terminale,

    selon les séries


    série littéraire

        Notions :

    Le sujet
    - La conscience
    - La perception762px_Louis_Janmot___Po_me_de_l__me_16___Le_Vol_de_l__me
    - L’inconscient
    - Autrui
    - Le désir
    - L’existence et le temps

    La culture
    - Le langage
    - L’art
    - Le travail et la technique
    - La religion
    - L’histoire

    La raison et le réel
    - Théorie et expérience
    - La démonstration754px_Louis_Janmot___Po_me_de_l__me_17___L_Id_al
    - L’interprétation
    - Le vivant
    - La matière et l’esprit
    - La vérité

    La politique
    - La société
    - La justice et le droit
    - L’État

    La morale
    - La liberté
    - Le devoir
    - Le bonheur

     Repères :

    Absolu/relatif - Abstrait/concret - En acte/en puissance - Analyse/synthèse - Cause/fin - Contingent/nécessaire/possible - Croire/savoir - Essentiel/accidentel - Expliquer/comprendre - En fait/en droit - Formel/matériel - Genre/espèce/individu - Idéal/réel - Identité/égalité/différence - Intuitif/discursif - Légal/légitime - Médiat/immédiat - Objectif/subjectif - Obligation/contrainte - Origine/fondement - Persuader/convaincre - Ressemblance/analogie - Principe/conséquence - En théorie/en pratique - Transcendant/immanent - Universel/général/particulier/singulier


    série économique et sociale

     Notions :

    Le sujet776px_Louis_Janmot___Po_me_de_l__me_14___Sur_la_Montagne
    - La conscience
    - L’inconscient
    - Autrui
    - Le désir

    La culture
    - Le langage
    - L’art
    - Le travail et la technique
    - La religion
    - L’histoire

    La raison et le réel
    - La démonstration
    - L’interprétation763px_Louis_Janmot___Po_me_de_l__me_18___R_alit_
    - La matière et l'esprit
    - La vérité

    La politique
    - La société et les échanges
    - La justice et le droit
    - L’État

    La morale
    - La liberté
    - Le devoir
    - Le bonheur

     Repères :

    Absolu/relatif - Abstrait/concret - En acte/en puissance - Analyse/synthèse - Cause/fin - Contingent/nécessaire/possible - Croire/savoir - Essentiel/accidentel - Expliquer/comprendre - En fait/en droit - Formel/matériel - Genre/espèce/individu - Idéal/réel - Identité/égalité/différence - Intuitif/discursif - Légal/légitime - Médiat/immédiat - Objectif/subjectif - Obligation/contrainte - Origine/fondement - Persuader/convaincre - Ressemblance/analogie - Principe/conséquence - En théorie/en pratique - Transcendant/immanent - Universel/général/particulier/singulier


    série scientifique

     Notions :

    Le sujet765px_Louis_Janmot___Po_me_de_l__me_8___Cauchemar
    - La conscience
    - L’inconscient
    - Le désir

    La culture
    - L’art
    - Le travail et la technique
    - La religion

    La raison et le réel765px_Louis_Janmot___Po_me_de_l__me_4___Le_Printemps
    - La démonstration
    - Le vivant
    - La matière et l’esprit
    - La vérité

    La politique
    - La société et l’État
    - La justice et le droit

    La morale
    - La liberté
    - Le devoir
    - Le bonheur

     Repères :

    Absolu/relatif - Abstrait/concret - En acte/en puissance - Analyse/synthèse - Cause/fin - Contingent/nécessaire/possible - Croire/savoir - Essentiel/accidentel - Expliquer/comprendre - En fait/en droit - Formel/matériel - Genre/espèce/individu - Idéal/réel - Identité/égalité/différence - Intuitif/discursif - Légal/légitime - Médiat/immédiat - Objectif/subjectif - Obligation/contrainte - Origine/fondement - Persuader/convaincre - Ressemblance/analogie - Principe/conséquence - En théorie/en pratique - Transcendant/immanent - Universel/général/particulier/singulier

    source officielle


    773px_Louis_Janmot___Po_me_de_l__me_7___Le_Mauvaus_Sentier
    Louis Janmot (1814-1894), peintre lyonnais, Le mauvais sentier

    - les tableaux de peinture insérés sur cette page, outre les deux qui sont déjà légendés, sont du même artiste, Louis Janmot. De haut en bas : le vol de l'âme ; l'idéal ; sur la montagne ; réalité ; cauchemar ; le printemps.  On en trouve d'autres sur la page wikipedia consacré à Louis Janmot.


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    6 août 2009

    l'argent - pour les élèves de prépas

    9782253003670



    L'argent,

    un roman d'Émile Zola et son contexte



    Le roman d'Émile Zola, L'argent (1891 ), pose au moins deux problèmes : a) la technicité des opérations financières évoquées ; b) le décalage chronologique entre l'époque revendiquée (le Second Empire ; le roman commence en mai 1864) et des événements intervenus peu avant l'écriture du livre comme le krach de l'Union Générale en 1882, donc largement postérieurs au cadre historique revendiqué.


    liens

    - tableau des personnages de L'argent (format pdf)


    p_ristyle_de_la_Bourse_cpa



    quelques explications sur les Bourses


    1) Bourses de commerce et bourses de valeurs (Jean Bouvier, 1972)

    - (il y a les marchandises au sens courant, "consommées par l'industrie ou le consommateur (matières premières, denrées, produits manufacturées). Mais il existe un second type de marchandises, très particulier, mais très réel : les valeurs mobilières, titres d'emprunts des États et titres des sociétés privées (actions et obligations). Ces valeurs, comme n'importe quelle autre marchandise, font l'objet d'achats et de ventes, de transactions, de négociations : et ceci à l'échelle du marché international comme à l'intérieur de chaque pays.
    D'où une circulation de titres créant des courants de paiements, donc d'argent (achats et ventes de titres) à l'intérieur des pays et d'un pays à l'autre.
    L'Angleterre, par exemple, au XIXe siècle, achetait aux États-Unis du blé, de la viande, du coton, de la laine, de l'or et de l'argent. Mais elle leur prêtait des capitaux : sur le marché de Londres, on négociait les titres des sociétés américaines (surtout ferroviaires). Une certaine partie du capital des firmes ferroviaires et industrielles américaines avait été écoulée en Angleterre : leurs actions avaient été vendues à Londres à des épargnants anglais et le produit de la vente - l'argent anglais - s'était transformé aux USA en installations industrielles. De même se traitaient à Londres les emprunts fédéraux et les emprunts municipaux des USA.

    iln9
    intérieur de la Bourse de Londres (London Stock Exchange) en 1847

    Finalement, les capitaux anglais étaient placés à long terme aux États-Unis soit sous forme d'investissements industriels, soit sous forme de prêts aux collectivités publiques. Les titres, représentant ces créances anglaises sur les États-Unis, se négocient à Londres à la Bourse des valeurs.

    D'où l'existence de deux grandes catégories de Bourses mondiales : Bourses de commerce pour les marchandises ; Bourses des valeurs pour les titres (dites aussi marchés financiers).



    2) les traits communs aux Bourses de commerce et bourses de valeurs

    Une Bourse est un lieu où l'on négocie en permanence un produit ou une valeur mobilière. Elle diffère ainsi des foires commerciales anciennes (ou récentes) qui ont un caractère périodique. Les bourses de commerce sont souvent spécialisées par produits : il existe plusieurs bourses à Londres pour les principales marchandises, géographiquement dispersées dans la City. En revanche, les Bourses de valeurs ne sont pas spécialisées : il n'y a qu'une Bourse des valeurs à Londres (le Stock Exchange), une à New York (dans Wall Street), une à Paris : le local actuel, place de la Bourse, date de la première moitié du XIXe siècle.

    On discerne deux traits communs à ces deux types de Bourses :

    1) La négociation dans les Bourses n'est pas libre ; elle se fait obligatoirement par le canal d'intermédiaires agréés : les courtiers des Bourses de commerce ; les agents de change des Bourses de valeurs. Les négociations se font, à jour et heure fixes, dans des locaux déterminés. Chaque jour jour on établit le cours, issu de l'ensemble des transactions sur la marchandise ou le titre considéré ; l'ensemble des cours, publié quotidiennement, est la cote de la Bourse.

    2) La négociation, dans les deux types de Bourse, se fait selon deux modes au choix du vendeur ou de l'acheteur : marché au comptant ou marché à terme.



    3) marché au comptant, marché à terme

    - Le marché au comptant, c'est le règlement, le paiement immédiat de la négociation, s'il y a achat ; ou la fourniture immédiate (s'il y a vente) de la marchandise ou du titre.

    - le marché à terme, c'est le paiement différé dans le temps s'il y a achat ; ou la livraison différée s'il y a vente : 1, 2, 3 ou 6 mois au maximum. Acheter du coton à terme, c'est donner à un courtier un ordre d'achat applicable par exemple dans trois mois : livraison et paiement. Vendre des actions pétrolières à terme c'est donner à un agent de change l'ordre de vendre, pour votre compte, dans un mois, tel nombre d'actions Royal Dutch.



    4) Pourquoi un marché à terme ?

    Pourquoi ce report dans le temps du règlement de l'opération (achat ou vente) ? Parce que le prix (cours) des produits négociés (coton ou titres), est en constant changement pendant l'année. Il oscille sans cesse. Quelles sont les causes de ces oscillations ? Il y a fluctuation des cours suivant l'état d'une récolte, ou suivant les prévisions de récolte ; selon la marche d'une entreprise, dont les actions montent ou baissent en proportion du dividende qu'elles rapportent.
    Quelles sont donc les causes générales ? Les cours sont influencés par des faits généraux d'ordre politique (politique intérieure ou internationale) ou des faits d'ordre économique généraux (crises, boom). Les cours des valeurs pétrolières sur le marché de Paris ont fort oscillé depuis quelques années [ce texte date de 1972...] ; un puits nouveau jaillissant, un discours politique important sur les question sahariennes, l'annonce de la découverte de gisements concurrents en Libye, les aléas de la situation politique nord-africaine, ont entraîné des perturbations dans divers sens. Les marchés sont donc de remarquables baromètres, parfois ultra-sensibles, de la conjoncture économique et politique.

    Dans ces conditions - c'est-à-dire l'oscillation constante des cours - le marché à terme est à la base de la spéculation boursière aussi bien sur le coton que sur les valeurs mobilières. Spéculer, c'est tenir un pari sur l'évolution ultérieure dans les semaines ou les mois à venir, des cours : et c'est régler ses achats et ventes à terme en conséquence - dans le but de gagner, naturellement.



    5)
    L'exemple de la spéculation à la hausse

    On peut spéculer, soit sur la Bourse de son pays, soit sur les bourses étrangères (rôle du téléphone, de la radio, des téléscripteurs : pour l'information et les ordres à donner) [rappelons ce texte date de 1972, avant internet...].

    Prenons l'exemple de la spéculation à la hausse.

    Vous pariez (en fonction de vos informations,bonnes ou mauvaises), que les cours de tel produit ou de tel titre vont monter : vous donnez aujourd'hui l'ordre d'achat à terme dans un mois (c'est-à-dire sans prendre immédiatement livraison ni payer) au cours d'aujourd'hui ; et vous donnez aujourd'hui l'ordre de vente à terme au prix (supérieur, pensez-vous) - que le produit aura dans un mois. À l'échéance, un mois plus tard, vous empochez la "différence", le prix du produit ayant effectivement monté.

    Vous avec acheté à 100 000, vous vendez à 105 000 sans avoir déboursé un centime ni sans avoir vu le produit ou le titre. Mais vous gagnez 5000 que vous verse le courtier ou l'agent de change. Naturellement si vous avez gagné, cela signifie qu'un autre spéculateur, lui, a perdu. On peut spéculer aussi "à la baisse" si l'on croit prévoir une baisse en cours : le mécanisme est alors inverse (à vous de le trouver). Voir : A. Kostolany, Si la Bourse m'était contée [1961, édition épuisée...]. Et lire le passionnant roman de Zola, L'Argent, récit romancé, puisant à pleines mains dans l'actualité (krach de l'Union Générale, 1882).

    Courtiers et agents de change sont de simples intermédiaires dans ce genre de transactions.

    Le marché à terme peut être condamné par les moralistes : le gain de spéculation ne provient pas d'un travail, mais d'un pari. Il a cependant une utilité économique certaine. Il aide au commerce international de diverses manières (qu'il est impossible d'étudier ici techniquement dans leurs processus réels), mais qui aboutissent toutes au même résultat : par l'attrait de la spéculation, du gain possible, les achats et ventes sont stimulés ; les échanges de marchandises sont facilités, la mobilité des mouvements de capitaux aussi.

    Il faut comprendre que les marchés à terme sont l'un des rouages des marchés internationaux et du marché mondial. Ils ne sont pas à considérer en eux-mêmes, isolément, mais comme des pièces d'un plus vaste ensemble. C'est, si l'on veut, l'impact des principes de la libre entreprise dans le domaine des échanges et des paiements. Il n'y a pas de système capitaliste, sans marché boursier, marche de marchandises ou marché de valeurs. C'est un fait.

    La marge est étroite, sans doute, entre négoce, mot noble, et spéculation, mot plus douteux parfois. Mais les deux termes, c'est-à-dire les deux procédés, s'adossent l'un à l'autre. Il n'y a pas de négoce possible dans le système capitaliste sans spéculation, sans pari. Et réciproquement, bien sûr. Si l'on tient cependant à condamner la spéculation boursière, alors il faut pousser la condamnation et la critique bien plus loin, et mettre en cause la libre entreprise elle-même : ce qui est un tout autre débat. Mais le faire sur des bases morales ne convient absolument pas à l'analyse historique.

    Jean Bouvier, Initiation au vocabulaire et aux mécanismes économiques
    contemporains (XIXe-XXe s.)
    , éd. Sedes, 1972, p. 222-226


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    Bourse de Lyon (photo Le Figaro)

    _____________________________________________________________




    les rouages du crédit bancaire à l'époque

    d'Émile Zola


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    Les rouages contemporains du crédit apparaissent en Angleterre dès les années 1830, en France à l'époque du Second Empire, sous la forme de banques d'un nouveau type dont l'extension devient en quelque sorte prodigieuse pendant la seconde moitié du siècle et au XXe siècle.



    Banques d'affaires et banques de dépôts

    Ces banques répondent à des besoins nouveaux. L'évolution du système bancaire accompagne le développement industriel, les progrès des échanges intérieurs et internationaux. Quels sont ces besoins nouveaux ? Ce sont les besoins en crédits sous leurs deux formes : crédit commercial à court terme, investissements et crédit industriel à long terme.

    Exemple de besoins en crédit commercial : ceux des négociants lyonnais en soies et soieries, lorsqu'à partir des années 1860, rêvant de transformer Lyon en marché mondial des soies brutes (grèges), et contraints par la maladie des vers à soie en France de se fournir de plus en plus en soies lointaines (Moyen-Orient, puis Extrême-Orient), ils se tournent vers les banques pour le financement de leurs importations.

    Exemple de besoins en crédit industriel : face aux menaces de la concurrence anglaise, après le traité libre-échangiste de janvier 1860, la sidérurgie française de lance dans un long programme de modernisation de son outillage ; d'où les augmentations de capital, les emprunts obligataires et le recours aux crédits bancaires (cas de Schneider dans les années 1860 auquel le Crédit Lyonnais ouvre un crédit de 1 million en 1863 et qui augment son capital au même moment de 9 à 14 millions).

    Que sont les banques d'affaires et les banques de dépôts ?

    1 – leurs ressemblances
    Ce sont des banques par actions, sous forme de sociétés anonymes ; ce ne sont pas des maisons familiales, style "haute banque", pour lesquelles la capital de la firme – non mis en actions – se confond avec la fortune du chef de la maison. Dans le cas des banques nouvelles, la fortune privée de leurs administrateurs ne se confond pas du tout avec le capital de la société, divisé en actions de 500 F, actions qui ont été vendues à des milliers, puis à des dizaines de milliers d'actionnaires : en 1864, ainsi, la Société Générale rassemblera aisément un capital de 60 millions de francs-or.

    2 – leurs différences
    a) Structures et politiques des banques d'affaires. – La banque d'affaires n'a, sous le Second Empire, comme aujourd'hui, ni succursales ni agences, mais un seul siège. Elle n'est pas en contact avec une clientèle de masse. Sa clientèle est peu nombreuse, mais choisie, formée de sociétés et de "riches capitalistes" (expression courante dans la langue des milieux d'affaires au XIXe siècle).

    Capital et dépôts : les ressources de la banque d'affaires se composent de ressources propres (capital et réserves) très importantes, alors que les ressources dues aux dépôts sont relativement limitées. Les dépôts de la banque d'affaires sont des dépôts dont elle a la disposition pendant un certain nombre d'années : ce sont des dépôts à moyen et à long terme ; ils lui permettront, précisément, de faire des prêts à long terme, c'est-à-dire de s'engager dans l'investissement industriel. Les dépôts proviennent de firmes, et de personnes riches.

    Les opérations : la banque d'affaires ventile ses emplois dans les grandes industries, les transports ferroviaires et maritimes, les services publics (gaz…), les assurances, les immeubles et terrains. Elle investit soit par des prêts à long terme, soit en prenant des participations-contrôle (achats d'actions de firmes). La banque d'affaires prête aussi de l'argent aux gouvernements, surtout étrangers, sous les deux formes d'emprunts à long terme, ou de "dette flottante", qui ont tenu une place considérable dans les opérations de banque d'affaires avant 1914.
    Enfin, la banque d'affaires intervient régulièrement sur les Bourses de valeurs (marché financier) pour soutenir les cours des titres des sociétés industrielles,ou autres, auxquelles elle est intéressée ; elle spécule ici, nécessairement à large échelle (prêts de la banque aux spéculateurs en Bourses dits : reports).

    Cependant à partir des années 1890 les banques d'affaires, tout en conservant leurs caractères, se sont de plus en plus occupées d'affaires courantes (crédits à court terme).
    Au XIXe siècle, ce sont les banquiers privés de Paris, la "haute banque" qui ont eux-mêmes lancé la formule banque d'affaires. Aujourd'hui [1972] – depuis une vingtaine d'années – ce sont d'anciens groupes industriels qui se trouvent former les banques d'affaires souvent les plus dynamiques (exemple : l'Union des Mines – la Hénin, issue de compagnies houillères nationalisées en 1945).

    b) Structures et politique des banques de dépôts. – La banque de dépôts a tout un réseau d'agences. Les procédés nouveaux de drainage nécessitent un vaste réseau susceptible de recevoir l'argent de dizaines de milliers de clients, les petits et les moyens épargnants. Ces réseaux apparurent dans les dernières années du Second Empire et se développèrent rapidement à partir des années 1870. Ils joueront un triple rôle : drainage des épargnes ; ventes de titres à la clientèle ; crédits au commerce et à l'industrie.

    Capital et dépôts : dans une banque de dépôts, le capital est relativement peu important, mais les dépôts sont considérables. En 1881 ainsi, après 18 ans d'existence, le Crédit Lyonnais, dont le capital versé était de 100 millions de francs avait déjà 382 millions de dépôts. En 1913, pour un capital de 250 millions versés, les dépôts approcheront 3 milliards. Ces dépôts sont surtout des dépôts à vue, ce qui veut dire que l'on peut aller retirer l'argent déposé, quand on le veut, sans préavis (dépôts d'épargnants ; et de firmes : dépôts en comptes-courants "créanciers"). Et non des dépôts à terme (à 6, 12, 18 mois, 2 ans) dont le volume, important dans les premiers temps des banques de dépôts diminua vite à partir des années 1880.

    L'évolution de leur politique : les banques de dépôts disposant de dépôts à vue, ne peuvent utiliser ces ressources à des investissements à long terme, des crédits commerciaux, en particulier l'escompte. Mais ceci est resté d'abord tout théorique : car les banques de dépôts en France ont fait des prêts à long terme et se sont toutes, à leurs débuts, longuement engagées vis-à-vis de l'industrie. Des années 1860 à la fin du siècle, les banques de dépôts françaises étaient en réalité des organes mixtes, à la fois de dépôts et d'affaires. Elles en ont toutes souffert.

    La soudaine ruée des possédants ("run") venant réclamer leur argent au moment des crises les a parfois mises dans une situation difficile, puisque l'argent déposé avait été immobilisé dans des crédits à long terme. Elles ont peu à peu compris, après des faillites spectaculaires, qu'il fallait se cantonner dans des crédits à court terme. C'est cette politique que le Crédit Lyonnais adopte, quant à lui, le premier, dès les années 1870. Il n'empêche que certaines banques de dépôts demeurèrent longtemps imprudentes : en août 1914, l'État proclame le "moratoire bancaire" (interdiction faite aux possédants d'aller retirer leurs dépôts) pour sauver la Société Générale qui avait immobilisé son argent dans des investissements à long terme à l'étranger et qui n'aurait pu faire face, alors aux demandes de retraits de ses possédants.

    Jean Bouvier, Initiation au vocabulaire et aux mécanismes économiques
    contemporains (XIXe-XXe s.)
    , éd. Sedes, 1972, p. 184-188








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    18 juillet 2015

    Philippe VI, roi (1328-1350) : ascendance et descendance

    sacre de Philippe VI de Valois
    sacre de Philippe VI de Valois, 1328 (Froissart, Chroniques, BnF)

     

    ascendance et descendance du

    roi Philippe VI de Valois (1328-1350)

    et de Jeanne de Bourgogne

     

    ascendance et descendance de Philippe VI de Valois (Michel Renard)
    ascendance et descendance du roi Philippe VI de Valois (1328-1350)

     

    Le roi Philippe VI de Valois (1328-1350) et son épouse Jeanne de Bourgogne eurent de nombreux enfants dont les données factuelles relatives à leur naissance, et même à leur prénom, ne sont pas toujours établies précisément. La plupart étant décédés en très bas âge et leur sort devant être laissé dans une certaine discrétion pour ne pas alimenter les jugements hostiles sur la "male royne boiteuse".

    Des reproches, en effet, furent formulés à l'encontre de Jeanne de Bourgogne dont on réprouvait le rôle politique et son influence pour "lier le plus étroitement possible la politique française aux intérêts de la Papauté, de l'Empire et de sa famille bourguignonne, particulièrement ceux de son frère Eudes IV, duc de Bourgogne. Un historien contemporain voit dans cette attention "portée aux choses de l'Est" le contrepoids nécessaire à l'influence des hommes de l'Ouest - bretons et normands -  plus naturellement ouverts aux thèses anglaises. Il est bien évident que ce jugement porté à froid ne pouvait être celui des hommes du XIVe siècle, surtout s'ils étaient hostiles aux Bourguignons ou écrivaient sous le règne de Charles VI, en pleine domination anglaise. Or, les chroniqueurs qui ont cité Jeanne de Bourgogne, Froissart en tête, sont dans ce cas et rédigent à partir de racontars, dans la seconde moitié du siècle, donc bien après la mort de la reine. Leurs jugements sont ceux d'ennemis politiques (...)', explique Aiine Vallée-Karcher en 1980 (source).

    De tous les enfants du couple, deux garçons survécurent : l'aîné Jean qui devint roi (Jean II le Bon) en succédant à son père, et le cinquième fils, Philippe, devenu duc d'Orléans par son apanage. Philippe d'Orléans (1336-1376) était donc l'oncle du roi Charles V (1364-1380).

     

    Jeanne de Bourgogne, une "reine maudite" ?

    Philippe VI enfants Vallée-Karcher - 1
    "Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe VI de Valois : une reine maudite ?"
    Aline Vallée-Karcher, conservateur aux Archives nationales,

    Bibliothèque de l'École des Chartes, 1980, tome 138, livraison 1, p. 94-96 (source)

     

    Michel Renard
    professeur d'histoire

     

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    20 juillet 2015

    descendance de Charles VI (1380-1422) et d'Isabeau de Bavière

    Charles VI et Isabeau détail
    Charles VI et Isabeau de Bavière

     

    descendance du roi Charles VI (1380-1422)

    et d'Isabeau de Bavière

     

    descendance de Charles VI et d'Isabeau de Bavière (Michel Renard)
    descencance du roi Charles VI (1380-1422) et d'Isbeau de Bavière

     

     

    le roi Charles VI (1380-1422), quatrième de la dynastie des Valois

     

    Charles VI de Valois en majesté
    le roi Charles VI en majesté, pourvu de tous les attributs royaux

     

    Charles VI est le premier des deux enfants qui ont survécu de l'union de son père, Charles V le Sage (roi de 1364 à 1380) et de sa mère, Jeanne de Bourbon qui donna la vie à neuf enfants au total (voir le tableau ici). Charles eut en effet un frère cadet, Louis (1372-1407) qui vécut trente-cinq ans dont vingt-sept pendant le règne de son aîné.

    Charles VI était né le 3 décembre 1368 et mourut le 21 octobre 1422, à l'âge de 73 ans. Sa folie débuta en 1392 et dura trente ans, mais avec des intermittences pendant lesquelles il recouvrait une certaine lucidité.

     

    Isabeau de Bavière (1371-1435)

     

    Isabeau de Bavière et ses suivantes
    Isabeau de Bavière et ses suivantes

     

    la mort d'Isabeau de Bavière
    la mort d'Isabeau de Bavière

     

     

    mariage de Charles VI

    Charles VI épousa Elisabeth ou Isabeau de Bavière (née en 1370) le 17 juillet 1385, étant donc déjà roi mais seulement âgé de moins de dix-sept ans.

     

    Charles VI en costume et Isabeau de Bavière devant une ville
    Charles VI en costume de sacre et Isabeau de Bavière devant l'entrée d'une ville

     

     

    les enfants de Charles VI et d'Isabeau


    De leur mariage sont nés douze enfants, comme le montre le tableau ci-dessus. Et comme le précise l'archiviste-paléographe et historien Auguste Vallet de Viriville (1815-1868) dans un article paru en 1858 : "Note sur l'état civil des princes et princesses nés de Charles VI et d'Isabeau de Bavière", Bibliothèque de l'École des Chartes, 1858, n° 19, p. 473-482 (en ligne), dans le récapitulatif ci-dessous :

     

    tableau enfants Charles VI Vallet de Viriville
    tableau récapitlatif dressé par Auguste Vallet de Viriville (1858)

     

     

    Charles (1386)

    Charles 1386
    Auguste Vallet de Viriville (en ligne)

     

    chapelle Charles V à Saint-Denis
    plan de la chapelle de Charles V, basilique de Saint-Denis, dessin tiré de l'ouvrage de Dom Félibien (1706) :
    A : Le tombeau de Charles V ; B : Le tombeau de Charles VI, C : le tombeau de Charles VII - disparu.
    D : Du Guesclin ; E : Bureau de La Rivière ; F : Charles, dauphin ; G : Louis de Sancerre; H : Arnaud de Barbazan

     

     

     

    Jeanne (1388-1390)

    2° "Jeanne de France, première fille, naquit en la maison royale de Saint-Ouen, près Saint-Denis, le 14 juin 1388, à une heure de prime (de six à sept heure du matin). Elle fut baptisée et vécut peu. Elle mourut en 1390, et fut inhumée en l'abbaye royale de Maubuisson."

    Auguste Vallet de Viriville (en ligne)

     

    abbaye de Maubuisson (1)
    abbaye royale de Maubuisson où fut inhumée Jeanne (1390) la deuxième fille de Charles VI

     

    abbaye de Maubuisson (2)
    abbaye royale de Maubuisson où fut inhumée Jeanne (1390) la deuxième fille de Charles VI

     

     

    Isabelle (1389-1409)

    Mariée au roi Richard II d'Angleterre (1396-1400), en 1396, pas encore âgée de sept ans. L'union ne fut pas consommée, et Isabelle revint en France (août 1401) peu après la mort de son époux.

    Elle fut ensuite

     

    Isabelle de France 1389-1409
    Auguste Vallet de Viriville (en ligne)

     

    mariage Chaterine de Valois et Henri V en 1520
    mariage d'Isabelle de Valois et du roi Richard II d'Angleterre, en 1396

     

    mariage Chaterine de Valois et Henri V en 1520 détail
    mariage d'Isabelle de Valois et du roi Richard II d'Angleterre, en 1396 (détail)

     

     

    Jeanne (1391-1433)

     

    Epouse Jean V, duc de Bretagne (1389-1442). Le mariage a lieu le 19 septembre 1896 : Jeanne est âgée de 5 ans, et Jean de 8 ans.

     

    mariage Jeanne de Valois et de Jean V duc de Bretagne
    mariage de Jeanne de France et de Jean V, duc de Bretagne, en 1896

     

     

    Charles (1392-1401)

     

    Premier dauphin, duc de Guyenne.

     

    Charles dauphin 1392-1401 portrait
    Charles, premier dauphin (1392-1401)

     

    Charles dauphin 1392-1401
    figure de jeune prince renant une couronne (dessin de Gaignières, 1642-1715)
    Charles (1392-1401) ? [source]

     

     

    Marie de Valois (1393-1438)

     

    Prieure à Poissy. Y entra en 1397. Elle mourut de la peste. Enterrée dans l'église de Poissy près de la grille.

     

     

    Michelle de Valois (1395-1422)

     

    Michelle de Valois
    Michelle de Valois (1395-1422), mariée à Philippe III de Bourgogne

     

     

     

    Louis (1397-1415)

     

     

     

    Louis (1398-1417)

     

     

     

    Catherine de Valois (1401-1437)

     

    Catherine de Valois épouse d'Henri V Ang
    Catherine de Valois ((1401-1437), épouse du roi Henri V d'Angleterre

     

    En application du traité de Troyes (21 mai 1420), la plus jeune fille de Charles VI fut accordée en mariage au roi d'Angleterre, Henri V. La cérémonie eut lieu le 2 juin 1420 dans l'église Saint-Jean-du-Marché à Troyes même.

    Cette union ne dura que deux ans, puisque le souverain anglais mourut le 31 août 1422.

     

    mariage Chaterine de Valois et Henri V en 1520 église
    mariage de Catherine de Valois et d'Henri V d'Angleterre, le 2 juin 1420

     

     

    Charles VII (1402-1461)

     

    Charles VII roi jeune
    le roi Charles VII, jeune

     

     

    Philippe (1407)

     

     

    ______________

     

    bibliographie : Auguste Vallet de Viriville (1815-1868), "Note sur l'état civil des princes et princesses nés de Charles VI et d'Isabeau de Bavière", Bibliothèque de l'École des Chartes, année 1858, n° 19, p. 473-482 (en ligne)

    - Auguste Vallet de Viriville : data.bnf.fr

    Auguste Vallet de Viriville (1815-1868) 2
         photographie Nadar

     

    Auguste Vallet de Viriville (1815-1868)
    Auguste Vallet de Viriville (1815-1868), archiviste-paléographe, historien,
    auteur de nombreux travaux sur la guerre de Cent ans, les XIVe et XVe siècles

     

    Michel Renard
    professeur d'histoire

    * à terminer

     

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    5 avril 2015

    le technopôle et la technopole

    technopôle schéma
    schéma d'un technopôle (source)

     

     

     technopôle et technopole

     

    le technopôle

    La notion de technopôle (nom masculin) est apparue vers 1970, à l'initiative de la DATAR, comme application des théories de François Perroux sur les pôles de croissance.

    Un technopôle réunit, sur un site le plus souvent suburbain, des activités qui ont en commun de recourir à des technologies innovantes sur des thématiques communes (génie génétique et biotechnologies, informatique, sciences de la matière par ex.).

    S'y trouvent rassemblés des centres universitaires ou de recherche, des entreprises (souvent petites ou moyennes, formant "pépinières"). L'objectif est de faciliter les transferts de technologie, la "fertilisation croisée" entre tous ces acteurs. Animation et mise en réseau des compétences, création d’entreprises innovantes, promotion du territoire : telles sont les différentes composantes de la dynamique technopolitaine. L'environnement urbain et architectural est de qualité.

    Le modèle existait déjà aux États-Unis : route 128, près de Boston, Silicon Valley dans le sud de San Francisco, près de l'université de Stanford. Il existait aussi en URSS et au Japon sous la forme de villes nouvelles scientifiques : Akademgorodok en Sibérie, et Tsukuba au nord de Tokyo.

    Le technopôle se distingue du district industriel qui peut concerner des activités traditionnelles et pas seulement innovantes. Le district industriel s'applique à un territoire alors que le technopôle se situe dans une agglomération urbaine.

     

    la technopole

    Les technopoles (nom féminin) sont à la fois des pôles d'innovation et des pôles urbains capables d'entraîner un développement régional, voire national. Elles s'identifient aux grandes métropoles. Le terme, après avoir été beaucoup employé dans les années 1990, est quelque peu passé de mode.

    En France, les premiers exemples en ont été le Parc international d'activités de Valbonne Sophia-Antipolis (arrière-pays de Nice-Cannes-Antibes), dont le plan d'aménagement avait été approuvé en 1974 ; la Zone d'innovation et de recherche scientifique et technique (ZIRST) de Meylan, près de Grenoble ; mais beaucoup d'autres ont suivi, constituant un temps l’arc des technopôles de la "sun belt" française.

     

    les technopôles

    La nature et le degré de réussite de ces technopôles sont variés. Ils peuvent être restés de simples pôles sans innervation réelle dans le tissu régional, leur objectif de diffusion de l'innovation n'a donc pas toujours été atteint. Certains relèvent davantage d'un souci d'image de modernité, de marketing urbain sans rapport avec les réalités.

    En 2015, on dénombre 47 technopôles réunis au sein du réseau RETIS.

    Sophia-Antipolis, le pionnier, regroupait, en 2008, sur 2 300 ha : 4 000 chercheurs du secteur public, 5 000 étudiants, 1 414 entreprises (dont 40 % ont une activité de R&D) générant 30 000 emplois. Les entreprises à capitaux étrangers sont au nombre de 140, représentant 25 % des emplois. Les technologies de l'information y représentent 45 % des emplois. Mais on y observe une croissance plus modérée ces dernières années, selon une enquête du Symisa, syndicat rassemblant les acteurs institutionnels du parc.

    Parallèlement, les Centres européens d'entreprises et d'innovation (CEEI) se sont développés, à l'initiative de la Direction des politiques régionales de l'Unuin Européenne (DG XVI), depuis 1984. Depuis trente ans, les CEEI jouent un rôle d'appui à la création d'entreprises innovantes.

    En France, 25 BIC (European Union Business and Innovation Centers) sont labellisés par l’UE. Ils sont reconnus par la Commission européenne sur la base d’une certification de qualité qui permet l’obtention du label européen «EU BIC».

    source : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/technopole

     

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    technopôle, technopole

    Le technopôle ou parc technologique est une zone d'activités qui rassemble des entreprises de fabrication ou de services dans le secteur des hautes technologies. Les technopôles sont la plupart du temps situés dans la périphérie de grandes villes, à proximité de structures de recherche (universités, laboratoires privés). Ils se sont développés surtout à partir des années 1980.

    La technopole est de plus grande envergure qu'un technopôle. Il s'agit d'une ville entière spécialisée dans les hautes technologies et développant une politique d'accueil des cadres, des chercheurs et des techniciens. Le modèle de la technopole est la Silicon Valley, qui se trouve dans la périphérie de l'agglomération de San Francisco. En France, Sophia-Antipolis dans l'arrière-pays de Nice, ou Montpellier présentent ce même profil d'agglomération technopolitaine.

    source Le Monde - révision Bac

     

    _________________

     

    Attention !

    La page "Technopole" de Wikipédia dit n'importe quoi sur ces deux notions. S'abritant derrière l'Académie française - qui a, sûrement, ses raisons - l'auteur de la page prétend que : "la distinction de sens est inexistante ; et pour cause : les deux termes recouvrent une même notion".

    Si le terme de technopôle n'est pas, linguistiquement très heureux, il recouvre une réalité différente de la technopole.

     

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    une technopole

     

    technopole schéma Villeneuve-d'Ascq
    la technopole verte de Villeneuve-d'Ascq dans le Nord (source)

     

    - ce schéma est le travail de Madame Danielle Jolicoeur : source.

     

    _________________

     

    méthodologie

     

    Pour s'entraîner à la réalisation d'un croquis (interprétation cartographique problématisée et localisée) ou d'un schéma cartographique (visualisation simplifiée et non localisée de quelques notions précises), imprimez le fond de carte et utilisez les couleurs pour traiter : la légende, les figurés de surface et les figurés linéaires ; matériel : crayons de couleurs pour les à plats, et feutres à pointe fine pour les figurés linéaires.

     

    schéma technopôle n&b
    schéma cartographique d'un technopôle : cliquer sur l'image pour l'agrandir, l'imprimer et la colorier

     

     

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    9 janvier 2010

    Kingdom of Heaven, un film sur les Croisades

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    Kingdom of Heaven


    (le Royaume des Cieux, film de 2005)



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    les erreurs (invraisemblances) historiques

    du film

    Kingdom of Heaven ("le Royaume des Cieux") de Ridley Scott, 2005

     

    Le film du réalisateur britannique Ridley Scott (Blane Runner, 1492, Gladiator…) paru en 2005, Kingdom of Heaven propose une histoire qui se déroule entre 1184 et 1187, peu avant la troisième Croisade, et qui se termine par la prise de Jérusalem par Saladin. l'image des rapports entre chrétiens et musulmans est largement idéalisée. Ainsi :

    - l’idée que sous le règne des chrétiens, Jérusalem était ouverte à toutes les religions, ce qui est absolument faux !

    - la mise en garde du médecin Templier à Balian arrivé à Jérusalem et qui lui dit qu'il a perdu sa religion : "Ce n'est pas ce qui compte la religion. Au nom de la religion, j'ai vu le délire de fanatiques de toutes les confessions du monde appelé la volonté de Dieu. La sainteté, c'est de faire ce qui est juste, de se battre avec courage pour ceux qui sont sans défense. Ce que Dieu veut, la bonté qu'il exige, est là". Ces propos sont tout à fait inconcevables à cette époque. C'est la religion qui compte, avant tout le reste, pour tous les croyants qu'ils soient Croisés chrétiens ou Sarrasins musulmans. Bien sûr, l'intensité du sentiment religieux peut varier mais pas au point de se situer au-dessus des religions pour évoquer un Dieu de bonté. Les Sarrasins sont des idolâtres païens pour les chrétiens et ceux-ci sont des mécréants pour les musulmans.

    - la harangue de Balian lors de la défense de Jérusalem à propos des Lieux Saints ("tous sont légitimes") : impensable à l'époque…!

    - les Templiers sont présentés comme des fanatiques, auteurs d'opérations sanglantes (Renaud de Chatillon) dans lesquelles on reconnaît une critique de la politique au Proche-Orient menée par la Maison Blanche et le Pentagone.

    - l'affirmation que l’armée de Saladin comptait un minimum de 200 000 hommes, ce qui est également faux ! Au cours de la bataille décisive de Hattin, en juillet 1187, l’armée musulmane comptait entre 12000 et 60 000 hommes selon les sources, alors que les croisés étaient entre 1200 et 2000 chevaliers appuyés par 20 000 autres combattants (?).

    - de nombreux petits détails, tels des plans de la ville de Jérusalem, ou des intérieurs de palais n’ont en fait rien d’oriental. Le film a été tourné au Maroc et en Espagne, et ça se voit tout de suite. L’architecture musulmane du Maghreb est très particulière dans ses détails, ses arcades et ses faïences et elle ne ressemble pas à celle de Palestine ou de Syrie.

    - la clémence de Saladin lors de la prise de Jérusalem en octobre 1187. Dans le film le dialogue dit : "Saladin - je vous accorde sauf-conduit à tous jusqu'en terre chrétienne, à tous, femmes, enfants, vieillards, tous tes chevaliers et tous tes soldats et ta reine, nul n'aura à souffrir, Allah m'en est témoin. Balian - Les chrétiens ont massacré tous les musulmans après la chute de la ville. Saladin - Sache que je ne suis pas de ces hommes-là, moi, je suis Saladin, Salah ed Dîn". Or, les chroniques nous apprennent que le discours a été totalement inverse… Saldin a dit : "Je ne me conduirai pas envers vous autrement que vos pères envers les nôtres, qui ont tous été massacrés ou réduits en esclavage" (propos tenus dans le film par un lieutenant de Saladin mais pas par Saladin lui-même…). Il a fallu la menace de Balian d'exécuter les 3 à 5 000 prisonniers musulmans et de détruire le Dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsâ pour que Saladin accepte de transiger.

    Pourquoi toutes ces erreurs ? Parce que le réalisateur utilise le cadre historique comme métaphore des conflits de son époque : les templiers sont les méchants faucons de l'Amérique, les présidents Bush père et fils partis en "croisade" contre l'Irak (1991 et 2003) ; la cupidité de Renaud de Châtillon dans le film renvoyant à celle des affamés de pétrole.

    Source ?

     




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    29 octobre 2006

    Mémoire et Rapport sur Victor de l’Aveyron (Jean Itard)

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    Jean Itard (1774 -1838)

     

    Mémoire et Rapport sur

    Victor de l’Aveyron

    Jean Itard (1774 -1838)

     

     

    Mémoire sur les premiers développements de Victor de l’Aveyron (1801)

    Rapport sur les nouveaux développements de Victor de l’Aveyron (1806 ; imprimé en 1807).

    Paris : Bibliothèques 10/18
    Octobre 2002, 123 pages
    Deux textes publiés en annexe du texte de
    Lucien Malson, Les enfants sauvages



     

    Mémoire sur les premiers développements

     de Victor de l’Aveyron  : (1801)






    Préface

    de Philippe Folliot
    professeur de philosophie au Lycée Ango
    Dieppe en Normandie

    «Victor de l’Aveyron», découvert à la fin du XVIIIème, remis à Itard par des spécialistes de l’époque qui ne voyaient en lui qu’un idiot banal, est l’enfant sauvage le plus connu, certainement plus par le film de François Truffaut que par les rapports d’Itard, publiés tardivement. Plus rarement parle-t-on des enfants-loups, des enfants-porcs, des enfants-ours, et autres enfants-moutons, pourtant tout aussi réels. Dans ces cas, le spectaculaire l’emporte trop souvent, et l’on oublie de se poser les questions essentielles à leur sujet.

    Qu’est-ce d’abord qu’un enfant sauvage ? C’est un enfant qui a grandi hors de la société des hommes, hors de la civilisation, parfois seul, parfois en compagnie d’animaux, en tout cas loin du modèle humain et des relations sociales.

    On a parfois dit que la question posée par ces cas était celle de la différence entre l’humanité et l’animalité ; elle est plus précisément celle de la nature humaine. On croyait naïvement – ce fut en partie le cas de Rousseau – qu’il suffisait d’ôter la croûte civilisatrice pour retrouver l’homme naturel, et l’auteur du Discours sur l’origine, comme d’autres, rêvaient d’expériences qui permettraient de révéler une nature humaine originelle dont nous nous éloignons chaque jour davantage  . Qu’entendait-on alors par nature humaine ? Un ensemble de caractéristiques universelles innées, d’ordre biologique, intellectuel, moral, et même métaphysique. Les conceptions s’opposaient sur le fait de savoir si cette nature déterminait visiblement nos comportements ou si elle demeurait enfouie, écrasée par le milieu et l’histoire, si elle était bonne ou mauvaise, mais rarement cherchait-on à la nier. En effet, si cette nature n’existait pas, qu’était alors l’homme ? Fallait-il se résigner à admettre que l’humanité était un artifice humain social, arbitraire, que les hommes se produisaient les uns les autres, par l’éducation, par le milieu, indépendamment d’un créateur ? Car la question allait bien jusque là : «le sensualisme grossier» reproché à Diderot, qui avait dû prendre le chemin de la Bastille pour sa Lettre sur les aveugles, s’inscrit dans la même perspective : si les idées intellectuelles et morales de l’aveugle ne s’accordent pas avec nos prétendues idées innées, ces dernières dépendent en fait de nos sens, et l’idée d’une origine divine d’un être humain non animal, animé d’une conscience morale donnée par le créateur, s’écroule. Certains essayèrent bien de voir en les enfants sauvages les résultats de tares héréditaires  , mais l’idée de nature humaine était à l’agonie. L’ethnologie a enfoncé le clou en montrant la diversité socioculturelle et le caractère relatif et acquis d’attitudes, de coutumes, de sentiments,  que nous avions crus universels  . Que restait-il de l’homme naturel : quelques caractéristiques biologiques.

    On a désormais compris que l’expression «homme naturel» n’a aucun sens : l’homme est culturel ou n’est pas. Il est le fruit du milieu. Fallait-il être naïf pour croire comme Frédéric II de Hohenstaufen que des enfants à qui on ne parlerait pas utiliseraient naturellement l’hébreu, langue naturelle !

    Mais n’allons pas trop loin. L’abandon de la vieille idée de nature humaine n’est pas l’ouverture à n’importe quelle thèse métaphysique d’une autocréation de l’homme ex nihilo. La critique du déterminisme d’une nature innée ne permet aucunement d’affirmer la légitimité d’un existentialisme qui veut affirmer la liberté humaine face à une facticité presque totalement neutre. L’homme ne fait pas de lui n’importe quoi, et il ne faut pas exagérer – dans le but peut-être inavoué de saper le fondement d’une morale – le relativisme. Le bébé, si l’on ignore pour l’instant son avenir, fils de bourgeois, enfant de prolétaire, ou enfant sauvage, n’est pas le lieu d’infinies potentialités. Si Lucien Malson   a raison de dire qu’il n’est «rien que des virtualités aussi légères qu’une transparente vapeur» et que «toute condensation suppose un milieu»  , il ne faudrait pas en conclure que l’homme peut échapper à l’actualisation sociale déterminée de caractéristiques potentielles en nombre limité. Un homme n’est ni un pigeon, ni un éléphant. Quoi qu’on dise, il n’y a pas d’infinies façons d’être humain au milieu des hommes. Il ne s’agit nullement ici de justifier un ethnocentrisme que nous savons dépassé, mais d’envisager la possibilité d’une définition de la nature sociale de l’homme. On a pu, pour différentes raisons, se moquer du vivant politique d’Aristote, mais son propos, débarrassé d’une perspective finaliste, est pertinent. L’homme est fondamentalement social, il est homme, ni bête, ni dieu, en étant social. C’est en comprenant ce «social», dont l’universalité est évidente, qu’on peut comprendre l’homme. Le reste est mythe.

    Disons quelques mots de l’homme Itard (1774-1838). Médecin à l’institution des sourds-muets de Paris, influencé par l’empirisme et le sensualisme, il avait compris l’importance fondamentale de la culture. Pour Pinel, Victor n’était qu’un arriéré mental, incapable de progrès. Le but d’Itard a été de sortir le sauvage de l’état dans lequel il fut trouvé, pour montrer que l’homme est essentiellement un être «construit». Malgré les limites, les progrès de Victor furent manifestes, ce qui montrait que le déficit de Victor n’était pas définitif, mais le fruit d’une insuffisance de stimulations du milieu . À cet égard, Itard est un pionnier, et il ouvre la voie à la psychiatrie infantile.

    Philippe Folliot,
    29 décembre 2003

     

     




















    MÉMOIRE SUR LES PREMIERS DÉVELOPPEMENTS

    DE VICTOR DE L’AVEYRON

    (1801)

     

     

     

    AVANT-PROPOS

    Jeté sur ce globe sans forces physiques et sans idées innées, hors d'état d'obéir par lui-même aux lois constitutionnelles de son organisation, qui l'appellent au premier rang du système des êtres, l'homme ne peut trouver qu'au sein de la société la place éminente qui lui fut marquée dans la nature, et serait, sans la civilisation, un des plus faibles et des moins intelligents des animaux : vérité, sans doute, bien rebattue, mais qu'on n'a point encore rigoureusement démontrée... Les philosophes qui l'ont émise les premiers, ceux qui l'ont ensuite soutenue et propagée, en ont donné pour preuve l'état physique et moral de quelques peuplades errantes, qu'ils ont regardées comme non civilisées parce qu'elles ne l'étaient point à notre manière, et chez lesquelles ils ont été puiser les traits de l'homme dans le pur état de nature. Non, quoi qu'on en dise, ce n'est point là encore qu'il faut le chercher et l'étudier. Dans la horde sauvage la plus vagabonde comme dans la nation d'Europe la plus civilisée, l'homme n'est que ce qu'on le fait être ; nécessairement élevé par ses semblables, il en a contracté les habitudes et les besoins ; ses idées ne sont plus à lui ; il a joui de la plus belle prérogative de son espèce, la susceptibilité de développer son entendement par la force de l'imitation et l'influence de la société.

    On devait donc chercher ailleurs le type de l'homme véritablement sauvage, de celui qui ne doit rien à ses pareils, et le déduire des histoires particulières du petit nmbre d'individus qui, dans le cours du XVIIe siècle, ont été trouvés, à différents intervalles, vivant isolément dans les bois où ils avaient été abandonnés dès l'âge le plus tendre  .

    Mais telle était, dans ces temps reculés, la marche défectueuse de l'étude de la science livrée à la manie des explications, à l'incertitude des hypothèses, et au travail exclusif du cabinet, que l'observation n'était comptée pour rien, et que ces faits précieux furent perdus pour l'histoire naturelle de l'homme. Tout ce qu'en ont laissé les auteurs contemporains se réduit à quelques détails insignifiants, dont le résultat le plus frappant et le plus général, est que ces individus ne furent susceptibles d'aucun perfectionnement bien marqué ; sans doute, parce qu'on voulut appliquer à leur éducation, et sans égard pour la différence de leurs origines, le système ordinaire de l'enseignement social. Si cette application eut un succès complet chez la fille sauvage trouvée en France vers le commencement du siècle dernier, c'est qu'ayant vécu dans les bois avec une compagne, elle devait déjà à cette simple association un certain développement de ses facultés intellectuelles, une véritable éducation, telle que l'admet Condillac  , quand il suppose deux enfants abandonnées dans une solitude profonde, et chez lesquelles la seule influence de leur cohabitation dut donner essor à la mémoire, à leur imagination, et leur faire créer même un petit nombre de signes : supposition ingénieuse, que justifie pleinement l'histoire de cette même fille, chez laquelle la mémoire se trouvait développée au point de lui retracer quelques circonstances de son séjour dans les bois, et très en détail, surtout la mort violente de sa compagne  .

    Dépourvus de ces avantages, les autres enfants trouvés dans un état d'isolement individuel, n'apportèrent dans la société que des facultés profondément engourdies, contre lesquelles durent échouer, en supposant qu'ils furent tentés et dirigés vers leur éducation, tous les efforts réunis d'une métaphysique à peine naissante, encore entravée du préjugé des idées innées, et d'une médecine, dont les vues nécessairement bornées par une doctrine toute mécanique, ne pouvaient s'élever aux considérations philosophiques des maladies de l'entendement. Éclairées du flambeau de l'analyse, et se prêtant l'une à l'autre un mutuel appui, ces deux sciences ont de nos jours dépouillé leurs vieilles erreurs, et fait des progrès immenses. Aussi avait-on lieu d'espérer que si jamais il se présentait un individu pareil à ceux dont nous venons de parler, elles déploieraient pour son développement physique et moral toutes les ressources de leurs connaissances actuelles ; ou que du moins si cette application devenait impossible ou infructueuse, il se trouverait dans ce siècle d'observation quelqu'un qui, recueillant avec soin l'histoire d'un être aussi étonnant, déterminerait ce qu'il est, et déduirait de ce qu'il lui manque, la somme jusqu'à présent incalculée des connaissances et des idées que l'homme doit à son éducation.

    Oserai-je avouer que je me suis proposé l'une et l'autre de ces deux grandes entreprises ? Et qu'on ne me demande point si j'ai rempli mon but. Ce serait là une question bien prématurée à laquelle je ne pourrais répondre qu'à une époque encore très éloignée. Néanmoins je l'eusse attendue en silence, sans vouloir occuper le public de mes travaux, si ce n'avait été pour moi un besoin, autant qu'une obligation, de prouver, par mes premiers succès, que l'enfant sur lequel je les ai obtenus n'est point, comme on le croit généralement, un imbécile désespéré mais un être intéressant, qui mérite, sous tous les rapports, l'attention des observateurs, et les soins particuliers qu'en fait prendre une administration éclairée et philanthropique.

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    * *




     



    LES PROGRÈS D'UN JEUNE SAUVAGE

     

    Un enfant de onze ou douze ans, que l'on avait entrevu quelques années auparavant dans les bois de la Caune, entièrement nu, cherchant des glands et des racines dont il faisait sa nourriture, fut dans les mêmes lieux, et vers la fin de l'an VII, rencontré par trois chasseurs qui s'en saisirent au moment où il grimpait sur un arbre pour se soustraire à leurs poursuites. Conduit dans un hameau du voisinage, et confié à la garde d'une veuve, il s'évada au bout d'une semaine et gagna les montagnes où il erra pendant les froids les plus rigoureux de l'hiver, revêtu plutôt que couvert d'une chemise en lambeaux, se retirant pendant la nuit dans les lieux solitaires, se rapprochant, le jour, des villages voisins, menant ainsi une vie vagabonde, jusqu'au jour où il entra de son propre mouvement dans une maison habitée du canton de Saint-Sernin.

     

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    II y fut repris, surveillé et soigné pendant deux ou trois jours ; transféré de là à l'hospice de Saint-Affrique, puis à Rodez, où il fut gardé plusieurs mois. Pendant le séjour qu'il a fait dans ces différents endroits, on l'a vu toujours également farouche, impatient et mobile, chercher continuellement à s'échapper, et fournir matière aux observations les plus intéressantes, recueillies par des témoins dignes de foi, et que je n'oublierai pas de rapporter dans les articles de cet essai, où elles pourront ressortir avec plus d'avantage  . Un ministre, protecteur des sciences, crut que celle de l'homme moral pourrait tirer quelques lumières de cet événement. Des ordres furent donnés pour que cet enfant fût amené à Paris. Il y arriva vers la fin de l'an VIII, sous la conduite d'un pauvre et respectable vieillard qui, obligé de s'en séparer peu de temps après, promit de revenir le prendre, et de lui servir de père, si jamais la Société venait à l'abandonner.

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    hospice de Rodez

    Les espérances les plus brillantes et les moins raisonnées avaient devancé à Paris, le Sauvage de l'Aveyron . Beaucoup de curieux se faisaient une joie de voir quel serait son étonnement à la vue de toutes les belles choses de la capitale. D'un autre côté, beaucoup de personnes, recommandables d'ailleurs par leurs lumières, oubliant que nos organes sont d'autant moins flexibles et l'imitation d'autant plus difficile, que l'homme est éloigné de la société et de l'époque de son premier âge, crurent que l'éducation de cet individu ne serait l'affaire que de quelques mois, et qu'on l'entendrait bientôt donner sur sa vie passée, les renseignements les plus piquants. Au lieu de tout cela, que vit-on ? Un enfant d'une malpropreté dégoûtante, affecté de mouvements spasmodiques et souvent convulsifs, se balançant sans relâche comme certains animaux de la ménagerie, mordant et égratignant ceux qui le servaient ; enfin, indifférent à tout et ne donnant de l'attention à rien.

    On conçoit facilement qu'un être de cette nature ne dût exciter qu'une curiosité momentanée. On accourut en foule, on le vit sans l'observer, on le jugea sans le connaître, et l'on n'en parla plus. Au milieu de cette indifférence générale, les administrateurs de l'institution nationale des Sourds-et-Muets et son célèbre directeur n'oublièrent point que la société, en attirant à elle ce jeune infortuné, avait contracté envers lui des obligations indispensables, qu'il leur appartenait de remplir. Partageant alors les espérances que je fondais sur un traitement médical, ils décidèrent que cet enfant serait confié à mes soins.

    Mais avant de présenter les détails et les résultats de cette mesure, il faut exposer le point d'où nous sommes partis, rappeler et décrire cette première époque, pour mieux apprécier celle à laquelle nous sommes parvenus, et opposant ainsi le passé au présent, déterminer ce qu'on doit attendre de l'avenir. Obligé donc de revenir sur des faits déjà connus, je les exposerai rapidement ; et pour qu'on ne me soupçonne pas de les avoir exagérés dans le dessein de faire ressortir ceux que je veux leur opposer, je me permettrai de rapporter ici d'une manière très analytique la description qu'en fit à une société savante, et dans une séance où j'eus l'honneur d'être admis, un médecin aussi avantageusement connu par son génie observateur que par ses profondes connaissances dans les maladies de l'intellectuel.

     

     

     

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    Pinel délivrant les aliénés de leurs chaînes à la Salpétrière
    peinture de Tony Robert-Fleury (1837-1912)

     

    imagesProcédant d'abord par l'exposition des fonctions sensoriales du jeune sauvage, le citoyen Pinel nous présenta ses sens réduits à un tel état d'inertie que cet infortuné se trouvait, sous ce rapport, bien inférieur à quelques-uns de nos animaux domestiques ; ses yeux sans fixité, sans expression, errant vaguement d'un objet à l'autre sans jamais s'arrêter à aucun, si peu instruits d'ailleurs, et si peu exercés par le toucher, qu'ils ne distinguaient point un objet en relief d'avec un corps en peinture : l'organe de l'ouïe insensible aux bruits les plus forts comme à la musique la plus touchante : celui de la voix réduite à un état complet de mutité et ne laissant échapper qu'un son guttural et uniforme : l'odorat si peu cultivé qu'il recevait avec la même indifférence l'odeur des parfums et l'exhalaison fétide des ordures dont sa couche était pleine ; enfin l'organe du toucher restreint aux fonctions mécaniques de la préhension des corps. Passant ensuite à l'état des fonctions intellectuelles de cet enfant, l'auteur du rapport nous le présenta incapable d'attention, si ce n'est pour les objets de ses besoins, et conséquemment de toutes les opérations de l'esprit qu'entraîne cette première, dépourvu de mémoire, de jugement, d'aptitude à l'imitation, et tellement borné dans les idées même relatives à ses besoins, qu'il n'était point encore parvenu à ouvrir une porte ni à monter sur une chaise pour atteindre les aliments qu'on élevait hors de la portée de sa main ; enfin dépourvu de tout moyen de communication, n'attachant ni expression ni intention aux gestes et aux mouvements de son corps, passant avec rapidité et sans aucun motif présumable d'une tristesse apathique aux éclats de rire les plus immodérés ; insensible à toute espèce d'affections morales ; son discernement n'était qu'un calcul de gloutonnerie, son plaisir une sensation agréable des organes du goût, son intelligence la susceptibilité de produire quelques idées incohérentes, relatives à ses besoins ; toute son existence, en un mot, une vie purement animale.

    pinelRapportant ensuite plusieurs histoires, recueillies à Bicêtre, d'enfants irrévocablement atteints d'idiotisme, le citoyen Pinel établit entre l'état de ces malheureux et celui que présentait l'enfant qui nous occupe, les rapprochements les plus rigoureux, qui donnaient nécessairement pour résultat une identité complète et parfaite entre ces jeunes idiots et le Sauvage de l'Aveyron. Cette identité menait nécessairement à conclure qu'atteint d'une maladie jusqu'à présent regardée comme incurable, il n'était susceptible d'aucune espèce de sociabilité et d'instruction. Ce fut aussi la conclusion qu'en tira le citoyen Pinel et qu'il accompagna néanmoins de ce doute philosophique répandu dans tous ses écrits, et que met dans ses présages celui qui sait apprécier la science du pronostic et n'y voir qu'un calcul plus ou moins incertain de probabilités et de conjectures.

    Je ne partageai point cette opinion défavorable ; et malgré la vérité du tableau et la justesse des rapprochements, j'osai concevoir quelques espérances. Je les fondai moi-même sur la double considération de la cause et de la curabilité de cet idiotisme apparent. Je ne puis passer outre sans m'appesantir un instant sur ces deux considérations. Elles portent encore sur le moment présent ; elles reposent sur une série de faits que je dois raconter, et auxquels je me verrai forcé de mêler plus d'une fois mes propres réflexions.

    Si l'on donnait à résoudre ce problème de métaphysique : déterminer quels seraient le degré d'intelligence et la nature des idées d'un adolescent qui, privé dès son enfance de toute éducation, aurait vécu entièrement séparé des individus de son espèce, je me trompe grossièrement, ou la solution du problème se réduirait à ne donner à cet individu qu'une intelligence relative au petit nombre de ses besoins et dépouillée, par abstraction, de toutes les idées simples et complexes que nous recevons par l'éducation, et qui se combinent dans notre esprit de tant de manières, par le seul moyen de la connaissance des signes. Eh bien ! le tableau moral de cet adolescent serait celui du Sauvage de l'Aveyron et la solution du problème donnerait la mesure et la cause de l'état intellectuel de celui-ci.

    Mais pour admettre encore avec plus de raison l'existence de cette cause, il faut prouver qu'elle a agi depuis nombre d'années, et répondre à l'objection que l'on pourrait me faire et que l'on m'a déjà faite, que le prétendu sauvage n'était qu'un pauvre imbécile que des parents, dégoûtés de lui, avaient tout récemment abandonné à l'entrée de quelque bois. Ceux qui se sont livrés à une pareille supposition n'ont point observé cet enfant peu de temps après son arrivée à Paris. Ils auraient vu que toutes ses habitudes portaient l'empreinte d'une vie errante et solitaire ; aversion insurmontable pour la société et pour ses usages, nos habillements, nos meubles, le séjour de nos appartements, la préparation de nos mets, indifférence profonde pour les objets de nos plaisirs et de nos besoins factices ; goût passionné pour la liberté des champs si vif encore dans son état actuel, malgré ses besoins nouveaux et ses affections naissantes, que pendant un court séjour qu'il a fait à Montmorency, il se serait infailliblement évadé dans la forêt sans les précautions les plus sévères, et que deux fois il s'est échappé de la maison des Sourds-Muets, malgré la surveillance de sa gouvernante ; locomotion extraordinaire, pesante à la vérité, depuis qu'il porte des chaussures, mais toujours remarquable par la difficulté de se régler sur notre démarche posée et mesurée, et par la tendance continuelle à prendre le trot ou le galop ; habitude opiniâtre de flairer tout ce qu'on lui présente, même les corps que nous regardons comme inodores, mastication non moins étonnante encore, uniquement exécutée par l'action précipitée des dents incisives, indiquant assez, par son analogie avec celle de quelques rongeurs, qu'à l'instar de ces animaux notre sauvage ne vivait le plus communément que de productions végétales : je dis le plus communément car il paraît, par le trait suivant, que dans certaines circonstances il aurait fait sa proie de quelques petits animaux privés de vie. On lui présenta un serin mort, et en un instant l'oiseau fut dépouillé de ses plumes grosses et petites, ouvert avec l'ongle, flairé et rejeté.

     

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    D'autres indices d'une vie entièrement isolée, précaire et vagabonde, se déduisent de la nature et du nombre de cicatrices dont le corps de cet enfant est couvert. Sans parler de celle que l'on voit au-devant du col et dont je ferai mention ailleurs, comme appartenant à une autre cause, et méritant une attention particulière, on en compte quatre sur la figure, six sur le long du bras gauche, trois à quelque distance de l'épaule droite, quatre à la circonférence du pubis, une sur la fesse gauche, trois à une jambe et deux à l'autre ; ce qui fait en somme vingt-trois cicatrices dont les unes paraissent appartenir à des morsures d'animaux et les autres à des déchirures et à des écorchures plus ou moins larges, plus ou moins profondes ; témoignages nombreux et ineffaçables du long et total abandon de cet infortuné, et qui, considérés sous un point de vue plus général et plus philosophique, déposent autant contre la faiblesse et l'insuffisance de l'homme livré seul à ses propres moyens, qu'en faveur des ressources de la nature qui, selon des lois en apparence contradictoires, travaille ouvertement à réparer et à conserver ce qu'elle tend sourdement à détériorer et à détruire.

    Qu'on joigne à tous ces faits déduits de l'observation ceux non moins authentiques qu'ont déposés les habitants des campagnes voisines du bois où cet enfant a été trouvé, et l'on saura que dans les premiers jours qui suivirent son entrée dans la société, il ne se nourrissait que de glands, de pommes de terre et de châtaignes crues, qu'il ne rendait aucune espèce de son ; que malgré la surveillance la plus active, il parvint plusieurs fois à s'échapper ; qu'il manifesta une grande répugnance à coucher dans un lit, etc. L'on saura surtout qu'il avait été vu plus de cinq ans auparavant entièrement nu et fuyant à l'approche des hommes  , ce qui suppose qu'il était déjà, lors de sa première apparition, habitué à ce genre de vie ; habitude qui ne pouvait être le résultat que de deux ans au moins de séjour dans des lieux inhabités. Ainsi cet enfant a passé dans une solitude absolue sept ans à peu près sur douze, qui composaient l'âge qu'il pouvait avoir quand il fut pris dans les bois de la Caune. Il est donc probable et presque prouvé qu'il y a été abandonné à l'âge de quatre ou cinq ans, et que si, à cette époque, il devait déjà quelques idées et quelques mots à un commencement d'éducation, tout cela se sera effacé de sa mémoire par suite de son isolement.

    Voilà quelle me parut être la cause de son état actuel. On voit pourquoi j'en augurai favorablement pour le succès de mes soins. En effet, sous le rapport du peu de temps qu'il était parmi les hommes, le Sauvage de l'Aveyron était bien moins un adolescent imbécile qu'un enfant de dix ou douze mois, et un enfant qui aurait contre lui ces habitudes antisociales, une opiniâtre inattention, des organes peu flexibles, et une sensibilité accidentellement émoussée. Sous ce dernier point de vue, sa situation devenait un cas purement médical, et dont le traitement appartenait à la médecine morale, à cet art sublime créé en Angleterre par les Willis et les Crichton, et répandu nouvellement en France par les succès et les écrits du professeur Pinel.

    Guidé par l'esprit de leur doctrine, bien moins que par leurs préceptes qui ne pouvaient s'adapter à ce cas imprévu, je réduisis à cinq vues principales le traitement moral ou l'éducation du Sauvage de l'Aveyron.

    PREMIÈRE VUE : L'attacher à la vie sociale, en la lui rendant plus douce que celle qu'il menait alors, et surtout plus analogue à la vie qu'il venait de quitter.

    DEUXIÈME VUE : Réveiller la sensibilité nerveuse par les stimulants les plus énergiques et quelquefois par les vives affections de l'âme.

    TROISIÈME VUE : Étendre la sphère de ses idées en lui donnant des besoins nouveaux, et en multipliant ses rapports avec les êtres environnants.

    QUATRIÈME VUE : Le conduire à l'usage de la parole en déterminant l'exercice de l'imitation par la loi impérieuse de la nécessité.

    CINQUIÈME VUE : Exercer pendant quelque temps sur les objets de ses besoins physiques les plus simples opérations de l'esprit en déterminant ensuite l'application sur des objets d'instruction.

    *
    * *



    http://www.cinematographers.nl/GreatDoPh/Films/EnfantSauvage.jpg



     

    I

     

    PREMIÈRE VUE. - L'attacher à la vie sociale en la lui rendant plus douce que celle qu'il menait alors, et surtout plus analogue à la vie qu'il venait de quitter.

    Un changement brusque dans sa manière de vivre, les fréquentes importunités des curieux, quelques mauvais traitements, effets inévitables de sa cohabitation avec des enfants de son âge, semblaient avoir éteint tout espoir de civilisation. Sa pétulante activité avait dégénéré insensiblement en une apathie sourde qui avait produit des habitudes encore plus solitaires. Aussi, à l'exception des moments où la faim l'amenait à la cuisine, on le trouvait toujours accroupi dans l'un des coins du jardin, ou caché au deuxième étage derrière quelques débris de maçonnerie. C'est dans ce déplorable état que l'ont vu certains curieux de Paris, et que, d'après un examen de quelques minutes, ils l'ont jugé digne d'être envoyé aux Petites-Maisons ; comme si la société avait le droit d'arracher un enfant à une vie libre et innocente, pour l'envoyer mourir d'ennui dans un hospice, et y expier le malheur d'avoir trompé la curiosité publique. Je crus qu'il existait un parti plus simple et surtout plus humain ; c'était d'user envers lui de bons traitements et de beaucoup de condescendance pour ses goûts et ses inclinations. Mme Guérin, à qui l'administration a confié la garde spéciale de cet enfant, s'est acquittée et s'acquitte encore de cette tâche pénible avec toute la patience d'une mère et l'intelligence d'une institutrice éclairée. Loin de contrarier ses habitudes, elle a su, en quelque sorte, composer avec elles et remplir par là l'objet de cette première indication.

    Pour peu que l'on voulût juger de la vie passée de cet enfant par ses dispositions actuelles, on voyait évidemment qu'à l'instar de certains sauvages des pays chauds, celui-ci ne connaissait que ces quatre choses : dormir, manger, ne rien faire et courir les champs. Il fallut donc le rendre heureux à sa manière, en le couchant à la chute du jour, en lui fournissant abondamment des aliments de son goût, en respectant son indolence et en l'accompagnant dans ses promenades, ou plutôt dans ses courses en plein air, et cela quelque temps qu'il pût faire. Ces incursions champêtres paraissaient même lui être plus agréables quand il survenait dans l'atmosphère un changement brusque et violent : tant il est vrai que dans quelque condition qu'il soit, l'homme est avide de sensations nouvelles. Ainsi, par exemple, quand on observait celui-ci dans l'intérieur de sa chambre, on le voyait se balançant avec une monotonie fatigante, diriger constamment ses yeux vers la croisée, et les promener tristement dans le vague de l'air extérieur. Si alors un vent orageux venait à souffler, si le soleil caché derrière les nuages se montrait tout à coup éclairant plus vivement l'atmosphère, c'étaient de bruyants éclats de rire, une joie presque convulsive pendant laquelle toutes ses inflexions, dirigées d'arrière en avant, ressemblaient beaucoup à une sorte d'élan qu'il aurait voulu prendre pour franchir la croisée et se précipiter dans le jardin. Quelquefois, au lieu de ces mouvements joyeux, c'était une espèce de rage frénétique ; il se tordait les bras, s'appliquait les poings fermés sur les yeux, faisait entendre des grincements de dents et devenait dangereux pour ceux qui étaient auprès de lui.

    Un matin qu'il tombait abondamment de la neige et qu'il était encore couché, il pousse un cri de joie en s'éveillant, quitte le lit, court à la fenêtre, puis à la porte, va, vient avec impatience de l'une à l'autre. s'échappe à moitié habillé, et gagne le jardin. Là, faisant éclater sa joie par les cris les plus perçants, il court, se roule dans la neige et la ramassant par poignées, s'en repaît avec une incroyable avidité.

    Mais ce n'était pas toujours d'une manière aussi vive et aussi bruyante que se manifestaient ses sensations, à la vue de ces grands effets de la nature. Il est digne de remarquer que dans certains cas elles paraissaient emprunter l'expression calme du regret et de la mélancolie : conjecture bien hasardée, et bien opposée sans doute aux opinions des métaphysiciens, mais dont on ne pouvait se défendre quand on observait avec soin et dans quelques circonstances ce jeune infortuné. Ainsi, lorsque la rigueur du temps chassait tout le monde du jardin, c'était le moment qu'il choisissait pour y descendre. Il en faisait plusieurs fois le tour et finissait par s'asseoir sur le bord du bassin.

    Je me suis souvent arrêté, pendant des heures entières, et avec un plaisir indicible, à l'examiner dans cette situation ; à voir comme tous ces mouvements spasmodiques et ce balancement continuel de tout son corps diminuaient, s'apaisaient par degrés, pour faire place à une attitude plus tranquille ; et comme insensiblement sa figure insignifiante ou grimacière prenait un caractère bien prononcé de tristesse ou de rêverie mélancolique, à mesure que ses yeux s'attachaient fixement sur la surface de l'eau, et qu'il y jetait lui-même de temps en temps quelques débris de feuilles desséchées. - Lorsque, pendant la nuit et par un beau clair de lune, les rayons de cet astre venaient à pénétrer dans sa chambre, il manquait rarement de s'éveiller et de se placer devant la fenêtre.

     

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    Il restait là, selon le rapport de sa gouvernante, pendant une partie de la nuit, debout, immobile, le col tendu, les yeux fixés vers les campagnes éclairées par la lune, et livré à une sorte d'extase contemplative, dont le silence et l'immobilité n'étaient interrompus que par une inspiration très élevée, qui revenait à de longs intervalles et qu'accompagnait presque toujours un petit son plaintif. - Il eût été aussi inutile qu'inhumain de vouloir contrarier ces dernières habitudes, et il entrait même dans mes vues de les associer à sa nouvelle existence, pour la lui rendre plus agréable. Il n'en était pas ainsi de celles qui avaient le désavantage d'exercer continuellement son estomac et ses muscles, et de laisser par là sans action la sensibilité des nerfs et les facultés du cerveau. Aussi dus-je m'attacher, et parvins-je, à la fin, et par degrés, à rendre ses courses plus rares, ses repas moins copieux et moins fréquents, son séjour au lit beaucoup moins long et ses journées plus profitables à son instruction.

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    * *




    II

     

    DEUXIÈME VUE. - Réveiller la sensibilité nerveuse par les stimulants les plus énergiques, et quelquefois par les vives affections de l'âme.

    Quelques physiologistes modernes ont soupçonné que la sensibilité était en raison directe de la civilisation. Je ne crois pas que l'on en puisse donner une plus forte preuve que celle du peu de sensibilité des organes sensoriaux chez le Sauvage de l'Aveyron. On peut s'en convaincre en reportant les yeux sur la description que j'en ai déjà présentée, et dont j'ai puisé les faits à la source la moins suspecte. J'ajouterai ici, relativement au même sujet, quelques-unes de mes observations les plus marquantes.

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    Plusieurs fois, dans le cours de l'hiver, je l'ai vu, en traversant le jardin des Sourds-Muets, accroupi à demi nu sur un sol humide, rester ainsi exposé, pendant des heures entières, à un vent frais et pluvieux. Ce n'est pas seulement pour le froid, mais encore pour une vive chaleur que l'organe de la peau et du toucher ne témoignait aucune sensibilité ; il lui arrivait journellement quand il était auprès du feu et que les charbons ardents venaient à rouler hors de l'âtre, de les saisir avec les doigts et de les replacer sans trop de précipitation sur des tisons enflammés. On l'a surpris plus d'une fois à la cuisine, enlevant de la même manière des pommes de terre qui cuisaient dans l'eau bouillante ; et je puis assurer qu'il avait même en ce temps-là, un épiderme fin et velouté  .

    Je suis parvenu souvent à lui remplir de tabac les cavités extérieures du nez sans provoquer l'éternuement. Cela suppose qu'il n'existait entre l'organe et l'odorat, très exercé d'ailleurs, et ceux de la respiration et de la vue, aucun de ces rapports sympathiques qui font partie constituante de la sensibilité de nos sens, et qui dans ces cas-ci auraient déterminé l'éternuement ou la sécrétion des larmes. Ce dernier effet était encore moins subordonné aux affections tristes de l'âme, et malgré les contrariétés sans nombre, malgré les mauvais traitements auxquels l'avait exposé, dans les premiers mois, son nouveau genre de vie, jamais je ne l'avais surpris à verser des pleurs. - L'oreille était de tous les sens celui qui paraissait le plus insensible. On a su cependant que le bruit d'une noix ou de tout autre corps comestible de son goût ne manquait jamais de le faire retourner. Cette observation est des plus vraies, et cependant ce même organe se montrait insensible aux bruits les plus forts et aux explosions des armes à feu. Je tirai près de lui un jour, deux coups de pistolet ; le premier parut un peu l'émouvoir, le second ne lui fit pas seulement tourner la tête.

    Ainsi, en faisant abstraction de quelques cas tels que celui-ci, où le défaut d'attention de la part de l'âme pouvait simuler un manque de sensibilité dans l'organe, on trouvait néanmoins que cette propriété nerveuse était singulièrement faible dans la plupart des sens. En conséquence, il entrait dans mon plan de la développer par tous les moyens possibles, et de préparer l'esprit à l'attention en disposant les sens à recevoir des impressions plus vives. Des divers moyens que je mis en usage, l'effet de la chaleur me parut remplir le mieux cette indication. C'est une chose admise par les physiologistes   et les politiques   que les habitants du Midi ne doivent qu'à l'action de la chaleur sur la peau cette sensibilité exquise, si supérieure à celle des hommes du Nord. J'employai ce stimulus de toutes les manières. Ce n'était pas assez qu'il fût vêtu, couché et logé bien chaudement ; je lui fis donner tous les jours, et à une très haute température, un bain de deux ou trois heures, pendant lequel on lui administrait avec la même eau des douches fréquentes sur la tête. Je ne remarquai point que la chaleur et la fréquence des bains fussent suivies de cet effet débilitant qu'on leur attribue.

    J'aurais même désiré que cela arrivât, bien persuadé qu'en pareil cas, la perte des forces musculaires tourne au profit de la sensibilité nerveuse. Au moins si cet effet subséquent n'eut point lieu, le premier ne trompa pas mon attente. Au bout de quelque temps notre jeune sauvage se montrait sensible à l'action du froid, se servait de la main pour reconnaître la température du bain, et refusait d'y entrer quand il n'était que médiocrement chaud. La même cause lui fit bientôt apprécier l'utilité des vêtements qu'il n'avait supportés jusque-là qu'avec beaucoup d'impatience. Cette utilité une fois connue, il n'y avait qu'un pas à faire pour le forcer à s'habiller lui-même. On y parvint au bout de quelques jours, en le laissant chaque matin exposé au froid, à côté de ses habillements, jusqu'à ce qu'il sût lui-même s'en servir. Un expédient à peu près pareil suffit pour lui donner en même temps des habitudes de propreté ; au point que la certitude de passer la nuit dans un lit froid et humide l'accoutuma à se lever pour satisfaire à ses besoins. Je fis joindre à l'administration des bains l'usage des frictions sèches le long de l'épine vertébrale et même des chatouillements dans la région lombaire. Ce dernier moyen n'était pas un des moins excitants ; je me vis même contraint de le proscrire, quand ses effets ne se bornèrent plus à produire des mouvements de joie, mais parurent s'étendre encore aux organes de la génération, et menacer d'une direction fâcheuse les premiers mouvements d'une puberté déjà trop précoce.

    À ces stimulants divers, je dus joindre encore ceux, non moins excitants, des affections de l'âme. Celles dont il était susceptible à cette époque se réduisaient à deux : la joie et la colère. Je ne provoquais celle-ci qu'à des distances éloignées, pour que l'accès en fût plus violent, et toujours avec une apparence bien évidente de justice. Je remarquais quelquefois alors que dans l'effort de son emportement, son intelligence semblait acquérir une sorte d'extension qui lui fournissait, pour le tirer d'affaire, quelque expédient ingénieux. Une fois que nous voulions lui faire prendre un bain qui n'était encore que médiocrement chaud, et que nos instances réitérées avaient violemment allumé sa colère, voyant que sa gouvernante était peu convaincue par les fréquentes épreuves qu'il faisait lui-même de la fraîcheur de l'eau avec le bout de ses doigts, il se retourna vers elle avec vivacité, se saisit de sa main et la lui plongea dans la baignoire.

    Que je dise encore un trait de cette nature. Un jour qu'il était dans mon cabinet, assis sur une ottomane, je vins m'asseoir à ses côtés, et placer entre nous une bouteille de Leyde légèrement chargée. Une petite commotion qu'il en avait reçue la veille, lui en avait fait connaître l'effet. À voir l'inquiétude que lui causait l'approche de cet instrument, je crus qu'il allait l'éloigner en le saisissant par le crochet. Il prit un parti plus sage : ce fut de mettre ses mains dans l'ouverture de son gilet, et de se reculer de quelques pouces, de manière que sa cuisse ne touchât plus au revêtement extérieur de la bouteille. Je me rapprochai de nouveau, et la replaçai encore entre nous. Autre mouvement de sa part, autre disposition de la mienne. Ce petit manège continua jusqu'à ce que, rencoigné à l'extrémité de l'ottomane, se trouvant borné en arrière par la muraille, en avant par une table, et de mon côté par la fâcheuse machine, il ne lui fut plus possible d'exécuter un seul mouvement. C'est alors que saisissant le moment où j'avançais mon bras pour amener le sien, il m'abaissa très adroitement le poignet sur le crochet de la bouteille. J'en reçus la décharge.

    Mais si quelquefois, malgré l'intérêt vif que m'inspirait ce jeune orphelin, je prenais sur moi d'exciter sa colère, je ne laissais passer aucune occasion de lui procurer de la joie : et certes il n'était besoin pour y réussir d'aucun moyen difficile ni coûteux. Un rayon de soleil, reçu sur un miroir réfléchi dans sa chambre et promené sur le plafond ; un verre d'eau que l'on faisait tomber goutte à goutte et d'une certaine hauteur, sur le bord de ses doigts, pendant qu'il était dans le bain ; alors aussi un peu de lait contenu dans une écuelle de bois que l'on plaçait à l'extrémité de sa baignoire, et que les oscillations de l'eau faisaient dériver peu à peu, au milieu des cris de joie, jusqu'à la portée de ses mains : voilà à peu près tout ce qu'il fallait pour récréer et réjouir souvent jusqu'à l'ivresse, cet enfant de la nature.

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    Tels furent, entre une foule d'autres, les stimulants tant physiques que moraux, avec lesquels je tâchai de développer la sensibilité de ses organes. J'en obtins, après trois mois, un excitement général de toutes les forces sensitives. Alors le toucher se montra sensible à l'impression des corps chauds ou des corps froids, unis ou raboteux, mous ou résistants. Je portais, en ce temps-là, un pantalon de velours sur lequel il semblait prendre plaisir à promener sa main. C'était avec cet organe explorateur qu'il s'assurait presque toujours du degré de cuisson de ses pommes de terre quand, les retirant du pot avec une cuiller, il y appliquait ses doigts à plusieurs reprises, et se décidait, d'après l'état de mollesse ou de résistance qu'elles présentaient, à les manger ou à les rejeter dans l'eau bouillante. Quand on lui donnait un flambeau à allumer avec du papier, il n'attendait pas toujours que le feu eût pris à la mèche, pour rejeter avec précipitation le papier dont la flamme était encore bien éloignée de ses doigts. Si on l'excitait à pousser ou à porter un corps, tant soit peu résistant ou pesant, il lui arrivait quelquefois de le laisser là, tout à coup, de regarder le bout de ses doigts qui n'étaient assurément ni meurtris ni blessés, et de poser doucement la main dans l'ouverture de son gilet. L'odorat avait aussi gagné à ce changement. La moindre irritation portée sur cet organe provoquait un éternuement ; et je jugeai, par la frayeur dont il fut saisi la première fois que cela arriva, que c'était pour lui une chose nouvelle. Il dut, de suite, se jeter sur son lit.

    Le raffinement du sens du goût était encore plus marqué. Les aliments dont cet enfant se nourrissait peu de temps après son arrivée à Paris, étaient horriblement dégoûtants. Il les traînait dans tous les coins et les pétrissait avec ses mains, pleines d'ordures.

    Mais à l'époque dont je parle, il lui arrivait souvent de rejeter avec humeur tout le contenu de son assiette, dès qu'il y tombait quelque substance étrangère ; et lorsqu'il avait cassé ses noix sous ses pieds, il les nettoyait avec tous les détails d'une propreté minutieuse.

    Enfin les maladies, les maladies mêmes, ces témoins irrécusables et fâcheux de la sensibilité prédominante de l'homme civilisé, vinrent attester ici le développement de ce principe de vie. Vers les premiers jours du printemps, notre jeune sauvage eut un violent coryza, et quelques semaines après, deux affections catarrhales presque succédanées.

    Néanmoins ces résultats ne s'étendirent pas à tous les organes. Ceux de la vue et de l'ouïe n'y participèrent point ; sans doute parce que ces deux sens, beaucoup moins simples que les autres, avaient besoin d'une éducation particulière et plus longue, ainsi qu'on le verra par la suite.

    L'amélioration simultanée des trois sens, par suite des stimulants portés sur la peau, tandis que ces deux derniers étaient restés stationnaires, est un fait précieux, digne d'être présenté à l'attention des physiologistes. Il semble prouver, ce qui paraît d'ailleurs assez vraisemblable, que les sens du toucher, de l'odorat et du goût ne sont qu'une modification de l'organe de la peau ; tandis que ceux de l'ouïe et la vue, moins extérieurs, revêtus d'un appareil physique des plus compliqués. se trouvent assujettis à d'autres règles de perfectionnement, et doivent en quelque sorte, faire une classe séparée.

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    III

     

    TROISIÈME VUE. - Étendre la sphère de ses idées en lui donnant des besoins nouveaux, et en multipliant ses rapports avec les êtres environnants.

    Si les progrès de cet enfant vers la civilisation, si mes succès pour les développements de son intelligence ont été jusqu'à présent si lents et si difficiles, je dois m'en prendre surtout aux obstacles sans nombre que j'ai rencontrés, pour remplir cette troisième vue. Je lui ai présenté successivement des jouets de toute espèce ; plus d'une fois, pendant des heures entières, je me suis efforcé de lui en faire connaître l'usage ; et j'ai vu, avec peine, que loin de captiver son attention, ces divers objets finissaient toujours par lui donner de l'impatience tellement qu'il en vint au point de les cacher, ou de les détruire, quand l’occasion s'en présentait. C'est ainsi qu'après avoir longtemps renfermé dans une chaise percée un jeu de quilles, qui lui avait attiré de notre part quelques importunités, il prit, un jour qu'il était seul dans sa chambre, le parti de les entasser dans le foyer, devant lequel on le trouva se chauffant avec gaieté à la flamme de ce feu de joie.

    Cependant, je parvins quelquefois à l'attacher à quelques amusements qui avaient du rapport avec les besoins digestifs. En voici un par exemple, que je lui procurais souvent à la fin du repas, quand je le menais dîner en ville. Je dispo¬sais devant lui, sans aucun ordre symétrique et dans une position renversée, plusieurs petits gobelets d'argent, sous l'un desquels je plaçais un marron. Bien sûr d'avoir attiré son attention, je les soulevais l'un après l'autre, excepté celui qui renfermait le marron. Après lui avoir ainsi démontré qu'ils ne contenaient rien, et les avoir replacés dans le même ordre, je l'invitais par signes à chercher à son tour. Le premier gobelet sur lequel tombaient ses perquisitions était précisé¬ment celui sous lequel j'avais caché la petite récompense due à son attention. Jusque-là ce n'était qu'un faible effort de mémoire. Mais, insensiblement je rendais le jeu plus compliqué.

    Ainsi, après avoir par le même procédé, caché un autre marron, je changeais l'ordre de tous les gobelets, d'une manière lente pourtant afin que, dans cette inversion générale, il lui fût difficile de suivre des yeux et par l'attention celui qui renfermait le précieux dépôt. Je faisais plus, je chargeais le dessous de deux ou trois de ces gobelets et son attention quoique partagée entre ces trois objets, ne les suivait pas moins dans leurs changements respectifs en dirigeant vers eux ses premières perquisitions. Ce n'est pas tout encore ; car ce n'était pas là le seul but que je me proposais. Ce jugement n'était tout au plus qu'un calcul de gourmandise. Pour rendre son attention moins animale en quelque sorte, je supprimais de cet amusement tout ce qui avait du rapport avec ses goûts, et l'on ne mettait plus sous les gobelets que des objets non comestibles. Le résultat en était à peu près aussi satisfaisant ; et cet exercice ne présentait plus alors qu'un simple jeu de gobelets, non sans avantage pour provoquer de l'attention, du jugement et de la fixité dans ses regards.

    À l'exception de ces sortes d'amusements qui, comme celui-là, se liaient à ses besoins, il ne m'a pas été possible de lui inspirer du goût pour ceux de son âge. Je suis presque certain que si je l'avais pu, j'en aurais retiré de grands succès ; et c'est une idée, pour l'intelligence de laquelle il faut qu'on se souvienne de l'influence puissante qu'ont sur les premiers développements de la pensée, les jeux de l'enfance, autant que les petites voluptés de l'organe du goût.

     

     

    J'ai tout fait aussi pour réveiller ces dernières dispositions au moyen des friandises les plus convoitées par les enfants, et dont j'espérais me servir comme de nouveaux moyens de récompense, de punition, d'encouragement et d'instruction. Mais l'aversion qu'il témoigna pour toutes les substances sucrées et pour nos mets les plus délicats, fut insurmontable. Je crus devoir alors tenter l'usage de mets relevés comme propres â exciter un sens nécessairement émoussé par des aliments grossiers. Je n'y réussis pas mieux ; et je lui présentai en vain, dans les moments où il se trouvait pressé par la faim et la soif, des liqueurs fortes et des aliments épicés. Désespérant enfin de pouvoir lui inspirer de nouveaux goûts, je fis valoir le petit nombre de ceux auxquels il se trouvait borné, en les accompagnant de toutes les circonstances accessoires, qui pouvaient accroître le plaisir qu'il trouvait à s'y livrer.

    C'est dans cette intention que je l'ai souvent mené dîner en ville avec moi. Ces jours-là il y avait à table collection complète de tous ses mets les plus favoris. La première fois qu'il se trouva à pareille fête, ce furent des transports de joie qui allaient presque jusqu'à la frénésie. Sans doute il pensa qu'il ne souperait pas si bien qu'il venait de dîner ; car il ne tint pas à lui qu'il n'emportât le soir, en quittant la maison, un plat de lentilles qu'il avait dérobé à la cuisine. Je m'applaudis de cette première sortie. Je venais de lui procurer un plaisir ; je n'avais qu'à le répéter plusieurs fois pour lui donner un besoin ; c'est ce que j'effectuai. Je fis plus, j'eus soin de faire précéder ces sorties de certains préparatifs qu'il pût remarquer : c'était d'entrer chez lui vers les quatre heures, mon chapeau sur la tête, sa chemise ployée à la main. Bientôt ces dispositions devinrent pour lui le signal du départ. À peine paraissais-je que j'étais compris ; on s'habillait à la hâte, et l'on me suivait avec de grands témoignages de contentement. Je ne donne point ce fait comme preuve d'une intelligence supérieure ; et il n'est personne qui ne m'objecte que le chien le plus ordinaire en fait au moins autant. Mais en admettant cette égalité morale, on est obligé d'avouer un grand changement ; et ceux qui ont vu le Sauvage de l'Aveyron lors de son arrivée à Paris, savent qu'il était fort inférieur, sous le rapport du discernement, au plus intelligent de nos animaux domestiques.

    Il m'était impossible, quand je l'emmenais avec moi, de le conduire dans les rues. Il m'aurait fallu aller au trot avec lui, ou user des violences les plus fatigantes pour le faire marcher au pas avec moi. Nous fûmes donc obligés de ne sortir qu'en voiture. Autre plaisir nouveau qu'il attachait de plus en plus à ses fréquentes sorties. En peu de temps ces jours-là ne furent plus seulement des jours de fête auxquels il se livrait avec la joie la plus vive ; ce furent de vrais besoins, dont la privation, quand on mettait entre eux un intervalle un peu plus long, le rendait triste, inquiet et capricieux.

     

     

     

    Quel surcroît de plaisir encore, quand ces parties avaient lieu à la campagne. Je l'ai conduit il n'y a pas longtemps, dans la vallée de Montmorency, à la maison de campagne du citoyen Lachabeaussière. C'était un spectacle des plus curieux, et j'oserai dire des plus touchants, de voir la joie qui se peignait dans ses yeux, à la vue des coteaux et des bois de cette riante vallée : il semblait que les portières de la voiture ne pussent suffire à l'avidité de ses regards. Il se penchait tantôt vers l'une, tantôt vers l'autre, et témoignait la plus vive inquiétude quand les chevaux allaient plus lentement ou venaient à s'arrêter.

    Il passa deux jours à cette maison de campagne ; telle y fut l'influence des agents extérieurs de ces bois, de ces collines, dont il ne pouvait rassasier sa vue, qu'il parut plus que jamais impatient et sauvage et qu'au milieu des prévenances les plus assidues et des soins les plus attachants, il ne paraissait occupé que du désir de prendre la fuite. Entièrement captivé par cette idée dominante, qui absorbait toutes les facultés de son esprit et le sentiment même de ses besoins, il trouvait à peine le temps de manger, et se levant de table à chaque minute, il courait à la fenêtre, pour s'évader dans le parc si elle était ouverte ; ou, dans le cas contraire, pour contempler, du moins à travers les carreaux, tous ces objets vers lesquels l'entraînaient irrésistiblement des habitudes encore récentes, et peut-être même le souvenir d'une vie indépendante, heureuse et regrettée.

    Aussi pris-je la résolution de ne plus le soumettre à de pareilles épreuves. Mais pour ne pas le sevrer entièrement de ses goûts champêtres, on continua de le mener promener dans quelques jardins du voisinage dont les dispositions étroites et régulières n'ont rien de commun avec ces grands paysages dont se compose une nature agreste, et qui attachent si fortement l'homme sauvage aux lieux de son enfance. Ainsi Mme Guérin le conduit quelquefois au Luxembourg, et presque journellement au jardin de l'Observatoire, où les bontés du citoyen Lemeri l'ont habitué à aller tous les jours goûter avec du lait. Au moyen de ces nouvelles habitudes, de quelques récréations de son choix et de tous les bons traitements enfin dont on a environné sa nouvelle existence, il a fini par y prendre goût. De là est né cet attachement assez vif qu'il a pris pour sa gouvernante, et qu'il lui témoigne quelquefois de la manière la plus touchante. Ce n'est jamais sans peine qu'il s'en sépare, ni sans des preuves de contentement qu'il la rejoint.

    Une fois, qu'il lui avait échappé dans les rues, il versa, en la revoyant, une grande abondance de larmes. Quelques heures après il avait encore la respiration haute, entrecoupée et le pouls dans une sorte d'état fébrile. Mme Guérin lui ayant alors adressé quelques reproches, il en traduisit si bien le ton, qu'il se remit à pleurer. L'amitié qu'il a pour moi est beaucoup plus faible et cela doit être ainsi. Les soins que prend de lui Mme Guérin sont tous de nature à être appréciés sur-le-champ ; et ceux que je lui donne ne sont pour lui d'aucune utilité sensible. Cette différence est si véritablement due à la cause que j'indique, que j'ai mes heures pour être bien reçu : ce sont celles que jamais je n'ai employées à son instruction. Que je me rende chez lui, par exemple, à l'entrée de la nuit, lorsqu'il vient de se coucher, son premier mouvement est de se mettre sur son séant pour que je l'embrasse, puis de m'attirer à lui en me saisissant le bras et me faisant asseoir sur son lit. Ordinairement alors il me prend la main, la porte sur ses yeux, sur son front, sur l'occiput, et me la tient avec la sienne assez longtemps appliquée sur ces parties. D'autres fois il se lève en riant aux éclats, et se place vis-à-vis de moi pour me caresser les genoux à sa manière, qui consiste à me les palper, à me les masser fortement dans tous les sens et pendant plusieurs minutes, et puis dans quelques cas d'y appliquer ses lèvres à deux ou trois reprises. On en dira ce qu'on voudra, mais j'avouerai que je me prête sans façon à tous ces enfantillages.

    Peut-être serai-je entendu, si l'on se souvient de l'influence majeure qu'ont sur l'esprit de l'enfant ces complaisances inépuisables, ces petits riens officieux que la nature a mis dans le cœur d'une mère, qui font éclore les premiers sourires, et naître les premières joies de la vie.

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    * *




    IV

     

    QUATRIÈME VUE. - Le conduire à l'usage de la parole, en déterminant l'exercice de l'imitation par la loi impérieuse de la nécessité.

    Si j'avais voulu ne produire que des résultats heureux, j'aurais supprimé de cet ouvrage cette quatrième vue, les moyens que j'ai mis en usage pour la remplir, et le peu de succès que j'en ai obtenu. Mais mon but est bien moins de donner l'histoire de mes soins que celle des premiers développements moraux du Sauvage de l'Aveyron, et je ne dois rien omettre de ce qui peut y avoir le moindre rapport. Je serai même obligé de présenter ici quelques idées théoriques, et j'espère qu'on me les pardonnera en voyant l'attention que j'ai eue de ne les appuyer que sur des faits, et reconnaissant la nécessité où je me trouve de répondre à ces éternelles objections. Le sauvage parle-t-il ? S'il n'est pas sourd pourquoi ne parle-t-il pas ?

    On conçoit aisément qu'au milieu des forêts et loin de la société de tout être pensant, le sens de l'ouïe de notre sauvage n'éprouvait d'autres impressions que celles que faisaient sur lui un petit nombre de bruits, et particulièrement ceux qui se liaient à ses besoins physiques. Ce n'était point là cet organe qui apprécie les sons, leur articulation et leurs combinaisons ; ce n'était qu'un simple moyen de conversation individuelle, qui avertissait de l'approche d'un animal dangereux, ou de la chute de quelque fruit sauvage. Voilà sans doute à quelles fonctions se bornait l'ouïe, si l'on en juge par le peu ou la nullité d'action qu'avaient sur cet organe, il y a un an, tous les sons et les bruits qui n'intéressaient pas les besoins de l'individu ; et par la sensibilité exquise que ce sens témoignait au contraire pour ceux qui y avaient quelque rapport. Quand on épluchait, à son insu et le plus doucement possible, un marron, une noix ; quand on touchait seulement à la clef de la porte qui le tenait captif, il ne manquait jamais de se retourner brusquement et d'accourir vers l'endroit d'où partait le bruit. Si l'organe de l'ouïe ne témoignait pas la même susceptibilité pour les sons de la voix, pour l'explosion même des armes à feu, c'est qu'il était nécessairement peu sensible et peu attentif à toute autre impression qu'à celle dont il s'était fait une longue et exclusive habitude  . On conçoit donc pourquoi l'oreille, très apte à percevoir certains bruits, même les plus légers, le doit être très peu à apprécier l'articulation des sons. D'ailleurs il ne suffit pas pour parler de percevoir le son de la voix ; il faut encore apprécier l'articulation de ce son ; deux opérations bien distinctes, et qui exigent, de la part de l'organe, des conditions différentes. Il suffit, pour la première, d'un certain degré de sensibilité du nerf acoustique ; il faut, pour la seconde, une modification spéciale de cette même sensibilité. On peut donc, avec des oreilles bien organisées et bien vivantes, ne pas saisir l'articulation des mots. On trouve parmi les crétins beaucoup de muets et qui pourtant ne sont pas sourds.

    Il y a parmi les élèves du citoyen Sicard, deux ou trois enfants qui entendent parfaitement le son de l'horloge, un claquement de mains, les tons les plus bas de la flûte et du violon, et qui cependant n'ont jamais pu imiter la prononciation d'un mot, quoique articulé très haut et très lentement. Ainsi l'on pourrait dire que la parole est une espèce de musique, à laquelle certaines oreilles, quoique bien constituées d'ailleurs, peuvent être insensibles. En sera-t-il de même de l'enfant dont il est question ? Je ne le pense pas, quoique mes espérances reposent sur un petit nombre de faits, il est vrai que mes tentatives à cet égard n'ont pas été plus nombreuses, et que longtemps embarrassé sur le parti que j'avais à prendre, je m'en suis tenu au rôle d'observateur.

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    Voici donc ce que j'ai remarqué. Dans les quatre ou cinq premiers mois de son séjour à Paris, le Sauvage de l'Aveyron ne s'est montré sensible qu'aux différents bruits qui avaient avec lui les rapports que j'ai indiqués. Dans le courant de frimaire il a paru entendre la voix humaine, et lorsque dans le corridor qui avoisine sa chambre, deux personnes s'entretenaient à haute voix, il lui arrivait de s'approcher de la porte pour s'assurer si elle était bien fermée, et de rejeter sur elle une porte battante intérieure, avec l'attention de mettre le doigt sur le loquet pour en assurer encore mieux la fermeture. Je remarquai quelque temps après, qu'il distinguait la voix des sourds-muets, ou plutôt ce cri guttural qui leur échappe continuellement dans leurs jeux. Il semblait même reconnaître l'endroit d'où partait le son. Car s'il l'entendait en descendant l'escalier, il ne manquait jamais de remonter ou de descendre plus précipitamment, selon que ce cri partait d'en bas ou d'en haut.

    Je fis, au commencement de nivôse, une observation plus intéressante. Un jour qu'il était dans la cuisine occupé à faire cuire des pommes de terre, deux personnes se disputaient vivement derrière lui, sans qu'il parût y faire la moindre attention. Une troisième survint qui, se mêlant à la discussion, commençait toutes ses répliques par ces mots : Oh ! c'est différent. Je remarquais que toutes les fois que cette personne laissait échapper son exclamation favorite : oh ! le Sauvage de l'Aveyron retournait vivement la tête. Je fis, le soir, à l'heure de son coucher, quelques expériences sur cette intonation, et j'en obtins à peu près les mêmes résultats. Je passai en revue toutes les autres intonations simples, connues sous le nom de voyelles, et sans aucun succès. Cette préférence pour l'o m'engagea à lui donner un nom qui se terminât par cette voyelle. Je fis choix de celui de Victor. Ce nom lui est resté, et quand on le prononce à haute voix, il manque rarement de tourner la tête ou d'accourir.

    C'est peut-être encore pour la même raison, que par la suite il a compris la signification de la négation non, dont je me sers souvent pour le faire revenir de ses erreurs, quand il se trompe dans ses petits, exercices.

    Au milieu de ces développements lents, mais sensibles, de l'organe de l'ouïe, la voix restait toujours muette, et refusait de rendre les sons articulés que l'oreille paraissait apprécier ; cependant les organes vocaux ne présentaient dans leur conformation extérieure aucune trace d'imperfection, et il n'y avait pas lieu d'en soupçonner dans leur organisation intérieure. Il est vrai que l'on voit à la partie supérieure et antérieure du col une cicatrice assez étendue, qui pourrait jeter quelque doute sur l'intégrité des parties subjacentes si l'on n'était rassuré par l'aspect de la cicatrice. Elle annonce à la vérité une plaie faite par un instrument tranchant ; mais à voir son apparence linéaire, on est porté à croire que la plaie n'était que tégumenteuse, et qu'elle se sera réunie d'emblée, ou comme l'on dit, par première indication. Il est à présumer qu'une main plus disposée que façonnée au crime, aura voulu attenter aux jours de cet enfant, et que, laissé pour mort dans les bois, il aura dû aux seuls secours de la nature la prompte guérison de sa plaie ; ce qui n'aurait pu s'effectuer aussi heureusement si les parties musculeuses et cartilagineuses de l'organe de la voix avaient été divisées.

    Ces considérations me conduisent à penser, lorsque l'oreille commença à percevoir quelques sons, que si la voix ne les répétait pas, il ne fallait point en accuser une lésion organique, mais la défaveur des circonstances. Le défaut total d'exercice rend nos organes inaptes à leurs fonctions, et si ceux déjà faits à leurs usages sont si puissamment affectés par cette inaction, que sera-ce de ceux qui croissent et se développent sans qu'aucun agent tende à les mettre en jeu ? Il faut dix-huit mois au moins d'une éducation soignée, pour que l'enfant bégaie quelques mots ; et l'on voudrait qu'un dur habitant des forêts, qui n'est dans la société que depuis quatorze ou quinze mois, dont il a passé cinq ou six parmi des sourds-muets, fût déjà en état de parler ! Non seulement cela ne doit pas être ; mais il faudra, pour parvenir à ce point important de son éducation, beaucoup plus de temps, beaucoup plus de peines qu'il n'en faut au moins précoce des enfants.

     

     

    Celui-ci ne sait rien, mais il possède à un degré éminent la susceptibilité de tout apprendre : penchant inné à l'imitation, flexibilité et sensibilité excessives de tous les organes ; mobilité perpétuelle de la langue ; consistance presque gélatineuse du larynx : tout, en un mot, tout concourt à produire chez lui ce gazouillement continuel, apprentissage involontaire de la voix que favorisent encore la toux, l'éternuement, les cris de cet âge, et même les pleurs, les pleurs qu'il faut considérer non seulement comme les indices d'une vive excitabilité, mais encore comme un mobile puissant, appliqué sans relâche et dans les temps les plus opportuns aux développements simultanés des organes de la respiration, de la voix et de la parole. Que l'on m'accorde ces grands avantages, et je réponds de leur résultat. Si l'on reconnaît avec moi que l'on ne doit plus y compter dans l'adolescence du jeune Victor, que l'on convienne aussi des ressources fécondes de la Nature, qui sait se créer de nouveaux moyens d'éducation quand des causes accidentelles viennent à le priver de ceux qu'elle avait primitivement disposés. Voici du moins quelques faits qui peuvent la faire espérer.

    J'ai dit dans l'énoncé de cette 4e vue, que je me proposais de le conduire à l'usage de la parole, en déterminant l'exercice de l'imitation par la loi impérieuse de la nécessité. Convaincu, en effet, par les considérations émises dans ces deux derniers paragraphes, et par une autre non moins concluante que j'exposerai bientôt, qu'il ne fallait s'attendre qu'à un travail tardif de la part du larynx, je devais faire en sorte de l'activer par l'appât des objets nécessaires à ses besoins. J'avais lieu de croire que la voyelle O ayant été la première entendue, serait la première prononcée, et je trouvai fort heureux pour mon plan que cette simple prononciation fût, au moins quant au son, le signe d'un des besoins les plus ordinaires de cet enfant. Cependant, je ne pus tirer aucun parti de cette favorable coïncidence. En vain, dans les moments où sa soif était ardente, je tenais devant lui un vase rempli d'eau, en criant fréquemment eau, eau ; en donnant le vase à une personne qui prononçait le même mot à côté de lui, et le réclamant moi-même par ce moyen, le malheureux se tourmentait dans tous les sens, agitait ses bras autour du vase d'une manière presque convulsive, rendait une espèce de sifflement et n'articulait aucun son. Il y aurait eu de l'inhumanité d'insister davantage. Je changeai de sujet, sans cependant changer de méthode. Ce fut sur le mot lait que portèrent mes tentatives.

    Le quatrième jour de ce second essai je réussis au gré de mes désirs, et j'entendis Victor prononcer distinctement, d'une manière un peu rude à la vérité, le mot lait qu'il répéta presque aussitôt. C'était la première fois qu'il sortait de sa bouche un son articulé, et je ne l'entendis pas sans la plus vive satisfaction.

    Je fis néanmoins une réflexion qui diminua de beaucoup, à mes yeux, l'avan¬tage de ce premier succès. Ce ne fut qu'au moment où, désespérant de réussir, je venais de verser le lait dans la tasse qu'il me présentait, que le mot lait lui échappa avec de grandes démonstrations de plaisir ; et ce ne fut encore qu'après que je lui en eus versé de nouveau en manière de récompense, qu'il le prononça pour la seconde fois. On voit pourquoi ce mode de résultat était loin de remplir mes intentions ; le mot prononcé, au lieu d'être le signe du besoin, n'était relativement au temps où il avait été articulé, qu'une vaine exclamation de joie. Si ce mot fut sorti de sa bouche avant la concession de la chose désirée, c'en était fait ; le véritable usage de la parole était saisi par Victor ; un point de communication s'établissait entre lui et moi, et les progrès les plus rapides découlaient de ce premier succès. Au lieu de tout cela, je ne venais d'obtenir qu'une expression, insignifiante pour lui et inutile pour nous, du plaisir qu'il ressentait. À la rigueur, c'était bien un signe vocal, le signe de la possession de la chose. Mais celui-là, je le répète, n'établissait aucun rapport entre nous ; il devait être bientôt négligé, par cela même qu'il était inutile aux besoins de l'individu, et soumis à une foule d'anomalies, comme le sentiment éphémère et variable dont il était devenu l'indice. Les résultats subséquents de cette fausse direction ont été tels que je les redoutais.

    Ce n'était le plus souvent que dans la jouissance de la chose que le mot lait se faisait entendre. Quelquefois il lui arrivait de le prononcer avant, et d'autres fois peu de temps après, mais toujours sans intention. Je n'attache pas plus d'importance à la répétition spontanée qu'il en faisait, et qu'il en fait encore, dans le courant de la nuit quand il vient à s'éveiller. Après ce premier résultat, j'ai totalement renoncé à la méthode par laquelle je l'avais obtenu ; attendant le moment où les localités me permettront de lui en substituer une autre que je crois beaucoup plus efficace, j'abandonnai l'organe de la voix à l'influence de l'imitation qui, bien que faible, n'est pourtant pas éteinte, s'il faut en juger par quelques petits progrès ultérieurs et spontanés.

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    Le mot lait a été pour Victor la racine de deux autres monosyllabes la et li, auxquels certainement il attache encore moins de sens. Il a depuis peu modifié le dernier en y ajoutant un second 1, et les prononçant toutes les deux comme le gli de la langue italienne. On l'entend fréquemment répéter lli, lli, avec une inflexion de voix qui n'est pas sans douceur. Il est étonnant que l mouillé, qui est pour les enfants une des syllabes des plus difficiles à prononcer, soit une des premières qu'il ait articulées. Je ne serais pas éloigné de croire qu'il y a dans ce pénible travail de la langue une sorte d'intention en faveur du nom de Julie, jeune demoiselle de onze à douze ans, qui vient passer les dimanches chez Mme Guérin, sa mère. Il est certain que ce jour-là les exclamations lli, lli, deviennent plus fréquentes, et se font même, au rapport de sa gouvernante, entendre pendant la nuit, dans les moments où l'on a lieu de croire qu'il dort profondément. On ne peut déterminer au juste la cause et la valeur de ce dernier fait. Il faut attendre que la puberté plus avancée nous ait fourni, pour le classer et pour en rendre compte, un plus grand nombre d'observations. La dernière acquisition de l'organe de la voix est un peu plus considérable, et composée de deux syllabes qui en valent bien trois par la manière dont il prononce la dernière.

    C'est l'exclamation Oh Dieu ! qu'il a prise de Mme Guérin, et qu'il laisse fréquemment échapper dans ses grandes joies. Il la prononce en supprimant l'u de Dieu, et en appuyant l’i comme s'il était double ; de manière qu'on l'entend crier distinctement : Oh Diie ! oh Diie ! L'o que l'on trouve dans cette dernière combinaison de son, n'était pas nouveau pour lui, et j'étais parvenu quelque temps auparavant à le lui faire prononcer.

    Voilà, quant à l'organe de la voix, le point où nous en sommes. On voit que toutes les voyelles, à l'exception de l’u, entrent déjà dans le petit nombre de sons qu'il articule, et que l'on ne trouve que les trois consonnes, l, d et l mouillé. Ces progrès sont assurément bien faibles, si on les compare à ceux qu'exige le développement complet de la voix humaine, mais ils m'ont paru suffisants pour garantir la possibilité de ce développement. J'ai dit plus haut les causes qui doivent nécessairement le rendre long et difficile. Il en est encore une qui n'y contribuera pas moins, et que je ne dois point passer sous silence. C'est la facilité qu'a notre jeune sauvage d'exprimer autrement que par la parole le petit nombre de ses besoins  .

    Chacune de ses volontés se manifeste par les signes les plus expressifs, qui ont en quelque sorte, comme les nôtres, leurs gradations et leur synonymie. L'heure de la promenade est-elle arrivée, il se présente à diverses reprises devant la croisée et devant la porte de sa chambre. S'il s'aperçoit alors que sa gouvernante n'est point prête, il dispose devant elle tous les objets nécessaires à sa toilette, et dans son impatience il va même jusqu'à l'aider à s'habiller. Cela fait, il descend le premier et tire lui-même le cordon de la porte. Arrivé à l'Observatoire son premier soin est de demander du lait ; ce qu'il fait en présentant une écuelle de bois, qu'il n'oublie jamais, en sortant, de mettre dans sa poche, et dont il se munit pour la première fois le lendemain d'un jour qu'il avait cassé, dans la même maison et pour le même usage, une tasse de porcelaine.

     

    Là encore, pour rendre complets les plaisirs de ses soirées on a depuis quelque temps la bonté de le voiturer dans une brouette. Depuis lors, dès que l'envie lui en prend si personne ne se présente pour le satisfaire, il rentre dans la maison, prend quelqu'un par le bras, le conduit dans le jardin, et lui met entre les mains les branches de la brouette, dans laquelle il se place aussitôt ; si on résiste à cette première invitation, il quitte le siège, revient aux branches de la brouette, la fait rouler quelques tours et vient s'y placer de nouveau, imaginant sans doute que si ses désirs ne sont pas remplis, ce n'est pas faute de les avoir clairement manifestés.

    S'agit-il de dîner ? ses intentions sont encore moins douteuses. Il met lui-même le couvert et présente à Mme Guérin les plats qu'elle doit descendre à la cuisine pour y prendre leurs aliments. Si c'est en ville qu'il dîne avec moi, toutes ses demandes s'adressent à la personne qui fait les honneurs de la table ; c'est toujours à elle qu'il se présente pour être servi. Si l'on fait semblant de ne pas l'entendre, il place son assiette à côté du mets qu'il dévore des yeux. Si cela ne produit rien, il prend une fourchette et en frappe deux ou trois coups sur le rebord du plat. Insiste-t-il encore ? Alors il ne garde plus de mesure ; il plonge une cuiller, ou même sa main dans le plat, et en un clin d'œil il le vide en entier dans son assiette. Il n'est guère moins expressif dans la manière de témoigner les affections de son âme et surtout l'impatience de l'ennui. Nombre de curieux savent comment, avec plus de franchise naturelle que de politesse, il les congédie lorsque, fatigué de la longueur de leurs visites, il présente à chacun d'eux, et sans méprise, leur canne, leurs gants et leur chapeau, les pousse doucement vers la porte qu'il referme impétueusement sur eux.

    Pour compléter l'histoire de ce langage à pantomimes, il faut que je dise encore que Victor l'entend avec autant de facilité qu'il le parle.

    Il suffit à Mme Guérin, pour l'envoyer quérir de l'eau, de lui montrer la cruche et de lui faire voir qu'elle est vide en donnant au vase une position renversée.

     

    Un procédé analogue me suffit pour l'engager à me servir à boire quand nous dînons ensemble etc. Mais ce qu'il y a de plus étonnant dans la manière avec laquelle il se prête à ces moyens de communication, c'est qu'il n'est besoin d'aucune leçon préliminaire, ni d'aucune convention réciproque pour se faire entendre. Je m'en convainquis un jour par une expérience des plus concluantes. Je choisis entre une foule d'autres, un objet pour lequel je m'assurai d'avance qu'il n'existait entre lui et sa gouvernante aucun signe indicateur.

    Tel était, par exemple, le peigne dont on se servait pour lui, et que je voulus me faire apporter. J'aurais été bien trompé si en me hérissant les cheveux dans tous les sens, et lui présentant ainsi ma tête en désordre, je n'avais été compris. Je le fus en effet, et j'eus aussitôt entre les mains ce que je demandais.

    Beaucoup de personnes ne voient dans tous ces procédés que la façon de faire d'un animal ; pour moi, je l'avouerai, je crois y reconnaître dans toute sa simplicité le langage d'action, ce langage primitif de l'espèce humaine, originellement employé dans l'enfance des premières sociétés, avant que le travail de plusieurs siècles eût coordonné le système de la parole et fourni à l'homme civilisé un fécond et sublime moyen de perfectionnement, qui fait éclore sa pensée même dans son berceau, et dont il se sert toute la vie sans apprécier ce qu'il est par lui, et ce qu'il serait sans lui s'il s'en trouvait accidentellement privé, comme dans le cas qui nous occupe. Sans doute un jour viendra où des besoins plus multipliés feront sentir au jeune Victor la nécessité d'user de nouveaux signes. L'emploi défectueux qu'il a fait de ses premiers sons pourra bien retarder cette époque, mais non pas l'empêcher. Il n'en sera peut-être ni plus ni moins que ce qui arrive à l'enfant qui d'abord balbutie le mot papa, sans y attacher aucune idée, s'en va le disant dans tous les lieux et en toute autre occasion, le donne ensuite à tous les hommes qu'il voit, et ne parvient qu'après une foule de raisonnements et même d'abstractions à en faire une seule et juste application.

     

    *
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    V

     

     

     

    CINQUIÈME VUE. - Exercer pendant quelque temps, sur les objets de ses besoins physiques, les plus simples opérations de l'esprit, et en déterminer ensuite l'application sur des objets d'instruction.

    Considéré dans sa plus tendre enfance et sous le rapport de son entendement, l'homme ne paraît pas s'élever encore au-dessus des autres animaux. Toutes ses facultés intellectuelles sont rigoureusement circonscrites dans le cercle étroit de ses besoins physiques. C'est pour eux seuls que s'exercent les opérations de son esprit. Il faut alors que l'éducation s'en empare et les applique à son instruction, c'est-à-dire à un nouvel ordre de choses qui n'ont aucun rapport avec ses premiers besoins. De cette application découlent toutes ses connaissances, tous les progrès de son esprit, et les conceptions du génie le plus sublime. Quel que soit le degré de probabilité de cette idée, je ne la reproduis ici que comme le point de départ de la marche que j'ai suivie pour remplir cette dernière vue.

    Je n'entrerai pas dans les détails des moyens mis en usage pour exercer les facultés intellectuelles du Sauvage de l'Aveyron sur les objets de ses appétits. Ces moyens n'étaient autre chose que des obstacles toujours croissants, toujours nouveaux mis entre lui et ses besoins, et qu'il ne pouvait surmonter sans exercer continuellement son attention, sa mémoire, son jugement et toutes les facultés de ses sens  . Ainsi se développèrent toutes les facultés qui devaient servir à son instruction, et il ne fallait plus que trouver les moyens les plus faciles de les faire valoir. Je devais peu compter encore sur les ressources du sens de l'ouïe ; et sous ce rapport le Sauvage de l'Aveyron n'était qu'un sourd-muet.

     

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    Cette considération m'engagea à tenter la méthode du citoyen Sicard. Je commençai donc par les premiers procédés usités dans cette célèbre école, et dessinai sur une planche noire la figure linéaire de quelques objets dont un simple dessin pouvait le mieux représenter la forme ; tels qu'une clef, des ciseaux et un marteau. J'appliquai à diverses reprises et dans les moments où je voyais que j'étais observé, chacun de ces objets sur sa figure respective, et quand je fus assuré par là de lui en avoir fait sentir les rapports, je voulus me les faire apporter successivement en désignant du doigt la figure de celui que je demandais. Je n'en obtins rien, j'y revins plusieurs fois et toujours avec aussi peu de succès : ou il refusait avec entêtement d'apporter celle des trois choses que j'indiquais, ou bien il apportait avec celle-là les deux autres, et me les présentait toutes à la fois. Je me persuadai que cela tenait à un calcul de paresse, qui ne lui permettait pas de faire en détail ce qu'il trouvait tout simple d'exécuter en une seule fois. Je m'avisai alors d'un moyen qui le força à détailler son attention sur chacun de ces objets.

    J'avais observé, même depuis quelques mois, qu'il avait un goût des plus prononcés pour l'arrangement : c'était au point qu'il se levait quelquefois de son lit pour remettre dans sa place accoutumée un meuble ou un ustensile quelconque qui se trouvait accidentellement dérangé. Il poussait ce goût plus loin encore pour les choses suspendues à la muraille : chacune avait un clou et son crochet particulier ; et quand il s'était fait quelque transposition entre ces objets, il n'était pas tranquille qu'il ne l'eût réparée lui-même. Il n'y avait donc qu'à soumettre aux mêmes arrangements les choses sur lesquelles je voulais exercer son attention. Je suspendis, au moyen d'un clou, chacun des objets au bas de leur dessin et les y laissai quelque temps. Quand ensuite je vins à les enlever et à les donner à Victor, ils furent aussitôt replacés dans leur ordre convenable. Je recommençai plusieurs fois et toujours avec les mêmes résultats. J'étais loin cependant de les attribuer à son discernement ; et cette classification ne pouvait bien être qu'un acte de mémoire. Je changeai, pour m'assurer, la position respec¬tive des dessins, et je le vis alors, sans aucun égard pour cette transposition, suivre pour l'arrangement des objets, le même ordre qu'auparavant.

    À la vérité, rien n'était si facile que de lui apprendre la nouvelle classification nécessitée par ce nouveau changement ; mais rien de plus difficile que de la lui faire raisonner. Sa mémoire seule faisait les frais de chaque arrangement. Je m'attachai alors à neutraliser en quelque sorte les secours qu'il en retirait. J'y parvins en la fatiguant sans relâche par l'augmentation du nombre de dessins et par la fréquence de leurs inversions. Alors cette mémoire devint un guide insuffisant pour l'arrangement méthodique de tous ces corps nombreux ; alors l'esprit dut avoir recours à la comparaison du dessin avec la chose. Quel pas difficile je venais de franchir. Je n'en doutai point quand je vis notre jeune Victor attacher ses regards, et successivement, sur chacun des objets, en choisir un, et chercher ensuite la figure à laquelle il voulait le rapporter, et j'en eus bientôt la preuve matérielle par l'expérience de l'inversion méthodique des objets.

     

    Ce résultat m'inspira les plus brillantes espérances ; je croyais n'avoir plus de difficultés à vaincre, quand il s'en présenta une des plus insurmontables, qui m'arrêta opiniâtrement et me força de renoncer à ma méthode. On sait que dans l'instruction du sourd-muet, on fait ordinairement succéder à ce premier procédé comparatif un second beaucoup plus difficile. Après avoir fait sentir, par des comparaisons répétées, le rapport de la chose avec son dessin, on place autour de celui-ci toutes les lettres qui forment le mot de l'objet représenté par la figure. Cela fait, on efface celle-ci, il ne reste plus que les signes alphabétiques. Le sourd-muet ne voit, dans ce second procédé, qu'un changement de dessin, qui continue d'être pour lui le signe de l'objet. Il n'en fut pas de même de Victor qui, malgré les répétitions les plus fréquentes, malgré l'exposition prolongée de la chose au-dessous de son mot, ne put jamais s'y reconnaître. Je n'eus pas de peine à me rendre compte de cette difficulté et il me fut aisé de comprendre pourquoi elle était insurmontable. De la figure d'un objet à sa représentation alphabétique, la distance est immense et d'autant plus grande pour l'élève qu'elle se présente là, aux premiers pas de l'instruction. Si les sourds-muets n'y sont pas arrêtés c'est qu'ils sont, de tous les enfants, les plus attentifs et les plus observateurs. Accoutumés dès leur plus tendre enfance à entendre et à parler par les yeux, ils sont, plus que personne, exercés à apprécier tous les rapports des objets visibles.

    Il fallait donc chercher une méthode plus analogue aux facultés encore engourdies de notre sauvage, une méthode dans laquelle chaque difficulté vaincue l'élevât au niveau de la difficulté à vaincre. Ce fut dans cet esprit que je traçai mon nouveau plan. Je ne m'arrêterai pas à en faire l'analyse ; on en jugera par l'exécution.

    Je collai sur une planche de deux pieds carrés trois morceaux de papier, de forme bien distincte et de couleur bien tranchée. C'était un plan circulaire et rouge, un autre triangulaire et bleu, le troisième de figure carrée et de couleur noire. Trois morceaux de carton, également colorés et figurés, furent, au moyen d'un trou dont ils étaient percés dans leur milieu, et des clous disposés à cet effet sur la planche, furent, dis-je, appliqués et laissés pendant quelques jours sur leurs modèles respectifs. Les ayant ensuite enlevés et présentés à Victor, ils furent replacés sans difficulté. Je m'assurai, en renversant le tableau et en changeant par là l'ordre des figures, que ces premiers résultats n'étaient point routiniers, mais dus à la comparaison. Au bout de quelques jours, je substituai un autre tableau à ce premier. J'y avais représenté les mêmes figures, mais toutes d'une couleur uniforme. Dans le premier, l'élève avait, pour se reconnaître, le double indice des formes et des couleurs ; dans le second il n'avait plus qu'un guide, la comparaison des formes. Presque en même temps je lui en présentai un troisième, où toutes les figures étaient égales, et toujours mêmes résultats, car je compte pour rien quelques fautes d'attention.

    La facilité avec laquelle s'exécutaient ces petites comparaisons, m'engagea à lui en présenter de nouvelles. Je fis des additions et des modifications aux deux derniers tableaux. J'ajoutai à celui des figures d'autres formes beaucoup moins distinctes, et à celui des couleurs, de nouvelles couleurs qui ne différaient entre elles que par des nuances. Il y avait, par exemple, dans le premier un parallélogramme un peu allongé à côté d'un carré, et dans le second un échantillon bleu céleste à côté d'un bleu grisâtre. Il se présenta ici quelques erreurs et quelques incertitudes, mais qui disparurent au bout de quelques jours d'exercice.

    Ces résultats m'enhardirent à de nouveaux changements, toujours plus difficiles. Chaque jour j'ajoutais, je retranchais, je modifiais et provoquais de nouvelles comparaisons et de nouveaux jugements. A la longue, la multiplicité et les complications de ces petits exercices finirent par fatiguer son attention et sa docilité. Alors reparurent, dans toute leur intensité, ces mouvements d'impatience et de fureur qui éclataient si violemment au commencement de son séjour à Paris lorsque, surtout, il se trouvait enfermé dans sa chambre. N'importe, il me sembla que le moment était venu où il fallait ne plus apaiser ces mouvements par condescendance, mais les vaincre par énergie. Je crus donc devoir insister.

    Ainsi quand, dégoûté d'un travail dont à la vérité il ne concevait pas le but, et dont il était bien naturel qu'il se lassât, il lui arrivait de prendre les morceaux de carton, de les jeter à terre avec dépit et de gagner son lit avec fureur, je laissais passer une ou deux minutes ; je revenais à la charge avec le plus de sang-froid possible ; je lui faisais ramasser tous ses cartons, éparpillés dans la chambre et ne lui donnais de répit qu'ils ne furent replacés convenablement.

    Mon obstination ne réussit que quelques jours, et fut, à la fin, vaincue par ce caractère indépendant. Ses mouvements de colère devinrent plus fréquents, plus violents, et simulèrent des accès de rage semblables à ceux dont j'ai déjà parlé, mais avec cette différence frappante que les effets en étaient moins dirigés vers les personnes que vers les choses. Il s'en allait alors, dans cet esprit destructeur, mordant ses draps, les couvertures de son lit, la tablette de la cheminée, dispersant dans sa chambre les chenets, les cendres et les tisons enflammés, et finissant par tomber dans des convulsions qui avaient de commun avec celles de !'épilepsie une suspension complète des fonctions sensoriales. Force me fut de céder quand les choses en furent à ce point effrayant ; et néanmoins, ma condescendance ne fit qu'accroître le mal ; les accès en devinrent plus fréquents et susceptibles de se renouveler à la moindre contrariété, souvent même sans cause déterminante.

    Mon embarras devint extrême. Je voyais le moment où tous mes soins n'auraient réussi qu'à faire de ce pauvre enfant, un malheureux épileptique. Encore quelques accès, et la force de l'habitude établissait une maladie des plus affreuses et des moins curables. Il fallait donc y remédier au plus tôt non par les médicaments, si souvent infructueux, non par la douceur, dont on n'avait plus rien à espérer ; mais par un procédé perturbateur, à peu près pareil à celui qu'avait employé Boerhaave dans l'hôpital de Harlem. Je me persuadai bien que si le premier moyen dont j'allais faire usage manquait son effet, le mal ne ferait que s'exaspérer, et que tout traitement de la même nature deviendrait inutile. Dans cette ferme conviction, je fis choix de celui que je crus être le plus effrayant pour un être qui ne connaissait encore, dans sa nouvelle existence, aucune espèce de danger.

    Quelque temps auparavant, Mme Guérin étant avec lui à l'Observatoire, l'avait conduit sur la plate-forme qui est, comme l'on sait, très élevée. À peine est-il parvenu à quelque distance du parapet, que saisi d'effroi et d'un tremblement universel, il revient à sa gouvernante, le visage couvert de sueur, l'entraîne par le bras vers la porte, et ne trouve un peu de calme que lorsqu'il est au pied de l'escalier. Quelle pouvait être la cause d'un pareil effroi ? c'est ce que je ne recherchai point ; il me suffisait d'en connaître l'effet pour le faire servir à mes desseins. L'occasion se présenta bientôt, dans un accès des plus violents, que j'avais cru devoir provoquer par la reprise de nos exercices.

    Saisissant alors le moment où les fonctions des sens n'étaient point encore suspendues, j'ouvre avec violence la croisée de sa chambre, située au quatrième étage et donnant perpendiculairement sur de gros quartiers de pierre ; je m'approche de lui, avec toutes les apparences de la fureur, et le saisissant fortement par les hanches, je l'expose sur la fenêtre, la tête directement tournée vers le fond de ce précipice. Je l'en retirai quelques secondes après, pâle, couvert d'une sueur froide les yeux un peu larmoyants, et agité encore de quelques légers tressaillements que je crus appartenir aux effets de la peur. Je le conduisis vers ses tableaux. Je lui fis ramasser tous ses cartons, et j'exigeai qu'ils fussent tous replacés. Tout cela fut exécuté, à la vérité très lentement, et plutôt mal que bien ; mais au moins sans impatience. Ensuite il alla se jeter sur son lit où il pleura abondamment.

    C'était la première fois, à ma connaissance du moins, qu'il versait des larmes. La circonstance dont j'ai déjà rendu compte, et dans laquelle le chagrin d'avoir quitté sa gouvernante ou le plaisir de la retrouver lui en fit répandre, est postérieure à celle-ci ; si je l'ai fait précéder dans ma narration, c'est que dans mon plan, j'ai moins suivi l'ordre des temps que l'exposition méthodique des faits.

    Cet étrange moyen fut suivi d'un succès, sinon complet, au moins suffisant. Si son dégoût pour le travail ne fut pas entièrement surmonté, au moins fut-il beaucoup diminué, sans être jamais suivi d'effets pareils à ceux dont nous venons de rendre compte.

    Seulement, dans les occasions où on le fatiguait un peu trop, de même que lorsqu'on le forçait à travailler à des heures consacrées à ses sorties ou à ses repas, il se contentait de témoigner de l'ennui, de l'impatience, et de faire entendre un murmure plaintif qui finissait ordinairement par des pleurs.

    Ce changement favorable nous permit de reprendre avec exactitude le cours de nos exercices, que je soumis à de nouvelles modifications propres à fixer encore plus son jugement. Je substituai aux figures collées sur les tableaux, et qui étaient, comme je l'ai déjà dit, des plans entiers représentant des figures géométriques, des dessins linéaires de ces mêmes plans. Je me contentai aussi d'indiquer les couleurs par de petits échantillons de forme irrégulière, et nullement analogues à celle des cartons colorés. Je puis dire que ces nouvelles difficultés ne furent qu'un jeu pour l'enfant ; résultat qui suffisait au but que je m'étais proposé en adoptant ce système de comparaisons grossières. Le moment était venu de le remplacer par un autre beaucoup plus instructif, et qui eût présenté des difficultés insurmontables, si elles n'avaient été aplanies d'avance par le succès des moyens que nous venions d'employer pour surmonter les premières.

    Je fis imprimer en gros caractères, sur des morceaux de carton de deux pouces, les vingt-quatre lettres de l'alphabet. Je fis tailler, dans une planche d'un pied et demi carré, un nombre égal de cases, dans lesquelles je fis insérer les morceaux de carton, sans les y coller cependant, afin que l'on pût les changer de place au besoin. On construisit en métal, et dans les mêmes dimensions, un nombre égal de caractères. Ceux-ci étaient destinés à être comparés par l'élève aux lettres imprimées, et classées dans leurs cases correspondantes. Le premier essai de cette méthode fut fait. en mon absence, par Mme Guérin ; je fus fort surpris d'apprendre par elle, à mon retour, que Victor distinguait tous les caractères et les classait convenablement. L'épreuve en fut faite aussitôt et sans la moindre faute.

    Ravi d'un succès aussi rapide, j'étais loin encore de pouvoir en expliquer la cause ; et ce ne fut que quelques jours après qu'elle se présenta à moi dans la manière dont notre élève procédait à cette classification. Pour se la rendre plus facile, il s'était avisé lui-même d'un petit expédient qui le dispensait, dans ce travail, de mémoire, de comparaison et de jugement. Dès qu'on lui mettait le tableau entre les mains, il n'attendait pas qu'on enlevât de leurs cases les lettres métalliques ; il les retirait et les empilait sur sa main, en suivant l'ordre de leur classification ; de sorte que la dernière lettre de l'alphabet se trouvait, après les dépouillements complets du tableau, être la première de la pile, c'était aussi par celle-là qu'il commençait et par la dernière de la pile qu'il finissait, prenant conséquemment le tableau par la fin et procédant toujours de droite à gauche. Ce n'est pas tout : ce procédé était susceptible, pour lui, de perfectionnement ; car assez souvent la pile crevait, les caractères s'échappaient ; il fallait débrouiller tout cela, et le mettre en ordre par les seuls efforts de l'attention. Les vingt-quatre lettres se trouvaient disposées sur quatre rangs, de six chacun ; il était donc plus simple de ne les enlever que par rangées et de les replacer de même, de manière à ne passer au dépouillement de la seconde file que lorsque la première serait rétablie.

    J'ignore s'il faisait le raisonnement que je lui prête ; au moins est-il sûr qu'il exécutait la chose comme je le dis. C'était donc une véritable routine, mais une routine de son invention et qui faisait peut-être autant d'honneur à son intelligence qu'une classification méthodique en fit bientôt à son discernement. Il ne fut pas difficile de le mettre sur cette voie, en lui donnant les caractères pêle-mêle, toutes les fois qu'on lui présentait le tableau. Enfin malgré les inversions fréquentes que je faisais subir aux caractères imprimés en les changeant de cases ; malgré quelques dispositions insidieuses données à ces caractères, comme de placer le G à côté du C, l'E à côté de l’F, etc., son discernement était imperturbable. En l'exerçant sur tous ces caractères, j'avais eu pour but de préparer Victor à les faire servir à leur usage, sans doute primitif, c'est-à-dire à l'expression des besoins que l'on ne peut manifester par la parole. Loin de croire que je fusse déjà si près de cette grande époque de son éducation ce fut un esprit de curiosité, plutôt que de l'espoir du succès, qui me suggéra l'expérience que voici :

    Un matin qu'il attendait impatiemment le lait dont il fait journellement son déjeuner, je pris dans son tableau et disposai sur une planche, que j'avais préparée exprès, ces quatre lettres : L A I T. Mme Guérin, que j'avais prévenue, s'approche, regarde les caractères et me donne de suite une tasse pleine de lait, dont je fais semblant de vouloir disposer pour moi-même. Un moment après je m'approche de Victor : je lui donne les quatre lettres que je venais d'enlever de dessus la planche ; je la lui indique d'une main, tandis que de l'autre je lui présente le vase plein de lait. Les lettres furent aussitôt replacées, mais dans un ordre tout à fait inverse, de sorte qu'elles donnèrent T I A L au lieu de L A I T. J'indiquais alors les corrections à faire, en désignant du doigt les lettres à transposer et la place qu'il fallait donner à chacune : lorsque ces changements eurent reproduit le signe de la chose, je ne la fis plus attendre.

    On aura de la peine à croire que cinq ou six épreuves pareilles aient suffi, je ne dis pas pour lui faire arranger méthodiquement les quatre lettres du mot lait, mais aussi, le dirai-je, pour lui donner l'idée du rapport qu'il y a entre le mot et la chose. C'est du moins ce que l'on est fortement autorisé à soupçonner, d'après ce qui lui arriva huit jours après cette première expérience. On le vit prêt à partir le soir pour l'Observatoire, se munir, de son propre mouvement, des quatre lettres en question ; les mettre dans sa poche, et à peine arrivé chez le citoyen Lemeri où, comme je l'ai dit plus haut, il va tous les jours goûter avec du lait, produire ces caractères sur une table, de manière à former le mot lait.

     

    J'étais dans l'intention de récapituler ici tous les faits disséminés dans cet ouvrage ; mais j'ai pensé que quelque force qu'ils pussent acquérir par leur réunion elle n'équivaudrait jamais à celle de ce dernier résultat. Je le consigne, pour ainsi dire nu et dépouillé de toutes réflexions, pour qu'il puisse marquer d'une manière plus frappante l'époque où nous sommes parvenus, et devenir garant de celle où il nous faut arriver. En attendant, on peut toujours conclure de la plupart de mes observations, de celles surtout qu'on a puisées dans ces deux dernières Vues, que l'enfant, connu sous le nom de Sauvage de l'Aveyron, est doué du libre exercice de tous ses sens ; qu'il donne des preuves continuelles d'attention, de réminiscence, de mémoire ; qu'il peut comparer, discerner et juger, appliquer enfin toutes les facultés de son entendement à des objets relatifs à son instruction. On remarquera, comme un point essentiel, que ces changements heureux sont survenus dans le court espace de neuf mois, chez un sujet que l'on croyait incapable d'attention ; et l'on en conclura que son éducation est possible, si elle n'est pas même déjà garantie par ces premiers succès, indépendamment de ceux qu'on doit nécessairement espérer du temps qui, dans sa marche invariable, semble donner à l'enfance, en force et en développements, tout ce qu'il ôte à l'homme au déclin de la vie  .

    Et cependant, quelles conséquences majeures, relatives à l'histoire philosophique et naturelle de l'homme, découlent déjà de cette première série d'observations ! Qu'on les rassemble ! qu'on les classe avec méthode ; qu'on les réduise à leur juste valeur, et l'on y verra la preuve matérielle des plus importantes vérités, de ces vérités dont Locke et Condillac ne durent la découverte qu'à la force de leur génie et à la profondeur de leurs méditations. Il m'a paru du moins qu'on pourrait en déduire :

    1) Que l'homme est inférieur à un grand nombre d'animaux dans le pur état de nature   ; état de nullité et de barbarie, qu'on a sans fondement revêtu des couleurs les plus séduisantes ; état dans lequel l'individu, privé des facultés caractéristiques de son espèce, traîne misérablement, sans intelligence, comme sans affections, une vie précaire et réduite aux seules fonctions de l'animalité.

    2) Que cette supériorité morale, que l'on dit être naturelle à l'homme, n'est que le résultat de la civilisation qui l'élève au-dessus des autres animaux par un grand et puissant mobile. Ce mobile est la sensibilité prédominante de son espèce ; propriété essentielle d'où découlent les facultés imitatives, et cette tendance continuelle qui le force à chercher dans de nouveaux besoins de nouvelles sensations.

    3) Que cette force imitative destinée à l'éducation de ses organes, et surtout à l'apprentissage de la parole, très énergique et très active dans les premières années de la vie, s'affaiblit rapidement par les progrès de l'âge, l'isolement et toutes les causes qui tendent à émousser la sensibilité nerveuse ; d'où il résulte que l'articulation des sons qui est sans contredit de tous les effets de l'imitation le résultat le plus inconcevable et le plus utile, doit éprouver des obstacles sans nombre, dans un âge qui n'est plus celui de la première enfance.

    4) Qu'il existe chez le sauvage le plus isolé, comme chez le citadin élevé au plus haut point de la civilisation, un rapport constant entre leurs idées et leurs besoins ; que la multiplicité toujours croissante de ceux-ci chez les peuples policés, doit être considérée comme un grand moyen de développement de l'esprit humain : de sorte qu'on peut établir comme proposition générale, que toutes les causes accidentelles, locales ou politiques, qui tendent à augmenter ou à diminuer le nombre de nos besoins, contribuent nécessairement à étendre ou à rétrécir la sphère de nos connaissances et le domaine de la science, des beaux-arts et de l'industrie sociale.

    5) Que dans l'état actuel de nos connaissances physiologiques, la marche de l'enseignement peut et doit s'éclairer des lumières de la médecine moderne, qui de toutes les sciences naturelles, peut coopérer le plus puissamment au perfectionnement de l'espèce humaine, en appréciant les anomalies organiques et intellectuelles de chaque individu, et déterminant par là ce que l'éducation doit faire pour lui, ce que la société peut en attendre.

    Il est encore quelques considérations non moins importantes, que je me proposais d'associer à ces premières données ; mais les développements qu'elles eussent exigés auraient outrepassé les bornes et le dessein de cet opuscule. Je me suis d'ailleurs aperçu, en comparant mes observations avec la doctrine de quelques-uns de nos métaphysiciens, que je me trouvais, sur certains points intéressants, en désaccord avec eux.

    Je dois attendre, en conséquence, des faits plus nombreux, et par là même plus concluants. Un motif à peu près analogue ne m'a pas permis, en parlant de tous les développements du jeune Victor, de m'appesantir sur l'époque de sa puberté, qui s'est prononcée depuis quelques décades d'une manière presque explosive, et dont les premiers phénomènes jettent beaucoup de doute sur l'origine de certaines affections du cœur, que nous regardons comme très naturelles. J'ai dû, de même ici, ne pas me presser de juger et de conclure ; persuadé qu'on ne peut trop laisser mûrir par le temps, et confirmer par des observations ultérieures, toutes considérations qui tendent à détruire des préjugés, peut-être respectables, et les plus douces comme les plus consolantes illusions de la vie sociale.

     

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    RAPPORT SUR LES NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS

    DE VICTOR DE L'AVEYRON

    (1806 ; imprimé en 1807)

     

     

    AVANT-PROPOS

    À Son Excellence le Ministre de l'Intérieur

    Monseigneur,

    Vous parler du Sauvage de l'Aveyron, c'est reproduire un nom qui n'inspire plus maintenant aucune espèce d'intérêt ; c'est rappeler un être oublié par ceux qui n'ont fait que le voir, et dédaigné par ceux qui ont cru le juger. Pour moi, qui me suis borné jusqu'à présent à l'observer et à lui prodiguer mes soins, fort indifférent à l'oubli des uns et au dédain des autres ; étayé sur cinq années d'observations journalières, je viens faire à votre Excellence le rapport qu'elle attend de moi, lui raconter ce que j'ai vu et ce que j'ai fait ; exposer l'état actuel de ce jeune homme, les voies longues et difficiles par lesquelles il y a été conduit, et les obstacles qu'il a franchis, comme ceux qu'il n'a pu surmonter.

    Si tous ces détails, Monseigneur, vous paraissaient peu dignes de votre attention, et bien au-dessus de l'idée avantageuse que vous en aviez conçue, votre Excellence voudrait bien, pour mon excuse, être intimement persuadée que, sans l'ordre formel que j'ai reçu d'elle, j'eusse enveloppé d'un profond silence, et condamné à un éternel oubli, des travaux dont le résultat offre bien moins l'histoire des progrès de l'élève que celle des non-succès de l'instituteur. Mais en me jugeant aussi moi-même avec impartialité, je crois néanmoins qu'abstraction faite du but auquel je visais, dans la tâche que je me suis volontairement imposée, et considérant cette entreprise sous un point de vue plus général, vous ne verrez pas sans quelque satisfaction, Monseigneur, dans les diverses expériences que j'ai tentées, dans les nombreuses observations que j'ai recueillies une collection de faits propres à éclairer l'histoire de la philosophie médicale, l'étude de l'homme incivilisé, et la direction de certaines éducations privées.

    Pour apprécier l'état actuel du jeune Sauvage de l'Aveyron, il serait nécessaire de rappeler son état passé. Ce jeune homme, pour être jugé sainement, ne doit être comparé qu'à lui-même.

    Rapproché d'un adolescent du même âge, il n'est plus qu'un être disgracié, rebut de la nature, comme il le fut de la société. Mais si l'on se borne aux deux termes de comparaison qu'offrent l'état passé et l'état présent du jeune Victor, on est étonné de l'espace immense qui les sépare ; et l'on peut mettre en question, si Victor ne diffère pas plus du Sauvage de l'Aveyron, arrivant à Paris, qu'il ne diffère des autres individus de son âge et de son espèce.

     

     

    Je ne vous retracerai pas, Monseigneur, le tableau hideux de cet homme-animal, tel qu'il était au sortir de ses forêts. Dans un opuscule que j'ai fait imprimer il y a quelques années, et dont j'ai l'honneur de vous offrir un exemplaire, j'ai dépeint cet être extraordinaire, d'après les traits mêmes que je puisai dans un rapport fait par un médecin célèbre à une société savante. Je rappellerai seulement ici que la commission dont ce médecin fut le rapporteur, après un long examen et des tentatives nombreuses, ne put parvenir à fixer un moment l'attention de cet enfant, et chercha en vain à démêler, dans ses actions et ses déterminations, quelque acte d'intelligence, ou quelque témoignage de sensibilité. Étranger à cette opération réfléchie qui est la première source de nos idées, il ne donnait de l'attention à aucun objet, parce qu'aucun objet ne faisait sur ses sens nulle impression durable.

    Ses yeux voyaient et ne regardaient point ; ses oreilles entendaient et n'écoutaient jamais ; et l'organe du toucher, restreint à l'opération mécanique de la préhension des corps, n'avait jamais été employé à en constater les formes et l'existence. Tel était enfin l'état des facultés physiques et morales de cet enfant, qu'il se trouvait placé non seulement au dernier rang de son espèce, mais encore au dernier échelon des animaux, et qu'on peut dire en quelque sorte qu'il ne différait d'une plante, qu'en ce qu'il avait de plus qu'elle, la faculté de se mouvoir et de crier. Entre cette existence moins qu'animale et l'état actuel du jeune Victor, il y a une différence prodigieuse, et qui paraîtrait bien plus tranchée si, supprimant tout intermédiaire, je me bornais à rapprocher vivement les deux termes de la comparaison. Mais persuadé qu'il s'agit bien moins de faire contraster ce tableau que de le rendre et fidèle et complet, j'apporterai tous mes soins à exposer succintement les changements survenus dans l'état du jeune sauvage ; et pour mettre plus d'ordre et d'intérêt dans l'énu¬mération des faits, je les rapporterai en trois séries distinctes, relatives au triple développement des fonctions des sens, des fonctions intellectuelles et des facultés affectives.

     

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    DÉVELOPPEMENT
    DES FONCTIONS DES SENS

     

     

    I. - On doit aux travaux de Locke et de Condillac, d'avoir apprécié l'influence puissante qu'a sur la formation et le développement de nos idées, l'action isolée et simultanée de nos sens. L'abus qu'on a fait de cette découverte n'en détruit ni la vérité ni les applications pratiques qu'on peut en faire à un système d'éducation médicale. C'est d'après ces principes que, lorsque j'eus rempli les vues principales que je m'étais d'abord proposées, et que j'ai exposées dans mon premier ouvrage, je mis tous mes soins à exercer et à développer séparément les organes des sens du jeune Victor.

    II. - Comme de tous nos sens l'ouïe est celui qui concourt le plus particulièrement au développement de nos facultés intellectuelles, je mis en jeu toutes les ressources imaginables pour tirer de leur long engourdissement les oreilles de notre sauvage. Je me persuadai que pour faire l'éducation de ce sens, il fallait en quelque sorte l'isoler, et que n'ayant à ma disposition, dans tout le système de son organisation, qu'une dose modique de sensibilité, je devais la concentrer sur le sens que je voulais mettre en jeu, en paralysant artificiellement celui de la vue par lequel se dépense la plus grande partie de cette sensibilité. En conséquence, je couvris d'un bandeau épais les yeux de Victor, et je fis retentir à ses oreilles les sons les plus forts et les plus dissemblables.

    Mon dessein n'était pas seulement de les lui faire entendre, mais encore de les lui faire écouter. Afin d'obtenir ce résultat, dès que j'avais rendu un son, j'engageais Victor à en produire un pareil, en faisant retentir le même corps sonore, et à frapper sur un autre dès que son oreille l'avertissait que je venais de changer d'instrument. Mes premiers essais eurent pour but de lui faire distinguer le son d'une cloche et celui d'un tambour, et de même qu'un an auparavant j'avais conduit Victor de la grossière comparaison de deux morceaux de carton, diversement colorés et figurés, à la distinction des lettres et des mots, j'avais tout lieu de croire que l'oreille, suivant la même progression d'attention que le sens de la vue, en viendrait bientôt à distinguer les sons les plus analogues, et les plus différents tons de l'organe vocal, ou la parole. Je m'attachai en conséquence à rendre les sons progressivement moins disparates, plus compliqués et plus rapprochés. Bientôt je ne me contentai pas d'exiger qu'il distinguât le son d'un tambour et celui d'une cloche, mais encore la différence de son que produisait le choc de la baguette, frappant ou sur la peau ou sur le cercle, ou sur le corps du tambour, sur le timbre d'une pendule, ou sur une pelle à feu très sonore.

    III. - J'adoptai ensuite cette méthode comparative à la perception des sons d'un instrument à vent, qui plus analogues à ceux de la voix, formaient le dernier degré de l'échelle, au moyen de laquelle j'espérais conduire mon élève à l'audition des différentes intonations du larynx. Le succès répondit à mon attente ; et dès que je vins à frapper l'oreille de notre sauvage du son de ma voix, je trouvai l'ouïe sensible aux intonations les plus faibles.

    IV. - Dans ces dernières expériences, je ne devais point exiger, comme dans les précédentes, que l'élève répétât les sons qu'il percevait. Ce double travail, en partageant son attention, eût été hors du plan que je m'étais proposé, qui était de faire séparément l'éducation de chacun de ses organes. Je me bornai donc à exiger la simple perception des sons. Pour être sûr de ce résultat, je plaçais mon élève vis-à-vis de moi, les yeux bandés, les poings fermés et je lui faisais étendre un doigt toutes les fois que je rendais un son. Ce moyen d'épreuve fut bientôt compris : à peine le son avait-il frappé l'oreille, que le doigt était levé avec une sorte d'impétuosité, et souvent même avec des démonstrations de joie, qui ne permettaient pas de douter du goût que l'élève prenait à ces bizarres leçons.

    En effet, soit qu'il trouvât un véritable plaisir à entendre le son de la voix humaine, soit qu'il eût enfin surmonté l'ennui d'être privé de la lumière pendant des heures entières, plus d'une fois je l'ai vu, dans l'intervalle de ces sortes d'exercices, venir à moi, son bandeau à la main, se l'appliquer sur les yeux et trépigner de joie lorsqu'il sentait mes mains le lui nouer fortement derrière la tête. Ce ne fut que dans ces dernières expériences que se manifestèrent ces témoignages de contentement. Je m'en applaudis d'abord ; et loin de les réprimer, je les excitais même, sans penser que je me préparais là à un obstacle qui allait bientôt interrompre la série de ces expériences utiles, et annuler des résultats si pénible¬ment obtenus.

    V. - Après m'être bien assuré, par le mode d'expérience que je viens d'indiquer, que tous les sons de la voix, quel que fût leur degré d'intensité, étaient perçus par Victor, je m'attachai à les lui faire comparer. Il ne s'agissait plus, ici, de compter simplement les sons de la voix, mais d'en saisir les différences, et d'apprécier toutes ces modifications et variétés de tons, dont se compose la musique de la parole. Entre ce travail et le précédent, il y avait une distance prodigieuse, pour un être dont le développement tenait à des efforts gradués, et qui ne marchait vers la civilisation que parce que je l'y conduisais par une route insensible. En abordant la difficulté qui se présentait ici, je m'armai plus que jamais de patience et de douceur encouragé d'ailleurs par l'espoir qu'une fois cet obstacle franchi, tout était fait pour le sens de l'ouïe. Nous débutâmes par la comparaison des voyelles, et nous fîmes encore servir la main à nous assurer du résultat de nos expériences. Chacun des cinq doigts fut désigné pour être le signe d'une de ces cinq voyelles et à en constater la perception distincte. Ainsi le pouce représentait l'A, et devait se lever dans la prononciation de cette voyelle ; l'index était le signe de l'E, le doigt du milieu celui de l'I, et ainsi de suite.

    VI. - Ce ne fut pas sans peine et sans beaucoup de longueurs que je parvins à lui donner l'idée distincte des voyelles. La première qu'il distingua nettement fut l’O, ce fut ensuite la voyelle A. Les trois autres offrirent plus de difficultés, et furent pendant longtemps confondues entre elles ; à la fin cependant l'oreille commença à les percevoir distinctement, c'est alors que reparurent, dans toute leur vivacité, ces démonstrations de joie dont j'ai déjà parlé, et qu'avaient momentanément interrompues nos nouvelles expériences. Mais comme celles-ci exigeaient de la part de l'élève une attention bien plus soutenue, des compa¬raisons délicates, des jugements répétés, il arriva que ces accès de joie, qui jusqu'alors n'avaient fait qu'égayer nos leçons, vinrent à la fin les troubler.

    Dans ces moments, tous les sons étaient confondus, et les doigts indistinctement levés, souvent même tous à la fois, avec une impétuosité désordonnée et des éclats de rire vraiment impatientants. Pour réprimer cette gaieté importune, j'essayai de rendre l'usage de la vue à mon trop joyeux élève, et de poursuivre ainsi nos expériences, en l'intimidant par une figure sévère et même un peu menaçante. Dès lors plus de joie, mais en même temps distractions continuelles du sens de l'ouïe, en raison de l'occupation que fournissaient à celui de la vue tous les objets qui l'entouraient. Le moindre dérangement dans la disposition des meubles ou dans ses vêtements, le plus léger mouvement des personnes qui étaient autour de lui, un changement un peu brusque dans la lumière solaire, tout attirait ses regards, tout était, pour lui, le motif d'un déplacement.

    Je reportai le bandeau sur les yeux et les éclats de rire recommencèrent. Je m'attachai alors à l'intimider par mes manières, puisque je ne pouvais pas le contenir par mes regards. Je m'armai d'une des baguettes de tambour qui servait à nos expériences, et lui en donnai de petits coups sur les doigts lorsqu'il se trompa. Il prit cette correction pour une plaisanterie, et sa joie n'en fut que plus bruyante. Je crus devoir, pour le détromper, rendre la correction un peu plus sensible. Je fus compris, et ce ne fut pas sans un mélange de peine et de plaisir que je vis dans la physionomie assombrie de ce jeune homme combien le sentiment de l'injure l'emportait sur la douleur du coup. Des pleurs sortirent de dessous son bandeau ; je me hâtai de l'enlever ; mais, soit embarras ou crainte, soit préoccupation profonde des sens intérieurs, quoique débarrassé de ce bandeau, il persista à tenir les yeux fermés. Je ne puis rendre l'expression douloureuse que donnaient à sa physionomie ses deux paupières ainsi rapprochées, à travers lesquelles s'échappaient de temps en temps quelques larmes. Oh ! combien dans ce moment, comme dans beaucoup d'autres, prêt à renoncer à la tâche que je m'étais imposée, et regardant comme perdu le temps que j'y donnais, ai-je regretté d'avoir connu cet enfant, et condamné hautement la stérile et inhumaine curiosité des hommes qui, les premiers, l'arrachèrent à une vie innocente et heureuse !

    VII. - Cette scène mit fin à la bruyante gaieté de mon élève. Mais je n'eus pas lieu de m'applaudir de ce succès, et je n'avais paré à cet inconvénient que pour tomber dans un autre. Un sentiment de crainte prit la place de cette gaieté folle, et nos exercices en furent plus troublés encore. Lorsque j'avais émis un son, il me fallait attendre plus d'un quart d'heure le signal convenu ; et lors même qu'il était fait avec justesse, c'était avec lenteur, avec une incertitude telle que si, par hasard, je venais à faire le moindre bruit, ou le plus léger mouvement, Victor effarouché refermait subitement le doigt, dans la crainte de s'être mépris, et en levait un autre avec la même lenteur et la même circonspection. Je ne désespérais point encore, et je me flattai que le temps, beaucoup de douceur et des manières encourageantes pourraient dissiper cette fâcheuse et excessive timidité. Je l'espérai en vain, et tout fut inutile.

    Ainsi s'évanouirent les brillantes espérances fondées, avec quelque raison peut-être, sur une chaîne non interrompue d'expériences utiles autant qu'intéressantes. Plusieurs fois depuis ce temps-là et à des époques très éloignées, j'ai tenté les mêmes épreuves, et je me suis vu forcé d'y renoncer de nouveau, arrêté par le même obstacle.

    VIII. - Néanmoins cette série d'expériences faites sur le sens de l'ouïe n'a pas été tout à fait inutile. Victor lui est redevable d'entendre distinctement quelques mots d'une seule syllabe et de distinguer surtout avec beaucoup de précision, parmi les différentes intonations du langage, celles qui sont l'expression du reproche, de la colère, de la tristesse, du mépris, de l'amitié ; alors même que ces divers mouvements de l'âme ne sont accompagnés d'aucun jeu de la physionomie, ni de ces pantomimes naturelles qui en constituent le caractère extérieur.

    IX. - Affligé plutôt que découragé du peu de succès obtenu sur le sens de l'ouïe, je me déterminai à donner tous mes soins à celui de la vue. Mes premiers travaux l'avaient déjà beaucoup amélioré, et avaient tellement contribué à lui donner de la fixité et de l'attention, qu'à l'époque de mon premier rapport, mon élève était déjà parvenu à distinguer des lettres en métal et à les placer dans un ordre convenable pour en former quelques mots. De ce point-là à la perception distincte des signes écrits et au mécanisme de leur écriture, il y avait bien loin encore ; mais heureusement toutes ces difficultés passèrent sur le même plan ; aussi furent-elles facilement surmontées.

    Au bout de quelques mois, mon élève savait lire et écrire passablement une série de mots dont plusieurs différaient assez peu entre eux pour être distingués par un œil attentif. Mais cette lecture était toute intuitive ; Victor lisait les mots sans les prononcer, sans en connaître la signification. Pour peu que l'on fasse attention à ce mode de lecture, le seul qui fût praticable envers un être de cette nature, on ne manquera pas de me demander comment j'étais sûr que des mots non prononcés, et auxquels il n'attachait aucun sens étaient lus assez distinctement pour ne pas être confondus les uns avec les autres. Rien de si simple que le procédé que j'employais pour en avoir la certitude. Tous les mots soumis à la lecture étaient également écrits sur deux tableaux ; j'en prenais un et faisais tenir l'autre à Victor ; puis, parcourant successivement, avec le bout du doigt, tous les mots contenus dans celui des deux tableaux que j'avais entre mes mains, j'exigeais qu'il me montrât dans l'autre tableau le double de chaque mot que je lui désignais. J'avais eu soin de suivre un ordre tout à fait différent dans l'arrangement de ces mots, de telle sorte que la place que l'un d'eux occupait dans un tableau, ne donnât aucun indice de celle que son pareil tenait dans l'autre. De là, la nécessité d'étudier en quelque sorte la physionomie particulière de tous ces signes pour les reconnaître du premier coup d'œil.

    X. - Lorsque l'élève, trompé par l'apparence d'un mot, le désignait à la place d'un autre, je lui faisais rectifier son erreur, sans la lui indiquer, mais seulement en l'engageant à épeler. Épeler était pour nous comparer intuitivement, et l'une après l'autre, toutes les lettres qui entrent dans la composition de deux mots. Cet examen véritablement analytique se faisait d'une manière très rapide ; je touchais, avec l'extrémité d'un poinçon, la première lettre de l'autre mot ; nous passions de même à la seconde ; et nous continuions ainsi jusqu'à ce que Victor, cherchant toujours à trouver dans son mot les lettres que je lui montrais dans le mien, parvint à rencontrer celle qui commençait à établir la différence des deux mots.

    XI. - Bientôt il ne fut plus nécessaire de recourir à un examen aussi détaillé pour lui faire rectifier ses méprises. Il me suffisait alors de fixer un instant ses yeux sur le mot qu'il prenait pour un autre, pour lui en faire sentir la différence ; et je puis dire que l'erreur était réparée presque aussitôt qu'indiquée. Ainsi fut exercé et perfectionné ce sens important, dont l'insignifiante mobilité avait fait échouer les premières tentatives qu'on avait faites pour les fixer, et fait naître les premiers soupçons d'idiotisme.

    XII. - Ayant ainsi terminé l'éducation du sens de la vue, je m'occupai de celle du toucher. Quoique éloigné de partager l'opinion de Buffon et de Condillac sur le rôle important qu'ils font jouer à ce sens, je ne regardais pas comme perdus les soins que je pouvais donner au toucher, ni sans intérêt les observations que pouvait me fournir le développement de ce sens. On a vu, dans mon premier mémoire, que cet organe, primitivement borné à la préhension mécanique des corps, avait dû à l'effet puissant des bains chauds le recouvrement de quelques-unes de ses facultés, celle entre autres de percevoir le froid et le chaud, le rude et le poli des corps. Mais si l'on fait attention à la nature de ces deux espèces de sensations, on verra qu'elles sont communes à la peau qui recouvre toutes nos parties. L'organe du toucher n'ayant fait que recevoir sa part de la sensibilité que j'avais réveillée dans tout le système cutané, ne percevait jusque-là que comme une portion de ce système, puisqu'il n'en différait par aucune fonction qui lui fût particulière.

    XIII. - Mes premières expériences confirmèrent la justesse de cet aperçu. Je mis au fond d'un vase opaque, dont l'embouchure pouvait à peine permettre l'introduction du bras, des marrons cuits encore chauds, et des marrons de la même grosseur, à peu près, mais crus et froids. Une des mains de mon élève était dans le vase, et l'autre dehors, ouverte sur ses genoux. Je mis sur celle-ci un marron chaud, et demandai à Victor de m'en retirer un du fond du vase ; il me l'amena en effet. Je lui en présentai un froid ; celui qu'il retira de l'intérieur du vase le fut aussi. Je répétai plusieurs fois cette expérience, et toujours avec le même succès. Il n'en fut pas de même, lorsque au lieu de faire comparer à l'élève la température des corps, je voulus, par le même moyen d'exploration, le faire juger de leur configuration.

    Là commençaient les fonctions exclusives du tact, et ce sens était encore neuf. Je mis dans le vase des châtaignes et des glands, et lorsqu'en présentant l'un ou l'autre de ces fruits à Victor, je voulus exiger de lui qu'il m'en amenât un pareil du fond du vase, ce fut un gland pour une châtaigne ou une châtaigne pour un gland. Il fallait donc mettre ce sens, comme tous les autres, dans l'exercice de ses fonctions, et y procéder dans le même ordre. A cet effet, je l'exerçai à comparer des corps très disparates entre eux, non seulement par leur forme, mais encore par leur volume, comme une pierre et un marron, un sou et une clef. Ce ne fut pas sans peine que je réussis à faire distinguer ces objets par le tact. Dès qu'ils cessèrent d'être confondus, je les remplaçai par d'autres moins dissemblables, comme une pomme, une noix et de petits cailloux. Je soumis ensuite à cet examen manuel les marrons et les glands, et cette comparaison ne fut plus qu'un jeu pour l'élève. J'en vins au point de lui faire distinguer, de la même manière, les lettres en métal, les plus analogues par formes, telles que le B et l'R, l'I et le J, le C et le G.

    XIV. - Cette espèce d'exercice dont je ne m'étais pas promis, ainsi que je l'ai déjà dit, beaucoup de succès, ne contribua pas peu néanmoins à augmenter la susceptibilité d'attention de notre élève ; j'ai eu l'occasion dans la suite de voir sa faible intelligence aux prises avec des difficultés bien plus embarrassantes, et jamais je ne l'ai vu prendre cet air sérieux, calme et méditatif, qui se répandait sur tous les traits de sa physionomie, lorsqu'il s'agissait de décider de la différence de forme des corps soumis à l'examen du toucher.

     

    Enfant sauvage (L')

     

    XV. - Restait à m'occuper des sens du goût et de l'odorat. Ce dernier était d'une délicatesse qui le mettait au-dessus de tout perfectionnement. On sait que longtemps après son entrée dans la société, ce jeune sauvage conservait encore l'habitude de flairer tout ce qu'on lui présentait, et même les corps que nous regardons comme inodores. Dans la promenade à la campagne que je faisais souvent avec lui, pendant les premiers mois de son séjour à Paris, je l'ai vu maintes fois s'arrêter, se détourner même, pour ramasser des cailloux, des morceaux de bois desséchés, qu'il ne rejetait qu'après les avoir portés à son nez, et souvent avec le témoignage d'une très grande satisfaction.

    Un soir qu'il s'était égaré dans la rue d'Enfer et qu'il ne fut retrouvé qu'à la tombée de la nuit par sa gouvernante, ce ne fut qu'après lui avoir flairé les mains et les bras par deux ou trois reprises, qu'il se décida à la suivre, et qu'il laissa éclater la joie qu'il éprouvait de l'avoir retrouvée. La civilisation ne pouvait donc rien ajouter à la délicatesse de l'odorat. Beaucoup plus lié d'ailleurs à l'exercice des fonctions digestives qu'au développement des facultés intellectuelles, il se trouvait pour cette raison hors de mon plan d'instruction. - Il semble que, rattaché en général aux mêmes usages, le sens du goût, comme celui de l'odorat, devait être également étranger à mon but. Je ne le pensais point ainsi considérant le sens du goût, non sous le point de vue des fonctions très limitées que lui a assignées la nature, mais sous le rapport des jouissances aussi variées que nombreuses dont la civilisation l'a rendu l'organe, il dut me paraître avantageux de le développer, ou plutôt de le pervertir. Je crois inutile d'énumérer ici tous les expédients auxquels j'eus recours pour atteindre à ce but, et au moyen desquels je parvins, en très peu de temps, à éveiller le goût de notre sauvage pour une foule de mets qu'il avait jusqu'alors constamment dédaignés. Néanmoins au milieu des nouvelles acquisitions de ce sens, Victor ne témoigna aucune de ces préférences avides qui constituent la gourmandise.

    Bien différent de ces hommes qu'on a nommés sauvages, et qui dans un demi-degré de civilisation présentent tous les vices des grandes sociétés, sans en offrir les avantages, Victor, en s'habituant à de nouveaux mets, est resté indifférent à la boisson des liqueurs fortes, et cette indifférence s'est changée en aversion, à la suite d'une méprise dont l'effet et les circonstances méritent peut-être d'être rapportés. Victor dînait avec moi en ville. À la fin du repas, il prit de son propre mouvement une carafe qui contenait une liqueur des plus fortes, mais qui, n'ayant ni couleur ni odeur, ressemblait parfaitement à de l'eau. Notre sauvage la prit pour elle et s'en versa un demi-verre, et pressé sans doute par la soif, en avala brusquement près de la moitié, avant que l'ardeur produite dans l'estomac par ce liquide l'avertît de la méprise. Mais, rejetant tout à coup le verre et la liqueur, il se lève furieux, ne fait qu'un saut de sa place à la porte de la chambre, et se met à hurler et à courir dans les corridors et l'escalier de la maison, revenant sans cesse sur ses pas, pour recommencer le même circuit ; semblable à un animal profondément blessé, qui cherche dans la rapidité de sa course, non pas comme le disent les poètes, à fuir le trait qui le déchire, mais à distraire, par de grands mouvements, une douleur, au soulagement de laquelle il ne peut appeler, comme l'homme, une main bienfaisante.

    XVI. - Cependant malgré son aversion pour les liqueurs, Victor a pris quelque goût pour le vin, sans qu'il paraisse néanmoins en sentir vivement la privation quand on ne lui en donne pas. Je crois même qu'il a toujours conservé pour l'eau une préférence marquée. La manière dont il la boit semble annoncer qu'il y trouve un plaisir des plus vifs, mais qui tient sans doute à quelque autre cause qu'aux jouissances de l'organe du goût. Presque toujours à la fin de son dîner, alors même qu'il n'est plus pressé par la soif, on le voit avec l'air d'un gourmet qui apprête son verre pour une liqueur exquise, remplir le sien d'eau pure, la prendre par gorgée et l'avaler goutte à goutte. Mais ce qui ajoute beaucoup d'intérêt à cette scène, c'est le lieu où elle se passe. C'est près de la fenêtre, debout, les yeux tournés vers la campagne, que vient se placer notre buveur comme si dans ce moment de délectation cet enfant de la nature cherchait à réunir les deux uniques biens qui aient survécu à la perte de sa liberté, la boisson d'une eau limpide et la vue du soleil et de la campagne.

    XVII. - Ainsi s'opéra le perfectionnement des sens. Tous, à l'exception de celui de l'ouïe, sortant de leur longue habitude, s'ouvrirent à des perceptions nouvelles, et portèrent dans l'âme du jeune sauvage une foule d'idées jusqu'alors inconnues. Mais ces idées ne laissaient dans son cerveau qu'une trace fugitive ; pour les y fixer, il fallait y graver leurs signes respectifs ou, pour mieux dire, la valeur de ces signes. Victor les connaissait déjà, parce que j'avais fait marcher de front la perception des objets et de leurs qualités sensibles avec la lecture des mots qui les représentaient, sans chercher néanmoins à en déterminer le sens. Victor, instruit à distinguer par le toucher un corps rond d'avec un corps aplati ; par les yeux du papier rouge d'avec du papier blanc ; par le goût, une liqueur acide d'une liqueur douce, avait en même temps appris à distinguer les uns des autres, les noms qui expriment ces différentes perceptions, mais sans connaître la valeur représentative de ces signes. Cette connaissance n'étant plus du domaine des sens externes, il fallait recourir aux facultés de l'esprit, et lui demander compte, si je puis m'exprimer ainsi, des idées que lui avaient fournies ces sens. C'est ce qui devint l'objet d'une nouvelle branche d'expériences qui sont la matière de la série suivante.

     

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    DÉVELOPPEMENT
    DES FONCTIONS INTELLECTUELLES

     

    XVIII. - Quoique présentés à part, les faits dont se compose la série que nous venons de parcourir, se lient, sous beaucoup de rapports, à ceux qui vont faire la matière de celle-ci. Car telle est, Monseigneur, la connexion intime qui unit l'homme physique à l'homme intellectuel que, quoique leurs domaines respectifs paraissent et soient en effet très distincts, tout se confond dans les limites par lesquelles s'entre-touchent ces deux ordres de fonctions. Leur développement est simultané, et leur influence réciproque. Ainsi pendant que je bornais mes efforts à mettre en exercice les sens de notre sauvage, l'esprit prenait sa part des soins exclusivement donnés à l'éducation de ses organes, et suivait le même ordre de développement. On conçoit en effet qu'en instruisant les sens à percevoir et à distinguer de nouveaux objets, je forçais l'attention à s'y arrêter, le jugement à les comparer, et la mémoire à les retenir.

    Ainsi rien n'était indifférent dans ces exercices ; tout allait à l'esprit ; tout mettait en jeu les facultés de l'intelligence et les préparait au grand œuvre de la communication des idées. Déjà je m'étais assuré qu'elle était possible, en obtenant de l'élève qu'il désignât l'objet de ses besoins au moyen de lettres arrangées de manière à donner le mot de la chose qu'il désirait. J'ai rendu compte, dans mon opuscule sur cet enfant, de ce premier pas fait dans la connaissance des signes écrits ; et je n'ai pas craint de le signaler comme une époque importante de son éducation, comme le succès le plus doux et le plus brillant qu'on ait jamais obtenu sur un être tombé, comme celui-ci, dans le dernier degré de l'abrutissement. Mais des observations subséquentes, en m'éclairant sur la nature de ce résultat, vinrent bientôt affaiblir les espérances que j'en avais conçues.

    Je remarquai que Victor au lieu de reproduire certains mots avec lesquels je l'avais familiarisé, pour demander les objets qu'ils exprimaient et manifester le désir ou le besoin qu'il en éprouvait, n'y avait recours que dans certains moments, et toujours à la vue de l'objet désiré. Ainsi, par exemple, quelque vif que fût son goût pour le lait, ce n'était qu'au moment où il avait coutume d'en prendre, et à l'instant même où il voyait qu'on allait lui en présenter, que le mot de cet aliment préféré était émis, ou plutôt formé selon la manière convenable. Pour éclairer le soupçon que m'inspira cette sorte de réserve, j'essayai de retarder l'heure de son déjeuner et ce fut en vain que j'attendais de l'élève la manifestation écrite de ses besoins quoique devenus plus urgents. Ce ne fut que lorsque la tasse parut que le mot lait fut formé. J'eus recours à une autre épreuve : au milieu de son déjeuner, et sans donner à ce procédé aucune apparence de châtiment, j'enlevai la tasse qui contenait le lait, et l'enfermai dans une armoire.

    Si le mot lait eût été pour Victor le signe distinct de la chose et l'expression du besoin qu'il en avait, nul doute qu'après cette privation subite, le besoin continuant à se faire sentir, le mot lait n'eût été de suite reproduit. Il ne le fut point ; et j'en conclus que la formation de ce signe, au lieu d'être pour l'élève l'expression de ses besoins, n'était qu'une sorte d'exercice préliminaire, dont il faisait machinalement précéder la satisfaction de ses appétits. Il fallait donc revenir sur nos pas et travailler sur de nouveaux frais. Je m'y résignai courageusement, persuadé que si je n'avais pas été compris par mon élève, la faute en était à moi plutôt qu'à lui. En réfléchissant, en effet, sur les causes qui pouvaient donner lieu à cette acception défectueuse des signes écrits, je reconnus n'avoir pas apporté, dans ces premiers exemples de l'énonciation des idées, l'extrême simplicité que j'avais mise dans le début de mes autres moyens d'instruction, et qui en avait assuré le succès. Ainsi quoique le mot lait ne soit pour nous qu'un signe simple, il pouvait être pour Victor l'expression confuse de ce liquide alimentaire, du vase qui le contenait, et du désir dont il était l'objet.

    XIX. - Plusieurs autres signes avec lesquels je l'avais familiarisé présentaient, quant à leur application, le même défaut de précision. Un vice encore plus notable, tenait à notre procédé d'énonciation. Elle se faisait, comme je l'ai déjà dit, en disposant sur une même ligne et dans un ordre convenable, des lettres métalliques, de manière à donner le nom de chaque objet. Mais ce rapport qui existait entre la chose et le mot n'était point assez immédiat pour être complètement saisi par l'élève. Il fallait, pour faire disparaître cette difficulté, établir entre chaque objet et son signe une liaison plus directe et une sorte d'identité qui les fixât simultanément dans la mémoire ; il fallait encore que les objets admis les premiers à cette nouvelle méthode d'énonciation, fussent réduits à leur plus grande simplicité, afin que leurs signes ne puissent porter, en aucune manière, sur leurs accessoires. En conséquence de ce plan, je disposai sur les tablettes d'une bibliothèque, plusieurs objets simples, tels qu'une plume, une clef, un couteau, une boîte etc. placés immédiatement sur une carte où étaient tracés leurs noms. Ces noms n'étaient pas nouveaux pour l'élève ; il les connaissait déjà, et avait appris à les distinguer les uns des autres, d'après le mode de lecture que j'ai indiqué plus haut.

    XX. - Il ne s'agissait donc plus que de familiariser ses yeux avec l'apposition respective de chacun de ces noms au-dessous de l'objet qu'il représentait. Cette disposition fut bientôt saisie ; et j'en eus la preuve lorsque déplaçant tous ces objets, et replaçant d'abord les étiquettes dans un autre ordre, je vis l'élève remettre soigneusement chaque chose sur son nom. Je diversifiai mes épreuves ; et cette diversité me donna lieu de faire plusieurs observations relatives au degré d'impression que faisait, sur le sensorium de notre sauvage, l'image de ses signes écrits. Ainsi, lorsque laissant tous ces objets dans l'un des coins de la chambre et emportant dans un autre toutes les étiquettes, je voulais, en les montrant successivement à Victor, l'engager à m'aller quérir chaque objet dont je lui montrais le mot écrit, il fallait pour qu'il pût m'apporter la chose qu'il ne perdît pas de vue, un seul instant, les caractères qui servaient à la désigner. S'il s'éloignait assez pour ne plus être à portée de lire l'étiquette, si, après la lui avoir bien montrée, je la couvrais de ma main, aussitôt l'image du mot échappait à l'élève qui, prenant un air d'inquiétude et d'anxiété, saisissait au hasard le premier objet qui lui tombait sous la main.

    XXI. - Le résultat de cette expérience était peu encourageant, et m'eût en effet complètement découragé si je ne me fusse aperçu, en la répétant fréquemment, que la durée de l'impression devenait insensiblement beaucoup moins courte dans le cerveau de mon élève. Bientôt il ne fallut plus que jeter rapidement les yeux sur le mot que je lui désignais pour aller, sans hâte comme sans méprise, me chercher l'objet demandé.

     

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    Au bout de quelque temps, je pus faire l'expérience plus en grand, en l'envoyant de mon appartement dans sa chambre, pour y chercher de même un objet quelconque dont je lui montrais le nom. La durée de la perception se trouve d'abord beaucoup plus courte que la durée du trajet ; mais Victor, par un acte d'intelligence bien digne de remarque, chercha et trouva dans l'agilité de ses jambes un moyen sûr de rendre la durée de l'impression plus longue que celle de la course. Dès qu'il avait bien lu, il partait comme un trait ; et je le voyais revenir un instant après, tenant à la main l'objet demandé. Plus d'une fois cependant, le souvenir du mot lui échappait en chemin ; je l'entendais alors s'arrêter dans sa course et reprendre le chemin de mon appartement où il arrivait d'un air timide et confus. Quelquefois il lui suffisait de jeter les yeux sur la collection entière des noms, pour reconnaître et retenir celui qui lui était échappé ; d'autres fois, l'image du nom s'était tellement effacée de sa mémoire qu'il fallait que je le lui montrasse de nouveau : ce qu'il exigeait de moi, en prenant ma main et me faisant promener mon doigt indicateur sur toute cette série de noms jusqu'à ce que je lui eusse désigné celui qu'il avait oublié.

    XXII. - Cet exercice fut suivi d'un autre qui, offrant plus de travail à la mémoire, contribua plus puissamment à la développer. Jusque-là je m'étais borné à demander un seul objet à la fois ; j'en demandai d'abord deux, puis trois, et puis ensuite quatre, en désignant un pareil nombre de signes à l'élève qui, sentant la difficulté de les retenir tous, ne cessait de les parcourir avec une attention avide, jusqu'à ce que je les dérobasse tout à fait à ses yeux. Dès lors, plus de délai ni d'incertitude ; il prenait à la hâte le chemin de sa chambre, d'où il rapportait les objets demandés. Arrivé chez moi, son premier soin, avant de me les donner, était de reporter avec vivacité ses yeux sur la liste, de la confronter avec les objets dont il était porteur, et qu'il ne me remettait qu'après s'être assuré, par cette épreuve, qu'il n'y avait ni omission, ni méprise. Cette dernière expérience donna d'abord des résultats très variables, mais à la fin les difficultés qu'elle présentait furent surmontées à leur tour. L'élève, alors sûr de sa mémoire, dédaignant l'avantage que lui donnait l'agilité de ses jambes, se livrait paisiblement à cet exercice, s'arrêtait souvent dans le corridor, mettait la tête à la fenêtre qui est à l'une des extrémités, saluait, de quelques cris aigus, le spectacle de la campagne qui se déploie de ce côté dans un magnifique lointain, reprenait le chemin de sa chambre, y faisait sa petite cargaison, renouvelait son hommage aux beautés toujours regrettées de la nature, et rentrait chez moi bien assuré de l'exactitude de son message.

    XXIII. - C'est ainsi que, rétablie dans toute la latitude de ses fonctions, la mémoire parvint à retenir les signes de la pensée, tandis que, d'un autre côté, l'intelligence en saisissait toute la valeur. Telle fut du moins la conclusion que je crus devoir tirer des faits précédents, lorsque je vis Victor se servir à chaque instant, soit dans nos exercices, soit spontanément, des différents mots dont je lui avais appris le sens, nous demander les divers objets dont ils étaient la représentation, montrant ou donnant la chose lorsqu'on lui faisait lire le mot, ou indiquant le mot lorsqu'on lui présentait la chose. Qui pourrait croire que cette double épreuve ne fût pas plus que suffisante pour m'assurer qu'à la fin j'étais arrivé au point pour lequel il m'avait fallu retourner sur mes pas et faire un si grand détour ? Ce qui m'arriva à cette époque me fit croire, un moment, que j'en étais plus éloigné que jamais.

    XXIV. - Un jour que j'avais amené Victor chez moi, et que je l'envoyais, comme de coutume, me quérir dans sa chambre plusieurs objets que je lui désignais sur son catalogue, je m'avisai de fermer ma porte à double tour, et de retirer la clef de la serrure, sans qu'il s'en aperçût. Cela fait, je revins dans mon cabinet, où il était, et déroulant son catalogue je lui demandais quelques-uns des objets dont les noms s'y trouvaient écrits, avec l'attention de n'en désigner aucun qui ne fût pareillement dans mon appartement. Il partit de suite ; mais ayant trouvé la porte fermée, et cherché vainement la clef de tous côtés, il vint auprès de moi, prit ma main et me conduisit jusqu'à la porte d'entrée, comme pour me faire voir qu'elle ne pouvait s'ouvrir. Je feignis d'en être surpris, de chercher la clef partout, et même de me donner beaucoup de mouvement pour ouvrir la porte de force ; enfin, renonçant à ces vaines tentatives, je ramenai Victor dans mon cabinet, et lui montrant de nouveau les mêmes mots je l'invitai, par signes, à voit autour de lui s'il ne se présenterait point de pareils objets. Les mots désignés étaient bâton, soufflet, brosse, verre, couteau.

    Tous ces objets se trouvaient placés isolément dans mon cabinet, mais de manière cependant à être facilement aperçus. Victor les vit et ne toucha à aucun. Je ne réussis pas mieux à les lui faire reconnaître en les rassemblant sur une table et ce fut inutilement que je les demandai l'un après l'autre, en lui montrant successivement les noms. Je pris un autre moyen : je découpai avec des ciseaux les noms des objets qui, convertis ainsi en de simples étiquettes, furent mis dans les mains de Victor ; et le ramenant par là aux premiers essais de ce procédé, je l'engageai à mettre sur chaque chose le nom qui servait à la désigner. Ce fut en vain ; et j'eus l'inexprimable déplaisir de voir mon élève méconnaître tous ces objets, ou plutôt les rapports qui les liaient à leurs signes et, avec un air stupéfait qui ne peut se décrire, promener ses regards insignifiants sur tous ces caractères, redevenus pour lui inintelligibles. Je me sentais défaillir d'impatience et de découragement.

    J'allai m'asseoir à l'extrémité de la chambre, et considérant avec amertume cet être infortuné, que la bizarrerie de son sort réduirait à la triste alternative, ou d'être relégué, comme un véritable idiot, dans quelques-uns de nos hospices, ou d'acheter, par des peines inouïes, un peu d'instruction inutile encore à son bonheur. “Malheureux, lui dis-je comme s'il eût pu m'entendre, et avec un véritable serrement de cœur, puisque mes peines sont perdues et tes efforts infructueux, reprends, avec le chemin de tes forêts, le goût de la vie primitive ; ou si tes nouveaux besoins te mettent dans la dépendance de la société, expie le malheur de lui être inutile, et va mourir à Bicêtre, de misère et d'ennui.” Si j'avais moins connu la portée de l'intelligence de mon élève, j'aurais pu croire que j'avais été pleinement compris ; car à peine avais-je achevé ces mots que je vis, comme cela arrive dans ses chagrins les plus vifs, sa poitrine se soulever avec bruit, ses yeux se fermer, et un ruisseau de larmes s'échapper à travers ses paupières rapprochées.

    XXV. - J'avais souvent remarqué que de pareilles émotions, quand elles allaient jusqu'aux larmes, formaient une espèce de crise salutaire, qui développait subitement l'intelligence, et la rendait plus apte à surmonter, immédiatement après, telle difficulté qui avait paru insurmontable quelques instants auparavant. J'avais aussi observé que si, dans le fort de cette émotion, je quittais tout à coup le son des reproches pour y substituer des manières caressantes et quelques mots d'amitié et d'encouragement, j'obtenais alors un surcroît d'émotion, qui doublait l'effet que j'en attendais. L'occasion était favorable, et je me hâtai d'en profiter. Je me rapprochai de Victor ; je lui fis entendre des paroles affectueuses, que je prononçai dans des termes propres à lui en faire saisir le sens, et que j'accompagnai de témoignages d'amitié plus intelligibles encore. Ses pleurs redoublèrent, accompagnés de soupirs et de sanglots, tandis que redoublant moi-même de caresses, je portais l'émotion au plus haut point, et faisais, si je puis m'exprimer ainsi, frémir jusqu'à la dernière fibre sensible de l'homme moral.

    Quand tout cet excitement fut entièrement calmé, je replaçai les mêmes objets sous les yeux de Victor, et l'engageai à me les désigner l'un après l'autre, au fur et à mesure que je lui en montrai successivement les noms. Je commençai par lui demander le livre ; il le regarda d'abord assez longtemps, fit un mouvement pour y porter la main, en cherchant à surprendre dans mes yeux quelques signes d'approbation ou d'improbation, qui fixât ses incertitudes. Je me tins sur mes gardes et ma physionomie fut muette. Réduit donc à son propre jugement, il en conclut que ce n'était point là l'objet demandé, et ses yeux allèrent cherchant de tous côtés dans la chambre, ne s'arrêtant cependant que sur les livres qui étaient disséminés sur la table et la cheminée.

    Cette espèce de revue fut pour moi un trait de lumière. J'ouvris de suite une armoire qui était pleine de livres et j'en tirai une douzaine, parmi lesquels j'eus l'attention d'en faire entrer un, qui ne pouvait qu'être exactement semblable à celui que Victor avait laissé dans sa chambre ; le voir, y porter brusquement la main, me le présenter d'un air radieux ne fut pour Victor que l'affaire d'un moment.

    XXVI. - Je bornai là cette épreuve, le résultat suffisait pour me redonner des espérances que j'avais trop légèrement abandonnées, et pour m'éclairer sur la nature des difficultés qu'avait fait naître cette expérience. Il était évident que mon élève, loin d'avoir conçu une fausse idée de la valeur des signes, en faisait seulement une application trop rigoureuse. Il avait pris mes leçons à la lettre ; et de ce que je m'étais borné à lui donner la nomenclature des objets contenus dans sa chambre, il s'était persuadé que ces objets étaient les seuls auxquels elle fût applicable. Ainsi, tout livre qui n'était pas celui qu'il avait dans sa chambre n'était pas un livre pour Victor ; et pour qu'il pût se décider à lui donner le même nom, il fallait qu'une ressemblance parfaite établît entre l'un et l'autre une identité visible. Bien différent, dans l'application des mots, des enfants qui, commençant à parler, donnent aux noms individuels la valeur des noms génériques dans le sens restreint des noms individuels.

    D'où pouvait venir cette étrange différence ? Elle tenait, si je ne me trompe, à une sagacité d'observation visuelle, résultat nécessaire de l'éducation particulière donnée au sens de la vue. J'avais tellement exercé cet organe à saisir, par des comparaisons analytiques, les qualités apparentes des corps et leurs différences de dimension, de couleur, de conformation, qu'entre deux corps identiques il se trouvait toujours, pour des yeux ainsi exercés, quelques points de dissemblance qui faisaient croire à une différence essentielle. L'origine de l'erreur ainsi déterminée, il devenait facile d'y remédier ; c'était d'établir l'identité des objets, en démontrant à l'élève l'identité de leurs usages ou leurs propriétés ; c'était de lui faire voir quelles qualités communes valent le même nom à des choses en apparence différentes ; en un mot, il s'agissait de lui apprendre à considérer les objets non plus sous le rapport de leur différence, mais d'après leurs points de contact.

    XXVII. - Cette nouvelle étude fut une espèce d'introduction à l'art des rapprochements. L'élève s'y livra d'abord avec si peu de réserve qu'il pensa s'égarer de nouveau, en attachant la même idée, et en donnant le même nom à des objets qui n'avaient d'autres rapports entre eux que l'analogie de leurs formes ou de leurs usages. C'est ainsi que sous le nom de livre il désigna indistinctement une main de papier, un cahier, un journal, un registre, une brochure ; que tout morceau de bois étroit et long fut appelé bâton, que tantôt il donnait le nom de brosse au balai et celui de balai à la brosse et que bientôt, si je n'avais réprimé cet abus des rapprochements, j'aurais vu Victor se borner à l'usage d'un petit nombre de signes, qu'il eût appliqués, sans distinction, à une foule d'objets tout à fait différents, et qui n'ont de commun entre eux que quelques-unes des qualités ou propriétés générales des corps.

     

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    XXVIII. - Au milieu de ces méprises, ou plutôt de ces oscillations d'une intelligence tendant sans cesse au repos, et sans cesse mue par des moyens artificiels, je crus voir se développer une de ces facultés caractéristiques de l'homme, et de l'homme pensant, la faculté d'inventer. En considérant les choses sous le point de vue de leur analogie ou de leurs qualités communes, Victor en conclut que, puisqu'il y avait entre divers objets ressemblance de formes il devait y avoir, dans quelques circonstances, identité d'usage et de fonctions.

    Sans doute la conséquence était un peu hasardée ; mais elle donnait lieu à des jugements qui, lors même qu'ils se trouvaient évidemment défectueux, devenaient pour lui autant de nouveaux moyens d'instruction. Je me souviens qu'un jour, où je lui demandai par écrit un couteau, il se contenta, après en avoir cherché un pendant quelque temps, de me présenter un rasoir qu'il alla quérir dans une chambre voisine. Je feignis de m'en accommoder ; et quand sa leçon fut finie, je lui donnai à goûter comme à l'ordinaire, et j'exigeai qu'il coupât son pain, au lieu de le diviser avec ses doigts, selon son usage. À cet effet, je lui tendis le rasoir qu'il m'avait donné sous le nom de couteau. Il se montra conséquent, et voulut en faire le même usage ; mais le peu de fixité de la lame l'en empêcha. Je ne crus pas la leçon complète ; je pris le rasoir et le fis servir, en la présence même de Victor, à son véritable usage. Dès lors cet instrument n'était plus et ne devait plus être à ses yeux un couteau. Il me tardait de m'en assurer. Je repris son cahier, je montrai le mot couteau, et l'élève me montra de suite celui qu'il tenait dans sa main, et que je lui avais donné à l'instant où il n'avait pu se servir du rasoir. Pour que ce résultat fût complet, il me fallait faire la contre-épreuve ; il fallait que, mettant le cahier entre les mains de l'élève et touchant de mon côté le rasoir, Victor ne m'indiquât aucun mot, attendu qu'il ignorait encore celui de cet instrument : c'est aussi ce qui arriva.

    XXIX. - D'autres fois, les remplacements dont il s'avisait supposaient des rapprochements comparatifs beaucoup plus bizarres. Je me rappelle que dînant un jour en ville et voulant recevoir une cuillerée de lentilles qu'on lui présentait, au moment où il n'y avait plus d'assiettes ni de plats sur la table, il s'avisa d'aller prendre sur la cheminée et d'avancer, ainsi qu'il l'eût fait d'une assiette, un petit dessin sous verre, de forme circulaire, entouré d'un cadre dont le rebord nu et saillant ne ressemblait pas mal à celui d'une assiette.

    XXX. - Mais très souvent ses expédients étaient plus heureux, mieux trouvés, et méritaient à plus juste titre, le nom d'invention. Je ne crains pas de donner ce nom à la manière dont il se pourvut un jour d'un porte-crayon. Une seule fois, dans mon cabinet, je lui avais fait faire usage de cet instrument pour fixer un petit morceau de craie qu'il ne pouvait tenir du bout de ses doigts. Peu de jours après, la même difficulté se présenta ; mais Victor était dans sa chambre, et il n'avait pas là de porte-crayon pour tenir sa craie. Je le donne à l'homme le plus industrieux ou le plus inventif, de dire ou plutôt de faire ce qu'il fit pour s'en procurer un. Il prit un ustensile de rôtisseur, employé dans les bonnes cuisines, autant que superflu dans celle d'un pauvre sauvage, et qui, pour cette raison, restait oublié et rongé de rouille au fond d'une petite armoire, une lardoire enfin.

    Tel fut l'instrument qu'il prit pour remplacer celui qui lui manquait et qu'il sut, par une seconde inspiration d'une imagination vraiment créatrice, convertir en un véritable porte-crayon en remplaçant les coulants par quelques tours de fil. Pardonnez, Monseigneur, l'importance que je mets à ce fait. Il faut avoir éprou¬vé toutes les angoisses d'une instruction aussi pénible ; il faut avoir suivi et dirigé cet homme-plante dans ses laborieux développements, depuis le premier acte de l'attention jusqu'à cette première étincelle de l'imagination, pour se faire une idée de la joie que j'en ressentis et me trouver pardonnable de produire encore en ce moment avec une sorte d'ostentation, un fait aussi simple et aussi ordinaire. Ce qui ajoutait encore à l'importance de ce résultat, considéré comme une preuve du mieux actuel, et comme une garantie d'une amélioration future, c'est qu'au lieu de se présenter avec un isolement qui eût pu le faire regarder comme accidentel, il se groupait avec une foule d'autres, moins piquants sans doute, mais qui, venus à la même époque et émanés évidemment de la même source, s'offraient aux yeux d'un observateur attentif, comme des résultats divers d'une impulsion générale.

    Il est en effet digne de remarque que, dès ce moment, disparurent spontanément une foule d'habitudes routinières que l'élève avait contractées dans sa manière de vaquer aux petites occupations qu'on lui avait prescrites. Tout en s'abstenant sévèrement de faire des rapprochements forcés, et de tirer des conséquences éloignées, on peut du moins, je pense, soupçonner que la nouvelle manière d'envisager les choses, faisant naître l'idée d'en faire de nouvelles applications, dût nécessairement forcer l'élève à sortir du cercle uniforme de ces habitudes en quelque sorte automatiques.

    XXXI. - Bien convaincu enfin que j'avais complètement établi dans l'esprit de Victor le rapport des objets avec leurs signes, il ne me restait plus qu'à en augmenter successivement le nombre. Si l'on a bien saisi le procédé par lequel j'étais parvenu à établir la valeur des premiers signes, on aura dû prévoir que ce procédé ne pouvait s'appliquer qu'aux objets circonscrits et de peu de volume, et qu'on ne pouvait étiqueter de même un lit, une chambre, un arbre, une personne, ainsi que les parties constituantes et inséparables d'un tout. Je ne trouvai aucune difficulté à faire comprendre le sens de ces nouveaux mots, quoique je ne pusse les lier visiblement aux objets qu'ils représentaient comme dans les expériences précédentes. Il me suffisait pour être compris, d'indiquer du doigt le mot nouveau, et de montrer de l'autre main l'objet auquel le mot se rapportait.

    J'eus un peu de peine à faire entendre la nomenclature des parties qui entrent dans la composition d'un tout. Ainsi les mots doigts, mains, avant-bras, ne purent pendant longtemps offrir à l'élève aucun sens distinct. Cette confusion dans l'attribution des signes tenait évidemment à ce que l'élève n'avait point encore compris que les parties d'un corps, considérées séparément, formaient à leur tour des objets distincts, qui avaient leur nom particulier. Pour lui en donner l'idée, je pris un livre relié, j'en arrachai les couvertures et j'en détachai plusieurs feuilles. À mesure que je donnai à Victor chacune de ces parties séparées, j'en écrivais le nom sur la planche noire ; puis reprenant dans sa main ces divers débris, je m'en faisais à mon tour indiquer les noms. Quand ils se furent bien gravés dans sa mémoire, je remis à leur place les parties séparées, et lui en redemandant les noms, il me les désigna comme auparavant, puis, sans lui en présenter aucun en particulier et lui montrant le livre en totalité, je lui en demandai le nom : il m'indiqua du doigt le mot livre.

    XXXII. - Il n'en fallait pas davantage pour lui rendre familière la nomenclature des diverses parties des corps composés ; et pour que, dans les démonstrations que je lui en faisais, il ne confondit pas les noms propres à chacune des parties avec le nom général de l'objet, j'avais soin, en montrant les premières, de les toucher chacune immédiatement et je me contentais, pour l'application du nom général, d'indiquer la chose vaguement sans y toucher.

    XXXIII. - De cette démonstration, je passai à celle des qualités des corps. J'entrais ici dans le champ des abstractions, et j'y entrais avec la crainte de ne pouvoir y pénétrer ou de m'y voir bientôt arrêté par des difficultés insurmontables. Il ne s'en présenta aucune ; et ma première démonstration fut saisie d'emblée, quoiqu'elle portât sur l'une des qualités les plus abstraites des corps, celle de l'étendue. Je pris deux livres reliés de même, mais de format différent : l'un était un in-18, l'autre un in-8. Je touchai le premier. Victor ouvrit son cahier et désigna du doigt le mot livre. Je touchai le second, l'élève indiqua de nouveau le même mot. Je recommençai plusieurs fois et toujours avec le même résultat. Je pris ensuite le plus petit livre et le présentant à Victor je lui fis étendre sa main à plat sur la couverture : elle en était presque entièrement couverte ; je l'engageai alors à faire la même chose sur le volume in-8 : sa main en couvrait à peine la moitié. Pour qu'il ne pût se méprendre sur mon intention, je lui montrai la partie qui restait à découvert et l'engageai à allonger les doigts vers cet endroit : ce qu'il ne put faire sans découvrir une portion égale à celle qu'il recouvrait.

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    Après cette expérience, qui démontrait à mon élève d'une manière si palpable la différence d'étendue de ces deux objets, j'en demandai de nouveau le nom. Victor hésita ; il sentit que le même nom ne pouvait plus s'appliquer indistinctement à deux choses qu'il venait de trouver si inégales. C'était là où je l'attendais. J'écrivis alors sur deux cartes le mot livre, et j'en déposai une sur chaque livre. J'écrivis ensuite sur une troisième le mot grand, et le mot petit sur une quatrième ; je les plaçai à côté des premières, l'une sur le volume in-8 et l'autre sur le volume in-18. Après avoir fait remarquer cette disposition à Victor, je repris les étiquettes, les mêlai pendant quelque temps et les lui donnai ensuite pour être replacées. Elles le furent convenablement.

    XXXIV. - Avais-je été compris ? Le sens respectif des mots grand et petit avait-il été saisi ? Pour en avoir la certitude et la preuve complète, voici comment je m'y pris. Je me fis apporter deux clous de longueur inégale ; je les fis comparer à peu près de la même manière que je l'avais fait pour les livres. Puis ayant écrit sur deux cartes le mot clou, je les lui présentai, sans y ajouter les deux adjectifs grand et petit, espérant que, si ma leçon précédente avait été bien saisie, il appliquerait aux clous les mêmes signes de grandeur relative qui lui avaient servi à établir la différence de dimension des deux livres. C'est ce qu'il fit avec une promptitude qui rendit la preuve plus concluante encore. Tel fut le procédé par lequel je lui donnai l'idée des qualités d'étendue. Je l'employai avec le même succès pour rendre intelligibles les signes qui représentent les autres qualités sensibles des corps, comme celles de couleur, de pesanteur, de résistance etc.

    XXXV. - Après l'explication de l'adjectif, vint celle du verbe. Pour le faire comprendre à l'élève, je n'eus qu'à soumettre un objet dont il connaissait le nom à plusieurs sortes d'actions que je désignais, à mesure que je les exécutais, par l'infinitif du verbe qui exprime cette action. Je prenais une clef, par exemple ; j'en écrivais le nom sur une planche noire ; puis la touchant, la jetant, la ramassant, la portant aux lèvres, la remettant à sa place, etc., j'écrivais en même temps que j'exécutais chacune de ces actions sur une colonne, à côté du mot clef, les verbes toucher, jeter, ramasser, baiser, replacer, etc.

    Je substituais ensuite au mot clef le nom d'un autre objet que je soumettais aux mêmes fonctions, pendant que je montrais avec le doigt les verbes déjà écrits. Il arrivait souvent qu'en remplaçant ainsi au hasard un objet par un autre pour le rendre le régime des mêmes verbes, il y avait entre eux et la nature de l'objet une telle incompatibilité que l'action demandée devenait ou bizarre ou impossible. L'embarras où se trouvait alors l'élève tournait presque toujours à son avantage, autant qu'à ma propre satisfaction, et nous fournissant à lui l'occasion d'exercer son discernement et à moi celle de recueillir de nouvelles preuves de son intelligence. Un jour par exemple, que par suite des changements successifs du régime des verbes, je me trouvais avoir ces étranges associations de mots, déchirer pierre, couper tasse, manger balai, il se tira fort bien d'embarras, en changeant les deux actions indiquées par les deux premiers verbes, en deux autres moins incompatibles avec la nature de leur régime. En conséquence, il prit un marteau pour rompre la pierre, et laissa tomber la tasse pour la casser. Parvenu au troisième verbe et ne pouvant lui trouver de remplaçant, il en chercha un au régime, prit un morceau de pain et le mangea.

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    XXXVI. - Réduits à nous traîner péniblement et par les circuits infinis dans l'étude de ces difficultés grammaticales, nous faisions marcher de front, comme un moyen d'instruction auxiliaire et de diversion indispensable, l'exercice de l'écriture. Le début de ce travail m'offrit des difficultés sans nombre auxquelles je m'étais attendu. L'écriture est un exercice d'imitation et l'imitation était à naître chez notre sauvage. Ainsi lorsque je lui donnai pour la première fois un morceau de craie que je disposai convenablement au bout de ses doigts, je ne pus obtenir aucune ligne, aucun trait qui supposât dans l'élève l'intention d'imiter ce qu'il me voyait faire.

    Il fallait donc ici rétrograder encore, et chercher à tirer de leur inertie les facultés imitatives en les soumettant, comme toutes les autres, à une sorte d'éducation graduelle. Je procédai à l'exécution de ce plan en exerçant Victor à des actes d'une imitation grossière, comme de lever les bras, d'avancer le pied, de s'asseoir, de se lever en même temps que moi, puis d'ouvrir la main, de la fermer, et de répéter avec ses doigts une foule de mouvements d'abord simples, puis combinés, que j'exécutais devant lui. J'armai ensuite sa main, de même que la mienne, d'une longue baguette taillée en pointe, que je lui faisais tenir comme une plume à écrire, dans la double intention de donner plus de force et d'aplomb à ses doigts, par la difficulté de tenir en équilibre ce simulacre de plume et de lui rendre visibles et par conséquent susceptibles d'imitation jusques aux moindres mouvements de la baguette.

    XXXVII. - Ainsi disposés par des exercices préliminaires nous nous mîmes à la planche noire, munis chacun d'un morceau de craie ; et plaçant nos deux mains à la même hauteur je commençai par descendre lentement et verticalement vers la base du tableau. L'élève en fit autant, en suivant exactement la même direction, et partageant son attention entre sa ligne et la mienne et portant sans relâche ses regards de l'une à l'autre, comme s'il eût voulu en collationner successivement tous les points.

    Le résultat de notre composition fut deux lignes exactement parallèles. Mes leçons subséquentes ne furent qu'un développement du même procédé : je n'en parlerai pas. Je dirai seulement que le résultat fut tel, qu'au bout de quelques mois Victor sut copier les mots dont il connaissait déjà la valeur, bientôt après les reproduire de mémoire et se servir enfin de son écriture tout informe qu'elle était et qu'elle est restée, pour exprimer ses besoins, solliciter les moyens de les satisfaire, et saisir par la même voie l'expression des besoins ou de la volonté des autres.

    XXXVIII. - En considérant mes expériences comme un véritable cours d'imitation, je crus devoir ne pas le borner à des actes d'une imitation manuelle. J'y fis entrer plusieurs procédés qui n'avaient aucun rapport au mécanisme de l'écriture, mais dont l'effet était beaucoup plus propre à exercer l'intelligence. Tel est entre autres celui-ci : je traçais sur une planche noire deux cercles à peu près égaux l'un vis-à-vis de moi, et l'autre en face de Victor. Je disposais, sur six ou huit points de la circonférence de ces cercles, six ou huit lettres de l'alphabet, les mêmes dans les cercles, mais placées diversement. Je traçais ensuite dans l'un des cercles plusieurs lignes qui allaient aboutir aux lettres placées sur sa circonférence : Victor en faisait autant sur l'autre cercle.

    Mais par suite de la différente disposition des lettres, il arrivait que l'imitation la plus exacte donnait néanmoins une figure toute différente de celle que je lui offrais pour modèle. De là l'idée d'une imitation toute particulière, dans laquelle il s'agissait non de copier servilement une forme donnée, mais d'en reproduire l'esprit et la manière, sans être arrêté par la différence du résultat. Ce n'était plus ici une répétition routinière de ce que l'élève voyait faire, et telle qu'on pourrait l'obtenir, jusqu'à un certain point, de quelques animaux imitateurs, mais une imitation intelligente et raisonnée, variable dans ses procédés comme dans ses applications, et telle en un mot qu'on a droit de l'attendre de l'homme doué du libre usage de toutes ses facultés intellectuelles.

    XXXIX. - De tous les phénomènes que présentent à l'observateur les premiers développements de l'enfant, le plus étonnant peut-être est la facilité avec laquelle il apprend à parler ; et lorsqu'on pense que la parole, qui est sans contredit l'acte le plus admirable de l'imitation, en est aussi le premier résultat, on sent redoubler son admiration pour cette intelligence suprême dont l'homme est le chef-d'œuvre, et qui voulant faire de la parole le principal moteur de l'éducation, a dû ne pas assujettir l'imitation au développement progressif des autres facultés, et la rendre, dès son début, aussi active que féconde.

    Mais cette faculté imitative, dont l'influence se répand sur toute la vie, varie dans son application, selon la diversité des âges, et n'est employée à l'apprentissage de la parole que dans la plus tendre enfance ; plus tard elle préside à d'autres fonctions, et abandonne, pour ainsi dire, l'instrument vocal ; de telle sorte qu'un jeune enfant, un adolescent même, quittant son pays natal, en perd très promptement les manières, le ton, le langage, mais jamais ces intonations de voix qui constituent ce qu'on appelle l'accent. Il résulte de cette vérité physiologique qu'en réveillant l'imitation dans ce jeune sauvage parvenu déjà à son adolescence, j'ai dû m'attendre à ne trouver dans l'organe de la voix aucune disposition à mettre à profit ce développement des facultés imitatives, en supposant même que je n'eusse pas rencontré un second obstacle dans la stupeur opiniâtre du sens de l'ouïe. Sous ce dernier rapport, Victor pouvait être considéré comme un sourd-muet, quoique bien inférieur encore à cette classe d'êtres essentiellement observateurs et imitateurs.

    XL. - Néanmoins, je n'ai pas cru devoir m'arrêter à cette différence, ni renoncer à l'espoir de le faire parler et à tous les avantages que je m'en promettais, qu'après avoir tenté, pour parvenir à ce résultat, le dernier moyen qui me restait : c'était de le conduire à l'usage de la parole non plus par le sens de l'ouïe, puis¬qu'il s'y refusait, mais par celui de la vue. Il s'agissait donc, dans cette dernière tentative, d'exercer les yeux à saisir le mécanisme de l'articulation des sons, et la voix à les répéter, par une heureuse application de toutes les forces réunies de l'attention et de l'imitation. Pendant plus d'un an tous mes travaux, tous nos exercices tendirent à ce but. Pour suivre pareillement ici la méthode des gradations insensibles, je fis précéder l'étude de l'articulation visible des sons, par l'imitation un peu plus facile des mouvements des muscles de la face, en commençant par ceux qui étaient les plus apparents. Ainsi voilà l'instituteur et l'élève en face de l'un de l'autre, grimaçant à qui mieux mieux, c'est-à-dire imprimant aux muscles des yeux, du front, de la bouche, de la mâchoire, des mouvements de toute espèce ; concentrant peu à peu les expériences sur les muscles des lèvres et, après avoir insisté longtemps sur l'étude des mouvements de cette partie charnue de l'organe de la parole, soumettant enfin la langue aux mêmes exercices, mais beaucoup plus diversifiés et plus longtemps continués.

    XLI. - Ainsi préparé, l'organe de la parole me paraissait devoir se prêter sans peine à l'imitation des sons articulés, et je regardais ce résultat comme aussi prochain qu'infaillible. Mon espérance fut entièrement déçue ; et tout ce que je pus obtenir de cette longue série de soins se réduisit à l'émission de quelques monosyllabes informes, tantôt aigus, tantôt graves, et beaucoup moins nets encore que ceux que j'avais obtenus dans mes premiers essais. Je tins bon néanmoins et luttai, pendant longtemps encore, contre l'opiniâtreté de l'organe, jusqu'à ce qu'enfin, voyant la continuité de mes soins et la succession du temps n'opérer aucun changement, je me résignai à terminer là mes dernières tentatives en faveur de la parole, et j'abandonnai mon élève à un mutisme incurable.

     

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    DÉVELOPPEMENT
    DES FACULTÉS AFFECTIVES

     

     

    XLII. - Vous avez vu, Monseigneur, la civilisation, rappelant de leur profond engourdissement les facultés intellectuelles de notre Sauvage, en déterminer d'abord l'application aux objets de ses besoins, et étendre la sphère de ses idées au-delà de son existence animale. Votre Excellence va voir, dans le même ordre de développement, les facultés affectives, éveillées d'abord par le senti¬ment du besoin de l'instinct de la conservation, donner ensuite naissance à des sentiments moins intéressés, à des mouvements plus expansifs et à quelques-uns de ces sentiments généreux qui font la gloire et le bonheur du cœur humain.

    XLIII. - A son entrée dans la société, Victor, insensible à tous les soins qu'on prit d'abord de lui, et confondant l'empressement de la curiosité avec l'intérêt de la bienveillance, ne donna pendant longtemps aucun témoignage d'attention à la personne qui le soignait. S'en rapprochant quand il y était forcé par le besoin, et. s'en éloignant dès qu'il se trouvait satisfait, il ne voyait en elle que la main qui le nourrissait, et dans cette main autre chose que ce qu'elle contenait. Ainsi, sous le rapport de son existence morale, Victor était un enfant, dans les premiers jours de sa vie, lequel passe du sein de sa mère à celui de sa nourrice, et de celle-ci à une autre, sans y trouver d'autre différence que celle de la quantité ou de la qualité du liquide qui lui sert d'aliment. Ce fut avec la même indifférence que notre Sauvage, au sortir de ses forêts, vit changer à diverses reprises les personnes commises à sa garde, et qu'après avoir été accueilli, soigné et conduit à Paris par un pauvre paysan de l'Aveyron qui lui prodigua tous les témoignages d'une tendresse paternelle, il s'en vit séparer tout à coup sans peine ni regret.

     

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    XLIV. - Livré pendant les trois premiers mois de son entrée à l'Institution aux importunités des curieux oisifs de la Capitale, et de ceux qui, sous le titre spécieux d'observateurs ne l'obsédaient pas moins ; errant dans les corridors et le jardin de la maison par le temps le plus rigoureux de l'année ; croupissant dans une saleté dégoûtante ; éprouvant souvent le besoin de la faim, il se vit tout à coup, chéri, caressé par une surveillante pleine de douceur, de bonté et d'intelligence, sans que ce changement parût réveiller dans son cœur le plus faible sentiment de reconnaissance. Pour peu que l'on y réfléchisse l'on n'en sera point étonné. Que pouvaient en effet les manières les plus caressantes, les soins les plus affectueux, sur un être aussi impassible ! Et que lui importait d'être bien vêtu, être bien chauffé, commodément logé et couché mollement, à lui qui, endurci aux intempéries des saisons, insensible aux avantages de la vie sociale, ne connaissait d'autre bien que la liberté, et ne voyait qu'une prison dans le logement le plus commode.

    Pour exciter la reconnaissance, il fallait des bienfaits d'une autre espèce et de nature à être appréciés par l'être extraordinaire qui en était l'objet ; et pour cela, condescendre à ses goûts, et le rendre heureux à sa manière. Je m'attachai fidèlement à cette idée comme à l'indication principale du traitement moral de cet enfant. J'ai fait connaître quels en avaient été les premiers succès. J'ai dit, dans mon premier rapport, comment j'étais parvenu à lui faire aimer sa gouvernante et à lui rendre la vie sociale supportable. Mais cet attachement, tout vif qu'il paraissait, pouvait encore n'être considéré que comme un calcul d'égoïsme. J'eus lieu de le soupçonner quand je m'aperçus qu'après plusieurs heures et même quelques jours d'absence, Victor revenait à celle qui le soignait avec des démonstrations d'amitié, dont la vivacité avait pour mesure bien moins la longueur de l'absence que les avantages réels qu'il trouvait à son retour et les privations qu'il avait éprouvées pendant cette séparation.

    Non moins intéressé dans ses caresses, il les fit d'abord servir à manifester ses désirs bien plus qu'à témoigner sa reconnaissance de manière que si on l'observait avec soin à l'issue d'un repas copieux, Victor offrait l'affligeant spectacle d'un être que rien de ce qui l'environne n'intéresse, dès l'instant que tous ses désirs sont satisfaits. Cependant la multiplicité toujours croissante de ses besoins, rendant de plus en plus nombreux ses rapports avec nous et nos soins envers lui, ce cœur endurci s'ouvrit enfin à des sentiments non équivoques de reconnaissance et d'amitié. Parmi les traits nombreux que je puis citer comme autant de preuves de ce changement favorable, je me contenterai de rapporter les deux suivants.

    XLV. - La dernière fois qu'entraîné par d'anciennes réminiscences et sa passion pour la liberté des champs  notre Sauvage s'évada de la maison, il se dirigea du côté de Senlis et gagna la forêt d'où il ne tarda pas à sortir, chassé sans doute par la faim et l'impossibilité de pouvoir désormais se suffire à lui-même. S'étant rapproché des campagnes voisines, il tomba entre les mains de la gendarmerie qui l'arrêta comme un vagabond et le garda comme tel pendant quinze jours. Reconnu au bout de ce temps, et ramené à Paris, il fut conduit au Temple où Mme Guérin, sa surveillante, se présenta pour le réclamer. Nombre de curieux s'y étaient rassemblés pour être témoins de cette entrevue qui fut vraiment touchante. A peine Victor eut-il aperçu sa gouvernante qu'il pâlit et perdit un moment connaissance ; mais se sentant embrassé, caressé par Mme Guérin, il se ranima subitement, et manifestant sa joie par des cris aigus, par le serrement convulsif de ses mains et les traits épanouis d'une figure radieuse, il se montra, aux yeux de tous les assistants, bien moins comme un fugitif qui rentrait forcément sous la surveillance de sa garde que comme un fils affectueux qui, de son propre mouvement, viendrait se jeter dans les bras de celle qui lui donna le jour.

    XLVI. - Il ne montra pas moins de sensibilité dans sa première entrevue avec moi. Ce fut le lendemain matin du même jour. Victor était encore au lit. Dès qu'il me vit paraître, il se mit avec vivacité sur son séant, en avançant la tête et me tendant les bras. Mais voyant qu'au lieu de m'approcher je restais debout, immobile vis-à-vis de lui avec un maintien froid et une figure mécontente, il se replongea dans le lit, s'enveloppa de ses couvertures et se mit à pleurer. J'augmentai l'émotion par mes reproches, prononcés d'un ton haut et menaçant ; les pleurs redoublèrent, accompagnés de longs et profonds sanglots. Quand j'eus porté au dernier point l'excitement des facultés affectives, j'allai m'asseoir sur le lit de mon pauvre repentant. C'était toujours là le signal du pardon. Victor m'entendit, fit les premières avances de la réconciliation et tout fut oublié.

    XLVII. - Assez près de la même époque, le mari de Mme Guérin tomba malade et fut soigné hors de la maison, sans que Victor en fût instruit. Celui-ci ayant, dans ses petites attributions domestiques, celle de couvrir la table à l'heure du dîner, continua d'y placer le couvert de M. Guérin, et quoique chaque jour on le fit ôter, il ne manquait pas de le replacer le lendemain. La maladie eut une issue fâcheuse. M. Guérin y succomba, et le jour même où il mourut, son couvert fut encore remis à table. On devine l'effet que dut faire sur Mme Guérin une attention aussi déchirante pour elle. Témoin de cette scène de douleur, Victor comprit qu'il en était la cause ; et soit qu'il se bornât à penser qu'il avait mal agi, soit que pénétrant à fond le motif du désespoir de sa gouvernante, il sentit combien était inutile et déplacé le soin qu'il venait de prendre, de son propre mouvement il ôta le couvert, le reporta tristement dans l'armoire, et jamais plus ne le remit.

    XLVIII. - Voilà une affection triste, qui est entièrement du domaine de l'homme civilisé. Mais une autre qui ne l'est pas moins, c'est la morosité profonde dans laquelle tombe mon jeune élève toutes les fois que, dans le cours de nos leçons, après avoir lutté en vain, avec toutes les forces de son attention, contre quelque difficulté nouvelle, il se voit dans l'impossibilité de la surmonter. C'est alors que, pénétré du sentiment de son impuissance et touché peut-être de l'inutilité de mes efforts, je l'ai vu mouiller de ses pleurs ces caractères inintelligibles pour lui, sans qu'aucun mot de reproche, aucune menace, aucun châtiment eussent provoqué ses larmes.

    XLIX. - La civilisation, en multipliant ses affections tristes, a dû nécessairement aussi augmenter ses jouissances. Je ne parlerai point de celles qui naissent de la satisfaction de ses nouveaux besoins. Quoiqu'elles aient puissamment concouru au développement des facultés affectives, elles sont, si je puis le dire, si animales qu'elles ne peuvent être admises comme preuves directes de la sensibilité du cœur. Mais je citerai comme telles le zèle qu'il met et le plaisir qu'il trouve à obliger les personnes qu'il affectionne, et même à prévenir leur désir, dans les petits services qu'il est à portée de leur rendre. C'est ce qu'on remarque, surtout dans ses rapports avec Mme Guérin.

    Je désignerai encore, comme 1e sentiment d'une âme civilisée, la satisfaction qui se peint sur tous ses traits, et qui souvent même s'annonce par de grands éclats de rire, lorsque arrêté dans nos leçons par quelque difficulté, il vient à bout de la surmonter par ses propres forces, ou lorsque content de ses faibles progrès, je lui témoigne ma satisfaction par des éloges et des encouragements. Ce n'est pas seulement dans ses exercices qu'il se montre sensible au plaisir de bien faire, mais encore dans les moindres occupations domestiques dont il est chargé, surtout si ces occupations sont de nature à exiger un grand développement des forces musculaires. Lorsque, par exemple, on l'occupe à scier du bois, on le voit, à mesure que la scie pénètre profondément, redoubler d'ardeur et d'efforts, et se livrer, au moment où la division va s'achever, à des mouvements de joie extraordinaires, que l'on serait tenté de rapporter à un délire maniaque, s'ils ne s'expliquaient naturellement, d'un côté par le besoin du mouvement dans un être si actif, et de l'autre par la nature de cette occupation qui, en lui présentant à la fois un exercice salutaire, un mécanisme qui l'amuse et un résultat qui intéresse ses besoins, lui offre d'une manière bien évidente, la réunion de ce qui plaît à ce qui est utile.

    L. - Mais en même temps que l'âme de notre Sauvage s'ouvre à quelques-unes des jouissances de l'homme civilisé, elle ne continue pas moins à se montrer sensible à celle de sa vie primitive. C'est toujours la même passion pour la campagne, la même extase à la vue d'un beau clair de lune, d'un champ couvert de neige, et les mêmes transports au bruit d'un vent orageux. Sa passion pour la liberté des champs se trouve à la vérité tempérée par les affections sociales, et à demi satisfaite par de fréquentes promenades en plein air ; mais ce n'est encore qu'une passion mal éteinte, et il ne faut, pour la rallumer, qu'une belle soirée d'été, que la vue d'un bois fortement ombragé, ou l'interruption momentanée de ses promenades journalières. Telle fut la cause de sa dernière évasion. Mme Guérin, retenue dans son lit par des douleurs rhumatismales, ne put pendant quinze jours que dura sa maladie, conduire son élève à la promenade. Il supporta patiemment cette privation dont il voyait évidemment la cause. Mais dès que la gouvernante quitta le lit, il fit éclater sa joie qui devint plus vive encore lorsque au bout de quelques jours il vit Mme Guérin se disposer à sortir par un très beau temps ; et le voilà tout prêt à suivre sa conductrice. Elle sortit, et ne l'emmena point. Il dissimula son mécontentement, et lorsque à l'heure du dîner on l'envoya à la cuisine pour y chercher des plats, il saisit le moment où la porte cochère de la cour se trouvait ouverte pour laisser entrer une voiture, se glissa par-derrière, et se précipitant dans la rue, gagna rapide¬ment la barrière d'Enfer.

    LI. - Les changements opérés par la civilisation dans l'âme du jeune homme ne se sont pas bornés à éveiller en elle des affections et des jouissances inconnues, ils y ont fait naître aussi quelques-uns de ces sentiments qui constituaient ce que nous avons appelé la droiture du cœur : tel est le sentiment intérieur de la justice. Notre Sauvage en était si peu susceptible, au sortir de ses forêts, que longtemps après encore il fallait user de beaucoup de surveillance pour l'empêcher de se livrer à son insatiable rapacité. On devine bien cependant que, n'éprouvant alors qu'un unique besoin, celui de la faim, le but de toutes ses rapines se trouvait renfermé dans le petit nombre d'objets alimentaires qui étaient de son goût. Dans les commencements, il les prenait plutôt qu'il ne les dérobait ; et c'était avec un naturel, une aisance, une simplicité qui avaient quelque chose de touchant et retraçaient à l'âme le rêve de ces temps primitifs, où l'idée de la propriété était encore à poindre dans le cerveau de l'homme. Pour réprimer ce penchant naturel au vol, j'usai de quelques châtiments appliqués en flagrant délit.

    J'en obtins ce que la société obtient ordinairement de l'appareil effrayant de ses peines afflictives, une modification du vice, plutôt qu'une véritable correction ; aussi Victor déroba avec subtilité ce que jusque-là il s'était contenté de voler ouvertement. Je crus devoir essayer d'un autre moyen de correction ; et pour lui faire sentir plus vivement l'inconvenance de ses rapines, nous usâmes envers lui du droit de représailles. Ainsi, tantôt victime de la loi du plus fort, il voyait arracher de ses mains et manger devant ses yeux un fruit longtemps convoité, et qui souvent n'avait été que la juste récompense de sa docilité ; tantôt dépouillé d'une manière plus subtile que violente, il retrouvait ses poches vides des petites provisions qu'il y avait mises en réserve un instant auparavant.

    LII. - Ces derniers moyens de répression eurent le succès que j'en avais attendu, et mirent un terme à la rapacité de mon élève. Cette correction ne s'offrit pas cependant à mon esprit comme la preuve certaine que j'avais inspiré à mon élève le sentiment intérieur de la justice. Je sentis parfaitement que, malgré le soin que j'avais pris de donner à nos procédés toutes les formes d'un vol injuste et manifeste, il n'était pas sûr que Victor y eût vu quelque chose de plus que la punition de ses propres méfaits ; et dès lors il se trouvait corrigé par la crainte de quelques nouvelles privations, et non par le sentiment désintéressé de l'ordre moral.

    Pour éclaircir ce doute, et avoir un résultat moins équivoque, je crus devoir mettre le cœur de mon élève à l'épreuve d'une autre espèce d'injustice qui, n'ayant aucun rapport avec la nature de la faute, ne parût pas en être le châtiment mérité, et fût par là aussi odieuse que révoltante. Je choisis, pour cette expérience vraiment pénible, un jour où, tenant depuis plus de deux heures Victor occupé à nos procédés d'instruction et, satisfait également de sa docilité et de son intelligence, je n'avais que des éloges et des récompenses à lui prodiguer. Il s'y attendait sans doute, à en juger par l'air content de lui qui se peignait sur tous ses traits, comme dans toutes les attitudes de son corps. Mais quel ne fut pas son étonnement de voir qu'au lieu des récompenses accoutumées, qu'au lieu de ces manières auxquelles il avait tant de droit de s'attendre, et qu'il ne recevait jamais sans les plus vives démonstrations de joie, prenant tout à coup une figure sévère et menaçante, effaçant, avec tous les signes extérieurs du mécontentement, ce que je venais de louer et d'applaudir, dispersant dans tous les coins de sa chambre ses cahiers et ses cartons, et le saisissant enfin lui-même par le bras, je l'entraînais avec violence vers un cabinet noir qui, dans les commencements de son séjour à Paris lui avait quelquefois servi de prison. Il se laissa conduire avec résignation jusque près du seuil de la porte.

    Là, sortant tout à coup de son obéissance accoutumée, s'arc-boutant par les pieds et par les mains contre les montants de la porte, il m'opposa une résistance des plus vigoureuses et qui me flatta d'autant plus qu'elle était toute nouvelle pour lui, et que jamais, prêt à subir une pareille punition alors qu'elle était méritée, il n'avait démenti un seul instant sa soumission par l'hésitation la plus légère. J'insistai néanmoins pour voir jusqu'à quel point il porterait sa résistance, et faisant usage de toutes mes forces, je voulus l'enlever de terre pour l'entraîner dans le cabinet. Cette dernière tentative excita toute sa fureur. Outré d'indignation, rouge de colère, il se débattait dans mes bras avec une violence qui rendit pendant quelques minutes mes efforts infructueux ; mais enfin, se sentant prêt à ployer sous la loi du plus fort, il eut recours à la dernière ressource du faible ; il se jeta sur ma main, et y laissa la trace profonde de ses dents. Qu'il m'eût été doux, en ce moment, de pouvoir me faire entendre de mon élève, et de lui dire jusqu'à quel point la douleur même de sa morsure me remplissait mon âme de satisfaction et me dédommageait de toutes mes peines ! Pouvais-je m'en réjouir faiblement ? C'était un acte de vengeance bien légitime ; c'était une preuve incontestable que le sentiment du juste et de l'injuste, cette base éternelle de l'ordre social, n'était plus étranger au cœur de mon élève. En lui donnant ce sentiment, ou plutôt en en provoquant le développement, je venais d'élever l'homme sauvage à toute la hauteur de l'homme moral, par le plus tranché de ses caractères et la plus noble de ses attributions.

    LIII. - En parlant des facultés intellectuelles de notre Sauvage, je n'ai point dissimulé les obstacles qui avaient arrêté le développement de quelques-unes d'entre elles, et je me suis fait un devoir de marquer exactement toutes les lacunes de son intelligence. Fidèle au même plan dans l'histoire des affections de ce jeune homme, je dévoilerai la partie brute de son cœur avec la même fidélité que j'en ai fait voir la partie civilisée. Je ne le tairai point, quoique deve¬nu sensible à la reconnaissance et à l'amitié, quoiqu'il paraisse sentir vivement le plaisir d'être utile. Victor est resté essentiellement égoïste. Plein d'empressement et de cordialité quand les services qu'on exige de lui ne se trouvent pas en opposition avec ses besoins, il est étranger à cette obligeance qui ne calcule ni les privations, ni les sacrifices ; et le doux sentiment de la pitié est encore à naître chez lui. Si dans ses rapports avec sa gouvernante, on l'a vu quelquefois partager sa tristesse, ce n'était là qu'un acte d'imitation analogue à celui qui arrache des pleurs au jeune enfant qui voit pleurer sa mère ou sa nourrice. Pour compatir aux maux d'autrui, il faut les avoir connus, ou du moins en emprunter l'idée de notre imagination ; ce qu'on ne peut attendre d'un très jeune enfant, ou d'un être tel que Victor, étranger à toutes les peines et privations dont se composent nos souffrances morales.

     

    http://perso.orange.fr/saintsernin/Victor.jpg
    sculpture de Rémi Coudrain (le site de Rémi Coudrain)

     

    LIV. - Mais ce qui, dans le système affectif de ce jeune homme, paraît plus étonnant encore et au-dessus de toute explication, c'est son indifférence pour les femmes, au milieu des mouvements impétueux d'une puberté très prononcée. Aspirant moi-même après cette époque, comme après une source de sensations nouvelles pour mon élève et, d'observations attrayantes pour moi, épiant avec soin tous les phénomènes avant-coureurs de cette crise morale, j'attendais chaque jour qu'un souffle de ce sentiment universel qui meut et multiplie tous les êtres, vînt animer celui-ci et agrandir son existence morale. J'ai vu arriver ou plutôt éclater cette puberté tant désirée, et notre jeune Sauvage se consumer de désirs d'une violence extrême et d'une effrayante continuité, sans pressentir quel en était le but, et sans éprouver pour aucune femme le plus faible sentiment de préférence. Au lieu de cet élan expansif qui précipite un sexe vers un autre, je n'ai vu en lui qu'une sorte d'instinct aveugle, et faiblement prononcé qui, à la vérité, lui rend la société des femmes préférable à celle des hommes, mais sans que son cœur prenne aucune part à cette distinction.

    C'est ainsi que, dans une réunion de femmes, je l'ai vu plusieurs fois, cherchant auprès d'une d'entre elles un soulagement à ses anxiétés, s'asseoir à côté d'elle, lui pincer doucement la main, les bras et les genoux, et continuer jusqu'à ce que, sentant ses désirs inquiets s'accroître, au lieu de se calmer par ces bizarres caresses, et n'entrevoyant aucun terme à ses pénibles émotions, il changeait tout à coup de manières, repoussait avec humeur celle qu'il avait recherchée avec une sorte d'empressement, et s'adressait de suite à une autre avec laquelle il se comportait de la même manière. Un jour cependant il poussa ses entreprises un peu plus loin. Après avoir d'abord employé les mêmes caresses, il prit la dame par les deux mains et l'entraîna, sans y mettre pourtant de violence, dans le fond d'une alcôve.

    Là, fort embarrassé de sa contenance, offrant dans ses manières et dans l'expression extraordinaire de sa physionomie un mélange indicible de gaieté et de tristesse, de hardiesse et d'incertitude, il sollicita à plusieurs reprises les caresses de sa dame en lui présentant ses joues, tourna autour d'elle lentement et d'un air méditatif et finit enfin par s'élancer sur ses épaules, en la serrant étroitement au cou. Ce fut là tout, et ces démonstrations amoureuses finirent, comme toutes les autres, par un mouvement de dépit qui lui fit repousser l'objet de ses éphémères inclinations.

    LV. - Quoique depuis cette époque, ce malheureux jeune homme n'ait pas été moins tourmenté par l'effervescence de ses organes, il a cessé néanmoins de chercher dans ses caresses impuissantes, un soulagement à ses désirs inquiets. Mais cette résignation au lieu d'apporter un adoucissement à sa situation, n'a servi qu'à l'exaspérer, et à faire trouver à cet infortuné un motif de désespoir dans un besoin impérieux, qu'il n'espère plus satisfaire.

    Aussi lorsque, malgré le secours des bains, d'un régime calmant et d'un violent exercice, cet orage des sens vient à éclater de nouveau, il se fait de suite un changement total dans le caractère naturellement doux de ce jeune homme, et passant subitement de la tristesse à l'anxiété, et de l'anxiété à la fureur, il prend du dégoût pour ses jouissances les plus vives, soupire, verse des pleurs, pousse des cris aigus, déchire ses vêtements, et s'emporte quelquefois au point d'égratigner ou de mordre sa gouvernante. Mais alors même qu'il cède à une fureur aveugle qu'il ne peut maîtriser, il en témoigne un véritable repentir, et demande à baiser le bras ou la main qu'il vient de mordre. Dans cet état, le pouls est élevé, la figure vultueuse ; et quelquefois le sang s'écoule par le nez et par les oreilles : ce qui met fin à l'accès et en éloigne pour plus longtemps la récidive, surtout si cette hémorragie est abondante. En partant de cette observation, j'ai dû pour remédier à cet état, ne pouvant ou n'osant faire mieux, tenter l'usage de la saignée, mais non sans beaucoup de réserves, persuadé que la véritable indication est d'attiédir cette effervescence vitale, et non point de l'éteindre. Mais je dois le dire, si j'ai obtenu un peu de calme par l'emploi de ce moyen et de beaucoup d'autres qu'il serait fort inutile d'énumérer ici, cet effet n'a été que passager, et il résulte de cette continuité de désirs violents autant qu'indéterminés, un état habituel d'inquiétude et de souffrance, qui a continuellement entravé la marche de cette laborieuse éducation.

    LVI. - Telle a été cette époque critique qui promettait tant, et qui eût sans doute rempli toutes les espérances que nous y avions attachées si, au lieu de concentrer toute son activité sur les sens, elle eût ainsi animé du même feu le système moral, et porté dans ce cœur engourdi le flambeau des passions. Je ne me dissimulerai pas néanmoins, à présent que j'y ai profondément réfléchi, qu'en comptant sur ce mode de développement des phénomènes de la puberté, c'était mal à propos que j'avais dans ma pensée assimilé mon élève à un adolescent ordinaire, chez lequel l'amour des femmes précède assez souvent, ou du moins accompagne toujours, l'excitement des parties fécondantes. Cet accord de nos besoins et de nos goûts ne pouvait se rencontrer chez un être à qui l'éducation n'avait point appris à distinguer un homme d'avec une femme, et qui ne devait qu'aux seules inspirations de l'instinct d'entrevoir cette différence, sans en faire l'application à sa situation présente.

    Aussi ne doutais-je point que si l'on eût osé évoiler à ce jeune homme le secret de ses inquiétudes, et le but de ses désirs, on en eût retiré un avantage incalculable. Mais d'un autre côté, en supposant qu'il m'eût été permis de tenter une pareille expérience, n'avais-je pas à craindre de faire connaître à notre Sauvage un besoin qu'il eût cherché à satisfaire aussi publiquement que les autres et qui l'eût conduit à des actes d'une indécence révoltante ? J'ai dû m'arrêter, intimidé par la crainte d'un pareil résultat, et me résigner à voir, comme dans maintes autres circonstances, mes espérances s'évanouir comme tant d'autres devant un obstacle imprévu.

     

    Telle est, Monseigneur, l'histoire des changements survenus dans le système des facultés affectives du Sauvage de l'Aveyron. Cette section termine nécessairement tous les faits relatifs au développement de mon élève pendant l'espace de quatre années. Un grand nombre de ces faits déposent en faveur de ma perfectibilité, tandis que d'autres semblent l'infirmer. Je me suis fait un devoir de les présenter sans distinction les uns comme les autres, et de raconter avec la même vérité mes revers comme mes succès. Cette étonnante variété dans les résultats rend, en quelque façon, incertaine l'opinion qu'on peut se former de ce jeune homme et jette une sorte de désaccord dans les conséquences qui se présentent à la suite des faits exposés dans ce mémoire.

    Ainsi, en rapprochant ceux qui se trouvent disséminés dans les paragraphes VI, VII, XVIII, XX, XLI, LIII et LIV on ne peut s'empêcher d'en conclure, 1° que, par une suite de la nullité presque absolue des organes de l'ouïe et de la parole, l'éducation de ce jeune homme est encore et doit être à jamais incomplète ; 2° que, par une suite de longue inaction, les facultés intellectuelles se développent d'une manière lente et pénible ; et que ce développement qui, dans les enfants élevés en civilisation, est le fruit naturel du temps et des circonstances, est ici le résultat lent et laborieux d'une éducation toute agissante, dont les moyens les plus puissants s'usent à obtenir les plus petits effets ; 3° que les facultés affectives, sortant avec la même lenteur de leur long engourdissement, se trouvent subordonnées, dans leur application, à un profond sentiment d'égoïsme et que la puberté, au lieu de leur avoir imprimé un grand mouvement d'expansion, semble ne s'être fortement prononcée que pour prouver que s'il existe dans l'homme une relation entre les besoins de ses sens et les affections de son cœur cet accord sympathique est, comme la plupart des passions grandes et généreuses, l'heureux fruit de son éducation.

    Mais si l'on récapitule les changements heureux survenus dans l'état de ce jeune homme et particulièrement les faits consignées dans les paragraphes IX, X, XI, XII, XIV, XXI, XXV, XXVIII, XXX, XXXI, XXXII, XXXIII, XXXIV, XXXV, XXXVII, XXXVIII, XLIV, XLV, XLVI, XLVII et XLIX on ne peut manquer d'envisager son éducation sous un point de vue plus favorable et d'admettre comme conclusions rigoureusement justes, 1° que le perfectionnement de la vue et du toucher, et les nouvelles jouissances du goût, en multipliant les sensations et les idées de notre Sauvage, ont puissamment contribué au développement des facultés intellectuelles ; 2° qu'en considérant ce développement dans toute son étendue, on trouve, entre autres changements heureux, la connaissance de la valeur conventionnelle des signes de la pensée, l'application de cette connaissance à la désignation des objets et à l'énonciation de leurs qualités et de leurs actions d'où étendue des relations de l'élève avec les personnes qui l'environnent, la faculté de leur exprimer ses besoins, d'en recevoir des ordres et de faire avec elles un libre et continuel échange de pensées ; 3° que malgré son goût immodéré pour la liberté des champs et son indifférence pour la plupart des jouissances de la vie sociale, Victor se montre reconnaissant des soins qu'on prend de lui, susceptible d'une amitié caressante, sensible au plaisir de bien faire, honteux de ses méprises, et repentant de ses emportements ; 4° et qu'enfin, Monseigneur, sous quelques points de vue qu'on envisage cette longue expérience, soit qu'on la considère comme l'éducation méthodique d'un homme sauvage, soit qu'on se borne à la regarder comme le traitement physique et moral d'un de ces êtres disgraciés par la nature, rejetés par la société, et abandonnés par la médecine, les soins qu'on a pris de lui, ceux qu'on lui doit encore, les changements qui sont survenus, ceux qu'on peut espérer, la voix de l'humanité, l'intérêt qu'inspirent un abandon aussi absolu et une destinée aussi bizarre, tout recommande ce jeune homme extraordinaire à l'attention des savants, à la sollicitude de nos administrateurs et à la protection du gouvernement.

     

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    8 novembre 2006

    La notion de civilité (M. Renard)

    E.C.J.S. - notion de civilité (M. Renard)

     chevalier_et_dame_aux_oiseaux
    chevalier et dame aux oiseaux
    1305–1340, enluminure, manuscrit de Heidelberger
    (source)

     

    La notion de civilité

     

    définitions

    - citoyenneté : ensemble des règles de fonctionnement d'une communauté politique (cité de l'Antiquité, Nation d'aujourd'hui...) impliquant l'usage des droits politiques : droit de vote, droit d'être candidat, droit d'exercer des responsabilités dirigeantes...

    - civisme : attachement à la citoyenneté de son pays, à l'accomplissement des devoirs et au respect des valeurs civiques.

    - civilité : ensemble des règles et codes de vie en commun dans une société, de manière générale ; la civilité englobe la citoyenneté.

     

     

     

    Hugo_j

     

     

     

    civisme et culture,

    selon Victor Hugo

    Il n'y a pas de civisme sans culture.

    * texte de Victor Hugo :

    Les droits politiques, les fonctions de juré, d'électeur et de garde national entrent évidemment dans la constitution normale de tout membre de la cité. Tout homme du peuple est, a priori, homme de la cité.
    Cependant les droits politiques doivent, évidemment aussi sommeiller dans l'individu jusqu'à ce que l'individu sache clairement ce que c'est que des droits politiques, ce que cela signifie et ce qu'on en fait. Pour exercer, il faut comprendre. En bonne logique, l'intelligence de la chose doit toujours précéder l'action sur la chose.
    Il faut donc, on ne saurait trop insister sur ce point, éclairer le peuple pour pouvoir le constituer un jour. Et c'est un devoir sacré pour les gouvernants de se hâter de répandre la lumière dans ces masses obscures où le droit définitif repose. Tout tuteur honnête presse l'émancipation de son pupille. Multipliez donc les chemins qui mènent à l'intelligence, à la science, à l'aptitude. La Chambre, j'ai presque dit le trône (1), doit être le dernier échelon d'une échelle dont le premier échelon est une école.
    Et puis, instruire le peuple, c'est l'améliorer ; éclairer le peuple, c'est le moraliser ; lettrer le peuple, c'est le civiliser. Toute brutalité se fond au feu doux des bonnes lectures quotidiennes. Humaniores litterae. Il faut donc faire au peuple ses humanités.
    Ne demandez pas de droits pour le peuple tant que le peuple demandera des têtes.

    Victor HUGO, décembre 1830, Choses vues,
    Quarto-Gallimard, 2002, p. 69-70.

     

    (1) - les 27, 28 et 29 juillet 1830 ont eu lieu les journées révolutionnaires qui ont mis un terme à la Restauration de la monarchie des Bourbon (Louis XVII, mort en 1824 ; et Charles X) ; Louis-Philippe d'Orléans a été proclamé "roi-citoyen"

    exercice - expliquer les phrases suivantes :

    - l'intelligence de la chose doit toujours précéder l'action sur la chose
    - éclairer le peuple pour pouvoir le constituer un jour
    - Tout tuteur honnête presse l'émancipation de son pupille
    - Ne demandez pas de droits pour le peuple tant que le peuple demandera des têtes

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    liens

    citoyennete

    - la civilité (institut de formation des maîtres d'Aix-en-Provence)

    - citoyenneté et civilité (établissement Saint-Louis/Sainte-Marie de Gignac-Marignanne, Bouches-du-Rhône) : voir notamment, une liste de peines pour incivilités

    - le texte intégral du livre d'Érasme (1530) : La civilité puérile

    Portrait d'Erasme

    _______________________________________________________________

     

    deux pôles de la civilité

     

    Le cas de l'enfant sauvage, privé de toute civilité pendant des années, et celui de la cour du roi au XVIIIe siècle (film Ridicule), accumulant civilité et raffinement, peuvent être étudiés comme deux pôles de civilité : l'un tout au bas de la société, et même aux marges extérieures de celle-ci (l'enfant sauvage) ; l'autre au sommet de la société, du pouvoir et de la fortune. Mais, l'enfant sauvage, redécouvrant la société des hommes, ne semble pas avoir vraiment besoin d'elle. Et le courtisan de Versailles sous Louis XVI, coupé de la société réelle des hommes, manifestant cruauté, mépris et cynisme, semble également s'éloigner de toute réelle civilité.

     

    - dossier sur les enfants sauvages et la notion de civilité : vous y trouverez les liens vers le texte du Dr Itard sur Victor de l'Aveyron

    - dossier sur le film Ridicule (Patrice Leconte, 1996)

     

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    5 novembre 2006

    Le Jésus de l'image (M. Renard)

    cours : Naissance et diffusion du christianisme

     

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    Le Jésus de l'image



    A) une image paléochrétienne

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    un document "aveugle"

     

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    un document "renseigné" (cliquer sur l'image pour l'agrandir)

     

     

    B) une image de la Renaissance

    Diapositive2
    un document "aveugle"

     

    Diapositive1
    un document "renseigné"

     

    Diapositive3
    un espace "terrestre" dans le tableau

     

    Diapositive4
    un espace "céleste" ("l'au-delà") dans le tableau

     

    Diapositive3
    un détail : Marie et Jean l'Évangéliste

     

    Diapositive4
    un détail : l'agneau mystique (Jésus)
    dont le sang coule dans le calice

     

    Diapositive5
    un détail : le corps supplicié de Jésus

     

    _________________________________________________________________

     

    retable
    le retable d'Issenheim (Matthias Grünewald)

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    retable1
    source de ces deux illustrations

     

     

    qu'est-ce qu'un retable ?

    - définition : du latin retro et tabula, en arrière de la table d'autel ; oeuvre peinte ou sculptée, ou les deux à la fois, dressée en retrait sur la table d'autel dans une église ou une chapelle. (source)

     

    - définition : construction de pierre ou de bois, décorée de scènes peintes ou sculptées, placée en retrait et au-dessus de la table d’autel. Un triptyque est un retable à trois volets. (source : lien défectueux)

    - une explication du retable d'Issenheim

    - qu'est-ce qu'un retable ?

    M. Renard, professeur d'histoire

     

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    20 septembre 2006

    Musiques d'automne à Saint-Genest-Lerpt (2006)

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    initiation à la musique baroque : cliquer ici

    Musique d'automne à Saint-Genest-Lerpt

    le Festival 2006 (XIVe édition)

    mozart
    Mozart, 1756-1791

    MOZART en fête

    sérénades, concertos et airs d'opéras 

    du 21 septembre au 29 octobre 2006

     

     

    Sgl

     

    - le programme du festival 2006

     


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    - 21 septembre : récital de clavecin, pièces de François Couperin

    Violaine Cochard

    lycée hôtelier Renouveau - concert coktail

     

    * tarif et réservation

    contact@musiques-automne.com


     

    FoliesFrancoises

    - samedi 30 septembre : sérénades nocturnes Mozart

    ensemble les Folies Françoises

    église de Saint-Genest-Lerpt

    * les Folies Françoises

     

     

    1144083189







     

    109hm12

    * tarif et réservation

    contact@musiques-automne.com


     

    ensemble415

     

    - dimanche 8 octobre : oeuvres de divertissement : serenata notturna, cassation et concertone
    Mozart : Salzbourg, 1769-1776,
    "13 à 20 ans"

    ensemble 415

    église de Saint-Genest-Lerpt

    chiara_banchini



    - présentation de l'ensemble 415

    concertone

    Chiara Bianchini

     

     

     

     

    valentini_disque_415

     

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    Mozart_enfant

    - mercredi 18 octobre : musiques de W. A. Mozart,
    N. Porpora, J.S. Bach et C.P.E. Bach

    Mozart, un compositeur de 14 ans

    Concert spectacle commenté par
    Jérôme Correas - Les Paladins

    Les Paladins

    église de Saint-Genest-Lerpt

     

    * tarif et réservation

    contact@musiques-automne.com


     

    - dimanche 29 octobre : W. A. Mozart, musiques à la cour d'Autriche

    B000A14OYW

    Les Paladins

    Jérôme Correas

    église de Saint-Genest-Lerpt

     







    Jérôme Correas

    paladins
















    * tarif et réservation

    contact@musiques-automne.com

     


    cartestgenest

     

    opus42l












    Vous souhaitez :

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    > recevoir une plaquette de présentation du festival 2006,

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    contactez "Musiques d'Automne" à l'adresse :

     

    contact@musiques-automne.com

    * Louis Daurat, président
    louis.daurat@musiques-automne.com


    * Hervé Berthomieu, régisseur général
    hberthomieu@free.fr

    ____________________________

     

    - le festival est organisé par :

    l'association des Musiques d'Automne de Saint-Genest-Lerpt

    (loi 1901).

    FESTIVAL DES MUSIQUES D'AUTOMNE
    BP 25 - 42530 St-GENEST-LERPT

    Tél. et fax : 04 77 90 97 70 (de 9h à 18h)

     

    Diapositive1

     

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    23 janvier 2007

    Fiche de méthode à l'attention des élèves de Terminale

    Diapositive1




    La composition

    Fiche de méthode à l'attention des élèves de Terminale


    La composition est l'un des deux exercices proposés comme épreuve longue au baccalauréat. Il s'agit d'un devoir composé en vue de répondre à la problématique


    Il s'agit donc d'un texte rédigé. La nouveauté des épreuves actuelles est la suppression du fonds de carte pour la composition de géographie. En revanche, il est conseillé d'illustrer l'argumentation par des croquis géographiques, des tableaux, des organigrammes ; ces différents éléments ne sont pas conçus pour remplacer une partie de la composition, mais doivent être utilisés en tant qu'exemples.

    TheminesF2Il n'existe pas de norme pour ce qui concerne la longueur ; toutefois, un devoir qui ne pas durer moins de deux heures ne devrait pas être inférieur à six pages. En-deça, le candidat donne d'emblée l'impression qu'il n'a pas grand chose à écrire. La longueur n'est pourtant pas un caractère suffisant de qualité : un long devoir farci de passages hors-sujet et d'erreurs ne mérite pas la moyenne.




    Le sujet contient une problématique à laquelle

    il faut répondre

    Les sujets sont amples et peuvent recouper plusieurs parties du programme ou concerner des moments-clefs capitaux.
    Le sujet apparaît le plus souvent sous la forme d'une brève MONDE_06_04formule, d'au plus deux lignes. La problématique peut être exprimée très clairement, sous forme d'une phrase interrogative. Il faut cependant essayer de comprendre si la question n'est rédigée qu'implicitement, sous forme affirmative. Souvent, il suffit de transformer l'affirmation en question. Par exemple, "les Etats-Unis et le monde" peut être traduit par "Quelles sont les relations des Etats-Unis avec le reste du monde ?" Il peut arriver qu'elle soit rédigée de façon à indiquer le plan de développement ; le plus simple est dans ce cas de le respecter.

    Il est possible qu'en histoire le sujet soit accompagné d'une chronologie, en une dizaine de dates maximum. Dans cette éventualité, il faut éviter deux pièges : d'une part, se limiter à paraphraser la chronologie (une telle erreur est très sévèrement sanctionnée, parce qu'elle suggère que le candidat ne sait rien) ; d'autre part, limiter le devoir à raconter ce que l'on sait sur les faits mentionnés ; si cela est moins mauvais, cela laisse dans l'oubli l'essentiel du sujet. Quel est le but de la chronologie ? Ce n'est rien de plus qu'un aide-mémoire pour aider le candidat au début de sa réflexion, et une invitation à ne pas oublier un aspect du sujet : par exemple, la mention de la parution d'un roman dans un sujet sur l'histoire de France est une incitation à ne pas oublier l'histoire culturelle, et non un appel à n'évoquer que ce livre.
    Évidemment, il n'est pas question d'écrire la moindre ligne avant d'être certain d'avoir bien compris la problématique et défini les limites du sujet dans l'espace géographique et dans le temps.

    Il faut notamment être certain de ce qui est demandé. Exemples :

    - le sujet invite-t-il à décrire une situation à un moment donné ou à étudier une évolution (un changement, qu'il soit positif ou négatif, d'une période à l'autre) ?

    - décrire une situation signifie que tout le devoir se réfère au moment qui doit être décrit (aujourd'hui, pour les sujets de géographie). On peut faire référence au passé pour mieux comprendre le présent, mais ce rappel doit être rédigé de façon que l'on comprenne bien que le but du passage est d'expliquer l'actuel par des faits antérieurs.

    - étudier une évolution signifie que la rédaction doit être conçue pour mettre en valeur les changements d'une date à l'autre. C'est notamment le cas lorsque le sujet inclut les dates du début et de fin de la période.On peut intégrer une description d'une situation, mais à condition de bien montrer qu'il s'agit de faire le point au début de la période, à une étape-clé de l'évolution ou à la fin de la période.

    Transformer une description demandée en un récit, ou une étude d'une évolution en une description, c'est déformer le sujet et donc répondre à une autre problématique que celle à laquelle il est demandé de répondre.

    - Il faut savoir que beaucoup de sujets invitent à mettre deux éléments en relation ; c'est le cas lorsqu'ils sont relié par la conjonction "et". Dans ce cas, il faut que constamment les deux éléments soient étudiés ensemble. Il faut étudier l'influence de l'un sur l'autre en ne perdant pas de vue que l'élément situé à gauche du "et" est celui qui influe sur celui de droite (sans que soit cependant exclue une relation dans l'autre sens).AldrichCover1
    Par exemple, le sujet "la France et ses colonies" invite à étudier les relations de la France avec ses colonies, comment la France a-t-elle conquis, géré ses colonies et comment elle a réagi aux vélléités d'indépendance. Traiter dans une partie l'histoire de France et dans une autre celle de ses colonies, c'est n'avoir rien compris au sujet.

    - D'autres sujets invitent à choisir entre deux options. Par exemple : "les États-Unis d'Amérique : défenseurs de la liberté ou puissance impérialiste ?" Dans ce cas, il faut consacrer des parties à étudier la première hypothèse et la seconde, voire une uatre qui démontretrait que les arguments en faveur de l'une ne sont pas réellement convaincants. Ne pas s'interroger sur l'une des deux éventualités, c'est laisser une partie du sujet de côté. Pour convaincre, on gardera pour la dernière partie l'argumentation en faveur de l'hypothèse à laquelle on adhère après réflexion. Les situations étant rarement simples, voire simplistes, une argumentation nuancée sera appréciée du correcteur.


    Construire l'argumentation

    Tout le devoir consiste à développer une argumentation. Il ne s'agit pas de décrire pour décrire ni de raconter, mais d'utiliser des descriptions et des récits de faits pour prouver ce que l'on veut démontrer.

    L'introduction
    Elle doit être brève ; pas plus d'une demi-page dans un devoir de six. Elle doit comprendre :

    - Quelques lignes sur le contexte dans lequel s'intègre le sujet ; cela ne doit pas être le prétexte à un étalage de connaissances ; il ne s'agit que de mentionner quelques faits généraux qui aident à comprendre le cadre géographique et/ou historique.

    - La présentation de la problématique. C'ets indispensable, et à exprimer le plus clairement possible. C'est souvent en lisant ce point (ou en constatant son absence) que le correcteur sait si le candidat a compris le sujet ou non.

    - Les limites du sujet : son cadre géographique et la période à étudier. Si un sujet d'histoire comprend des dates, il faut brièvement expliquer pourquoi elles sont importantes (par exemple, 1945 : c'est la fin de la Seconde Guerre mondiale, donc une date-charnière).

    Le développement
    C'est le développement qui contient l'argumentation. Préparé au brouillon, le plan doit être structuré rigoureusement de façon que le correcteur puisse suivre sans effort le cheminement du raisonnement. Il faut concevoir chaque partie et chaque sous-partie comme des éléments de réponse à la question posée dans la problématique. Si à la lecture de l'une le correcteur n'a pas vu la relation entre ce qui est écrit et la problématique, c'est que la (sous-)partie est hors-sujet.

    On ne consacrera pas une partie au contexte : c'est l'environnement du sujet et non le sujet lui-même. On peut éventuellement indiquer quelques éléments de contexte au début pour bien cadrer la partie dans l'espace et dans le temps, mais il faut se souvenir que la place du contexte est dans l'introduction.

    Le plan doit apparaître au premier regard du correcteur sur la copie : on change de ligne en passant d'une sous-partie à la suivante. On fait de même et on passe une ligne pour aller d'une partie à l'autre. Ne pas laisser de trop larges espaces blancs entre deux parties : celui nuit à l'impression d'unité que le devoir doit donner.

    Chaque partie doit se présenter ainsi :

    - obligatoirement, la ou les premières phrases annoncent à l'avance ce qui sera démontré.

    - ensuite, on développe l'argumentation, en y intégrant les récits, les descriptions, les croquis, tableaux ou organigrammes qui l'illustrent.

    - la partie s'achève par une ou deux phrases qui font le bilan de ce qui y a été démontré et qui font la transition avec la suite.

    La conclusion
    Elle doit être brève, mais soignée : c'est elle qui laisse le correcteur la dernière bonne ou mauvaise impression.
    Elle fait le bilan de ce qui a été démontré, exprime le choix final que l'on a fait en matière d'alternative.
    Elle s'achève par un élargissement par rapport au cadre géographique et/ou chronologique. Si le sujet concernait le monde méditerranéen, on peut esquisser une comparaison avec d'autres interfaces Nord-Sud. Si le sujet s'arrête en 1991, on peut mentionner les grandes lignes de ce qui s'est produit ensuite...


    Bien rédiger

    Est-il besoin d'insister sur la nécessité de bien rédiger, clairement, l'ensemble du devoir ? Si vous ne comprenez rien après la lecture de quelques pages d'un livre, vous ne continuez pas plus loin. Le correcteur s'efforcera de tout lire, mais se donner du mal à comprendre l'empêche d'adhérer à une argumentation qui est obscure.

    Il faut évidemment construire des phrases qui respectent les règles de la syntaxe ; on n'utilisera pas le style télégraphique, ni le langage SMS. Ne se servir que des abréviations officielles (S.N.C.F., P.N.B., U.R.S.S.), et non celles que vous avez inventées : si pour vous "pdt" signifie "président", pour moi c'est peut-être "pomme de terre".

    Mais bien rédiger, c'est aussi construire chaque phrase et choisir chaque mot de façon à ce que le lecteur comprenne que tout répond à la problématique. Deux phrases contenant les mêmes connaissances peuvent être, l'une tout-à-fait dans le sujet, l'autre complètement en dehors, selon la façon de construire la phrase et le choix des mots.


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    2 février 2007

    Pas de "dessus" ni de "dessous" en géographie

    longitude




    il n'y a pas de "dessus" ni de "dessous"

    en géographie



    Il n'y a ni "haut" ni "bas", ni "dessus" ni "dessous", ni "droite" ni "gauche" en géographie. Situer un point sur le globe, c'est :

    - d'une manière absolue : fournir ses coordonnées géographiques (latitude Nord ou Sud et longitude Est ou Ouest)

    - d'une manière relative : indiquer sa place par rapport à d'autres points ou espaces connus ; on dit alors "il est au sud de..." ou "à l'est de...", etc.


    Diapositive1



    world map latitude longitude lat long projection




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    23 novembre 2008

    Professeurs d'Histoire

    Cabinet_Histoire_4
    le cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois à Saint-Chamond



    Professeurs d'Histoire

     

    accès direct aux pages des professeurs

    - Mme Goy

    - Mme Thomas-Coutru

    - Mme Reynaud

    - Mme Bouligaud

    - M. Bouderlique

    - M. DegraixFran_oise_Bouligaud_prof

    - M. Renard 
                 

     

    Val_rie_Goy



    Mme BOULIGAUD Françoise - ses pages

    Mme GOY Valérie - ses pages

     

     

    Laurence_Reynaud

    Mme REYNAUD Laurence - ses pages

     

     

    Mme THOMAS-COUTRU Chantal - ses pagesPierre_Luc_2

     

     

     

    M. BOUDERLIQUE Pierre-Luc
    ses pages

    M. DEGRAIX Jean-Luc - ses pages

    Jean_Luc_Degraix_4_d_c

    MR___Port_Cros___copie






    M. RENARD Michel
    1) ses pages pédagogiques

    2) ses pages personnelles

     

    cabinet_d_histoire_21_nov_2008__2_
    vendredi 21 novembre 2008 : Mme Goy et M. Degraix

     

    ___________________________________________________

     

    Cabinet_Histoire_1
    cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois, juin 2008

     

    Cabinet_Histoire_2
    cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois, juin 2008

     

    Cabinet_Histoire_3
    cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois, juin 2008

     

    Cabinet_Histoire_5
    cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois, juin 2008

     

     

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    nos prédécesseurs dans la carrière...

     

     

    couv4635g
    un célèbre professeur d'Histoire...
    Michelet (1798-1874)

     

    biblio
    bibliothèque des professeurs du lycée Louis Le Grand à Paris

     

    che_20_clg_1936_professeurs
    professeurs du lycée Geoffroy-Saint-Hilaire à Étampes en 1936

     

    reunion
    salle des professeurs du lycée Loritz à Nancy en 1911



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    18 septembre 2006

    chronologie napoléonienne

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    chronologie napoléonienne


    1769

    15 août

    Naissance de Napoléon

    Celui qui devait devenir l'Empereur de France voit le jour le 15 août 1769 à Ajaccio.

    1795

    5 octobre

    Première intervention de Bonaparte

    Le commandant en chef de l'armée de l'intérieur, Paul Barras, fait appel au jeune et inconnu général Napoléon Bonaparte pour réprimer une insurrection royaliste à Paris. Mécontents des dispositions prises par la Convention "thermidorienne", qui visent à empêcher une restauration de la monarchie, les royalistes se révoltent. Une partie de la garde nationale et un groupe de sans-culottes prennent les armes. Mais la répression et trop forte ce 13 vendémiaire de l'an IV, Bonaparte mitraille les insurgés royalistes sur les marches de l'église Saint Roch, au coeur de Paris. Choisi par Barras sur les conseils de sa maîtresse, Joséphine de Beauharnais, l'action du futur empereur ce jour-là lui vaudra la main de la belle Joséphine en mars 1796 et le commandement de l'armée d'Italie.

    1795

    26 octobre

    Début du Directoire

    La Constitution de l'an III est votée par les thermidoriens. Elle met fin à la Convention et instaure le Directoire. Le nouveau pouvoir exécutif est composé de deux assemblées : les Cinq-cent et les Anciens. Cependant les deux tiers des députés sont choisis parmi les conventionnels. Le général Bonaparte prend la place de Barras et devient commandant en chef des armées de l'intérieur.

    1796

    9 mars

    Mariage de Napoléon Bonaparte 

    Le général Bonaparte épouse civilement Joséphine de Beauharnais à la mairie du IIème arrondissement de Paris. Joséphine est créole, elle a grandi en Martinique puis s'est mariée une première fois en métropole en 1779. Son défunt mari, le général Alexandre de Beauharnais, lui a donné deux enfants, Hortense et Eugène. Deux jours après son union, Napoléon Bonaparte partit rejoindre son commandement à Nice.

    1796

    17 novembre

    Bonaparte victorieux à Arcole

    Bonaparte, commandant en chef de l'armée d'Italie, vainc les Autrichiens commandés par le maréchal Alvinczy à Arcole (Italie). Après deux jours de combats indécis, Bonaparte entraîne ses troupes et franchit le pont d'Arcole sous une grêle de balles. La campagne d'Italie s'achèva avec la capitulation de l'armée autrichienne à Mantoue (2 février 1797) et le traité de Campoformio entre la France et l'Autriche (18 octobre 1797).

    1797

    18 octobre

    Signature du traité de Campo Formio

    La France impose à l'Autriche de signer le traité de Campoformio. Il met fin à la campagne d'Italie menée par le jeune général Bonaparte et partage la république de Venise entre les deux puissances européennes. Cet accord a aussi le mérite d'apporter la paix à un continent en guerre depuis cinq ans, mais ce ne sera que de courte durée.

    1798

    21 juillet

    Bataille des pyramides

    Le général Napoléon Bonaparte qui conduit la campagne d'Égypte, bat les cavaliers mamelouks non loin des pyramides de Gizeh. Les troupes de Mourad Bey, surprises par les tirs d'infanterie se retirent rapidement et l'affrontement ne dure pas plus de deux heures. Victorieux, Bonaparte va régner sur l'Égypte tel un vizir jusqu'à l'intervention de la flotte britannique en 1801, qui le chassera définitivement de la région.

    1798

    1 août

    La flotte française détruite à Aboukir
    En rade d'Aboukir (Egypte), la flotte française commandée par l'amiral Brueys d'Aigaïlliers est battue par la flotte britannique sous les ordres de l'amiral Nelson. Seuls quatre vaisseaux sur une vingtaine réussissent à s'échapper. La flotte française venait de débarquer en Egypte le corps expéditionnaire du général Napoléon Bonaparte. Celui-ci est alors bloqué en Egypte. Napoléon Bonaparte rentra secrètement un an plus tard. Le général Ménou signa avec les Britanniques un accord d'évacuation des troupes françaises trois ans plus tard. Ce fut la fin de la campagne d'Egypte.

    1799

    8 octobre

    Bonaparte rentre d'Egypte
    Quatre frégates (la "Muiron", la "Carrère", "l'Alerte" et "l'Indépendant") mouillent devant Fréjus : à leur bord, le général Bonaparte de retour d'Egypte avec les généraux Duroc, Lannes, Marmont, Murat et Berthier. Les quatre bateaux avaient quitté Alexandrie le 22 août et fait un long détour pour éviter les navires britanniques. Les difficultés que rencontre le Directoire et l'enlisement des armées françaises en Egypte ont poussé l'ambitieux général à précipiter son retour en France.

    1799

    9 novembre

    Coup d'Etat du 18 Brumaire

    De retour de sa campagne d'Egypte, Bonaparte décide avec l'aide de son frère Lucien, président du Directoire et de Sieyès de "sauver la République" menacée par les royalistes et un retour de Louis XVIII. Le Directoire est réuni au château de Saint-Cloud. Les députés se refusent dans un premier temps à modifier la Constitution en faveur du général Bonaparte. C'est par la force qu'ils acceptent de nommer un gouvernement provisoire en la personne de trois Consuls, Napoléon Bonaparte, Emmanuel Joseph Sieyès et Roger Ducos. Bonaparte devient très vite Premier Consul et la réalité des pouvoirs lui sont octroyés. L'image d'un dictateur se profile.

    1799

    13 décembre

    Naissance du Consulat

    Le texte définitif de la nouvelle Constitution, dite Constitution de l'an VIII, est promulgué. Rédigée par Daunou, elle affaiblit le pouvoir législatif et renforce le pouvoir exécutif qui sera détenu par trois consuls nommés par le Sénat pour une période de 10 ans. Bonaparte, Cambacérès et Lebrun sont élus consuls, mais seul Bonaparte détiendra la réalité du pouvoir. En instaurant le "Consulat", la Constitution de l'an VIII met un terme définitif à la Révolution.

    1800

    18 janvier

    Création de la Banque de France

    Dans le but de relancer l'économie et d'augmenter la quantité de monnaie en circulation, le premier consul Napoléon Bonaparte, édite un décret stipulant la création de la Banque de France. L'établissement installe son siège à l'hôtel de Toulouse à Paris et reçoit 30 millions de francs pour amorcer son activité. La banque de France compte parmi ses principaux clients des banques commerciales qui prêtent de l'argent aux particuliers et qui elles-mêmes empruntent à la Banque de France. Le privilège d'émission des billets limité à la capitale s'étendit à toute la France à partir de 1848.

    1800

    24 décembre

    Attentat manqué contre Napoléon

    Une machine infernale explose au passage de la voiture de Napoléon Bonaparte, rue Saint-Nicaise à Paris. Le Premier Consul est épargné, mais les tonneaux remplis de poudre tuent quatre passants et en blessent soixante autres. Après avoir fait arrêter et déporter 130 jacobins, l'enquête révèlera que l'attentat a été perpétré par des Chouans groupés autour du comte d'Artois, d'Angleterre.

    1801

    9 février

    Paix de Lunéville

    La France du Premier Consul Napoléon Bonaparte et l'Autriche de l'empereur François II signent un traité de paix à Lunéville qui confirme (et renforce) les clauses du traité de Campoformio (17 octobre 1797). La rive gauche du Rhin revient définitivement à la France ainsi que la Belgique. L'Autriche est évincée d'Italie. Elle ne conserve que la Vénétie tandis que le Piémont et Gênes sont soumis à l'influence française.

    1802

    19 mai

    Création de la Légion d'honneur

    Le Premier Consul Napoléon Bonaparte crée par décret l'Ordre de la Légion d'honneur pour récompenser les actions civiles et militaires. Aux républicains qui l'interpellent sur le bien-fondé de ces décorations, il rétorque : "C'est avec ces hochets qu'on mène les hommes". La décoration est réalisée à partir d'un dessin de David, sur une maquette de Challiot : c'est une étoile à 5 rayons doubles dont le centre est entouré d'une couronne de lauriers. Sous la Restauration, les grades prendront leur appellation définitive : chevalier, officier, commandeur, grand officier et grand-croix.

    1802

    2 août

    Napoléon devient consul à vie

    Après la paix d'Amiens (25 mars 1802) avec l'Angleterre, le Premier consul Napoléon Bonaparte, au faîte de sa popularité, décide d'en appeler au peuple et de se faire élire consul à vie. Il obtient 3 500 000 voix, contre 8 400, en faveur de sa proposition. Le Sénat ratifie alors la Constitution de l'an X qui consacre la toute puissance de Napoléon Bonaparte. Il se fit proclamer empereur des Français deux ans plus tard.

    1803

    28 mars

    Création du Franc Germinal

    Le consul Napoléon Bonaparte crée le franc germinal par la loi du 7 Germinal an XI. La nouvelle pièce de un franc contient 4,5 grammes d'argent pur et 9/10ème d'or fin. Une pièce de 20 francs en or voit aussi le jour. Elle est baptisée Napoléon. Le franc germinal resta en vigueur jusqu'en 1914.

    1804

    21 mars

    Assassinat du Duc d'Enghien

    Souhaitant mettre un terme à toute velléité de complot chez les royalistes, Napoléon fait enlever le duc d’Enghien émigré en Allemagne. Sommairement jugé par un conseil de guerre, le duc [dernier descendant de la maison de Condé] est exécuté sur le champ. Méprisant le droit international pour exécuter dans l’ombre un danger certainement inexistant, Napoléon Bonaparte provoque le scandale. Toutes les cours d’Europe, ainsi que de nombreux penseurs, condamneront cette action.

    1804

    21 mars

    Publication du Code Civil

    La loi du 30 ventôse an XII instaure le Code civil. Voulu par le Premier consul Napoléon Bonaparte, ce recueil de textes établit un arsenal juridique unique qui s'applique sur tout le territoire et pour tous les Français. S'inspirant du droit révolutionnaire et du droit romain, le Code Civil consacre les grands principes de la Révolution-: liberté de la personne, liberté et sûreté de la propriété, abolition de la féodalité, laïcité, etc. Les femmes ne bénéficient pourtant pas des mêmes droits que les hommes. En effet, l'accent est mis sur leur "incapacité civile".

    1804

    2 décembre

    Bonaparte devient empereur des Français      

    À 35 ans, le premier Consul, le général Napoléon Bonaparte, est sacré empereur des Français par le Pape Pie VII et devient Napoléon Ier. À l'issue de la cérémonie religieuse, qui se déroule en la cathédrale Notre-Dame, le nouveau souverain se couronne lui-même et couronne également son épouse Joséphine de Beauharnais. Il prête serment aux principes de liberté et d'égalité hérités de la Révolution. Pendant deux semaines les festivités continuèrent dans la capitale. Le règne de Napoléon Ier dura jusqu'en 1814.

    1805

    21 octobre

    Bataille navale de Trafalgar      

    Alors qu'il revenait de Martinique, le commandant de la flotte française, l'amiral Villeneuve, se fait surprendre par les anglais au large de l'Espagne. Il fait mettre ses navires à l'abri dans la rade de Cadix, mais l'empereur Napoléon, lui ordonne d'en sortir et d'affronter les Britanniques emmenée par Horatio Nelson. La flotte franco-espagnole est anéantie par les navires canonniers des anglais. L'amiral Nelson trouvera la mort dans ce combat. Trafalgar est la plus désastreuse bataille navale de l'histoire de France. Villeneuve fait prisonnier par les Anglais, fut libéré en avril 1806 et se suicida.

    1805

    2 décembre

    Victoire d'Austerlitz      

    Un an jour pour jour après son avènement sur le trône de France, Napoléon remporte une bataille décisive lors de la campagne de Prusse près du village d'Austerlitz. Feignant un repli, il parvient à tromper les troupes de François II d'Autriche et d'Alexandre Ier, Tsar de toutes les Russies. Les forces autro-russes composées de 90 000 hommes, perdent 30 000 soldats. La France quant à elle ne dénombre que 7000 pertes sur 73 000 hommes. Avec la paix de Presbourg signée entre les trois empereurs (France, Autriche et Russie), la France se voit céder la Vénétie et la Bavière par François II.

    1805

    26 décembre

    Signature de la paix de Presbourg      

    Suite à la campagne d'Autriche et l'écrasante victoire française à Austerlitz, les autrichiens signent la paix de Presbourg avec la France. Par ce traité l'Autriche cède la Vénétie, l'Istrie et la Dalmatie à l'Italie. Elle est également contrainte de céder ses possessions allemandes à la Bavière et au Wurtemberg et doit payer une indemnité de guerre de 50 millions de florins. Empereur François II. Une clause secrète de l'accord stipule que l'empereur autrichien, François II, renonce à son titre d'empereur du Saint Empire romain germanique.

    1805

    30 décembre

    Napoléon  change de nom
          

    Après l'éclatante victoire des armées napoléoniennes à Austerlitz le 2 décembre, le Tribunat soumet une proposition à l'empereur pour que ce dernier se fasse désormais appeler "Le Grand". Napoléon 1er accepte et devient Napoléon le Grand.

    1806

    14 octobre

    Victoire de Iéna      

    Pendant la campagne de Prusse, la Grande Armée de Napoléon écrase l'armée Prussienne commandée par le prince de Hohenlohe. La veille le général français Davout avait également battu les prussiens au Nord de Iéna, à Auerstedt. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume ordonne lui-même la retraite de ses hommes à la fin de la journée. Après ces deux défaites son armée est réduite à néant. Napoléon victorieux, rentra dans Berlin le 27 octobre.

    1807

    7 juillet

    Traité de Tilsit      

    Napoléon Ier et le tsar de Russie Alexandre Ier signent le traité de paix de Tilsit (Russie) à la suite de la victoire française de Friedland en juin. La Russie s'engage à jouer un rôle de médiateur avec l'Angleterre. Elle doit persuader les Britanniques de restituer à la France les colonies qu'elle occupe sous peine de déclaration de guerre. En échange le tsar s'empare de la Finlande et de la Suède et se partage avec Napoléon l'Empire ottoman.

    1808

    2 mai

    Madrid se révolte contre les Français      

    Les habitants de Madrid se soulèvent contre l'occupant français. L'empereur Napoléon 1er veut chasser les Bourbons d'Espagne et donner le trône à son frère, Joseph Bonaparte. La foule madrilène, opposée à ce changement, s'en prend aux troupes du maréchal Joachim Murat. La répression, le lendemain, est impitoyable. Mais les exécutions sommaires, les pillages et les viols n'empêchent pas la révolte de s'étendre à tout le pays. Le peintre Francisco de Goya illustrera cette rébellion dans deux tableaux célèbres : "Dos de mayo" et "Tres de mayo".

    1808

    22 juillet

    Les Français chassés d'Espagne      

    Encerclés par 17 000 soldats espagnols depuis trois jours, les troupes napoléoniennes commandées par Dupont capitulent à Bailen en Andalousie. Pour la première fois, une junte insurrectionnelle s'est soulevée contre l'occupant français et les armées de l'empereur sont mises en échec. Joseph Bonaparte doit quitter Madrid précipitamment le 30 et se réfugier derrière l'Ebre. La nouvelle de la déroute française en Espagne fait grand bruit dans toute l'Europe.

    1809

    6 juillet

    Bataille de Wagram      

    Après deux jours de combats, les Autrichiens sont battus à Wagram au nord-est de Vienne par les troupes de Napoléon Ier. La bataille est remportée in extremis par une Grande armée composée surtout de jeunes soldats étrangers et inexpérimentés. L'archiduc Charles réussit à s'échapper. Il ne demanda l'armistice que le 12 juillet. À l'issue de la bataille, la maréchal Berthier est fait prince de Wagram et les généraux Oudinot, Marmont et Macdonald deviennent maréchaux.

    1809

    15 décembre

    Napoléon divorce d'avec Joséphine      

    L'empereur Napoléon Ier divorce de Joséphine, épousée 13 ans plus tôt, pour raison d'État. Le 2 avril 1810, il épousera, à 40 ans, Marie-Louise, 18 ans, fille de l'empereur d'Autriche François Ier et petite-nièce de la reine Marie-Antoinnette. Napoléon Ier voit dans ce remariage une ardente nécessité : obtenir l'héritier que Joséphine, la première impératrice, ne lui a pas donné et unir sa dynastie naissante aux familles régnantes d'Europe.

    1810

    1er avril

    Napoléon Ier épouse Marie-Louise d'Autriche      

    Le mariage civil de Napoléon Ier et de Marie-Louise d'Autriche, fille de l'empereur François II, est célébré à Saint-Cloud. Le mariage religieux aura lieu le lendemain dans le salon carré du palais du Louvre. A 41 ans, Bonaparte jubile en devenant l'époux d'une princesse d'Europe âgée de 19 ans issue de la famille des Habsbourg. Le peuple de France voit au contraire d'un mauvais œil cette alliance avec une descendante de Marie-Antoinette "l'Autrichienne".

    1811

    20 mars

    Naissance de l'héritier de Napoléon      

    L'impératrice Marie-Louise d'Autriche donne naissance dans la soirée à François Charles Joseph Bonaparte. L'héritier de l'empire prend le titre de roi de Rome. Le lendemain, Napoléon Ier fit tirer 100 coups de canon pour célébrer la naissance de son fils. Il fut baptisé à Notre-dame de Paris, le 9 juin.

    1812

    24 juin

    Le début de la campagne de Russie      

    La Grande Armée de l'empereur Napoléon 1er traverse le Niémen et force les frontières de l'empire du tsar Nicolas 1er. Les troupes napoléoniennes, fortes de près de 700 000 hommes, pénètrèrent sans difficulté à l'intérieur de la Russie jusqu'à Moscou. Mais, face à la résistance moscovite et au refus des Russes de négocier, Napoléon ordonna la retraite. Cette opération tourna au désastre en raison de la rigueur de l'hiver et du manque de ravitaillement. Le 30 décembre, l'armée, réduite à environ 50 000 hommes, repassa le Niémen...

    1812

    14 sept

    Napoléon entre dans Moscou      

    Après avoir vaincu les Russes à Borodino le 7 septembre, l'Empereur pénètre sans aucune difficulté dans Moscou. Il trouve la capitale Russe déserte. Dès le lendemain, elle fut ravagée par un gigantesque incendie sans doute allumé à l'instigation du gouverneur de la ville.

    1813

    19 octobre

    Fin de la bataille des Nations      

    Au terme d'une bataille acharnée qui a duré trois jours, l'armée napoléonienne s'incline face aux alliés (Prusse, Russie, Angleterre, Autriche, Suède, Bavière). Napoléon est obligé de battre en retraite sur le Rhin et franchit le pont de Lindenau avant qu'il ne soit détruit. La défaite de l'empereur marque les premiers signes de faiblesse de son pouvoir. Dès le départ de la Grande Armée, l'Allemagne est libérée. L'occupation française est terminée.

    1814

    6 avril

    Napoléon Ier abdique      

    L'Empereur signe son abdication inconditionnelle au château de Fontainebleau. Les coalisés (Angleterre, Autriche et la Russie) lui accorde la souveraineté de l'île d'Elbe ainsi qu'une rente annuelle de 2 millions. Le Sénat, qui a voté la déchéance de Napoléon Ier, adopte une nouvelle Constitution et proclame Louis XVIII "roi des Français". Le 20 avril, l'empereur déchu fit ses adieux à la garde impériale et fut transféré vers son île-prison d'Elbe. Il réussit à s'en échapper le 26 février 1815.

    1814

    4 mai

    Napoléon 1er débarque sur l'île d'Elbe      

    Napoléon 1er arrive à Portoferraio, sur l'île d'Elbe située à l'ouest de l'Italie. Il y séjournera jusqu'à son retour en France, le 26 février 1815. À la chute de l'Empire, le traité de Fontainebleau (11 avril 1814) a accordé la souveraineté pleine et entière de l'île à l'empereur Napoléon qui l'a conquise en 1802. L'île devint partie intégrante de l'Italie en 1860.

    1815

    1er mars

    Napoléon regagne la France      

    Evadé de son île-prison" d'Elbe le 26 février, l'empereur déchu débarque en France au Golfe-Juan en compagnie de 1 100 hommes de la vieille garde et de la garde corse. Son objectif est de reconquérir le pouvoir en marchant vers Paris. Partout où il passe la foule l'acclame. Les généraux et les soldats dépêchés par Louis XVIII pour le stopper se rallient à lui. Le 7, Napoléon fera une entrée triomphale dans Grenoble. Le 20, il atteint Paris et forme un nouveau gouvernement. La dernière période de règne de l'empereur dura cent jours.

    1815

    5 mars

    Arrivée triomphante de Napoléon à Grenoble

    Arrivé cinq jours plus tôt en France à la tête d’environ huit cents hommes, Napoléon fait face au Cinquième Régiment d’infanterie à l’entrée de Grenoble. Mais cette confrontation n’aboutit à aucun combat. Au contraire, le Régiment fait le choix de l’Empereur déchu et l’accompagne pour une entrée triomphante à Grenoble. Malgré les concessions de Louis XVIII, le retour de la Monarchie dans les fourgons de l’étranger à peine un an plus tôt n’a pas la faveur du peuple. Napoléon peut marcher sur Paris sans rencontrer de véritable résistance.

    1815

    22 avril

    Napoléon promulgue l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire

    Inspiré de la Charte octroyée par Louis XVIII en 1814, l’Acte additionnel est une tentative de Napoléon pour rallier massivement les libéraux. Rédigé par un ancien opposant de l’Empereur, Benjamin Constant, il ne convainc pas vraiment. Toutefois, il obtient suffisamment de voix pour être accepté. Un des principaux reproches fait à ce texte est qu’il ne restaure pas le suffrage universel.

    1815

    18 juin

    Waterloo, morne plaine

    Les troupes britanniques de Wellington et les troupes prussiennes de Blücher remportent une victoire décisive sur l'armée de Napoléon Ier à Waterloo au sud de Bruxelles. L'Empereur fatigué multiplie les erreurs tactiques. Cette défaite provoquera la chute de l'Empire napoléonien. Louis XVIII, qui avait fuit Paris lors du retour de Napoléon de l'île d'Elbe, reprendra le trône.

    1815

    15 octobre

    Napoléon débarque à Sainte-Hélène

    Après 72 jours de traversée à bord du "Northumberland", l'Empereur, prisonnier des anglais, arrive sur l'île britannique de Sainte-Hélène dans l'Atlantique sud. L'île deviendra sa prison pendant six années. En regardant les contours lugubres de Sainte-Hélène il déclare " Ce n'est pas un joli séjour." Il mourut dans sa résidence de Longwood le 5 mai 1821.

    1821

    5 mai

    Napoléon s'éteint à Sainte-Hélène

    L'ex-empereur Napoléon Ier, 52 ans, meurt dans sa pauvre maison de Longwood à Sainte-Hélène, un îlot perdu au milieu de l'Atlantique sud où l'ont exilé les Anglais en 1815 après la défaite de Waterloo. Selon le rapport d'autopsie publié par le gouverneur britannique de l'île, sa mort aurait été provoquée par un cancer de l'estomac. Pendant ses 2 000 jours d'exil, l'ex-empereur a peaufiné sa légende en se confiant au comte de Las Cases qui publia ses notes l'année suivante sous le titre Le Mémorial de Sainte-Hélène.

    1840

    15 décembre

    Les cendres de Napoléon Ier aux Invalides

    C'est au centre de l'église du dôme des Invalides qu'est creusée la crypte, large de 15 mètres et profonde de 6 mètres, appelée à recevoir le sarcophage contenant les restes mortels de Napoléon Ier, après que la France et l'Angleterre se soient entendues sur leur retour de l'île de Sainte-Hélène. C'est Louis XIV qui est à l'origine de l'édification de l'Hôtel des Invalides destiné à soigner et loger les soldats. Dans des chapelles annexes reposent des membres de la famille impériale et des généraux de l'empereur.

    source (avec quelques corrections de style et d'orthographe)

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    20 janvier 2007

    Ousâma, un prince syrien face aux croisés

    syria_shayzar_castle
    le site du château de Chayzar sur l'Oronte (Syrie) (source)





    Ousâma, un prince syrien face aux croisés


    http://www.1186-583.org/IMG/jpg/wa.jpg
    image du Warqa wa Gulsha (Anatolie, vers 1225)


    Je suis né en 488, le vingt-septième jour de joumâdâ, à Chayzar, soit le 4 juillet 1095 de l'ère chrétienne. Le château de mes pères domine la gorge où coule l'Oronte, la plus belle rivière de la Syrie du Nord. En aval, il s'attarde dans les marais du Ghâb, avant de gagner Antioche et la mer. Notre pays, comme je devais l'apprendre ensuite, commande la route des envahisseurs. Non pas ceux qui choisirent de longer la côte, à l'ouest, comme le fit Alexandre, mais, avant lui, les Pharaons venus du Sud. Ou encore les Francs, ceux de ma jeunesse. Après les rois successeurs d'Alexandre, après les Roum [les Byzantins], Chayzar est devenue, dans la joie, musulmane. C'était en l'an 17 de l'Hégire (638 pour les chrétiens). De dynastie en dynastie, et toujours au péril des Roum, qui la reprirent par deux fois, elle passa aux mains de notre famille, les Arabes descendants de Mounqidh. En l'an 474, le quinze du mois de rajab (19 décembre 1081), mon grand-père, Sadîd al-Moulk Alî, s'installait à Chayzar.
    Du château, la vue plonge sur la rivière et sur le pont, gardé par une citadelle qui surveille aussi les maisons de nos laboureurs, bergers et artisans. Pour les défendre contre les Francs, nous dûmes, elles aussi, les ceindre d'un rempart : j'avais, je crois, un peu plus de trente ans quand je les vis construire. Le bruit de la ville basse monte jusqu'à notre muraille, mais il meurt là, dans les chicanes de la grande entrée fortifiée. Une autre vie, alors, prend le relais, celle de notre famille, des centaines de gens, hommes et femmes, et aussi l'armée des servantes, des écuyers, des domestiques. Sans oublier les bêtes : les chevaux, une vingtaine de gazelles, les chameaux, moutons et chèvres, la basse-cour et tous les auxiliaires de la chasse, les belettes, les rapaces sur leurs perchoirs, les chiens et, dans un coin de la cour, le guépard favori de mon père.

    André Miquel trad., Ousâma, un prince syrien face aux croisés, Fayard, 1986, p. 19-20.



    ous_ma_couv



    le pays de Ousâma, prince syrien : l'Oronte

    L'image “http://regardsolitaires.free.fr/2004/09/liban/oronte.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.


    hama_noria_09
    Hama  (Syrie), une noria sur l'Oronte (source)


    hama_noria_08
    Hama  (Syrie), une noria sur l'Oronte (source)


    http://www.medea.be/pics/Hama.jpg
    Hama (Syrie)


    http://www.postcardman.net/43128.jpg




    le pays de Ousâma, prince syrien : le château de Chayzar (ou Shayzar)


    campagne de restauration en 2004



    campagne de restauration en 2004

     


    (source)



    (source)


    2004
    (source)


    la guerre du temps de Ousâma, prince syrien

    croisade_1
    premiers croisés



    croisade
    les croisés prennent Jérusalem







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    16 mars 2007

    anciennes représentations de l'Europe

    europe_carte_physique
    carte de l'Europe physique



    anciennes représentations

    cartographiques de l'Europe



    mappheca
    Mappemonde d'Hécatée (un Grec de Milet), vers 500 av. JC



    11500172
    Europe et Méditerranée d'après Jean de Carignan (ca. 1200).
    Les deux tracés, celui de la carte de fond (canevas de Mercator) et celui
    de la carte de Jean de Carignan, dont les terres émergées sont recouvertes
    d'un grisé de hachures, ont été superposées en prenant Lisbonne et
    l'angle sud-oriental de la Méditerranée comme repères.
    (cliquer sur l'image pour la faire apparaître correctement)



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    22 mars 2008

    blog de Cédric, élève de 1ère STG

    statue_de_la_liberte_new_york



    blog de Cédric sur les États-Unis


    Le blog usa.skyrock.com que Cédric, élève de 1ère STG du lycée Claude Lebois à Saint-Chamond, consacrait depuis plusieurs mois aux États-Unis, a été victime d'un piratage anonyme qui l'a entièrement effacé. L'énorme travail de présentation (géographie, culture, société, politique...) de ce pays a donc définitivement disparu... Son blog connaissait une grande affluence et recevait de nombreux commentaires. L'hébergeur s'est montré impuissant (...?!) devant cette grave atteinte à la liberté. Le formidable outil que représente internet peut ainsi se révéler à la merci de la plus arbitraire, de la plus lâche et de la plus imbécile censure.

    M. Renard, professeur d'histoire

    _____________________________________________________


    une image des États-Unis


    Spirit_of_1776
    L'Esprit de 1776


    paine
    Thomas Paine (1737-1809), Le Sens commun


    thomas_paineThomas Paine est né en 1737 dans le Norfolk dans une famille d’artisans obscure et plutôt pauvre. Il émigra en 1774, à l’âge de 37 ans, dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord et s’installa à Philadelphie pourvu d’une lettre de recommandation de Benjamin Franklin, rencontré à Londres.

    À peine deux années plus tard, il fut propulsé sur le devant de la scène politique après qu’il eut exhorté, dans Le sens commun (Common Sense), les Américains à s’insurger contre l’Angleterre, à déclarer leur indépendance et à établir une république. Paine y mettait à mal toute tentative de réconciliation avec la couronne britannique, soulignait le comportement proprement monstrueux de la mère-patrie : «Je mets au défi l’avocat le plus ardent de la réconciliation de citer un seul avantage qui puisse revenir à ce continent du fait des liens avec la Grande-Bretagne».

    Pour Paine, le moment était idéal, non seulement pour déclarer l’indépendance, mais aussi, puisque les colonies étaient jeunes et ne s’affrontaient pas encore, pour mettre en place un système républicain : «Le moment présent, c’est aussi ce moment particulier qui ne se présente pas deux fois à une même nation et où il lui est offert de se constituer en gouvernement». L’occasion était donnée d’«entamer la constitution de notre gouvernement par le bon bout», c’est-à-dire par la rédaction d’une charte. Paine voyait dans la révolution américaine le début d’une autre ère, «la naissance d’un monde nouveau», éclairé et républicain, et donnait une portée universelle aux événements (Le sens commun 99, 141, 163) : «L’Amérique ne s’est pas révoltée pour elle seule mais pour le monde entier» (Les droits de l’homme 151).

    Nathalie Caron, source


    lincoln_abraham_1861
    Abraham Lincoln, seizième président des États-Unis,
    élu en novembre 1860 puis en novembre 1864.
    Le 1er janvier 1863, en pleine Guerre de Sécession, Lincoln proclame
    l'émancipation des esclaves dans les États insurgés. Il meurt assassiné en avril 1865.
    Le Congrès vote le 13e amendement («Ni esclavage, ni aucune forme de servitude
    involontaire ne pourront exister aux États-Unis, ni en aucun lieu soumis à leur juridiction»
    )
    le 18 décembre 1865. Quelques mois plus tard, un 14e amendement
    assure aux Noirs le droit de vote et l'égalité avec les Blancs devant la loi.


    soldats_am_ricains_1917
    soldats américains en France en 1917


    enterrement_US_en_1918
    enterrement d'un officier américain
    du 16e Régiment d'infanterie en France le 3 mars 1918
    (source photo)


    6juin44_3
    6 juin 1944 (source photo)


    cimeti_re_am_ricain_Saint_Avold
    Saint-Avold (Moselle, France), plus grand cimetière américain de la Seconde Guerre
    mondiale : 10 489 tombes de soldats morts à l'occasion des batailles
    aux frontières contre l'armée allemande en 1944-45 (source photo)



    little_rock_desegregation_1957  CivilRights
    le racisme et le refus du racisme à Little Rock en 1957


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    27 mars 2008

    France : l'espace agricole

    France_agricole_image_1moisson_bl__Beauce


    l'agriculture et l'espace agricole

    en France



    1) géographie de l'agriculture française

    France_r_gions_agricoles_Huot
    cliquer sur la carte pour l'agrandir et l'imprimer

    source de cette carte



    syst_mes_agricoles_cndp
    cliquer sur la carte pour l'agrandir et l'imprimer

    source de cette carte




    ________________________________________________________


    2) les progrès de l'agriculture


    Diapositive2
    cliquer sur l'image pour l'agrandir et l'imprimer


    ________________________________________________________


    3) les outils de la modernisation


    Tracteur_conduit_par_une_femme
    femme conduisant un tracteur, années 1960-1970
    (source crdp Limousin)


    agroalimentaire_pommes
    industrie agroalimentaire


    phytosanitaire_vignes
    usage de produits phytosanitaires


    arrosage_mais220
    arrosage d'un champ de maïs
    à Saint-Sauvant dans la Vienne


    Irrigation_ma_s_marais_poitevin
    irrigation du maïs dans la plaine bordière
    du marais poitevin (Deux-Sèvres)

    ________________________________________________________


    4) les productions


    balleronde


















    les céréales

    2006 : 61,6 M. t
    2007 : 59,2 M. t.

    les céréales comprennent : le blé tendre (30,7 M. t.), le blé dur (1,9 M. t.), le seigle, l'orge et l'escourgeon (9,4 M. t.), l'avoine, le maïs (14,4 M. t.), etc.

    les oléagineux

    2006 : 5,7 M. t
    2007 : 6,1 M. t.

    les oléagineux comprennent : le colza (4,6 M. t.), le tournesol (1,3 M. t.), le soja, le lin oléagineux, etc.

    les protéagineux

    2006 : 1,3 M. t
    2007 : 0,8 M. t.

    les protéagineux comprennent : les féveroles (fèves), les pois protéagineux, le lupin doux.

    à suivre...


    source de ces chiffres : ministère
    de l'Agriculture et de la Pêche - site Agreste

    ________________________________________________________


    5) documentation

    agriculture_intensive










    Qu’est-ce que la politique agricole commune (PAC) ?

    La politique agricole commune (PAC) est la plus ancienne et la plus importante des politiques communes de l’UE (45 % du budget européen). Créée par le traité de Rome en 1957, elle a été mise en place en 1962. Ses objectifs sont :

    • d’accroître la productivité de l’agriculture ;
    • d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ;
    • de stabiliser les marchés ;
    • de garantir la sécurité des approvisionnements ;
    • d’assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

    Depuis, s’y sont ajoutés les principes de respect de l’environnement et de développement rural.

    Le Conseil de l’Union européenne (Conseil des ministres) adopte les actes de bases de la PAC et la section Garantie du FEOGA (Fonds européen d’orientation et de garantie agricoles) finance le soutien des marchés.

    Les agriculteurs bénéficient :

    • d’aides indirectes, les "prix garantis", qui leur assurent aux agriculteurs un prix minimum pour leur production en comblant la différence entre prix du marché et prix garanti ;
    • des aides directes au revenu depuis la réforme de 1992 : en échange d’une baisse des prix garantis, l’UE verse des aides proportionnelles à la superficie de l’exploitation.

    Par ailleurs, la préférence communautaire permet d’isoler l’agriculture européenne des variations des prix mondiaux en lui accordant des avantages en matière de prix par rapport aux produits importés.

    La PAC est critiquée en raison de la difficulté à stabiliser son budget, des problèmes de fonctionnement posés par l’élargissement à 25 et de l’inégalité des aides qui profitent aux pays producteurs et aux propriétaires d’importantes exploitations, puisque les aides sont proportionnelles aux quantités produites.

    Les réformes de 1992 et 1999 ont cherché à la rapprocher du marché en baissant les prix garantis et en les remplaçant par des aides directes. La dernière réforme du 26 juin 2003 les poursuit et tente de résoudre le problème des difficultés de financement lié à l’élargissement. Désormais, les aides ne seront plus liées à la production. Les agriculteurs toucheront un paiement unique par exploitation et à la condition de respecter des normes européennes en matière d’environnement et de sécurité alimentaire.

    source : vie-publique.fr
    La Documentation française


    - lien : Bilan de santé de la Pac, document de la Commission européenne


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    6) actualité


    Sarkozy___Nantes_2_avril_2008








    Hier, à Nantes, devant les paysans de la FNSEA,

    Nicolas Sarkozy a expliqué comment il voulait faire

    de l'agriculture une priorité européenne.

    Accueilli sans enthousiasme, le président de la République a fini par réchauffer son auditoire, au terme d'une intervention express. Morceaux choisis.

    Cocorico. «La France est aujourd'hui le premier exportateur mondial de produits agricoles transformés. Pas par hasard. C'est le résultat de votre travail : 64 milliards d'euros de plus-value pour l'agriculture française.» Hier, à Nantes - où pour la première fois, un président de la République intervenait devant le congrès des agriculteurs de la FNSEA - Nicolas Sarkozy a plaidé la cause de l'agriculture. «C'est un secteur stratégique pour l'Europe, au même titre que les nanotechnologies ou le secteur pharmaceutique», a-t-il rappelé. Reste à convaincre les autres pays européens. Car, en juillet, la France présidera l'Union européenne pour six mois. Avec en ligne de mire deux dossiers difficiles : les négociations à l'OMC (Organisation mondiale du commerce) et le bilan de santé de la Pac (Politique agricole commune).

    Comment l'Europe peut se protéger. Dans une économie mondialisée, l'Europe (400 millions de consommateurs) a l'obligation d'ouvrir ses frontières. Mais pas à n'importe quelles conditions. «Les produits importés doivent répondre aux normes sociales, sanitaires et environnementales de l'Union européenne.» C'est la meilleure façon, selon lui, de rallier «les pays qui n'ont pas de tradition agricole». Ce n'est pas «du protectionnisme», se défend-il d'avance. Mais une parade face à certaines concurrences déloyales. La France devra convaincre. «Dans une Europe à vingt-sept, on ne peut pas réussir tout seul

    Prêt à l'affrontement. Depuis sept ans, les négociations commerciales patinent au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Les États-Unis, le Brésil, l'Australie et d'autres encore voudraient voir l'Europe renoncer à l'essentiel des subventions accordées aux agriculteurs. Un accord est-il envisageable avec la France à la tête de l'Union européenne ? C'est peu probable. Pour Nicolas Sarkozy, «l'Europe doit cesser de faire preuve de naïveté. Les Américains ont reconduit leurs subventions à l'agriculture. Je veux de la réciprocité et de l'équilibre».

    Silence sur les OGM. Pas un mot sur les OGM. Tout juste a-t-il rappelé sa demande d'un critère environnemental pour les agrocarburants. «Une grosse frustration», pour Philippe Meurs, le président des Jeunes agriculteurs. «C'est du ressort des parlementaires et pas du chef de l'État», tranche de son côté Jean-Michel Lemétayer, le président de la FNSEA.

    Patrice MOYON
    source : Ouest-France
    3 avril 2008

    - lien : la production et la valeur ajoutée de l'agriculture française en 2006 (Insee)

    France_agricole_image_2


    bv000001


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    24 avril 2008

    polémique sur la transmission de l'héritage grec

    Diapositive1


    polémique sur la transmission de

    l'héritage grec

    à l'Occident médiéval

    à propos du livre Aristote au Mont Saint-Michel


    9782020965415FS


    un article de Roger Pol-Droit dans Le Monde,

    3 avril 2008

    Et si l'Europe ne devait pas tous ses savoirs à l'islam ?

    Étonnante rectification des préjugés de l'heure, ce travail de Sylvain Gouguenheim va susciter débats et polémiques. Son thème : la filiation culturelle monde occidental-monde musulman. Sur ce sujet, les enjeux idéologiques et politiques pèsent lourd. Or cet universitaire des plus sérieux, professeur d'histoire médiévale à l'École normale supérieure de Lyon, met à mal une série de convictions devenues dominantes. Ces dernières décennies, en suivant notamment Alain de Libera ou Mohammed Arkoun, Edward Saïd ou le Conseil de l'Europe, on aurait fait fausse route sur la part de l'islam dans l'histoire de la culture européenne.

    Que croyons-nous donc ? En résumé, ceci : le savoir grec antique - philosophie, médecine, mathématique, astronomie -, après avoir tout à fait disparu d'Europe, a trouvé refuge dans le monde musulman, qui l'a traduit en arabe, l'a accueilli et prolongé, avant de le transmettre finalement à l'Occident, permettant ainsi sa renaissance, puis l'expansion soudaine de la culture européenne. Selon Sylvain Gouguenheim, cette vulgate n'est qu'un tissu d'erreurs, de vérités déformées, de données partielles ou partiales. Il désire en corriger, point par point, les aspects inexacts ou excessifs.

    "Ages sombres"

    Y a-t-il vraiment eu rupture totale entre l'héritage grec antique et l'Europe chrétienne du haut Moyen Age ? Byzance_copisteAprès l'effondrement définitif de l'Empire romain, les rares manuscrits d'Aristote ou de Galien subsistant dans des monastères n'avaient-ils réellement plus aucun lecteur capable de les déchiffrer ? Non, réplique Sylvain Gouguenheim. Même devenus ténus et rares, les liens avec Byzance [ci-contre] ne furent jamais rompus : des manuscrits grecs circulaient, avec des hommes en mesure de les lire. Durant les prétendus "âges sombres", ces connaisseurs du grec n'ont jamais fait défaut, répartis dans quelques foyers qu'on a tort d'ignorer, notamment en Sicile et à Rome. On ne souligne pas que de 685 à 752 règne une succession de papes... d'origine grecque et syriaque ! On ignore, ou on oublie qu'en 758-763, Pépin le Bref se fait envoyer par le pape Paul Ier des textes grecs, notamment la Rhétorique d'Aristote.

    Cet intérêt médiéval pour les sources grecques trouvait sa source dans la culture chrétienne elle-même. Les Evangiles furent rédigés en grec, comme les épîtres de Paul. Nombre de Pères de l'Eglise, formés à la philosophie, citent Platon et bien d'autres auteurs païens, dont ils ont sauvé des pans entiers. L'Europe est donc demeurée constamment consciente de sa filiation à l'égard de la Grèce antique, et se montra continûment désireuse d'en retrouver les textes. Ce qui explique, des Carolingiens jusqu'au XIIIe siècle, la succession des "renaissances" liées à des découvertes partielles.

    La culture grecque antique fut-elle pleinement accueillie par l'islam ? Sylvain Gouguenheim souligne les fortes limites que la réalité historique impose à cette conviction devenue courante. Car ce ne furent pas les musulmans qui firent l'essentiel du travail de traduction des textes grecs en arabe. On l'oublie superbement : même ces grands admirateurs des Grecs que furent Al-Fârâbî, Avicenne et Averroès ne lisaient pas un mot des textes originaux, mais seulement les traductions en arabe faites par les Araméens... chrétiens !

    Parmi ces chrétiens dits syriaques, qui maîtrisaient le grec et l'arabe, Hunayn ibn Ishaq (809-873),hunayn [ci-contre] surnommé "prince des traducteurs", forgea l'essentiel du vocabulaire médical et scientifique arabe en transposant plus de deux cents ouvrages - notamment Galien, Hippocrate, Platon. Arabophone, il n'était en rien musulman, comme d'ailleurs pratiquement tous les premiers traducteurs du grec en arabe. Parce que nous confondons trop souvent "Arabe" et "musulman", une vision déformée de l'histoire nous fait gommer le rôle décisif des Arabes chrétiens dans le passage des oeuvres de l'Antiquité grecque d'abord en syriaque, puis dans la langue du Coran.

    Une fois effectué ce transfert - difficile, car grec et arabe sont des langues aux génies très dissemblables -, on aurait tort de croire que l'accueil fait aux Grecs fut unanime, enthousiaste, capable de bouleverser culture et société islamiques. Sylvain Gouguenheim montre combien la réception de la pensée grecque fut au contraire sélective, limitée, sans impact majeur, en fin de compte, sur les réalités de l'islam, qui sont demeurées indissociablement religieuses, juridiques et politiques. Même en disposant des oeuvres philosophiques des Grecs, même en forgeant le terme de "falsafa" pour désigner une forme d'esprit philosophique apparenté, l'islam ne s'est pas véritablement hellénisé. La raison n'y fut jamais explicitement placée au-dessus de la révélation, ni la politique dissociée de la révélation, ni l'investigation scientifique radicalement indépendante.

    Il conviendrait même, si l'on suit ce livre, de réviser plus encore nos jugements. Au lieu de croire le savoir philosophique européen tout entier dépendant des intermédiaires arabes, on devrait se rappeler le rôle capital des traducteurs du Mont-Saint-Michel. Ils ont fait passer presque tout Aristote directement du grec au latin, plusieurs décennies avant qu'à Tolède on ne traduise les mêmes oeuvres en partant de leur version arabe. Au lieu de rêver que le monde islamique du Moyen Age, ouvert et généreux, vint offrir à l'Europe languissante et sombre les moyens de son expansion, il faudrait encore se souvenir que l'Occident n'a pas reçu ces savoirs en cadeau. Il est allé les chercher, parce qu'ils complétaient les textes qu'il détenait déjà. Et lui seul en a fait l'usage scientifique et politique que l'on connaît.

    Somme toute, contrairement à ce qu'on répète crescendo depuis les années 1960, la culture européenne, dans son histoire et son développement, ne devrait pas grand-chose à l'islam. En tout cas rien d'essentiel. Précis, argumenté, ce livre qui remet l'histoire à l'heure est aussi fort courageux.

    - Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne, Sylvain Gouguenheim. Seuil, "L'Univers historique", 282 p., 21 €.

    Roger Pol-Droit
    Le Monde, daté du 4 avril 2008

    Roger_Pol_Droit




    Jacques de Venise, passeur oublié

    et homme "mériterait de figurer en lettres capitales dans les manuels d'histoire culturelle", écrit Sylvain Gouguenheim. Personne, pourtant, ne connaît plus le nom de Jacques de Venise le Grec, qui vécut au XIIe siècle, alla en mission à Constantinople et travailla ensuite au Mont-Saint-Michel, de 1127 à sa mort, vers 1150.

    scriptotium_mont_Saint_MichelCe qu'on lui doit ? Rien de moins que la traduction intégrale, du grec au latin, d'un nombre impressionnant d'oeuvres d'Aristote, parmi lesquelles la Métaphysique, le traité De l'Ame, les Seconds analytiques, les Topiques, les traités d'histoire naturelle ou encore la Physique. Ces traductions, dont certaines sont accompagnées de commentaires, furent réalisées, selon les cas, de vingt ans à quarante ans avant celles de Gérard de Crémone, à Tolède, à partir des traductions en arabe.

    Il faut ajouter que les traductions de Jacques de Venise ont connu un "succès stupéfiant". Alors que bien des oeuvres médiévales ne nous sont connues que par trois ou quatre manuscrits, on en dénombre une centaine pour la Physique, près de trois cents pour les Seconds analytiques. Diffusés dans toute l'Europe, lus par les plus grands intellectuels du temps, ces travaux méritaient d'être mis en lumière. Ce qu'a fait Sylvain Gouguenheim en rappelant l'importance de cet homme qui traduisait Aristote au Mont-Saint-Michel.

    Roger Pol-Droit
    Le Monde, daté du 4 avril 2008



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    Diapositive1








    un article dans le Figaro, 17 avril 2008


    Les tribulation des auteurs grecs dans le monde chrétien

    Contredisant la thèse d'un "islam des Lumières", Sylvain Gouguenheim montre que le savoir grec antique n'a jamais disparu d'Europe et que les Arabes qui traduisirent ces textes n'étaient pas des musulmans

    On se souvient de la récente polémique qui a entouré la conférence tenue à l'université de Ratisbonne, le 12 septembre 2006, par Benoît XVI, alors accusé d'avoir lié islam et violence. Loin de s'adresser au monde musulman, il s'agissait pour le Saint-Père d'aborder les ­rapports entre foi et raison et de dénoncer le «programme de déshellénisation» de l'Occident chrétien.

    Éclairant fort à propos ce débat, l'historien Sylvain Gouguenheim montre que la qualification d'«âges sombres» ne convient pas à la période médiévale. En effet, l'Europe du haut Moyen Âge ne s'est jamais coupée du savoir grec, dont quelques manuscrits restaient conservés dans les monastères. Des noyaux de peuplement hellénophone s'étaient maintenus en Sicile et en Italie du Sud, Salerne ayant ainsi produit une école de médecine indépendante du monde arabo-musulman. Enfin, durant les premiers siècles du Moyen Âge, il existait aussi une «authentique diaspora chrétienne orientale». Car, nous dit l'auteur, si l'islam a transmis le savoir antique à l'Occident, c'est d'abord «en provoquant l'exil de ceux qui refusaient sa mont_saint_michel_abbaye_cloitre_1domination». Assez naturellement, les élites purent se tourner vers la culture grecque, favorisant ces mouvements de «renaissance» qui animèrent l'Europe, de Charlemagne à Abélard.

    D'ailleurs, avant même que les lettrés ne vinssent chercher en Espagne ou en Italie les versions arabes des textes grecs, d'importants foyers de traduction de manuscrits originaux existaient en Occident. À cet égard, M. Gouguenheim souligne le rôle capital joué par l'abbaye du Mont-Saint-Michel [ci-contre] où un clerc italien qui aurait vécu à Constantinople, Jacques de Venise, fut le premier traducteur européen d'Aristote au XIIe siècle. Ce monastère serait donc bien «le chaînon manquant dans l'histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin».


    Une hellénisation restée superficielle

    Le savoir grec n'avait pas davantage déserté le monde oriental. Byzance n'a jamais oublié l'enseignement de Platon et ­d'Aristote et continua à produire de grands savants. Il faut ici saluer l'influence essentielle des chrétiens syriaques, car «jamais les Arabes musulmans n'apprirent le grec, même al-Farabi, Avicenne ou ­Averroès l'ignoraient». L'écriture arabe coufique fut forgée par des missionnaires chrétiens qui donnèrent aussi aux Arabes musulmans les traductions des œuvres grecques. De ce point de vue, l'arrivée au pouvoir des Abbassides, en 751, ne constitua pas une rupture fondamentale.

    Contredisant la thèse d'un « islam des Lumières», avide de science et de philosophie, l'auteur montre les limites d'une ­hellénisation toujours restée superficielle. Il est vrai que la Grèce représentait un monde radicalement étranger à l'islam qui «soumit le savoir grec à un sérieux examen de passage où seul passait à travers le crible ce qui ne comportait aucun danger pour la religion». Or ce crible fut très sélectif. La littérature, la tragédie et la philosophique grecques n'ont guère été reçues par la culture musulmane. Quant à l'influence d'Aristote, elle s'exerça essentiellement dans le domaine de la logique et des sciences de la nature. Rappelons que ni La Métaphysique, ni La Politique ne furent traduites en arabe.

    Parler donc à son propos d'hellénisation «dénature la civilisation musulmane en lui imposant par ethnocentrisme ? une sorte d'occidentalisation qui ne correspond pas à la réalité, sauf sous bénéfice d'inventaire pour quelques lettrés».

    Félicitons M. Gouguenheim de n'avoir pas craint de rappeler qu'il y eut bien un creuset chrétien médiéval, fruit des héritages d'Athènes et de Jérusalem. Alors que l'islam ne devait guère proposer son savoir aux Occidentaux, c'est bien cette rencontre, à laquelle on doit ajouter le legs romain, qui «a créé, nous dit Benoît XVI, l'Europe et reste le fondement de ce que, à juste titre, on appelle l'Europe».

    Stéphane Boiron
    Le Figaro, 17 avril 2008

    - Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne, de Sylvain Gouguenheim Seuil, 280 p., 21 €.

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    dossier du Monde des livres, 24 avril 2008

    Polémique sur les  "racines" de l'Europe


    ans son édition du 4 avril, sous le titre "Et si l'Europe ne devait pas ses savoirs à l'islam ?", "Le Monde des livres" publiait le compte rendu d'un ouvrage de Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale à l'École normale supérieure de Lyon. Intitulé Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne, le livre venait de paraître aux éditions du Seuil dans la prestigieuse collection "L'Univers historique".

    Cet article a suscité une vive émotion dans une partie de la communauté universitaire. Ainsi, quaranteH_l_ne_Bellosta historiens et philosophes des sciences, emmenés par Hélène Bellosta (CNRS), nous ont fait parvenir un texte intitulé "Prendre de vieilles lunes pour des étoiles nouvelles, ou comment refaire aujourd'hui l'histoire des savoirs", dans lequel ils expriment leur "surprise". S'élevant contre les thèses de Sylvain Gouguenheim, qu'ils assimilent aux "propos d'un idéologue", ils écrivent : "Il n'est aucun philosophe ou historien des sciences sérieux pour affirmer que "l'Europe doit ses savoirs à l'islam" ; la science en tant que telle se développe selon ses voies propres et ne doit pas plus à l'islam qu'au christianisme, au judaïsme ou à toute autre religion. En revanche, l'idée que l'Europe ne doit rien au monde arabe (ou arabo-islamique) et que la science moderne est héritière directe et unique de la science et de la philosophie grecques n'est pas nouvelle. Elle constitue même le lieu commun de la majorité des penseurs du XIXe siècle et du début du XXe siècle, tant philosophes qu'historiens des sciences, dont le compte rendu du Monde reprend tous les poncifs."

    alaindeliberaDe même, le médiéviste Alain de Libera [il n'est pas médiéviste - on dit cela d'un historien -, mais philosophe, spécialiste de la phisophie au Moyen Âge], directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études, par ailleurs directeur de collection au Seuil, fustige "un plaisant exercice d'histoire fiction", digne des "amateurs de croisades", et propre à déclencher la "mobilisation huntingtonienne" du choc des civilisations.

    "Encore un pas et l'on verra fanatiques religieux et retraités pavillonnaires s'accorder sur le fait que, après tout, l'Europe chrétienne, qui bientôt n'aura plus de pétrole, a toujours eu les idées...", ironise-t-il. "Je croyais naïvement qu'en échangeant informations, récits, témoignages, analyses et mises au point critiques, nous, femmes et hommes de sciences, d'arts ou de savoirs (...), nous, citoyens du monde, étions enfin prêts à revendiquer pour tous, comme jadis Farabi pour les Arabes, le "grand héritage humain". C'était oublier l'Europe aux anciens parapets. (...). Cette Europe-là n'est pas la mienne", écrit encore Alain de Libera. Une position partagée par les historiens Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau, dont nous avons publions la tribune, et qui résument à leur manière la plupart des arguments utilisés par leurs collègues.

    Nous donnons également la parole à Sylvain Gouguenheim. Quant aux éditions du Seuil, enfin, elles manifestent leur perplexité : " Je ne comprends pas très bien toute cette agitation, affirme Monique Labrune, responsable des sciences humaines. De notre côté, nous n'avons que des échos positifs sur ce livre. C'est un peu étrange. Je voudrais être sûre qu'il n'y a pas autre chose que le livre derrière tout cela. J'aimerais avoir toutes les clefs..."

    Jean Birnbaum
    "Le Monde des livres"
    Le Monde daté du 25 avril 2008

    Penser_au_Moyen_Age







    un livre d'Alain de Libera (1991)




    une réplique de deux historiens médiévistes

    24 avril 2008

    Une démonstration suspecte

    rmé d'une solide réputation de sérieux (acquise par ses travaux sur la mystique rhénane), fort également d'une position institutionnelle prestigieuse, Sylvain Gouguenheim entend réviser une idée largement reçue et même redresser une véritable injustice de l'histoire : l'Europe chrétienne du Moyen Age n'a pas reçu l'héritage grec, passivement, des Arabes ; elle a toujours conservé la conscience de sa filiation grecque ; mieux, elle s'est réapproprié, de sa propre initiative, ce legs qui lui revenait de droit, accueillant les savants grecs fuyant l'islam, entreprenant de retrouver la lettre des textes grecs en les traduisant directement en latin. C'est la gloire oubliée de Jacques de Venise et de l'abbaye du Mont-Saint-Michel.

    Si l'on suit Sylvain Gouguenheim, la civilisation islamique se serait avérée incapable d'assimiler l'héritage grec ou d'accepter Aristote, faute de pouvoir accéder aux textes sans les traductions des chrétiens d'Orient, faute de pouvoir subordonner la révélation à la raison (ce qu'au passage personne ne put faire en Europe avant le XVIIIe siècle). Il devient dès lors possible de rétablir la véritable hiérarchie des civilisations, ce que fait Sylvain Gouguenheim en prenant comme mètre étalon leur degré d'hellénisation. À sa droite, l'Europe, dont la quête désintéressée du savoir et la modernité politique plongent leurs racines dans ses origines grecques et son histoire chrétienne. À sa gauche, l'islam, quatorze siècles de civilisation qu'il convient de ramener à ses fondations religieuses sorties nues du désert, à son littéralisme obsessionnel, à son juridisme étroit, à son obscurantisme, son fatalisme, son fanatisme.

    Dans son éloge de la passion grecque de l'Europe chrétienne, Sylvain Gouguenheim surévalue le rôle du monde byzantin, faisant de chaque "Grec" un "savant", de chaque chrétien venu d'Orient un passeur culturel. On sait pourtant que dans les sciences du quadrivium, en mathématiques et en astronomie surtout, la production savante du monde islamique est, entre le IXe et le XIIIe siècle, infiniment plus importante que celle du monde byzantin. Dans sa démystification de l'hellénisation de l'islam, Sylvain Gouguenheim confond "musulman" et "islamique", ce qui relève de la religion et ce qui relève de la civilisation. Les chrétiens d'Orient ne sont certes pas musulmans, mais ils sont islamiques, en ce qu'ils sont partie prenante de la société de l'islam et étroitement intégrés au fonctionnement de l'État.

    On ne peut nier la diversité ethnique et confessionnelle de la civilisation islamique sans méconnaître son histoire. Dans sa révision de l'histoire intellectuelle de l'Europe chrétienne, Sylvain Gouguenheim passe pratiquement sous silence le rôle joué par la péninsule Ibérique, où on a traduit de l'arabe au latin les principaux textes mathématiques, astronomiques et astrologiques dont la réception allait préparer en Europe la révolution scientifique moderne.

    D'Aristote, Sylvain Gouguenheim semble ignorer que la pensée scolastique du XIIIe siècle a moins retenu la lettre des textes que le commentaire qu'on en avait déjà fait, comme celui d'Averroès, conceptualisant les contradictions entre la foi et une pensée scientifique qui ignore la création du monde et l'immortalité de l'âme. Alain de Libera l'a montré, c'est moins l'aristotélisme qui gagne alors l'université de Paris que l'averroïsme : le texte reçu par et pour son commentaire.

    Le livre aurait pu s'arrêter là et n'aurait guère mérité l'attention, tant il nie obstinément ce qu'un siècle et demi de recherche a patiemment établi. Mais Sylvain Gouguenheim entreprend également de mettre sa démonstration au coeur d'une nouvelle grammaire des civilisations, où la langue et les structures mentales qu'elle porte jouent un rôle déterminant. La langue, dont la valeur ontologique expliquerait l'inanité des traductions d'un système linguistique à un autre, d'une langue indo-européenne (le grec) à une langue sémitique (l'arabe) et retour (le latin). La langue, à la recherche de laquelle Sylvain Gouguenheim réduit la longue quête de savoir des chrétiens de l'Occident médiéval, quand Peter Brown montre à l'inverse comment le christianisme a emprunté les chemins universels de la multitude des idiomes. La langue, à laquelle Gouguenheim ramène le génie de l'islam, qui n'aurait jamais échappé aux rets des sourates du Coran.

    L'esprit scientifique, la spéculation intellectuelle, la pensée juridique, la création artistique d'un monde qui a représenté jusqu'à un quart de l'humanité auraient, depuis toujours, été pétrifiés par la Parole révélée. Le réquisitoire dressé par Sylvain Gouguenheim sort alors des chemins de l'historien, pour se perdre dans les ornières d'un propos dicté par la peur et l'esprit de repli.

    Dans ces troubles parages, l'auteur n'est pas seul. D'autres l'ont précédé, sur lesquels il s'appuie volontiers. Ainsi René Marchand est-il régulièrement cité, après avoir été remercié au seuil de l'ouvrage pour ses "relectures attentives" et ses "suggestions". Son livre, Mahomet. Contre-enquête, figure dans la bibliographie. Un ouvrage dont le sous-titre est : "Un despote contemporain, une biographie officielle truquée, quatorze siècles de désinformation". Or René Marchand a été plébiscité par le site Internet de l'association Occidentalis, auquel il a accordé un entretien et qui vante les mérites de son ouvrage. Un site dont "l'islamovigilance" veille à ce que "la France ne devienne jamais une terre d'islam". Qui affirme sans ambages qu'avant la fin du siècle, les musulmans seront majoritaires dans notre pays. Qui appelle ses visiteurs à combattre non le fondamentalisme islamique, mais bel et bien l'islam. Qui propose à qui veut les lire, depuis longtemps déjà, des passages entiers de l'Aristote au Mont Saint-Michel.

    Les fréquentations intellectuelles de Sylvain Gouguenheim sont pour le moins douteuses. Elles n'ont pas leur place dans un ouvrage prétendument sérieux, dans les collections d'une grande maison d'édition.

    Gabriel Martinez-Gros, Professeur d'histoire médiévale à l'université Paris-VIII
    Julien Loiseau, Maître de conférences en histoire médiévale à l'université Montpellier-III
    Le Monde
    , (Le Monde des Livres) édition datée du 25 avril 2008

    Gabriel_Martinez_Gros





    Gabriel Martinez-Gros



    une réponse de Sylvain Gouguenheim, auteur du livre

    "On me prête des intentions que je n'ai pas"

    - Sylvain Gouguenheim, comment réagissez-vous à la polémique suscitée par votre livre ?
    9782020965415FS Je suis bouleversé par la virulence et la nature de ces attaques. On me prête des intentions que je n'ai pas. Pour écrire ce livre, j'ai utilisé des dizaines d'articles de spécialistes très divers. Mon enquête porte sur un point précis : les différents canaux par lesquels le savoir grec a été conservé et retrouvé par les gens du Moyen Age. Je ne nie pas du tout l'existence de la transmission arabe, mais je souligne à côté d'elle l'existence d'une filière directe de traductions du grec au latin, dont le Mont Saint-Michel a été le centre au début du XIIe siècle, grâce à Jacques de Venise. Je ne nie pas non plus la reprise dans le monde arabo-musulman de nombreux éléments de la culture ou du savoir grecs. J'explique simplement qu'il n'y a sans doute pas eu d'influence d'Aristote et de sa pensée dans les secteurs précis de la politique et du droit ; du moins du VIIIe au XIIe siècles. Ce n'est en aucun cas une critique de la civilisation arabo-musulmane. Du reste, je ne crois pas à la thèse du choc des civilisations : je dis seulement - ce qui n'a rien à voir - qu'au Moyen Age, les influences réciproques étaient difficiles pour de multiples raisons, et que nous n'avons pas pour cette époque de traces de dialogues telles qu'il en existe de nos jours.

    Certains s'étonnent de vous voir citer et remercier René Marchand, auteur de pamphlets contre l'islam.
    M. Marchand fait partie des gens qui ont attiré mon attention sur les problèmes de traduction entre l'arabe et le grec et sur les structures propres à la langue arabe. Voilà pourquoi je le remercie, parmi d'autres. Je l'ai cité en bibliographie car je me dois d'indiquer tous les articles et tous les livres que j'ai consultés. Cela ne fait pas de chaque volume cité un ouvrage de référence. Je m'étonne qu'on s'attarde sur ce point, alors que j'utilise de nombreux livres remarquables, dont ceux de Dominique Urvoy, de Geneviève Balty-Guesdon, ou d'autres spécialistes.

    Comment expliquer que plusieurs mois avant sa parution, des extraits de votre livre se soient retrouvés sur un site d'extrême droite ?
    J'ai donné depuis cinq ans - époque où j'ai "découvert" Jacques de Venise - des extraits de mon livre à de multiples personnes. Je suis totalement ignorant de ce que les unes et les autres ont pu ensuite en faire. Je suis choqué qu'on fasse de moi un homme d'extrême droite alors que j'appartiens à une famille de résistants : depuis l'enfance, je n'ai pas cessé d'être fidèle à leurs valeurs.

    Propos recueillis par Jean Birnbaum


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    Quelques réactions des abonnés du Monde.fr

    HENRI B.
    26.04.08 | 10h41

    Comment se fait-il que Roger Pol Droit ne réponde pas ? Pourquoi Birnbaum doit-il s'y coller ? Encore une bourde éditoriale de Monde...

    CLAUDE W.
    25.04.08 | 13h32

    J'ajoute ne pas bien comprendre la vindicte des deux historiens (G.Martinez-Gros et J.Loiseau) ; la façon dont ils prennent argument de certaines utilisations du livre par une officine anti-islamique n'est pas des plus honnêtes. Le style Caroline Fourest, dont nombre de dénonciations sont fondées sur des amalgames peu probants mais rudement interprétés, commence à faire beaucoup d'émules. Je suis étonné d'ailleurs que Le Monde ouvre si généreusement ses colonnes à cette personne.

    CLAUDE W.
    25.04.08 | 13h23

    Que se passe-t-il au Seuil ? Alain de Libera n'y est-il pas directeur de collection ? Pourquoi alors ce règlement de comptes,ces accusations fortes ('plaisant exercice d'histoire fiction')? Quant au Monde, la recension du livre était dotée d'un titre grossier, outrancier, et l'entame de l'article fort maladroite. Pour autant, la thèse était présentée avec des nuances. Mieux distinguer héritages scientifiques et héritages philosophiques (ou culturels au sens large) éviterait une part de confusion.

    anne-marie l.
    25.04.08 | 10h28

    J'ignorais la possibilité de réagir en (500 X 2) signes! Je persiste, resigne et précise: Votre censure porte sur les arguments fournis par les "quarante" et Alain de Libera (que tout lecteur et moi-même,connaissant quelques uns de leurs travaux et publications, souhaitions lire). On ne peut ignorer les enjeux "cosmopolitiques", hélas guerriers, de cette "polémique". Les "clercs-croisés" (intellectuels, artistes et journalistes)peuvent "matraquer" l'opinion et pour quels plats de lentilles...

    anne-marie l.
    25.04.08 | 08h16

    La moindre déontologie intellectuelle et journalistique, certes "archaïque", eût exigé du Monde des Livres de faire paraître les textes des universitaires-chercheurs (ou version réduite acceptée par eux). Or vous faites un montage de citations de style "pipolisant", redonnez de la place à Gougenheim, pauvre victime, condescendez, certes, à publier texte d'historiens censés "résumer" les textes censurés par vous. 0/20 à votre copie (déontologie et confusion entre pub et esprit critique).aml




    Landerneau terre d'Islam, par Alain de Libera

    De

    A

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    Alain de Libera est directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Professeur ordinaire à l’université de Genève, Vice-président de la Société internationale pour l’étude de la philosophie médiévale, Directeur de la collection Des Travaux aux Éditions du Seuil.

     

    En 1857, Charles Renouvier faisait paraître Uchronie (l’utopie dans l’histoire) : esquisse historique apocryphe du développement de la civilisation européenne tel qu’il n’a pas été, tel qu’il aurait pu être. L’histoire alternative (What-if history) était née. Ce qui s’énonce sous le titre Et si l’Europe ne devait pas ses savoirs à l’Islam ? pourrait annoncer un plaisant exercice d’histoire fiction. Le public du Monde se voit au contraire offrir l’éloge d’une histoire réelle, étouffée par les « réjugés de l’heure» et les «convictions devenues dominantes ces dernières décennies», en suivant (au choix) «Alain de Libera ou Mohammed Arkoun, Edward Saïd ou le Conseil de l’Europe». L’« étonnante rectification » à laquelle le « travail » (mirabile dictu !) récemment publié aux Éditions du Seuil soumet les thèses de la nouvelle Bande des Quatre, autrement dit : une vulgate « qui n’est qu’un tissu d’erreurs, de vérités déformées, de données partielles ou partiales », vient de loin. Elle courait depuis beau temps sur les sites néoconservateurs, traditionnalistes ou postfascistes stigmatisant pêle-mêle mon « adulation irrationnelle » et ma « complaisance » pour l’« Islam des Lumières » ou le « mythe de l’Andalousie tolérante », sans oublier l’accumulation de « mensonges destinés à nous anesthésier » (« on ne nous dit jamais que les textes grecs ont été traduits par des Chrétiens d’Orient, à partir du syriaque ou directement du grec » ; on nous cache soigneusement que « ni Avicenne, ni Averroès ne connaissaient le grec », comme, serais-je tenté de dire, on ne nous dit pas volontiers qu’il en allait de même pour Pierre Abélard, Albert le Grand, Thomas d’Aquin ou Guillaume d’Ockham)

    Après l’extraordinaire publicité faite à Aristote au Mont-saint-Michel, « nous » voilà définitivement débriefés. L’univers des blogs souffle : le « lavage de cerveau arabolâtre » par une « triste vulgate universitaire de niveau touristique », «tiers-mondiste» et «néostalinienne» n’opérera plus sur «nous». Les médiévistes, eux, ont du mal à respirer. Si détestable soit l’air ambiant, leurs réponses viendront. Étant nommément mis en cause, je me crois autorisé ici à quelques remarques personnelles, supposant que «le Conseil» incriminé ne se manifestera guère, non plus qu’Edward Saïd mort en 2003, et espérant que mon ami Mohammed Arkoun trouvera le moyen de se faire entendre.

    Si Ernest Renan a cru bon d’écrire en 1855 que « les sémites n’ont pas d’idées à eux », aucun chercheur virtuellement mis au ban du « courage » intellectuel par l’article paru le 3 avril 2008 dans Le Monde n’a jamais parlé d’une « rupture totale entre l’héritage grec antique et l’Europe chrétienne du haut Moyen Âge », ni soutenu que la « culture grecque avait été pleinement accueillie par l’islam », ni laissé entendre que « l’accueil fait aux Grecs fut unanime, enthousiaste » ou «capable de bouleverser culture et société islamiques». Aucun historien des sciences et des philosophies arabes et médiévales n’a jamais présenté « le savoir philosophique européen » comme « tout entier dépendant des intermédiaires arabes » ni professé qu’un « monde islamique du Moyen Âge, ouvert et généreux » soit venu « offrir à l’Europe languissante et sombre les moyens de son expansion ». La vulgate dénoncée dans Le Monde n’est qu’un sottisier ad hoc, inventé pour être, à peu de frais, réfuté

    En ce qui me concerne, j’ai, en revanche, «répété crescendo» depuis les années 1980 que le haut Moyen Âge latinophone avait préservé une partie du corpus philosophique de l’Antiquité tardive, distingué deux âges dans l’histoire de la circulation des textes d’Orient (chrétien, puis musulman) en Occident, l’âge gréco-latin et l’arabo-latin, marqué la différence entre «philosophie en Islam» et «philosophie de l’islam», mis en relief le rôle des Arabes chrétiens et des Syriaques dans « l’acculturation philosophique des Arabes » et souligné la multiplicité des canaux par lesquels les Latini s’étaient sur la « longue durée » (le «long Moyen Âge» cher à Jacques Le Goff) réapproprié une partie croissante de la pensée antique.

    Un historien, dit Paul Veyne, «raconte des intrigues», qui sont « autant d’itinéraires qu’il trace » à travers un champ événementiel objectif «divisible à l’infini» : il ne peut «décrire la totalité de ce champ, car un itinéraire doit choisir et ne peut passer partout» ; aucun des itinéraires qu’il emprunte «n’est le vrai», aucun «n’est l’Histoire». Les mondes médiévaux complexes, solidaires, conflictuels dont j’ai tenté de décrire les relations, les échanges et les fractures ne sauraient s’inscrire dans une hagiographie de l’Europe chrétienne, ni s’accommoder de la synecdoque historique qui y réduit l’Occident médiéval : il y a un Occident musulman et un Orient musulman comme il y a un Orient et un Occident chrétiens, un kalam (le nom arabe de la «théologie») chrétien, juif, musulman.

    Vue dans la perspective de la translatio studiorum, l’hypothèse du Mont-saint-Michel, « chaînon manquant dans l’histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin » hâtivement célébrée par l’islamophobie ordinaire, a autant d’importance que la réévaluation du rôle de l’authentique Mère Poulard dans l’histoire de l’omelette.

    Pour construire mon propre itinéraire, j’ai utilisé, en l’adaptant, l’expression de translatio studiorum (transfert des études) pour décrire les transferts culturels successifs qui, à partir de la fermeture de la dernière école philosophique païenne, l’école néoplatonicienne d’Athènes, par l’empereur chrétien Justinien (529), ont permis à l’Europe d’accueillir les savoirs grecs et arabes dans ses lieux et institutions d’enseignement. L’homme dont le nom «mériterait de figurer en lettres capitales dans les manuels d’histoire culturelle», Jacques de Venise, que tout le monde savant connaît grâce à Lorenzo Minio Paluello et l’Aristoteles Latinus, figure en bas de casse dans l’index de mon manuel de Premier cycle, désormais (providentiellement) rebaptisé Quadrige, où il occupe plus de deux lignes, comme celui, au demeurant, de Hunayn Ibn Ishaq. Les amateurs de croisades pourraient y regarder avant d’appeler le public à la grande mobilisation contre les sans-papiers

    Vue dans la perspective de la translatio studiorum, l’hypothèse du Mont-saint-Michel, «chaînon manquant dans l’histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin» hâtivement célébrée par l’islamophobie ordinaire, a autant d’importance que la réévaluation du rôle de l’authentique Mère Poulard dans l’histoire de l’omelette. Le sous-titre de l’ouvrage paru dans la collection «L’Univers historique» est plus insidieux. Parler des «racines grecques de l’Europe chrétienne» n’est pas traiter des «racines grecques du Moyen Âge occidental latin». On ne peut annexer Byzance ni à l’une ni à l’autre. Les interventions de Charlemagne dans la «querelle des images», le schisme dit «de Photios», le sac de Constantinople par les «Franks», le nom byzantin des «croisés», le Contra errores Graecorum ne plaident guère en faveur d’une réduction des christianismes d’Orient et d’Occident à une Europe chrétienne étendue d’Ouest en Est.

    Quant aux fameuses «racines grecques» opposées à l’« hellénisation superficielle de l’Islam », faut-il encore rappeler que la philosophia a d’abord été présentée comme une science étrangère («du dehors») chez les Byzantins avant de l’être chez les penseurs juifs et musulmans, l’appellation de « science étrangère » – étrangère à la Révélation et au «nous» communautaire qu’elle articule – étant née à Byzance, où la philosophie a été longtemps qualifiée de «fables helléniques» ? Faut-il encore rappeler que si les chrétiens d’Occident se sont emparés de la philosophie comme de leur bien propre, ce fut au nom d’une théorie de l’acculturation formulée pour la première fois par Augustin, comparant la sagesse des païens et la part de vérité qu’elle contient à l’or des égyptiens légitimement approprié par les Hébreux lors de leur sortie d’Égypte (Ex 3, 22 et Ex 12, 35) ?

    Je «nous» croyais sortis de ce que j’ai appelé il y a quelques années, dans un article du Monde diplomatique : la «double amnésie nourissant le discours xénophobe». Voilà, d’un trait de plume, la falsafa redevenue un événement marginal, pour ne pas dire insignifiant, sous prétexte que «l’Islam ne s’est pas véritablement hellénisé». Averroès ne représente qu’Ibn Rushd, Avicenne qu’Ibn Sina, c’est-à-dire « pas grand-chose, en tout cas rien d’essentiel ». Encore un pas et l’on verra fanatiques religieux et retraités pavillonnaires s’accorder sur le fait que, après tout, l’Europe chrétienne qui, bientôt, n’aura plus de pétrole a toujours eu les idées. J’ai assez dénoncé le «syndrome de l’abricot» pour ne pas jouer la reconnaissance de dette contre le refus de paternité ni tout confondre dans la procédure et la chicane accompagnant tout discours de remboursement. Le lieu commun consistant à recommencer l’inlassable inventaire des emprunts de l’Occident chrétien au monde arabo-musulman n’a pas d’intérêt, tant, du moins, qu’il ne s’inscrit pas dans une certaine vision philosophique et culturelle de l’histoire européenne. De fait, aller répétant que le mot français abricot vient de l’espagnol albaricoque, lui même issu de l’arabe al-barqûq (« prune ») ne changera rien au contexte politique et idéologique teinté d’intolérance, de haine et de refus que vit une certaine Europe – sans parler évidemment des États-Unis d’Amérique – par rapport à l’Islam. Qu’elle soit ou non « étrangère », reste que la philosophie n’a cessé de voyager. C’est la longue chaîne de textes et de raison(s) reliant Athènes et Rome à Paris ou à Berlin via Cordoue qui a rendu possibles les Lumières : Mendelssohn lisait Maïmonide, qui avait lu Avicenne, qui avait lu Alfarabi, et tous deux avaient lu Aristote et Alexandre d’Aphrodise et les dérivés arabes de Plotin et de Proclus.

    Le « creuset chrétien médiéval », «fruit des héritages d’Athènes et de Jérusalem», qui a «créé, nous dit Benoît XVI, l’Europe et reste le fondement de ce que, à juste titre, on appelle l’Europe», est d’un froid glacial, une fois « purifié » des « contributions » des traducteurs juifs et chrétiens de Tolède, des Yeshivot de « sciences extérieures » de l’Espagne du Nord, où les juifs, exclus comme les femmes des universités médiévales, nous ont conservé les seuls fragments attestés d’une (première) version arabe du Grand Commentaire  d’Averroès sur le De anima d’Aristote. Combien de manuscrits judéo-arabes perdus à Saragosse ? Combien de maîtres oubliés ? Autant peut-être que dans les abbayes bénédictines normandes du haut Moyen Âge. Je confie à d’autres le soin de rappeler aux fins observateurs des « tribulations des auteurs grecs dans le monde chrétien » que la Métaphysique d’Aristote a été traduite en arabe et lue par mille savants de l’Inde à l’Espagne, qu’un livre copié, a contrario, ne fait pas un livre lu, que la mise en latin de scholies grecques trouvées telles quelles dans le manuscrit de l’œuvre que l’on traduit n’est pas nécessairement une « exégèse » originale, qu’il a existé des Romains païens, que les adversaires musulmans de la falsafa étaient tout imprégnés des philosophies atomistes reléguées au second plan dans les écoles néoplatoniciennes d’Athènes et d’Alexandrie, et bien d’autres choses encore

    Les médias condamnent les chercheurs au rôle de Sganarelle, réclamant leurs gages, seuls, et passablement ridicules, sur la grande scène des pipoles d’un jour. Je n’ai que peu de goût pour ce rôle, et ne le tiendrai pas. Je pourrais m’indigner du rapprochement indirectement opéré dans la belle ouvrage entre Penser au Moyen Âge et l’œuvre de Sigrid Hunke, «l’amie de Himmler», appelant les amateurs de pensée low cost à bronzer au soleil d’Allah. Je préfère m’interroger sur le nous ventriloque réclamant pour lui seul l’usufruit d’un Logos benoîtement assimilé à la Raison : nous les «François de souche», nous les «voix de la liberté», nous les «observateurs de l’islamisation», nous les bons chrétiens soucieux de ré-helléniser le christianisme pour oublier la Réforme et les Lumières. Je ne suis pas de ce nous-là.

    Méditant sur les infortunes de la laïcité, je voyais naguère les enfants de Billy Graham et de Mecca-Cola capables de sortir enfin de l’univers historique du clash des civilisations. Je croyais naïvement qu’en échangeant informations, récits, témoignages, analyses et mises au point critiques, nous, femmes et hommes de sciences, d’arts ou de savoirs, aux expertises diverses et aux appartenances culturelles depuis longtemps multiples, nous, citoyens du monde, étions enfin prêts à revendiquer pour tous, comme jadis Kindi pour les Arabes, le «grand héritage humain». C’était oublier l’Europe aux anciens parapets. La voici qui, dans un remake qu’on voudrait croire involontaire de la scène finale de Sacré Graal, remonte au créneau, armée de galettes «Tradition & Qualité depuis 1888». Grand bien lui fasse. Cette Europe-là n’est pas la mienne. Je la laisse au «ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale» et aux caves du Vatican.

    Alain de Libera
    Publié le lundi 28 avril 2008 à 19h36 - Télérama

    à lire - Alain de Libera :

     

    - La philosophie médiévale, "Que sais-je ?", n° 1044, P.U.F.
    - Penser au Mouen Âge, éd. du Seuil (Points).
    - Averroès et l'averroïsme, "Que sais-je ?", n° 2631, [en collaboration avec M.-R. Hayoun], P.U.F


    ________________________________________________________________



    9782020965415FS

    résumé du livre, par l'éditeur

    On considère généralement que l'Occident a découvert le savoir grec au Moyen Âge, grâce aux traductions arabes.

    Sylvain Gouguenheim bat en brèche une telle idée en montrant que l'Europe a toujours maintenu ses contacts avec le monde grec. Le Mont-Saint-Michel, notamment, constitue le centre d'un actif travail de traduction des textes d'Aristote en particulier, dès le XIIe siècle. On découvre dans le même temps que, de l'autre côté de la Méditerranée, l'hellénisation du monde islamique, plus limitée que ce que l'on croit, fut surtout le fait des Arabes chrétiens.

    Même le domaine de la philosophie islamique (Avicenne, Averroès) resta en partie étranger à l'esprit grec. Ainsi, il apparaît que l'hellénisation de l'Europe chrétienne fut avant tout le fruit de la volonté des Européens eux-mêmes. Si le terme de "racines" a un sens pour les civilisations, les racines du monde européen sont donc grecques, celles du monde islamique ne le sont pas.



    Sommaire du livre

          
    PERMANENCES ÉPARSES ET QUÊTE DU SAVOIR ANTIQUE : LA FILIÈRE GRECQUE
    - La Grèce et sa culture : un horizon pour l'Europe latine
    - Conséquence : permanence et diffusion de la culture grecque dans l'Europe latine
    - Conséquence : l'esprit des renaissances médiévales, IXe- XIIe siècle

    SURVIE ET DIFFUSION DU SAVOIR GREC AUTOUR DE LA MÉDITERRANÉE : BYZANCE ET LES CHRÉTIENTÉS D'ORIENT
    - Les grands centres du maintien de la culture antique
    - L'œuvre scientifique des Syriaques
    - Les grands hommes de la science gréco-chrétienne

    LES MOINES PIONNIERS DU MONT-SAINT-MICHEL : L'ŒUVRE DE JACQUES DE VENISE
    - Jacques de Venise, premier traducteur d'Aristote au XIIe siècle
    - Les autres traductions greco-latines et leur diffusion

    ISLAM ET SAVOIR GREC
    - L'Islam face au savoir grec : accueil, indifférence ou rejet ?
    - L'Islam et le savoir grec : le crible musulman
    - Une hellénisation limitée

    PROBLÈMES DE CIVILISATION
    - Identités en question
    - Perméabilité ?
    - Antagonismes

          
    Biographie de Sylvain Gouguenheim
    Professeur d'histoire médiévale à l'ENS de Lyon, Sylvain Gouguenheim travaille actuellement sur l'histoire des croisades. Il a récemment publié Les Chevaliers teutoniques (Tallandier, 2008).

    9782020965415FS



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    4 mai 2008

    "La plaie saigne toujours, Monsieur Jaurès", 1903

    Diapositive1

     

    "la plaie saigne toujours, Monsieur Jaurès"

    Le Petit Journal, 3 décembre 1903



    La_plaie_saigne_toujours



    «La France ne doit pas s’hypnotiser dans l’attente d’une revanche ... »

    Francis de Pressensé, 23 novembre 1903

     

    nature du document
    Il s'agit d'une gravure en couleurs publiée dans le Supplément illustré du Petit Journal, quotidien parisien né en 1863 ; son prix, 5 centimes (= 1 sou) contre 15 cts pour la plupart des autres titres, en fait une presse très populaire. Il n'a pas d'appartenance politique, c'est-à-dire qu'il n'exprime ni les thèses de la droite nationaliste ni celles des socialistes.

    auteur du document
    Le nom du dessinateur n'est pas mentionné. Le Supplément Illustré du Petit Journal comportait huit pages dont la première (la "une") et la dernière étaient en couleurs.

    date et contexte
    Le journal n° 681 paraît à la date du 3 décembre 1903. Le discours de Jaurès à la Chambre des Députés avait été prononcé le 23 novembre 1903.

    analyse
    Le texte porté au bas du dessin dit : «La France ne doit pas s’hypnotiser dans l’attente d’une revanche dont personne ne veut, dont personne n’a jamais voulu», formule prononcée par Francis de Pressensé à la Chambre des députés le 23 novembre 1903 (source). (1)

    L'image représente une interpellation de Jaurès par une allégorie combattante de la France soucieuse du sort des "provinces perdues" .

     

    description

    En 1902, Jaurès a été réélu député de Carmaux (Tarn) et il est vice-président de la Chambre des députés. Avec Édouard Vaillant, il constitue autour de lui le Parti socialiste français, rival du Parti socialiste de France de Jules Guesde. Son combat pour le désarmement universel est connu. Le 30 juillet 1903, Jaurès s’est adressé aux élèves du lycée d’Albi, où il a lui-même été élève, puis professeur quelques décennies plus tôt

    interprétation

    force dramatique du dessin

    En 1899, la première Conférence internationale de la paix s'est tenue à La Haye. A la différence de presque toutes les conférences précédentes, celle-ci fut convoquée non pas pour conclure ou pour résoudre une guerre, mais pour discuter de la création de mécanismes permanents de droit international, qui favoriseraient le désarmement, la prévention de la guerre et la résolution pacifique des conflits.

    Au niveau international, Jaurès préconise une politique «de désarmement simultané entre les nations» et une «politique d'arbitrage international applicable à tous les litiges», proposition novatrice pour l'époque et qui préfigure les objectifs de la SDN. Il recommande de résoudre certains problèmes internationaux par la négociation bilatérale et les concessions réciproques. Ainsi pourrait-il en être, selon lui, de la question de l'Alsace-Lorraine pour laquelle il propose une large autonomie au sein du Reich. Proposition qui détonne dans une France où la «Revanche» est massivement prônée.

     

    Les internationalistes, ceux qui prêchent au nom d'une vague sentimentalité l'oubli des griefs les plus sacrés, et qui, par contre, ne craignent pas d'attiser entre les citoyens d' une même nation les haines et les discordes politiques, les émeutes sanglantes, ont reçu de la Chambre des députés une leçon complète et sévère. C' était à propos du budget des affaires étrangères. Au sujet de la question du désarmement, le rapporteur, M. de Pressensé, osa déclarer "qu'aucun Français ne voulait, qu'aucun n' avait jamais voulu de la revanche !"

    Ces honteuses paroles soulevèrent une indignation presque générale. Un tollé formidable s'éleva et l'on vit alors la presque unanimité de la Chambre unie dans un même mouvement spontané d' indignation patriotique. Le colonel Rousset, dont la voix puissante dominait le tumulte, s'écria : "Au nom de l'Alsace-Lorraine mutilée et du département frontière que je représente, je vous inflige, monsieur de Pressensé, un démenti catégorique pour les paroles impardonnables que vous avez prononcées !"

    M. Paul Doumer s'empressa, hâtons-nous de dire, de répudier, avec la plus patriotique énergie, au nom de la commission du budget, qu'il préside, le rapporteur qui trahissait avec une telle indignité   le mandat qu'il en avait reçu. M. de Pressensé, non content  de s'attirer, comme rapporteur, un désaveu retentissant de la part de l'honorable président de la commission du budget, a réussi  à préparer à M. Jaurès un double échec et à provoquer, en obligeant la majorité à prendre position sur le terrain du patriotisme, une manifestation qui indique tout au moins que l'immense majorité du pays - contre laquelle n'a pas osé se dresser la majorité parlementaire - longtemps encore restera réfractaire aux doctrines avilissantes de l'internationalisme  révolutionnaire.

    Mais combien il est triste, un tiers de siècle après l'invasion de l'année terrible, les incendies volontaires, les fusillades d'instituteurs, de femmes, de vieillards et d'enfants, les massacres barbares et le démembrement, de constater qu'une fraction même infime du peuple vaincu, mutilé, a tout oublié, n'a rien compris, ou est tombée dans un tel état de déliquescence morale, que ses représentants en viennent à se coucher aux pieds du Prussien vainqueur, pourvu qu'il les fasse vivre et dormir en paix.

    Les paroles de M. Jaurès ou de M. de Pressensé ne sont pas seulement honteuses et sacrilèges ; elles sonnent comme l'écho de celles que l'on entendait déjà au parlement de la fin du second Empire, alors qu'une poignée de mystiques  de l'antimilitarisme nous préparait les désastres de 1870.

    Ne vous y trompez pas un instant, ajoute fort tristement un de mes confrères, une telle manifestation aura du retentissement en Allemagne, et l'écho qu'elle y éveillera ne peut être que fâcheux. D'abord, les gazeliers d'outre-Vosges s'en empareront pour dénoncer une fois de plus à l'Europe le péril de guerre où la met notre incorrigible chauvinisme.

    Cette levée de plumes teutonnes est de peu de conséquence ; mais il se pourrait que l'astucieux de Bülow saisit aux cheveux l'occasion qui s'offre de demander au Reichstag de nouveaux crédits militaires et que, par ainsi, le débat, purement acccidentel, auquel vient de donner lieu notre  budget des affaires étrangères, eût cette conséquence  tout à fait imprévue d'accroître les moyens offensifs de l'ennemi sur notre frontière.

    Cependant, cette manifestation, il était devenu, du fait de MM. de Pressensé et Jaurès, impossible de ne pas la faire. À la question posée par ces deux pontifes de l'internationalisme, aucune Chambre française n'eût pu faire une autre réponse que celle qui a été faite. C'est assez d'avoir signé le traité de démembrement une fois ; il n'y a vraiment pas de raison pour reboire, tous les jours, les larmes qu'il nous a fait verser. Rien n'obligeait donc à parler de ces choses ; mais, du moment que les "bêleurs de paix", comme les appelle M. Clémenceau, en parlaient, on ne pouvait dire que ce qui a été dit.

    Le Petit Journal du 6 Décembre 1903      

     

    (1) - Merci à Patrick Goulet qui m'a fait remarquer que cette phrase étaient bien de Francis de Pressensé et non de Jaurès comme on le trouve écrit dans presque tous les manuels.

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    15 mars 2008

    portes ouvertes au lycée, 15 mars

    r_fectoire

     

    journées portes au lycée Claude Lebois

    samedi 15 mars 2008

     

    salle_conf_1
    accueil en salle des conférences, avec les réalisations d'ouvrages chaudronnés
    des élèves de Bac Pro "Roc"

     

    salle_conf_2
    accueil en salle des conférences, avec les réalisations d'ouvrages chaudronnés
    des élèves de Bac Pro "Roc"

     

    svt_1
    salle de S.V.T., maquettes de crânes d'anthropoïdes de la préhistoire

     

    svt_2
    des millions d'années entre Australopithecus et le petit homo sapiens sapiens

     

    svt_3
    salle de S.V.T., les tables de travail et les professeures

     

    svt_4
    salle de S.V.T., les tables de travail et les professeures

     

    svt_5
    salle de S.V.T., vidéo-projecteur

     

    svt_6
    salle de S.V.T., microscope et ammonites


    svt_7
    salle de S.V.T., dans le microscope binoculaire

     

    _lectro_technique_1
    salle d'électro-technique

     

    _lectro_technique_2
    appareillages en salle d'électro-technique

     

    chimie_1
    salle de chimie


    chimie_2
    le professeur en salle de chimie

     

    chimie_3
    la précision et le soin apporté au réglage de l'expérience

     

     

    chimie_4
    en salle de chimie


    informatique_1
    le magicien de l'informatique


    informatique_2
    le maniement d'un stylo à infra-rouge de fabrication maison

     

    atelier_1
    atelier du lycée professionnel

     

    atelier_2
    atelier : centre d’usinage 3 axes de petites dimensions,
    très économique,  à destination des secteurs de la petite mécanique.

     

    atelier_3
    atelier

     

    structures_m_talliques
    structures métalliques

     

    _tau_1
    énergie juvénile sur un étau à l'ancienne

     

    parc_camion
    le parc des camions (transport et logistique)

     

    ISI_1
    initiation aux sciences de l'ingénieur (Isi)

     

    lyc_e_polyvalent_les_s_ries
    les filières du lycée polyvalent

     

    vue_d_ensemble_1
    vue d'ensemble de l'espace d'information sur le lycée polyvalent

     

    vue_d_ensemble_2
    une écoute réciproque

     

    vue_d_ensemble_3
    le tour des disciplines

     

    Lettres_1
    professeurs de Lettres

     

    Val_rie
    Mme Goy, professeur d'histoire renseignant une ancienne élève

     

    allemand
    le stand des professeurs d'allemand

     

    anglais_1
    professeurs d'anglais


    Ast_rix_en_latin
    vous connaissiez Astérix en français, découvrez-le en latin...!

     

    espagnol
    discussion devant le stand d'espagnol

     

    italien_1
    le stand d'italien

     

    italien_2
    entre César et Garibaldi, la professeure d'italien

     

    Mickael
    M. Blandford, professeur d'anglais

     

    philo
    le stand de philosophie ; sur l'affiche on peut lire le sujet de dissertation suivant :
    "L'apparence n'est-elle que l'ombre de la réalité ?"
    ...ou : l'absence (du professeur de philo...) n'est-elle pas encore un mode de présence ?
    "Je passerai devant toi dans ma gloire (mais) tu ne pourras pas voir ma face"
    (Exode, XXXIII, 18-20)

     

    r_cr_ation_math_1
    "récréation mathématique" (1), avec Mme Ferrand, professeure

     

    r_cr_ation_math_2
    "récréation mathématique" (2)

     

    r_cr_ation_math_3
    "récréation mathématique" (3)

     

    _mile_et_Alexandre_1
    "récréation mathématique" (4)


    lyc_e_professionnel_1
    présentation du lycée professionnel

     

    lyc_e_professionnel_2
    présentation du lycée professionnel

     

    Pierre_Luc_1
    M. Bouderlique, professeur d'histoire en discussion avec d'anciens élèves
    (l'un est en 2e année d'histoire à l'université de Saint-Étienne)

     

    Pierre_Luc_2
    M. Bouderlique, professeur d'histoire

     

    direction_1
    de g. à d., M. Morinon, proviseur, Mme Bonnefond, gestionnaire,
    Mme German, chef des travaux, Mme Ouahi, proviseur adjoint du lycée professionnel

     

    direction_2
    de g. à d., M. Vernay, proviseur adjoint, M. Morinon, proviseur, Mme Ouahi,
    proviseur adjoint du lycée professionnel
    , Mme Bonnefond, gestionnaire,

    Mme German, chef des travaux

     

    photos et légendes :
    M. Renard, professeur d'histoire

    MR___Port_Cros___copie







     

    contactez l'auteur

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    26 mars 2009

    à propos de "Désert" de J.M.G. Le Clézio

    9782070376704




    les contextes et espaces

    de Désert, roman de J.M.G. Le Clézio



    9782070376704FS


    Le livre est composé de deux récits qui s'intercalent celui de Nour et des nomades (hommes bleus) du désert de la Seguiet el Hamra en 1909-1910, avec la figure du cheikh soufi Ma el Aïnine (1838-1910) ; et celui de Lalla dans les années 1960-70, sans que ces dates soient précisées.

    ______________________________________________



    la Saguiet el Hamra

    La Seguiet el Hamra est la province du nord du Sahara occidental. Ce dernier a été espagnol au temps de la colonisation.

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    sirocco au campement saharoui de Smara, photo © Eleleku (source)


    carte_Sahara_occidental
    carte du Sahara occidental (légende en langue espagnole)

    carte_Sahara_occidental__2_
    le Sahara occidental



    ______________________________________________



    le désert du Sahara

    Le Sahara s'étend sur tout le nord de l'Afrique.

    puits___bascule
    Sahara algérien, oasis de Tamentit

    village_saharien_cpa_coloris_e
    village saharien : carte postale ancienne colorisée





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    histoire du Sahara marocain

    La France a conquis l'Algérie à partir de 1830. Mais le Maroc voisin est dirigé par un sultan appelé Moulay. Au XIXe siècle, plusieurs puissances s'intéressent à cette région-: l'Angleterre, l'Espagne, l'Allemagne, et la France bien sûr. Le sultan Moulay Hassan (1873-1894) parvint à maintenir l'indépendance de son pays en jouant des rivalités entre ces puissances.

    Il n'en va pas de même de son successeur, Moulay Abdellazziz (1894-1907) très attiré par les innovations occidentales et qui désorganisent l'administration traditionnelle.





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    3 septembre 2008

    en page accueil pendant l'année 2007-2008


    actualités 2007-2008

    préparation du voyage à Auschwitz

    - lettre aux parents de la classe de Terminale ES 1 : voyage à Auschwitz

    - enfants juifs à Saint-Chamond pendant la guerre  - morts en déportationimage002

    - voyage du 11 décembre 2007 : souvenirs d'élèves - photos

    - documents sur Guy Môquet, fusillé à Châteaubriant le 22 octobre 1941 à l'âge de 17 ans

    - film de François Hans sur l'exécution de Guy Môquet

    - Ennemi intime, un film sur la guerre d'Algérie (présentation vidéo) - dossier photos

    Wajda_Katyn

    - le film Katyn du réalisateur polonais Andrezj Wajda

    Le grand cinéaste polonais, fils d'une des victimes du massacre de Katyn, évoque l'assassinat de masse perpétré par les agents du NKVD soviétique au printemps 1940 à l'encontre de 22 500 officiers de l'armée polonaise ; crime de guerre resté impuni.


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