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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
30 juillet 2012

l'histoire de Damiens n'est pas une affaire de moeurs

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réalité ou fiction ?

à propos d'un livre de Marion Sigaut

Mourir à l'ombre des Lumières. L'énigme Damiens

 

Robert-François Damiens (1715-1757), domestique parisien de son état, est connu dans l'histoire pour avoir commis un "attentat" contre le roi Louis XV le 5 janvier 1757 à Versailles alors que le souverain allait monter dans son carrosse. Il suffisait simplement de toucher le roi pour que cela soit qualifié "d'attentat". Il fut jugé et condamné à mourir de manière atroce. Son supplice fut le dernier écartèlement de l'histoire de France. (voir aussi : enfance et supplice d'un régicide).

 

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gravure évoquant le supplice de Damiens, le 28 mars 1757


L'époque est un peu compliquée. La monarchie a perdu de son aura. Elle est soutenu par un courant de l'Église catholique, l'ordre des Jésuites, mais combattu par un autre, les jansénistes, qui ont de solides positions dans le Parlement, c'est-à-dire dans le milieu judiciaire.

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Christophe de Beaumont, archevêque de Paris de 1746 à 1781, ennemi des jansénistes

Ce conflit dura des dizaines d'années, notamment à propos de la bulle (décision religieuse) Unigenitus édictée par le pape Clément XI en 1713 qui condamnait les thèses des jansénistes. Le roi Louis XV laissait gouverner son ministre Fleury. Il mena deux guerres, assez impopulaires.

 

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audience au Châtelet (l'un des lieux du Parlement) sous Louis XV

Damiens mena une carrière de domestique très apprécié à Paris. Passé un court temps chez les Jésuites, il côtoya surtout les milieux des parlementaires (juges) jansénistes dans lesquels il entendait très souvent critiquer le roi. Malheureusement, en juillet 1756, il déroba à son nouvel employeur, la somme importante de 240 livres et s'enfuit dans sa région d'origine (l'Artois). La mort était le sort promis aux domestiques qui volait leur maître.
Peut-être est-ce pour cela que, perdu pour perdu, il se résolut à ce geste contre le roi.

Un livre intitulé Mourir à l'ombre des Lumières. L'énigme Damiens, est paru en 2010, écrit par une "historienne" et romancière, Marion Sigaut, qui, par ailleurs s'est exprimé dans plusieurs vidéos sur internet.

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J'ai lu cet ouvrage d'une traite, un samedi de fin juillet 2012. Bon récit, palpitant, mais ce n'est pas un livre d'histoire. Marion Sigaut n'a "percé" aucun "mystère" comme on le prétend.

L'hypothèse d'un Damiens agissant, par l'attentat contre Louis XV en 1757, comme père vengeur des outrages infligés à sa fille relève de la fiction pure et simple.

Marion Sigaut affirme avoir trouvé l'existence d'une fille de Damiens dans l'ouvrage de l'historien américain, Dale Van Kley (1984), auteur par ailleurs du savant Les origines religieuses de la Révolution française (Points-Seuil, 2006).

9782020855099

 

Or, la mention d'une épouse et d'une fille de Damiens figure dans les "Pièces originales et procédures du procès..." datant de 1757...!
(Books-Google sur internet : http://books.google.fr/books?id=JvRCAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false, voir p. 308-360).

Ses recherches semblent donc assez superficielles.

J'ai interrogé moi-même, au lendemain de ma lecture, l'historien américain Dale Van Kley (Ohio State University) qui, lui, a effectué des investigations longues et rigoureuses.

Dale Van Kley m'a répondu, immédiatement, avoir passé de nombreuses semaines aux Archives à propos des enlèvements d'enfants et avoir dépouillé les papiers de TOUS les commissariats parisiens pour l'année 1750 (année supposée de l'enlèvement et du viol de la fille de Damiens selon Marion Sigaut).

Or, aucun enlèvement de fille n'est signalé. Et aucun enlèvement de fille ou garçon n'a eu lieu rive gauche, où Damien habitait, rue Étienne-des-Grès...!

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Damiens a agi pour des raisons de convictions religieuses (il en avait peu en fait) et politiques surtout. Ce n'est pas une affaire de moeurs, même si l'époque n'en manquait pas, et même si le roi Louis XV est connu pour ses turpitudes.

Marion Sigaut a écrit un bon roman historique. Mais il ne faut pas le faire passer pour un travail historien. On ne peut jouer sur les deux registres. Sinon cela relève de l'imposture.

Qui n'a tout fait pour la vérité n'a rien fait (paraphrase de Robespierre qui disait : "si vous ne faites tout pour la liberté, vous n'avez rien fait", Sur la nécessité de révoquer le décret sur le marc d'argent, avril 1791).

Michel Renard
professeur d'histoire
Saint-Chamond (Loire)

 

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Paris au XVIIIe s., devant le Louvre

 

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portrait de Damiens peu avant son supplice
(on a exagéré la "méchanceté" de ses traits)

 

____________________________

 

la différence entre les Jésuites et les jansénistes

 

L'odre des Jésuites fut créé en 1540... Grâce suffisante

Les jansénistes, grâce efficace

 

à suivre

 

 

 

 

 

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2 juillet 2012

Une langue constitue aussi une manière de penser, une façon de voir le monde, une culture

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Claude Hagège : "Imposer sa langue,

c'est imposer sa pensée"

 

 

lundi 02 juillet 2012 à 13h38

Pour le grand linguiste Claude Hagège, le constat est sans appel : jamais, dans l'histoire de l'humanité, une langue n'a été « comparable en extension dans le monde à ce qu'est aujourd'hui l'anglais » (1). Oh ! il sait bien ce que l'on va dire. Que la défense du français est un combat ranci, franchouillard, passéiste. Une lubie de vieux ronchon réfractaire à la modernité. Il n'en a cure.

Car, à ses yeux, cette domination constitue une menace pour le patrimoine de l'humanité. Et fait peser sur elle un risque plus grave encore : voir cette «langue unique» déboucher sur une «pensée unique» obsédée par l'argent et le consumérisme. Que l'on se rassure, cependant : si Hagège est inquiet, il n'est pas défaitiste. La preuve, avec cet entretien où chacun en prend pour son grade.

 

Claude Hagège

Claude Hagège © Yann Rabarier pour Le Vif/L'Express

 

Le Vif/L'Express : Comment décide-t-on, comme vous, de consacrer sa vie aux langues ?
Claude Hagège :
Je l'ignore. Je suis né et j'ai grandi à Tunis, une ville polyglotte. Mais je ne crois pas que ce soit là une explication suffisante : mes frères, eux, n'ont pas du tout emprunté cette voie.

Enfant, quelles langues avez-vous apprises ?
À la maison, nous utilisions le français. Mais mes parents m'ont fait suivre une partie de ma scolarité en arabe - ce qui montre leur ouverture d'esprit, car l'arabe était alors considéré comme une langue de colonisés. J'ai également appris l'hébreu sous ses deux formes, biblique et israélienne. Et je connaissais l'italien, qu'employaient notamment plusieurs de mes maîtres de musique.

Combien de langues parlez-vous ?
S'il s'agit de dénombrer les idiomes dont je connais les règles, je puis en mentionner plusieurs centaines, comme la plupart de mes confrères linguistes. S'il s'agit de recenser ceux dans lesquels je sais m'exprimer aisément, la réponse sera plus proche de 10.

Beaucoup de Français pensent que la langue française compte parmi les plus difficiles, et, pour cette raison, qu'elle serait «supérieure» aux autres. Est-ce vraiment le cas ?
Pas du tout. En premier lieu, il n'existe pas de langue «supérieure». En France, le français ne s'est pas imposé au détriment du breton ou du gascon en raison de ses supposées qualités linguistiques, mais parce qu'il s'agissait de la langue du roi, puis de celle de la République. C'est toujours comme cela, d'ailleurs : un parler ne se développe jamais en raison de la richesse de son vocabulaire ou de la complexité de sa grammaire, mais parce que l'Etat qui l'utilise est puissant militairement - ce fut, entre autres choses, la colonisation - ou économiquement - c'est la «mondialisation». En second lieu, le français est un idiome moins difficile que le russe, l'arabe, le géorgien, le peul ou, surtout, l'anglais.

L'anglais ? Mais tout le monde, ou presque, l'utilise !
Beaucoup parlent un anglais d'aéroport, ce qui est très différent ! Mais l'anglais des autochtones reste un idiome redoutable. Son orthographe, notamment, est terriblement ardue : songez que ce qui s'écrit «ou» se prononce, par exemple, de cinq manières différentes dans through, rough, bough, four et tour ! De plus, il s'agit d'une langue imprécise, qui rend d'autant moins acceptable sa prétention à l'universalité.

Imprécise ?
Parfaitement. Prenez la sécurité aérienne. Le 29 décembre 1972, un avion s'est écrasé en Floride. La tour de contrôle avait ordonné : «Turn left, right now», c'est-à-dire «Tournez à gauche, immédiatement !» Mais le pilote avait traduit «right now» par «à droite maintenant», ce qui a provoqué la catastrophe. Voyez la diplomatie, avec la version anglaise de la fameuse résolution 242 de l'ONU de 1967, qui recommande le «withdrawal of Israel armed forces from territories occupied in the recent conflict». Les pays arabes estiment qu'Israël doit se retirer «des» territoires occupés - sous-entendu : de tous. Tandis qu'Israël considère qu'il lui suffit de se retirer «de» territoires occupés, c'est-à-dire d'une partie d'entre eux seulement.

Est-ce une raison pour partir si violemment en guerre contre l'anglais ?
Je ne pars pas en guerre contre l'anglais. Je pars en guerre contre ceux qui prétendent faire de l'anglais une langue universelle, car cette domination risque d'entraîner la disparition d'autres idiomes. Je combattrais avec autant d'énergie le japonais, le chinois ou encore le français s'ils avaient la même ambition. Il se trouve que c'est aujourd'hui l'anglais qui menace les autres, puisque jamais, dans l'Histoire, une langue n'a été en usage dans une telle proportion sur les cinq continents.

En quoi est-ce gênant ? La rencontre des cultures n'est-elle pas toujours enrichissante ?
La rencontre des cultures, oui. Le problème est que la plupart des gens qui affirment « Il faut apprendre des langues étrangères » n'en apprennent qu'une : l'anglais. Ce qui fait peser une menace pour l'humanité tout entière.

À ce point ?

Seuls les gens mal informés pensent qu'une langue sert seulement à communiquer. Une langue constitue aussi une manière de penser, une façon de voir le monde, une culture. En hindi, par exemple, on utilise le même mot pour «hier» et «demain». Cela nous étonne, mais cette population distingue entre ce qui est - aujourd'hui - et ce qui n'est pas : hier et demain, selon cette conception, appartiennent à la même catégorie. Tout idiome qui disparaît représente une perte inestimable, au même titre qu'un monument ou une oeuvre d'art.

Avec 27 pays dans l'Union européenne, n'est-il pas bien utile d'avoir l'anglais pour converser ? Nous dépensons des fortunes en traduction !
Cette idée est stupide ! La richesse de l'Europe réside précisément dans sa diversité. Comme le dit l'écrivain Umberto Eco, «la langue de l'Europe, c'est la traduction». Car la traduction - qui coûte moins cher qu'on ne le prétend - met en relief les différences entre les cultures, les exalte, permet de comprendre la richesse de l'autre.

Mais une langue commune est bien pratique quand on voyage. Et cela ne conduit en rien à éliminer les autres !
Détrompez-vous. Toute l'Histoire le montre : les idiomes des Etats dominants conduisent souvent à la disparition de ceux des Etats dominés. Le grec a englouti le phrygien. Le latin a tué l'ibère et le gaulois. À l'heure actuelle, 25 langues disparaissent chaque année ! Comprenez bien une chose : je ne me bats pas contre l'anglais ; je me bats pour la diversité. Un proverbe arménien résume merveilleusement ma pensée : «Autant tu connais de langues, autant de fois tu es un homme.»

Vous allez plus loin, en affirmant qu'une langue unique aboutirait à une « pensée unique »...
Ce point est fondamental. Il faut bien comprendre que la langue structure la pensée d'un individu. Certains croient qu'on peut promouvoir une pensée française en anglais : ils ont tort. Imposer sa langue, c'est aussi imposer sa manière de penser. Comme l'explique le grand mathématicien Laurent Lafforgue : ce n'est pas parce que l'école de mathématiques française est influente qu'elle peut encore publier en français ; c'est parce qu'elle publie en français qu'elle est puissante, car cela la conduit à emprunter des chemins de réflexion différents.

Vous estimez aussi que l'anglais est porteur d'une certaine idéologie néolibérale...
Oui. Et celle-ci menace de détruire nos cultures dans la mesure où elle est axée essentiellement sur le profit.

Je ne vous suis pas...
Prenez le débat sur l'exception culturelle. Les Américains ont voulu imposer l'idée selon laquelle un livre ou un film devaient être considérés comme n'importe quel objet commercial. Car eux ont compris qu'à côté de l'armée, de la diplomatie et du commerce il existe aussi une guerre culturelle. Un combat qu'ils entendent gagner à la fois pour des raisons nobles - les États-Unis ont toujours estimé que leurs valeurs sont universelles - et moins nobles : le formatage des esprits est le meilleur moyen d'écouler les produits américains. Songez que le cinéma représente leur poste d'exportation le plus important, bien avant les armes, l'aéronautique ou l'informatique ! D'où leur volonté d'imposer l'anglais comme langue mondiale. Même si l'on note depuis deux décennies un certain recul de leur influence.

Pour quelles raisons ?
D'abord, parce que les Américains ont connu une série d'échecs, en Irak et en Afghanistan, qui leur a fait prendre conscience que certaines guerres se perdaient aussi faute de compréhension des autres cultures. Ensuite, parce qu'Internet favorise la diversité : dans les dix dernières années, les langues qui ont connu la croissance la plus rapide sur la Toile sont l'arabe, le chinois, le portugais, l'espagnol et le français. Enfin, parce que les peuples se montrent attachés à leurs idiomes maternels et se révoltent peu à peu contre cette politique.

Pas en France, à vous lire... Vous vous en prenez même de manière violente aux « élites vassalisées » qui mèneraient un travail de sape contre le français.
Je maintiens. C'est d'ailleurs un invariant de l'Histoire. Le gaulois a disparu parce que les élites gauloises se sont empressées d'envoyer leurs enfants à l'école romaine. Tout comme les élites provinciales, plus tard, ont appris à leur progéniture le français au détriment des langues régionales. Les classes dominantes sont souvent les premières à adopter le parler de l'envahisseur. Elles font de même aujourd'hui avec l'anglais.

Comment l'expliquez-vous ?
En adoptant la langue de l'ennemi, elles espèrent en tirer parti sur le plan matériel, ou s'assimiler à lui pour bénéficier symboliquement de son prestige. La situation devient grave quand certains se convainquent de l'infériorité de leur propre culture. Or nous en sommes là. Dans certains milieux sensibles à la mode - la publicité, notamment, mais aussi, pardonnez-moi de vous le dire, le journalisme - on recourt aux anglicismes sans aucune raison. Pourquoi dire «planning» au lieu d'«emploi du temps» ? «Coach» au lieu d'«entraîneur » ? «Lifestyle» au lieu de «mode de vie» ? «Challenge» au lieu de «défi» ?

Pour se distinguer du peuple ?
Sans doute. Mais ceux qui s'adonnent à ces petits jeux se donnent l'illusion d'être modernes, alors qu'ils ne sont qu'américanisés. Et l'on en arrive à ce paradoxe : ce sont souvent les immigrés qui se disent les plus fiers de la culture française ! Il est vrai qu'eux se sont battus pour l'acquérir : ils en mesurent apparemment mieux la valeur que ceux qui se sont contentés d'en hériter.

Mais que dites-vous aux parents qui pensent bien faire en envoyant leurs enfants suivre un séjour linguistique en Angleterre ou aux Etats-Unis ?
Je leur réponds : «Pourquoi pas la Russie ou l'Allemagne ? Ce sont des marchés porteurs et beaucoup moins concurrentiels, où vos enfants trouveront plus facilement de l'emploi.»

Si une seule mesure était à prendre, quelle serait-elle ?
Tout commence à l'école primaire, où il faut enseigner non pas une, mais deux langues vivantes. Car, si on n'en propose qu'une, tout le monde se ruera sur l'anglais et nous aggraverons le problème. En offrir deux, c'est s'ouvrir à la diversité.

Le français pourrait-il être le porte-étendard de la diversité culturelle dans le monde ?
J'en suis persuadé, car il dispose de tous les atouts d'une grande langue internationale. Par sa diffusion sur les cinq continents, par le prestige de sa culture, par son statut de langue officielle à l'ONU, à la Commission européenne ou aux Jeux olympiques. Et aussi par la voix singulière de la France. Songez qu'après le discours de M. de Villepin à l'ONU, s'opposant à la guerre en Irak, on a assisté à un afflux d'inscriptions dans les Alliances françaises.

(1) Contre la pensée unique, par Claude Hagège.
Odile Jacob, 250 p.

PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL FELTIN-PALAS

 

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