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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
10 septembre 2008

photographies du XIXe siècle

petits_ramoneurs



photographies du XIXe siècle

 

Niepce_ViewWindow_sm

 

 

 

 

 




Niepce, 1826

 

 louisDaguerre_720


 

 



 

 

 

 

 

 boulevard du Temple, Daguerre, 1838

 


L'invention de la photographie
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La photographie date des années 1820. Le premier, Nicéphore Niepce (1765-1833) parvint à capturer l'image mais il a du mal à la fixer et les temps de pose sont de plusieurs jours. En 1827, il rencontre Louis Daguerre  (1787-1851) et les deux hommes s'associent. À la mort de Niepce, Daguerre continue ses recherches et invente le daguerréotype, procédé photographique beaucoup plus simple à réaliser.

D'abord, en 1835, il découvre que la vapeur de mercure peut être utilisée comme révélateur de l'image, ce qui 466px_Louis_Daguerre_2permet de raccourcir le temps de pose (de plusieurs heures à quelques dizaines de minutes seulement). En 1837, il réussit à fixer les images avec de l'eau chaude saturée de sel marin : le daguerréotype était né. Daguerre présente son invention à l'Académie française des sciences le 9 janvier 1839 et le brevet est acquis par le gouvernement français le 19 août 1839.

Le daguerréotype est un procédé photographique qui permet d’obtenir une image sans négatif, en l’exposant directement sur une surface en argent dépoli. Il ne permet aucune reproduction de l'image.

L’invention de Louis Daguerre n'est pas le premier procédé photographique. Cependant, il est l'un des premiers procédés à afficher une image de façon permanente (avec les procédés antérieurs, les images disparaissaient rapidement quand elles étaient exposées à la lumière). Ce procédé photographique fut donc le premier à être utilisé commercialement.

La daguerréotypie utilise une plaque de cuivre recouverte d'une couche d'argent et sensibilisée à la lumière par des vapeurs d'iode. Le temps d'exposition à la lumière est d'environ vingt à trente minutes pour que la plaque enregistre une image latente. Le développement de l'image est ensuite effectué grâce à de la vapeur de mercure, en plaçant la plaque au-dessus d'un récipient de mercure légèrement chauffé (75 °C). Enfin, il faut fixer l'image, c'est-à-dire la rendre permanente, en plongeant la plaque dans une solution d'hyposulfite de soude.

Le procédé inventé par Daguerre suscita un engouement immédiat et se répandit en Europe, aux États-Unis et dans le monde entier dès les années 1840. Cependant, son immense succès ne dura qu’une dizaine d'années face à la concurrence d'autres procédés moins complexes : l'ambrotype (1854) offrant une image positive sur verre avec un fond noir, le ferrotype, une image sur étain, ou encore la photographie à l'albumine.

À la différence des photographies sur film et sur papier, un daguerréotype peut durer pour toujours s’il est bien protégé.

d'après : source



photographies
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anonyme (1839)

Anon_SenaTullerias39
vue de la Seine et de Notre-Dame, Paris, 1839

 

le Louvre photo 1840
le Louvre en 1840

 

rive gauche photo 1840
la rive gauche de Paris en 1840

 

 

Vincent Chevalier (1770-1841)

chevalier-pont-neuf
Vincent Chevalier, La Seine, le Louvre et la statue d'Henri IV, vers 1840 (source)

 

- excellente mise au point sur l'opticien et photographe Vincent Chevalier (1770-1841) sur le site Vergue.

 

 

 

William Henry Fox Talbot (1800-1877)

TALBOT_BOULEVARDS_PARIS_1843
boulevard de Paris, 1843

 

Hippolyte Bayard (1801-1887)

543bg
auto-portrait en noyé, 1840 (analyse de cette image)

 

Bayard_ParisMontmartre_1842
les moulins de Montmartre, 1842/1845

 

Thibault ()

BarricadeRueSaintMaur25juin1848
barricades rue Saint-Maur, avant l'attaque, 25 juin 1848

Rue Saint-Maur. Daguerréotypes de Thibault. 25 et 26 juin 1848
Les premières photographies permettent de saisir l’atmosphère des barricades à des moments différents. Le daguerréotype du 25 juin illustre la phase d’attente qui précède l’assaut. On n’aperçoit âme qui vive dans la rue Saint-Maur avant l’attaque, les portes et les volets des maisons sont fermés, les émeutiers sont cachés derrière les barricades qui se succèdent à faible distance dans la rue, au niveau des carrefours.
Le 26, après l’attaque du général Lamoricière, les habitants sont sortis et ont ouvert les fenêtres. Le journal L’Illustration publie dès la première semaine de juillet les deux daguerréotypes sous forme de gravure sur bois, usage tout nouveau par la presse d’une «planche daguerréotypée», propre à renforcer aussi l’impression de neutralité de l’information.


Luce-Marie ALBIGÈS
source : l'histoire par l'image

 

barricade rue Saint-Maur après l'assaut gros plan
la rue Saint-Maur après l'attaque, 26 juin 1848 (gros plan)

 

 

Edmond Bacot (1814–1875), un des meilleurs photographes normands au XIXe  siècle

BAC140E
église Saint-Pierre à Caen, vers 1851
(la rivière Odon, à droite sur la photo, fut couverte en 1860)


 

Hugo_vase_aux_serpents
Victor Hugo devant la fontaine aux serpents à Hauteville House en 1862
(vue stéréoscopique)

 

Hugo_et_sa_famille
Victor Hugo et sa famille au dîner des enfants pauvres
à Hauteville House
(années 1850/1860 ?)

 

Philibert Perraud (1815-après 1863)

perraud
groupe d'artistes à la Villa Médicis, 1845-1846



Charles Nègre (1820–1880), grand photographe français du XIXe siècle

 

petits_ramoneurs
Charles Nègre, ramoneurs en marche, 1851/1852

 

travaux
travaux quai d'Orléans (4ème arrondissement, Paris), 1851

 

terrassiers
terrassiers au repos sur un boulevard, Paris, 1853


pavillon_d_octroi
Pavillon d'octroi, port de l'Hôtel-de-Ville et l'île de la Cité avec la Conciergerie
au fond (4ème arr., Paris), entre 1851 et 1854


ec_4_5b
Galerie supérieure de Notre Dame de Paris,
dit le Stryge
, photographie par Charles Nègre,
1853, Musée d'Orsay


Negre_Mercado51
petit marché à Paris, 1851/1853



Negre_PlazaAuxAires52
scène de marché dans la rue, Paris, 1851/1853



Gustave Le Gray (1820–1894)

LeGray_Molinos_c1850
moulins de Montmartre, 1850



Atelier de Jersey

Victor_Hugo_1853
Victor Hugo au chapeau, vers 1853 - 1855



Édouard Baldus (1813–1889)

pont de Solférino circa 1860 par Baldus
le pont de Solférino vu du pont de la Concorde, vers 1860


Le pont de Solférino (en fonte) a été construit en 1861, sous Napoléon III. Il permettait le passage de véhicules. Il fut détruit juste un siècle plus tard, en 1961, et remplacé par une passerelle piétonne en acier.

 

passerelle Léopold-Sédar-Senghor
la passerelle Solférino, aujourd'hui appelée Léopold-Sédar-Senghor

 

 

 

André (?)

Hugo_assis
Victor Hugo dans la galerie de chêne à Hauteville House,
1878
(conservée à la Maison de Victor Hugo)


_____________________

 

 

Toulouse le Pont Neuf en 1855
le Pont Neuf à Toulouse en 1855 (archives départementales de la Haute-Garonne)

 

 

 

 


notices biographiques
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William Henry Fox Talbot (1800-1877)
En 1842, il commence à publier, en 24 fascicules, le premier livre de photographies de l'histoire, The Pencil of Nature, en utilisant des copies grand format des calotypes originaux.

Hippolyte Bayard (1801-1887)
Bayard expérimente les effets de la lumière sur une surface chimique avant 1836. En réaction à ses difficultés à se faire reconnaître comme précurseur, il réalise en 1840 son autoportrait mortuaire sur négatif papier. Au début des années 1850 les Monuments Historiques lui commandent des relevés de l'architecture normande. Membre fondateur de la "Société Héliographique" en 1851 et de la "Société Française de Photographie" en 1854.

Adolphe Braun (1811-1877)
1850 installé à Dornach en Alsace, Braun édite une série de vues sur les Alpes et une étude de 300 planches décoratives sur les fleurs. À Paris photographe officiel du Second Empire, il accumule les portraits de la cour, voyage en Allemagne, Autriche, Belgique, Égypte, Italie, Suisse.


Eugène Cuvelier
(1830-1900)

Frédéric Flacheron (1813-1883)
Peintre, sculpteur, calotypiste Flacheron anime en 1850 un cercle de photographes réuni au café Greco à Rome.

Gustave Le Gray (1820-1894)
Figure centrale de la photographie du XIXe siècle. Contemporain de photographes comme Nadar, Charles Nègre, Henri Le Secq, Édouard Denis Baldus, les frères Bisson, Roger Fenton, il occupe néanmoins une place à part. Comme la plupart d'entre eux, il commence par une formation de peintre. Sa maîtrise absolue de la technique photographique l'amène à mettre au point deux inventions majeures, le négatif sur verre au collodion en 1850 et le négatif sur papier ciré sec en 1851. Son sens de la composition hérité de la peinture, adapté à l'esthétique photographique naissante, le conduit à aborder de nombreux sujets : portraits, vues d'architecture, paysages, nus et reproductions d'œuvres d'art. (source : BnF)

Nadar (1820-1910)
Caricaturiste, se lance dans la photographie à partir de 1854. Célèbre pour ses portraits de personnalités.

Charles Nègre (1820-1880)
Élève d'Ingres et Delaroche, Charles Nègre se sert en peinture de la photographie pour les perspectives. Il photographie des scènes populaires à Paris en 1851 et prend des vues de Chartres. Il compose son album du Midi en 1852, un reportage sur l'architecture à Chartres en 1855, enseigne le dessin au Lycée impérial de Nice en 1863.

Philibert Perraud (1815-après 1863)
oeuvre : groupe d'artistes à la Villa Médicis.


Eugène Piot
(1812-1890)
Archéologue, en 1840 Piot prend ses premières photos en Espagne avec Théophile Gautier. Il voyagea beaucoup en Italie et en Grèce où il se consacre à l'architecture antique.

Louis Rémy Robert (1811-1882)
Peintre en chef à la Manufacture de Sèvres en 1848, il succéda à Victor Régnault à la direction en 1871. Membre de la "Société Française de Photographie" en 1855, il prend des paysages, compose de superbes natures mortes et réalise de nombreuses reproductions de porcelaines.


Félix Teynard (1817-1892)
Teynar use du calotype pour confirmer ses études archéologiques, son travail illustre un ouvrage somptueux sur les sites d'Égypte et de Nubie publié en 1858 et regroupant 160 calotypes en 2 volumes.



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23 août 2008

l'industrialisation à Saint-Chamond

AM_site_vue_d_ensemble


l'industrialisation dans la vallée du Gier :

Saint-Chamond



galerie_membre_montagne_vallee_gier
la vallée du Gier, vue depuis le massif du Pilat, en face les monts du Lyonnais

 

le Gier, une rivière

cartegier

Le Gier prend sa source près du Crêt de la Perdrix, dans les monts du Pilat. Il traverse plusieurs villes industrielles avant son confluent avec le Rhône près de Givors. Le Janon, qui passe près de la Chabure, est un affluent du Gier. Les villes principales de la vallée se trouvent sur le cours du Gier (de l’amont vers l’aval) : St-Chamond, L'Horme, La Grand-Croix, Lorette, Rive-de-Gier, Givors.



les Forges et Aciéries de la Marine

Compagnie des forges et aciéries de la Marine et des chemins de fer, issue en 1854 de la fusion de plusieurs entreprises métallurgiques, dont principalement les établissements Jackson frères et Hippolyte Petin, Gaudet et Cie, devenue en 1903 la Cie des forges et aciéries de la Marine et d'Homécourt, absorbée en 1953 dans la Cie des Ateliers et forges de la Loire (C.A.F.L.), puis en 1970 dans le groupe Creusot-Loire.

iconographie

AM_presse_600_tonnes
Aciéries de la Marine : chaudronnerie, presse de 600 tonnes


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grosse forge, pilon de 100 tonnes


AM_presse_6000_tonnes____
presse de 6000 tonnes


AM_pilon_100_tonnes
pilon de 100 tonnes


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Aciéries de la Marine : atelier de trempe des blindages
(trempe à l'huile d'une plaque de blindage à la sortie du four)

AM_atelier_forerie
atelier de forerie ; en haut et au centre, un pont roulant pouvant manoeuvrer les pièces ;
à gauche et à droite, les courroies transmettant l'énergie aux machines



AM_atelier_d_usinage_rayage_des_canons
atelier d'usinage, rayage des canons de petit calibre


AM_atelier_d_usinage_tournage_des_canons
atelier d'usinage, tournage des canons de gros calibre

AM_atelier_montage__tours_
atelier de montage, tours


AM_atelier_usinage
atelier d'usinage, machines-outils


AM_atelier_pr_cision
atelier de précision (au premier plan, le marbre)


AM_atelier_pyrotechnie
atelier de pyrotechnie


AM_Chaudronnerie
chaudronnerie, fabrication des canons d'artillerie


AM_fabrication_avant_trains
fabrication des avant-trains et des arrière-trains


AM_tour___plateau
tour à plateau


dossier : Michel Renard
professeur d'histoire

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Les Forges et Aciéries de la Marine à Saint-Chamond, histoire de l'entreprise

La Compagnie des Hauts-Fourneaux, Forges et Aciéries de la Marine et des Chemins de Fer fut créée le 14 novembre 1854 : elle résultait de la fusion des établissements Jackson à Assailly Loire), des établissements Petin et Gaudet à Saint-Chamond (Loire) et Rive-de-Giers (Loire), de la société Neyrand-Thiollère, Bergeron et Compagnie de Lorette (Loire) et de la Société Parent, Schaken, Goldsmidt et Compagnie (Paris). Le siège de la compagnie fut installé à Rive-de-Giers puis à Saint-Chamond (9 novembre 1871).


Les centres d’implantation des usines de la compagnie s’étendirent progressivement : usines du Boucau (Pyrénées-Atlantiques) en 1881, d’Homécourt (Meurthe-et-Moselle) et du Haumont (Nord) en 1903, d’Onzion (Loire) en 1932. En 1903, la Compagnie prit le nom de Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt.
Après la guerre de 1914-1918, fut créée la Compagnie de Dépôts et d’Agences de Ventes d’Usines Métallurgiques (DAVUM), chargée des ventes de la compagnie en France (les ventes à l’étranger étant gérées par DAVUM Exportation).

Après la guerre de 1939-1945, de profondes transformations intervinrent dans les structures de la société : en 1950, elle apporta ses établissements de l’Est et du Nord à SIDELOR, concentrant de nouveau son activité dans la Loire.
En 1952, elle fusionna avec la Compagnie des Aciéries de Saint-Étienne pour donner naissance à la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et Saint-Étienne ; en 1954, elle s’associa avec les Etablissements Jacob Holtzer et avec l’Usine de la Loire et des Aciéries et Forges de Firminy, pour donner la Compagnie des Forges et Aciéries de la Loire.
En 1961, elle fusionna avec Firminy et prit le nom de Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine, Firminy et Saint-Etienne, qui devint finalement «Marine-Firminy» en 1968.  En mars 1970, Marine-Firminy, propriétaire de la Compagnie des Forges et Aciéries de la Loire  (CAFL) s’associa à part égale avec Schneider, propriétaire de la Société des Forges et Ateliers du Creusot (SFAC), pour créer Creusot-Loire.

source : archives nationales

 

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Les fabrications de guerre (1914-1918)

"M. Albert Thomas autorisait la semaine dernière la visite de plusieurs de nos grandes usines de guerre.
L'impression la plus vive fut peut-être celle que nous donna l'usine de Lyon, usine improvisée dans les bâtiments de l'exposition... Grâce à un outillage ultramoderne acheté en Amérique, le rendement atteint un chiffre considérable...
Au Creusot... la variété de fabrication est en quelque sorte illimitée : obus pour la Russie... obus à explosif de 75, projectiles d'artillerie lourde... De puissantes installations en cours d'achèvement permettront bientôt de fournir un nombre triple de certains gros obus...

À Saint-Chamond, "Les Forges et Aciéries de la Marine"... ont su adapter leur outillage à de nouvelles fabrications..."

in L'Illustration du 21 août 1916

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Albert Thomas, ministre de l'Armement en 1916



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5 octobre 2015

les institutions de la cité athénienne

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les institutions de la cité athénienne



La réforme de Clisthènes, fondatrice de la citoyenneté démocratique à Athènes, 508/507 av. JC.

 

1) le territoire de la cité

 

Diapositive1



attique


Clisthene


attique




2) les types de Constitution, selon Aristote

 

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les types de "constitutions", selon Aristote

 

Dans le livre III de La Politique, Aristote (384-322) a présenté la formulation classique des "constitutions". Ces constitutions, ou politeia, se divisaient en trois types selon le nombre de gens qui faisaient fonctionner les principaux organes du gouvernement.

Chaque type possède une variante positive et une variante négative (bon ou mauvais avatar) en fonction du rapport aux lois et à l'intérêt (public ou privé) :

- bon avatar : le gouvernement agit conformément aux lois et au bien de la cité ;

- mauvais avatar : le gouvernement agit au-dessus des lois et dans le seul intérêt de ceux qui l'exercent.

Les appelations du troisième type ont varié :

- Platon (428/427-348/347) : bonne démocratie et mauvaise démocratie ;

- Aristote : politeia et démocratie ;

- Polybe (200-118 av.) : démocratie et ochlocratie (gouvernement de la foule).

 

 

3) la mise en place de la démocratie à Athènes

 

507-322 av

 

 

Kleisthénês

 

 

synthèse

 

De 507 à 501, Athènes s'est dotée d'une constitution originale et radicale, sous l'impulsion d'un réformateur audacieux : Clisthène.

Qui était Clisthène ?

Un membre d'une des plus illustres familles athéniennes : les Alcméonides. Comment et pourquoi cet aristocrate a-t-il non seulement pris la tête du parti populaire et mis en place la première véritable constitution démocratique de l'histoire ? Nous devons nous satisfaire de la formule lapidaire d'Aristote qui résume ainsi son oeuvre et sa vie : "il donna le pouvoir à tout le peuple".

Sans doute la compétition politique et la pression des événements ont-elles joué un rôle aussi important que la vision historique mais il est certain que cet homme cultivé était également inspiré par la philosophie rationnelle de son temps et en particulier par le souci de perfection propre à la pensée pythagoricienne. On sait par ailleurs qu'il avait voyagé et étudié la constitution d'autres cités grecques et de quelques-unes de leurs colonies.

Redéfinition de l'espace et du temps politique

Ni Dracon, ni Solon ni Pisistrate n'avaient osé toucher à la structure clanique qui régissait le fonctionnement politique d'Athènes depuis le VIIIe siècle. Le système des quatre tribus servait de cadre à toute l'organisation civile, politique et religieuse. La réforme de Clisthène repose principalement sur un bouleversement complet de cette organisation. Les anciennes structures de base (dème, phratrie, tribu, trittye...) ne sont pas abolies mais leur rôle et leur répartition sont redéfinis.

Élargissement du demos

Pour assurer le succès de son redécoupage et rompre définitivement avec l'ancienne organisation de type clanique, Clisthène offre la citoyenneté à de nombreux non-citoyens qu'il répartit dans les nouveaux dèmes et les nouvelles tribus. Plusieurs milliers d'hommes libres mais issus d'unions illégitimes, de métèques, d'étrangers et même d'esclaves sont ainsi naturalisés et deviennent membres de plein droit de l'Ecclesia (assemblée) dans laquelle on peut penser qu'ils constituent un des plus fermes soutiens du régime démocratique naissant.

Les organes du gouvernement

En l'espace de cinq ans, tout le pouvoir politique est transféré à l'Ecclesia. On aménage spécialement la colline de la Pnyx sur laquelle les citoyens ont le droit et le devoir de se rendre, quatre fois par mois, pour débattre et gouverner directement la cité, selon la règle de la majorité simple et par votes individuels à main levée. L'Héliée (tribunal) retrouve tous les pouvoirs que la réforme de Solon lui avait conférés. Les magistrats sont tirés au sort. On crée aussi un nouveau collège appelée "stratégie", composé de dix membres élus par l'Assemblée.

Clisthène modifie en outre la composition et le fonctionnement de la Boulè (ἡ βουλή), qui devient un "Conseil" de 500 membres tirés au sort, siégeant au Bouleuterion (τὸ Βουλευτήριον) et assurant pendant un an le fonctionnement de l'exécutif.

L'Aréopage perd ainsi toutes ses fonctions politiques et la plupart de ses prérogatives judiciaires. En 462, poursuivant l'oeuvre de Clisthène, Ephialtès, le dernier grand réformateur, lui enlèva le contrôle des comptes de magistrats, ne lui laissant à juger que les affaires criminelles à implication religieuse.

L'établissement des principes démocratiques

Le nouveau régime ne s'appelle pas encore démocratie mais le pouvoir du demos est total, appuyé sur les principes d'iségorie (égalité de parole), et d'isonomie (égalité dans le partage de la citoyenneté quelque soit la naissance). Les classes censitaires ne sont pas abolies mais la prééminence de la loi écrite et l'égalité de jugement sont solennellement réaffirmées.

Sur la Pnyx, dans l'Héliée ou le Bouleuterion, toutes les voix sont égales. Le peuple souverain jouit donc de droits dont il n'avait jamais disposé jusqu'alors. Il se retrouve aussi face à ses devoirs. C'est à lui désormais de faire face à ses reponsabilités de gouvernant, et de donner une partie de son temps à la collectivité.

Il est aussi le seul gardien de la constitution et le garant de son pouvoir et de sa liberté. Pour se prémunir contre la corruption, la remise en question des principes démocratiques et un retour des oligarques ou des tyrans, la cité instaure une série de mesures de vigilance avec des procédures telles que la graphè paranomon ["action en justice publique dans l'intérêt des lois"] (ἡ γραφή παρανόμων), ou l'ostracisme [1] (ὁ ὀστρακισμός) dont furent parfois victimes des personnages très éminents.

[1]Le mot "ostracisme" vient d'ostrakon, qui signifie"coquille" ou "tesson" (de poterie). C'est une procédure très particulière qui visait à écarter des affaires publiques des citoyens jugés dangereux pour la cité et son régime politique. Elle se traduisait par une déchéance des droits de citoyenneté accompagnée d'un bannissement d'une durée de dix ans. Contrairement aux condamnés en justice, le banni ne perdait cependant pas ses droits civils et ses biens lui étaient conservés. L'ostracisme pouvait frapper tout homme exerçant une fonction politique mais surtout ceux qui étaient élus et non pas tirés au sort, en particulier les stratèges.

 

 

 

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2 avril 2008

calcul des taux démographiques

famille_image



calcul des taux démographiques

population française

 

Ci-dessous, les formules pour calculer les taux démographiques - de croissance, de natalité, de mortalité - à partir des données quantifiées :

Diapositive1
cliquer sur l'image pour l'agrandir et l'imprimer

Attention ! Les taux de natalité sont exprimés en ‰ (pour mille) et non en % (pour cent).
Pourquoi ? Tout simplement parce que les résultats seraient fréquemment inférieurs à zéro. Par exemple, le taux de croissance de la population en France en 2007 serait de 0,45%. Comme il est plus simple de manier et de retenir des nombres dont l'unité n'est pas inférieure à zéro, on choisit le "pour mille" : 4,5‰.

rappel de l'opération :

Diapositive1
cliquer sur l'image pour l'agrandir et l'imprimer

Un produit en croix permet de calculer une inconnue (x) à partir de trois données connues. Il comporte quatre éléments identifiés par leur position géométrique : en haut à gauche et en bas à droite, les extrêmes ; en haut à droite et en bas à gauche, les milieux.

Quand l'élément inconnu est un milieu, on fait le produit des deux extrêmes (on les multiplie l'un par l'autre) et on divise le résultat par le milieu qui reste.

On peut aussi se repérer par les diagonales : la diagonale des éléments connus (ici : 290 000 et 100), appelée aussi "diagonale complète", et la diagonale qui ne compte qu'un seul élément connu (ici : 63 800 000). Pour trouver le x, il faut multiplier entre eux les éléments de la diagonale complète et diviser le résultat obtenu par l'élément connu de la diagonale incomplète. C'est la même opération que ci-dessus mais décrite différemment, ce qui permet peut-être de mieux la mémoriser.

M. Renard

 

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2 décembre 2007

familles israélites déclarées à St-Chamond, liste du 31 juillet 1941

Saint_Chamond_1944
Saint-Chamond, carte écrite le 27 décembre 1944

 

familles israélites déclarées à St-Chamond

liste du 31 juillet 1941


ARCHIVES DEPARTEMENTALES de la LOIRE, série 2 W 776


1) une prescription d'enquête de la préfecture au commissariat de police de St-Chamond avec rappel de la loi du 2 juin 1941

BOYER Marcel 9 rue ventefol

MESTRE DE LAROQUE

St__tienne_oblit_r_e_1942
carte postale oblitérée en septembre 1942


2) à St-Chamond, après enquête en date du 19 juin 1941

juifs étrangers non commerçants

2 célibataires

1 chef de famille avec grand-mère+ fe+3 enfants

juifs français non commerçants

1 chef de famille avec femme catholique non juive+ fille

juifs français commerçants

1 chef de famille avec fe

1 chef de famille avec femme + 3 enfants

1 célibataire


3) Familles déclarées israélites de St-Chamond

Liste établie le 31 juillet 1941 : état des habitants «juifs»

NOMS prénoms age profession adresse observation

COUNIO Sabetay 30 ingénieur/employé de bureau 13 rue Marc Seguin

GLAUBERG Siegfried 41 ingénieur 8 rue Victor Hugo

Mme 42 née GOLDSCHMITT sp

Helmut 18 sp

Simone 14

Régina 11

Mme 63 née ROSENTHAL

LEVY Eugène 85 négociant en tissus 3 rue Alsace-Lorraine

Julie 73 née MEYER sp

Georges 50 commerçant

LEVY Simon 53 directeur d'usine 3 avenue de la Gare carte de combattant

SALOMON Markus 38 manoeuvre/ ajusteur 28 rue de la République

63 rue Alsace-Lorraine

SPIRO Joanny 34 monteur-électricien 2 rue Ventefol engagé volontaire 39-40

WEYL Albert 58 ex négociant 3 rue Alsace-Lorraine capitaine de réserve

Miria 52 née LEVY sp

Colette 29 sténo-dactylo

Jacques 25 employé de commerce

Liliane 22 sp

PERLMUTTER Emile manoeuvre 12 rue de la Boucherie

 

4) à Izieux liste établie le 18 août 1941

BOVDNIEYSKI Sacha né le 16 août 1899 à Wilna 2 rue de la Garenne

CARVAILLO Judith née le 23 novembre 1903 à Bayonne

BOVDNIEYSKI Dina née le 30 avril 1930

BOVDNIEYSKI Pierre né le 20 avril 1931

BOVDNIEYSKI Simone née le 30 octobre 1935

LOW Leib né le 2 juillet 1910 à Frustak 1 rue des Poilus


5) à St-Julien, le maire NEYRAND déclare «un seul juif réfugié venant d'Allemagne» : DREYFUS


6) ailleurs dans les communes environnantes, les maires (ou les gendarmes) répondent : «pas de juifs»


7) une déclaration tardive : Raymond GROSS,F, assistant dentiste, hôtel Hilaire, place de la Gare

 

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Saint-Étienne en 1944

 

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23 octobre 2007

Qui était Claude Lebois ?

Buste_Claude_Lebois__2_
Claude Lebois (1845-1919), buste datant de 1921
(ce buste trône dans le hall du lycée Claude Lebois à Saint-Chamond)

 

Qui était Claude Lebois ?

1845-1919



Claude Lebois est né à
Chissey-les-Mâcon (Saône-et-Loire) le 6 décembre 1845 sous la monarchie de Juillet (1830-1848).  Pour établir une comparaison chronologique, sa vie fut parallèle à celle de l'écrivain Anatole France (1844-1924). Mais sa destinée fut différente.

Il fut un modèle d'homme savant et intègre et associa son nom à la promotion de l'enseignement technique. Sans cesse attentif à la nouveauté technologique qui marqua son âge adulte, il accompagna ce qu'on désigne sous le nom de "seconde révolution industrielle" et en rendit compte dans ses cours et dans ses livres.

Le père de Claude s'appelait François Lebois ; il était âgé de 34 ans lors de la naissance de son fils et exerçait la profession de meunier. Sa mère s'appelait Pierrette Mansau (?) - source : archives départementales de Saône-et-Loire.

 

acte naissance Claude Lebois
extrait de la transcription de l'acte de naissance de Claude Lebois en 1845

 

Petit enfant sous la IIe République (1848-1851), il a grandi sous le Second Empire (1852-1870). Sa formation date de cette époque. En 1866, il est envoyé à l'École normale d'enseignement spécial de Cluny en Saône-et-Loire - l'enseignement spécial signifiant alors professionnel - qui vient juste d'ouvrir ses portes. On l'appelle aussi "école Victor Duruy" du nom du ministre de l'Instruction publique (1863-1869) désigné par Napoléon III. (...)

 

Cluny_Arts_et_m_tiers__1_
l'École normale d'enseignement spécial de Cluny (ouverte en 1866), devenue École
Nationale
Pratique d´Ouvriers et de Contremaîtres en 1891, puis École Nationale
des Arts et Métiers en 1901. Claude Lebois y séjourna de 1866 à 1868
(ancienne carte postale ayant circulé en 1905)

 

fa_ade__cole_Cluny_1866
le bâtiment principal de l'École normale d'enseignement spécial de Cluny
(communiquée par Chantal Clergue, étudiante en master d'histoire contemporaine, déc. 2008)

 

_cole_normale_de_Montbrison
l'École Normale de Montbrison

 

Claude Lebois avant 1899
Claude Lebois, avant 1899

 

 

 

suite de l'article en préparation



buste_Claude_Lebois___Saint__tienne
le buste de Claude Lebois
dans la cour de l'école professionnelle
à Saint-Étienne dans les années 1932-1935

Michel Renard
professeur d'histoire
au lycée Claude Lebois

 

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Claude Lebois, photographies

 

Claude_Lebois_vers_1872
Claude Lebois vers 1866/68 (environ 21/23 ans)
à
l'École normale d'enseignement spécial de Cluny

 

Claude_Lebois_l_gion_d_honneur    Claude_Lebois_portrait
officier de la Légion d'honneur en 1898
                                             

Claude_Lebois____droite

 

Claude_Lebois_ao_t_1911
août 1911 : à droite Claude Lebois et assise au centre Lucie Lebois, sa fille ;
assis à gauche, Gabriel Dailloux ; debout, M. Roussin



Claude_Lebois_15_ao_t_1911
15 août 1911 à Vichy devant la Source de l'Hôpital ; de g. à d. : M. Roussin,
professeur à l'École Carnot à Vichy ; Élise Dailloux ;
M. Ardiller, directeur d'École Normale à Orléans ; Lucie Lebois ; Claude Lebois ;
A(?) Debin (?) ; Gabriel Dailloux, père d'Élise


menhir
16 octobre 1912, menhir de Nobles, ou menhir du hameau de Pierre-Levée,
à proximité du château de Nobles dans la commune de La Chapelle-sous-Brancion
en Saône-et-Loire


menhir_de_Nobles__2_
photo récente du menhir de Nobles et du paysage que
Claude Lebois a pu contempler



Claude_Lebois_campagne


Claude_Lebois__g_


Claude_Lebois_buste_dans_hall_d_honneur
buste de Claude Lebois dans le hall d'honneur
de l'école
professionnelle de Saint-Étienne


Nous devons ces photographiques, inédites à ce jour, à l'obligeance et à la gentillesse d'Anne Le Goff, arrière-petite-fille de Claude Lebois et petite-fille de Lucie. Qu'elle en soit vivement remerciée.

Michel Renard
janvier 2009

 

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Buste_Claude_Lebois
buste se trouvant désormais dans le hall du
lycée Claude Lebois à Saint-Chamond

 


biographie de Claude Lebois figurant
sur le site du lycée et due

à Louis Challet, ancien professeur d'histoire au lycée Claude Lebois

 

Né à Chissey-les-Mâcon, en 1845, Claude Lebois se destine à la carrière d’enseignant. À 20 ans il est maître d’école élémentaire au collège de Mâcon.

En 1866, il obtient une bourse pour entrer à l’École d’Enseignement Spécial de Cluny, créée l’année précédente ; sans doute, a-t-il le goût des sciences et techniques, alors peu prisées. Sa formation une fois complétée, il est nommé professeur de sciences à l’école normale de Montbrison, de 1868 à 1870 puis à celle de Grenoble de 1871 à 1878. Durant la guerre de 1870, il est mobile dans l’armée de la République.

Il répond, en 1879, à l’appel du maire de Saint-Chamond, Marius Chavanne, qui désire fonder une École Professionnelle Municipale. Avec trois professeurs il ouvre cette école dans les bâtiments de l’ancien collège des Maristes récupéré en 1871 par le maire Deschamps. Claude Lebois, directeur et les professeurs logent dans de petites maisons, à proximité.

L’instituteur, M. Fournier qui l’a connu à cette époque le décrit comme un homme grave et modeste. S. Bertholon, historien de Saint-Chamond, qui n’apprécie guère l’enseignement public, estime qu’il est un homme remarquable. Claude Lebois ne reste que trois ans à Saint-Chamond. Il est nommé directeur, en 1882, de l’École Pratique d’Industrie de Saint-Étienne ; il reste à ce poste jusqu’en 1897. L’établissement qu’il décrit dans l’ouvrage Association pour l’avancement des sciences, (XXVIe session, août 1897, Saint-Étienne) est d’une autre ampleur que celui de Saint Chamond...

En 1898, ses services sont récompensés par la Légion d’Honneur et la nomination au poste d’inspecteur des écoles pratiques de la ville de Paris. En 1904, il est promu Inspecteur Général. Claude Lebois favorise la création des écoles pratiques de Firminy (1901 et 1907), Rive-de-Gier (1902), Vienne, Le Puy... d’une école de rééducation des mutilés.

Après 47 ans de services, il fait valoir ses droits à la retraite, en 1911. Huit ans plus tard, il meurt à Saint-Étienne, où il est inhumé, un homme d’une grande autorité, compétent dévoué, ferme dans ses résolutions, au point de braver, s’il le faut, les décisions d’un ministre. Doué d’une grande culture éclectique dans les domaines scientifiques et techniques, Claude Lebois a rédigé d’abord des ouvrages scolaires : cours d’algèbre élémentaire, de tissage, de mathématiques théoriques et pratiques pour les élèves des écoles normales, d’électricité industrielle...

Il a aussi écrit des ouvrages sur la mécanique de la platine de fusil, sur des l’électricité ; il a rédigé une partie du Catalogue de l’Exposition universelle de 1900. Il a préfacé des ouvrages de technologie électrique, de mécanique et sur le travail des métaux ferreux.

Louis Challet

Louis Challet 25 oct 1987 chez Pivot
Louis Challet, le 25 octobre 1987

 


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Claude_Lebois_l_gion_d_honneur


 

 

notice biographique sur Claude Lebois (1904)


M. LEBOIS

Au moment où M. Lebois quitte la direction de l'École de Saint-Étienne pour se consacrer exclusivement à ses importantes fonctions d'inspecteur général de l'enseignement professionnel, nous avons pensé que les camarades seraient heureux de revoir avec nous les diverses étapes de la carrière admirable qu'il a parcourue. La vie de M. Lebois offre, par sa simplicité même, l'exemple le plus clair et le plus fécond de ce que peut une activité continue, persévérantre, inlassable, mise au service d'une idée.

Origiaire, croyons-nous, du département de la Saône-et-Loire, M. Lebois a été un des premiers élèves de cette école de Cluny qui, dans sa courte existence, a su donner à l'Université nombre de maîtres d'allure indépendante, d'esprit personnel et animés surtout d'idées démocratiques. M. Lebois en était vers 1868 l'un des élèves les plus remarquables et les plus laborieux. La guerre de 1870 le trouve professeur à l'École Normale de Montbrison : il s'engage et fait son devoir de patriote comme il a toujours fait toutes choses : avec simplicité mais jusqu'au bout.

La guerre finie, il reprend son poste : en 1874 il est nommé à l'École Normale de Grenoble où il reste jusqu'en 1879. C'est, pour ainsi dire, sa période de recueillement et d'initiation : durant ces neuf années il acquiert cette expérience professionnelle dont nous avons tous apprécié la délicatesse et l'étendue ; il enrichit et complète ses connaissances personnelles en préparant l'agrégation des sciences physiques ; enfin, il mûrit en lui-même l'idée de l'enseignement dont il va être en France l'un des plus ardents promoteurs.

Comme tous les hommes de sa génération, M. Lebois a vécu sous l'impression de nos désastres de 1870 ; mais où d'autres ne voyaient que prétexte à déclamations ou à un pessimisme plus ou moins agrémenté de littérature, son esprit pratique saisissait et développait de plus en plus cette idée : qu'il ne fallait pas seulement renouveler notre organisation militaire mais aussi notre organisation industrielle ; que désormais la victoire n'était pas réservée aux meilleurs soldats mais aussi au peuple qui fournirait les industriels et les contre-maîtres les plus capables et les ouvriers les plus diligents et les plus consciencieux. Et lorsque le moment favorable lui est venu, c'est avec la belle audace de novateurs qu'il se mit à la besogne.

En 1879, un arrêté ministériel le nomme directeur de l'École primaire supérieure de Saint-Chamond. M. Lebois commence aussitôt ses démarches ; avant que l'École ne s'ouvre elle est débaptisée et s'appelera désormais : École professionnelle. Naturellement il ne pouvait s'agir pour M. Lebois d'un simple changement de titre ; c'est une organisation nouvelle qu'il veut créer et cette première tentative a un plein succès ; l'École ouverte avec 18 élèves en compte à son départ 80.

suite à venir

Diapositive1
dans le jardin public, à l'arrière de l'Hôtel de ville, à Saint-Chamond, il y avait l'inscription :
"École Pratique d'Industrie"
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)

ancienne inscription école Claude Lebois
une trace de l'ancienne École Pratique d'Industrie : la première inscription a été remplacée
par une seconde, après 1930, quand l'établissement prit le nom officiel de "Collège Claude Lebois"
(photo prise le 24 décembre 2014)

 

En 2014, on peut toujours lire l'inscription "École Claude Lebois" sur le fronton de l'aile Est (à droite quand on vient du Jardin des Plantes) de la galerie que forme la cour intérieure de la mairie.

 

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une lettre d'anciens élèves adressée à Claude Lebois, 1869


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Cher professeur

Un devoir que nous considérons toujours comme sacré parce qu'il a son fondement et sa raison d'être dans nos coeurs nous oblige aujourd'hui à vous exprimer les sentiments d'amour et de reconnaissance dont nous sommes tous animés. Depuis longtemps nous attendions ce moment, ce jour heureux, mille fois heureux puisqu'il nous fournit l'occasion de nous réunir autour de vous, pour vous dire combien nous vous aimons, combien nous sommes sensibles à toutes vos bontés, et pour vous remercier des peines que vous prenez pour nous faire suivre le cours rapide des progrès de notre siècle.

Ces progrès sont surtout notables dans les sciences physiques et naturelles. La raison en est bien simple : on en a reconnu la grande utilité et tous les agréments. Oui, je le répète : la physique, la chimie et l'histoire naturelle sont autant de sciences pleines d'attraits. Or cette branche d'enseignement devenue si nécessaire, est la partie dont, aimable Professeur, vous êtes chargé à l'École normale.

La bienveillance et le charme surtout avec lequel vous savez nous donner ces leçons de sciences font que c'est toujours avec bonheur que nous voyons arriver les moments pendants lesquels vous êtes chargé de nous instruire.

"Efforçons-nous donc chers condisciples de continuer à mériter tous les soins d'un Professeur animé du feu de la science, de l'amour du devoir qui domine en lui et qu'il nous communique à tous en nous remplissant d'une grande ardeur de nous rendre utile à la société, et d'un zèle ardent pour accomplir notre vocation. Promettons lui, si quelquefois nous avons eu la faiblesse de le rendre mécontent de nous, de mieux faire à l'avenir, et de le rendre content".

Cher Professeur vous ne vous contentez pas seulement de nous donner le pain de l'instruction, vous faites bien plus que tout cela ; vous vous sacrifiez tout entier pour nous ; vous employez tous les moyens que votre tendre cœur vous suggère pour nous faire passer agréablement et avec fruit notre séjour à l'École normale.

Mais hélas nous ces jouissances doivent un jour s'évanouir. Ce jour est bien près pour nous, élèves de 3ème année, qui en ce jour de bonheur éprouvons cependant beaucoup d'affliction à la seule pensée que nous serons bientôt obligés de quitter, pour peut-être ne plus le revoir, un maître si bon, si tendre, si sympathique et surtout si affectueux pour ses élèves. C'est bien de dire cela mais telle est notre destinée, car nous devons marcher où Dieu nous appelle. Mais lorsque nous quitterons le toit qui nous abrite, soyez persuadé que nous emporterons avec nous le  souvenir de tant de bonté pour nous et de votre tendre sollicitude ; qu'en quelque lieu que vous soyez, nous nous rappellerons toujours cet heureux temps passé auprès d'un si bon maître ; soyez persuadé que si nous ne pouvons vous voir en personne, vous vivrez du moins dans nos cœurs ; et que votre mémoire y sera éternellement chérie et vénérée.

Maintenant, cher Professeur, nous voudrions pouvoir vous récompenser de tous vos bienfaits. Nous ne sommes pas contents de ne pouvoir le faire. Car que pouvons-nous vous offrir ? Les biens de la terre ? mais ils ne sont pas à notre disposition. Nos cœurs seuls nous appartiennent, et déjà vous les possédez. Dans notre impuissance nous aurons recours à Celui qui peut tout, et nous espérons qu'il pourvoira à notre insuffisance : lui seul est capable de vous récompenser comme vous le méritez.

Nous le supplions donc de vous rendre au centuple ce que nous vous devons : le Souverain Appréciateur ne saurait rester insensible à nos prières. Oui il vous comblera de ses bienfaits, mais encore il prendra soin d'une existence qui nous est si chère et si nécessaire.

Cependant nous pouvons former des vœux : nous vous souhaitons donc collectivement une bonne année, un bonheur et une prospérité qui soient la récompense de votre grand dévouement, une santé inaltérable ; enfin, de tous les vœux, le plus cher que nous puissions former aujourd'hui est celui de voir, lorsqu'enfin sera arrivée l'heure qui sépare les amis, qui arrache un père à la tendresse de ses enfants, votre front ceint du diadème de l'immortalité bienheureuse.

Tel est cher Professeur le faible hommage de ceux qui aimeront toujours à ses dire vos respectueux et obéissants élèves.

suivent trente-trois signatures dont celle de J. Meygret qui semble être l'auteur de ce texte

 


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préface de Claude Lebois au manuel de Mécanique

de J. Roumajon (éd. Delagrave, 1914)

Les résultats obtenus dans l'enseignement technique depuis sa fondation, le nombre toujours croissant des demandes de création d'écoles pratiques faites par les municipalités, les situations rémunératrices offertes aux élèves sortants, malgré leur jeune âge, montrent bien que cet enseignement répond à des nécessités de la vie moderne.
Ces succès sont dus, en grande partie, aux efforts persévérants, au savoir et au dévouement des maîtres qui, persuadés de l'utilité de leur tâche, ont apporté dans son accomplissement la meilleure des bonnes volontés.
Provenant d'origines très différentes : sections normales, enseignement primaire, secondaire ou supérieur, ils ont su se plier aux exigences d'un enseignement nouveau et appliquer dans leurs leçons des méthodes nouvelles dont l'excellence est prouvée par les résultats obtenus.
Les élèves des écoles pratiques sont souvent moins privilégiés que leurs camarades des écoles primaires supérieures, des lycées ou des collèges. Ils doivent, en trois ou quatre années, acquérir tous les éléments nécessaires à leur instruction générale et à leur éducation professionnelle. Le nombre des heures d'études est très réduit. Après avoir passé la majeure partie de sa journée à l'atelier, l'enfant est peu disposé à travailler encore chez lui, où parfois il ne trouve d'ailleurs pas le calme et le confort indispensables à tout effort de l'esprit. Les leçons d'enseignement général doivent donc être réduites à leur strict minimum.
Nous sommes cependant loin de penser que l'instruction générale doive être négligée ; mais, dans nos écoles, cette instruction n'apparaît pas comme une fin : elle est subordonnée au but même de notre enseignement et doit tendre uniquement à faciliter, en l'éclairant, l'apprentissage de la profession.
Nous parviendrons ainsi à faire de nos élèves, non seulement des ouvriers sachant leur métier, capables de bien comprendre les divers travaux qui leur sont confiés, d'utiliser avec intelligence et dans les meilleures conditions les machines mises à leur disposition, mais encore des ouvriers conscients de leurs devoirs et de leurs droits.
En particulier, l'enseignement de la Mécanique offre de sérieuses difficultés dans nos écoles, et il est à craindre que nos élèves, attirés d'abord par cet enseignement, qui paraît devoir leur donner l'explication de tout ce qui se passe sous leurs yeux à l'atelier, ne soient rebutés, dès les premières leçons, par des raisonnements théoriques qu'ils ne peuvent généralement pas s'assimiler.
Il est donc nécessaire de supprimer les démonstrations qui pourraient offrir quelque difficulté. Une vérification expérimentale, faite sous les yeux de l'élève, frappe, d'ailleurs, davantage son imagination et grave plus profondément dans son esprit les principes qu'il doit connaître.
Les démonstrations, jugées indispensables par le professeur, doivent être faites sur des exemples numériques simples, avant d'être généralisées par l'emploi des notations algébriques. De nombreuses applications, portant sur les machines de l'atelier ou sur des faits que les élèves ont pu observer, préciseront les formules trouvées et leur feront comprendre, mieux que toute explication, si claire qu'elle soit, l'importance relative des diverses grandeurs figurant dans ces formules qui sont l'expression des lois de la Mécanique.
De plus, l'emploi des méthodes graphiques facilitera beaucoup la tâche du professeur. Ces méthodes lui permettront, en effet, de traiter un certain nombre de questions dont la solution mathématique est au-dessus du niveau de nos élèves ; elles obligeront aussi ces derniers à dessiner exactement, à raisonner le dessin qu'ils ont à faire et à mieux se rendre compte des rapports qui existent entre les données et les résultats.
C'est dans cet esprit que M. Roumajon a rédigé, avec compétence, clarté et précision, l'ouvrage de Mécanique qu'il présent aujourd'hui aux professeurs des écoles pratiques et des écoles nationales professionnelles. Son expérience de l'enseignement, acquise dans ces écoles où il a exercé, lui a permis de se rendre compte de ce qu'on peut y enseigner et de la façon dont on doit le présenter aux élèves.
Nous croyons donc que son ouvrage sera favorablement accueilli par ses anciens collègues et qu'il fera bonne figure dans la collection, déjà importante, des manuels composés pour nos écoles techniques du premier degré.

Claude Lebois
inspecteur général de l'enseignement technique
directeur de l'École normale d'Enseignement technique

 

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quelques ouvrages de Claude Lebois

 

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Enseignement expérimental de l'électricité industrielle :
appareils de démonstration



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Cours élementaire d'électricité industrielle

 

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le manuel d'électricité industrielle,

de Claude Lebois, édité en 1902-1919


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une page du livre :


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Claude Lebois, observateur

et témoin de la deuxième révolution industrielle :

Depuis une vingtaine d'années, le développement des industries électriques tient du prodige. Un nombre considérable de puissantes usines électriques se sont créées ou se créent sur des chutes d'eau naturelles ou artificielles, dans les vallées profondes des Alpes notamment ou sur quelques grands et rapides cours d'eau.

L'électricité qu'elles produisent par torrents est tantôt utilisée sur place à la fabrication du carbure de calcium, de l'aluminium, du magnésium, du zinc, des ferro-alliages, comme le ferro-silicium, le ferro-chrome, le ferro-tungstène, employés en métallurgie pour donner aux aciers des qualités spéciales de résistance, du chlore, des chlorates, des produits azotés divers, par exemple la cyanamide, l'acide nitrique synthétiques, etc.-; tantôt, et suivant le cas, elle est transportée au loin pour servir à l'éclairage, à la traction et à la commande de nombreux moteurs de toutes puissances, depuis les moteurs de 1/4 de cheval et d'autres minuscules de 1/8 et de 1/10, qu'on trouve au domicile même de l'ouvrier, jusqu'à ceux de 1000 chevaux et plus actionnant les machines de quantités d'ateliers, de fabriques ou d'usines.

La plupart des machines motrices, d'abord installées dans ces ateliers ou usines, sont déjà remplacées, et très avantageusement, sous tous les rapports, par des moteurs électriques peu encombrants, plus propres, d'un entretien et d'une manoeuvre si faciles. Dans les vallées des Alpes, ces machines avec leurs chaudières et soutes à charbon ne sont même plus déjà qu'à l'état de souvenir.

Pendant la guerre, sous l'empire des nécessités du moment et en raison de la grande pénurie de charbon due à la perte momentanée de nos houillères du Nord, aux difficultés de nous procurer chez nos alliés, le développement de nos industries électriques a été marqué par une nouvelle et extraordinaire impulsion, particulièrement en ce qui concerne l'électrométallurgie et l'électrochimie, si bien que la houille blanche, venant grandement en aide à la houille noire, a apporté à la défense nationale un concours des plus précieux, en prenant une part importante à la fabrication du matériel de guerre et en fournissant en abondance les explosifs et les produits chimiques divers qu'elle réclamait.

Sans rien dire de quelques grandes installations créées depuis déjà un certain nombre d'années, tant en France qu'à l'étranger, comme celle du Niagara (120 000 chevaux), de Brillanne sur la Durance et de Jonage sur le Rhône, de chacune 20 à 25 000 HP, de Paderno-Milan sur l'Adda (15 000 HP), de Lucerne sur l'Aa (12 000 HP)... sans rien dire non plus de quelques gigantesques projets à l'étude comme celui du Rhône à Bellegarde qui prévoit une puissance formidable de 250 000 HP, nous nous bornerons aux quelques renseignements suivants, extraits de documents qui nous ont été obligeamment fournis par le président de la Chambre de commerce de Grenoble, et qui ont trait aux nombreuses et importantes usines électriques existant dans la région qui nous intéresse le plus, celle des Alpes, où les chutes alimentées par les glaciers, les lacs des montagnes et l'eau qui y tombe en abondance sont si fortes : celles de 500 à 600 mètres y sont communes et on en trouve de 1 000 mètres et plus.

En 1902, 200 000 chevaux étaient captés et utilisés, soit sur place pour l'électrométallurgie et l'électrochimie, soit transportés au loin pour l'éclairage et la force motrice. Aujourd'hui on trouve, tant dans la région des Alpes du nord que dans celle du sud, une puissance hydraulique aménagée de 732 000 chevaux dont 306 000 transportés au loin, jusque dans la région de la Loire, servent à l'éclairage, à la traction et à la force motrice ; 405 000 sont utilisés sur place à la métallurgie et à la fabrication de produits chimiques divers, et 21 000 sont également utilisés sur place pour les industries du papier et du bois.

Comme groupes importants d'usines, on peut citer celui de l'Arve moyen autour du Fayret Saint-Gervais, d'une puissance de 60 000 HP ; un autre de 120 000 HP, sur l'Arc moyen, comprenant principalement les usines de Saint-Jean-de-Maurienne (23 000 HP), de Calypso et de la Saussaz (ensemble, 34 000 HP), de Prémont et La Praz ; un 3e groupe, d'égale importance, sur la Romanche, entre Livet et Séchilienne ; enfin, un 4e groupe dans la vallée de la Durance, où l'on trouve les deux plus fortes centrales : l'une à l'Argentière, de 40 000 HP, servant à la fabrication de l'aluminium, et l'autre, à Ventavon, de 30 000 chevaux, qu'on dirige sur Marseille par un fil de 150 km.

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usine électrique de Ventavon (Alpes-de-Haute-Provence, anc. Hautes-Alpes)

Les principales sociétés distribuant force et lumière sont :

1) la Société générale force et lumière, qui dispose de 60 000 HP, dont 26 000 provenant de ses centrales du Drac et de la Romanche, et les 34 000 autres de diverses usines de la Savoie et de Bellegarde ; elle dessert un grand nombre de communes de l'Isère, de la Haute-Savoie, de la Loire, de l'Ain et du Rhône ;

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usine hydro-électrique dans les gorges du Drac, ligne de la Mure ;
environs de La Motte-les-Bains (Isère) ; Société Force et lumière à Avignonnet (Isère)

2) la Société hydro-électrique de Fures et Morgue et de Vizille : 14 000 HP fournis par ses usines de Jouchy, de Champ et de Beaumont. Elle étend surtout son action sur les régions de Voiron et de Rives ;

3) la Société du Haut-Grésivaudan, 15 000 HP provenant principalement de l'usine de Bens. Son réseau recouvre les arrondissements de Chambéry et d'Albertville, et un certain nombre de communes de l'Isère ;

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usine électrique de la Société du Haut-Grésivaudan

4) la Société de Forces motrices et d'éclairage de la ville de Grenoble, qui dispose de 7-000 HP installés aux usines de Pont-Haut.

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usine électrique de Pont-Haut, environs de La Mure (Isère)

Ces sociétés, dont les réseaux se touchent et se croisent, s'entr'aident de façon à parer à tout arrêt accidentel.

Citons encore la Société du littoral méditerranéen (100 000 HP), la plus importante de toutes, dont les réseaux s'étendent sur 8 départements, depuis la frontière italienne jusqu'aux Cévennes.

Le prix de revient du cheval-heure transporté oscille autour de 6 centimes pour les petites installations, de 4, 5 pour les moyennes et de 3 pour les grosses.

Malgré cette grande et rapide extension des industries électriques, il reste cependant encore beaucoup à faire, car une partie relativement faible de l'énergie nécessaire à l'activité industrielle est fournie par l'intermédiaire de l'électricité. M. Audebrand [Éric Gérard, Leçons sur l'électricité] estime, en effet, à 8 000 000 les puissances hydrauliques disponibles en France où la puissance des machines à vapeur, locomotives comprises, atteint 7 000 000 de chevaux.

Il résulte d'études faites ultérieurement par MM. de la Brosse, ingénieur en chef des forces hydrauliques de France, et Barbillon, directeur de l'Institut électrotechnique de Grenoble, qu'on peut estimer à 7 000 000 de chevaux ces puissances hydrauliques, dont la moitié sur la région des Alpes, et qu'il est pratiquement possible d'installer en Dauphiné encore 2 millions de chevaux diversement utilisables.

Les transports par l'électricité se multiplient si rapidement qu'il viendra un moment où chaque pays civilisé, possédant des forces naturelles suffisantes, sera recouvert d'un immense réseau d'énergie électrique portant partout, même dans les moindres localités, lumière, chaleur et mouvement. Les chemins de fer fonctionneront par l'électricité, les bateaux sur les rivières et les canaux seront actionnés par le même agent, et peut-être arrivera-t-on - car aucune difficulté n'arrête nos ingénieurs - à établir des lignes au-dessus des principales routes afin que les automobiles, par un dispositif à trouver, puissent y cueillir le courant nécessaire à leur marche.

Claude Lebois, tome 1 de L'électricité industrielle, 1919, p. 462-465
les illustrations ne figurent pas le livre mais sont ajoutées par moi (MR)

 

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usine de Ventavon (Alpes-de-Haute-provence)


 original du texte ci-dessus, photographié dans le livre

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l'usine électrique de Jonage avant 1914

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l'usine électrique de Jonage avant 1914

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1898 : souvenir de la Légion d'honneur

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11 juin 1898 : menu du banquet offert par le
Grand Cercle à ses sociétaires promus dans la Légion d'honneur

 

- retour à l'accueil

18 mai 2008

le fascisme italien

Gioventu_fascista



iconographie du fascisme italien




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image de Enrico Sacchetti 


fascismo3f001pu4


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affiche de l'exposition à l'occasion des dix premières années
accomplies de la "révolution fasciste" (1933)

"Mostra della rivoluzione fascista" - éloge de la force et de la virilité guerrière (casque) de la "révolution fasciste" : les visages sont des blocs aux contours sévères et anguleux, au menton carré, évoquant, bien sûr, la ressemblance avec le visage de Mussolini ; le haut du corps est démesurément musclé ; la dynamique des lignes indique une ascension (progrès du fascisme), et la froide détermination des traits semble indiquer une acceptation du combat jusqu'au sacrifice ; le choix des couleurs primaires (jaune, rouge, bleu) renforce la netteté du message : le fascisme est une force que rien ne pourra arrêter, appelée à occuper tout l'espace de l'histoire.


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affiche de Canevari (1920)
pour la couverture du journal Jeunesse Fasciste



T970208A





- retour à l'accueil

21 décembre 2008

cartes du département de la Loire

Pilat La Valla 21 août 2014
dans le Pilat : au fond, la commune de La Valla-en-Gier (21 août 2014)

 

 

le département de la Loire (42), cartes




1) un département sur le territoire de la métropole

 

carte départements France et Loire
la Loire sur une carte des départements français de métropole

 

Le département de la Loire est situé dans le quart sud-est du territoire national.

 

France en 4

 

 

 

2) le département de la Loire : vues générales

 

carte générale 42
département de la Loire, relief, villes et réseau routier

 

carte limites des bassins versants
réseau (auto)-routier, étagement du relief plus précis et la limite des bassins versants Loire/Rhône

 

 

3) le relief du département de la Loire

 

carte relief 42
relief du département de la Loire

 

Le relief du département de la Loire est ordonné, le long d'un axe sud-nord (vallée du cours de la Loire) par un étagement des hauteurs vers l'est (monts du Lyonnais) et vers l'ouest (monts du Forez et de la Madeleine). Dans sa partie sud, il faut noter le massif du Pilat formant barrière avec l'Ardèche et la Haute-Loire.

 

 

4) les divisions administratives du département de la Loire


carte_d_part
limites des arrondissements et des parlers du département de la Loire

Le département de la Loire, dans sa frange sud-ouest, est une limite entre les parlers oïls (nord) et occitans.

 

arrondissements
les trois arondissemnts et les trois sous-préfectures de la la Loire (source)

 

Le département de la Loire est découpé administrativement en 3 arrondissements. Du sud vers le nord : Saint-Étienne, Montbrison et Roanne, qui sont les trois sous-préfectures. La Loire compte 40 cantons et 327 communes.

 

5) la population du département de la Loire 

 

carte population 42 entre 2006 et 2011
la variation de la population entre 2006 et 2011 dans le département de la Loire

 

 

 

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15 mars 2017

Aide-philo

rembrandt9
Le philosophe en méditation, Rembrandt, 1632

 

 

la philosophie en classe de Terminale

 

 

soutien scolaire en philo

 

Diapositive1

 


sommaire

- le grands philosophes en classe de Terminale : Platon, Descartes, Hume, Kant, Nietzsche, Husserl, Sartre...

- clichés, idées reçues et idées fausses à éviter au Bac

- Bac, série L, 2008 : corrigés succincts

- à propos de la différence entre mythologie et philosophie

- les notions et repères du programme de philo en Terminale selon les séries

- le sujet

- conscient et inconscient

- conscience humaine, conscience animale (Feuerbach, 1841)

- Kant : Fondement de la Métaphysique des moeurs (préface) *nouveau*

- Hegel et l'art - Hegel et le Beau, Gérard Bras  *nouveau*

- la redécouverte de Hegel en France au XXe siècle


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rembrandt9


 

 

 

 

- explication du tableau de Rembrandt par un professeur de philosophie

Rembrandt s’était spécialisé dans les portraits de ceux qui n’étaient à l’époque que rarement représentés par la peinture, les mendiants, les travailleurs, ceux que les peintres méprisaient volontiers. C’est que son sujet est souvent ailleurs, moins dans le personnage peint que dans la manière de le faire apparaître.

La lumière est pour Rembrandt le sujet central de la peinture, et ce peintre est considéré comme le maître d’une technique, appelée le "clair-obscur" qui a pour but de focaliser l’attention du spectateur, de diriger son regard pour l’amener là où le peintre le veut.

La lumière est une image fréquemment utilisée en philosophie, soit par Platon dans l’allégorie de la caverne, soit par les philosophes du XVIIe siècle, qui étaient pour certains d’entre eux aussi des opticiens (Spinoza en premier lieu, mais aussi Descartes qui étudia les phénomènes lumineux dans un livre appelé La Dioptrique).

Ici, dans ce tableau, Rembrandt met en scène l’image classique du philosophe, et on retrouve tous les éléments classiques de cette figure : l’âge, l’austérité du lieu de vie, le calme, le détachement par rapport aux tâches domestiques (on attise le feu pour lui). Il ne semble pas avoir d’occupation particulière, il n’écrit pas, il médite. Le rôle de la lumière est ici, comme toujours chez Rembrandt, crucial.

La mise en scène place le philosophe dans la lumière quand ses serviteurs sont, eux, malgré le feu, dans l’ombre. Il est impossible ici de ne pas penser à l’allégorie de la caverne telle que Platon la propose dans le livre 7 de son livre La République. Platon y montre que le philosophe est celui qui effectue la démarche de sortir de l’obscurité de l’opinion pour aller vers la lumière de la vérité.

Le philosophe de Rembrandt n’est pas dans une caverne, mais il est dans une pièce assez encaissée, au pied d’un escalier qui représente, justement, la voie ascensionnelle vers la connaissance. Il se trouve dans la lumière, non pas du feu, mais du soleil, qui chez Platon représentait le “Suprême Bien”, idée centrale vers laquelle se dirige le philosophe.

Dans ce tableau, on a donc une image très classique du philosophe comme celui qui éclaire le monde, qui se trouve là où est la lumière de la connaissance, ou du moins tente de s’en approcher.

Jean-Christophe Blondel alias Harry Staut
source

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introduction

 

- "Ce qu'est la philosophie, pour ceux qui n'en ont jamais fait" (ce n'est pas l'opinion qui compte en philosophe, c'est la vérité)  **commencer par là**

Philosophie_Descartes_je_pense_donc_je_suis

 

 

 

 

ce que veut dire : penser par soi-même

Héritée des Lumières, inlassablement reprise, cette célèbre injonction mérite éclaircissement. Il est facile de l’entendre d’une manière égoïste, comme s’il fallait ne tenir aucun compte du jugement d’autrui. En ce sens penser par soi-même ne vaudrait guère mieux que s’enfoncer dans sa singularité et se fermer au monde.
Si la formule remonte au XVIIIe siècle, sa nécessité est sans âge. Lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le vrai et le faux, le noble et l’indigne, chacun, dès qu’il a quelque expérience, est mis face à des avis différents ou contraires. Aussi le scepticisme croît-il avec les années : à qui se fier, s’il n’est aucun discours, même autorisé, qui n’ait quelque part son opposé ? Reste donc à penser soi-même.
Ce qui signifie d’abord : se défier de nos avis "spontanés". Ce que je pense, ne le dois-je pas à une tradition familiale, à l’habitude, au savoir présumé d’un maître ? Penser soi-même a d’abord un sens négatif ou négateur : ne pas s’en laisser conter, ne pas se laisser souffler nos pensées, ne rien avancer sur l’autorité d’autrui.
Mais pour ne pas ajouter un nouvel avis, sans plus de légitimité que les autres, il faut un second précepte, qui consiste selon Kant à se mettre en pensée à la place de tout autre. Soit accueillir les points de vue des autres nations, des autres siècles, et de là repenser sa pensée. Ici commence l’exercice de la pensée, qui se forme en s’élargissant.
Mais ce pluralisme risque de ramener la diversité à laquelle on voulait échapper. D’où le troisième précepte, penser en accord avec soi-même, rester conséquent.
C’est cette cohérence qui fait que je continue de penser moi-même en adoptant la place des autres ; que je ne renonce pas à comprendre et ne retombe pas dans la crédulité première.
Penser par soi-même n’a de sens qu’accompagné des deux autres préceptes. Ce n’est pas penser seul, mais universellement.

deux philosophes - source

 

 

- qu'est-ce que penser par soi-même ? - philocours.com (Carole Bline)

 

4475740
Le Penseur de Rodin (1880), réplique en marbre noir par C. Walsuani, fondeur
1998 (Saint-Paul-de-Vence, Alpes-Maritimes)



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ressources

- 10 cours de philosophie en vidéo (gratuits) sur netprof.fr (aussi repris sur le site de l'académie de Grenoble)

- le site "philosophie" de l'académie de Grenoble (très riche) : notions, auteurs, textes, méthode, repères, dissertations...

logo_guppy_philo


- philocours.com, le site de Carole Bline, professeur de philosophie au lycée Jean Monnet à Joué-les-Tours (37) : des dizaines de cours, commentaires, dissertations, corrigés...

Carole_Bline_prof_philo

 

 

 

 

 

 

- les erreurs à éviter au Bac : à lire en début d'année (excellent mémo)

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notions


- liste des notions selon les séries de Terminale

- la conscience : plan et cours, par Michel Pérignon, professeur de philosophie

- la conscience : définitions et synthèse, par 123philosopie.com

- la vérité, par Michel Pérignon, professeur de philosophie

- l'interprétation, par Serge Carfatan, professeur de philosophie - voir son site

- la question de la limitation de la liberté, dialogue avec le philosophe Sylvain Reboul

- autrui, par Carole Bline, professeur de philosophie (cours très développé)



chouette

"Ce n’est qu’à la tombée de la nuit que la chouette de Minerve
prend son envol" (Hegel)
- interprétation

 

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10 juillet 2009

réunion et repas de l'équipe professorale

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réunion des professeurs d'Histoire

le 10 juillet 2009


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Mme Goy, coordinatrice de l'équipe

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M. Bouderlique et Mme Reynaud

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M. Renard


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M. Bouderlique


Mme_Goy_et_Mme_Reynaud
Mme Goy et Mme Reynaud

* M. Degraix, non photographié, était évidemment présent à la réunion.

Outre la répartition des services (quelles classes sont dévolues à quel professeur), l'assemblée des professeurs d'H.-G. a décidé à l'unanimité de baptiser les salles de classes où s'exerce notre discipline, du nom d'historiens ou de personnage de l'histoire. Ainsi :

- la salle 204 devient la salle Ernest LAVISSE

- la salle 205 devient la salle Olympe de GOUGES

- la salle 206 devient la salle Fernand BRAUDEL

- la salle 208 devient la salle LAMARTINE

- la salle 208 bis (cabinet HG) devient la salle THUCYDIDE

- la salle 209 devient la salle Marc BLOCH

* pourquoi ces personnages ?

 

 

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les agapes du Jarez, ou la fraternité historienne

1
dans un grand restaurant de la région...

2
de g. à d., Pierre-Luc Bouderlique (caché), Valérie Goy, Laurence Reynaud,
Jean-Luc Degraix, Agnès Mathulin (professeur de S.E.S.), Chantal Thomas


3
de g. à d., Pierre-Luc Bouderlique, Valérie Goy, Laurence Reynaud

4
Pierre-Luc Bouderlique

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Jean-Luc Degraix

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3 janvier 2008

L'Alsace est-elle allemande ou française ? (Fustel de Coulanges, 1870)

eastern_france_1870_1871_extrait
extrait d'une carte britannique, l'Est de la France pendant la guerre
franco-prussienne, 1870-1871
, Cambridge University Press, 1912
(cliquer sur la carte pour l'agrandir et l'imprimer) source

 

L'Alsace est-elle allemande ou française ?

réponse à M. Mommsen, professeur à Berlin

par l'historien français Fustel de Coulanges, 27 octobre 1870

 

C06_06 (…) L'Alsace, à vous en croire, est un pays allemand ; donc elle doit appartenir à l'Allemagne . Elle en faisait partie autrefois ; vous concluez de là qu'elle doit lui être rendue. Elle parle allemand, et vous en tirez cette conséquence que la Prusse peut s'emparer d'elle. En vertu de ces raisons vous la "revendiquez" ; vous voulez qu'elle vous soit "restituée". Elle est vôtre, dites-vous, et vous ajoutez : "Nous voulons prendre tout ce qui est nôtre, rien de plus, rien de moins." Vous appelez cela le principe de nationalité. (…)
Vous invoquez le principe de nationalité, mais vous le comprenez autrement que toute l'Europe. Suivant vous, ce principe autoriserait un État puissant à s'emparer d'une province par la force, à la seule condition d'affirmer que cette province est occupée par la même race que cet État. Suivant l'Europe et le bon sens, il autorise simplement une province ou une population à ne pas obéir malgré elle à un maître étranger. Je m'explique par un exemple : le principe de nationalité ne permettait pas au Piémont de conquérir par la force Milan et Venise ; mais il permettait à Milan et à Venise de s'affranchir de l'Autriche et de se joindre volontairement au Piémont. Vous voyez la différence. Ce principe peut bien donner à l'Alsace un droit, mais il ne vous en donne aucun sur elle.
Songez où nous arriverions si le principe de nationalité était entendu comme l'entend la Prusse, et si elle réussissait à en faire la règle de la politique européenne. Elle aurait désormais le droit de s'emparer de la Hollande. Elle dépouillerait ensuite l'Autriche sur cette seule affirmation que l'Autriche serait une étrangère à l'égard de ses provinces allemandes. Puis elle réclamerait à la Suisse tous les cantons qui parlent allemand. Enfin s'adressant à la Russie, elle revendiquerait la province de Livonie et la ville de Riga, qui sont habitées par la race allemande ; c'est vous qui le dites page 16 de votre brochure. Nous n'en finirions pas. L'Europe serait périodiquement embrasée par les "revendications" de la Prusse. Mais il ne peut en être ainsi. Ce principe, qu'elle a allégué pour le Slesvig, qu'elle allègue pour l'Alsace, qu'elle alléguera pour la Hollande, pour l'Autriche, pour la Suisse allemande, pour la Livonie, elle le prend à contre-sens. Il n'est pas ce qu'elle croit. Il constitue un droit pour les faibles ; il n'est pas un prétexte pour les ambitieux. Le principe de nationalité n'est pas, sous un nom nouveau, le vieux droit du plus fort.

 

À quoi reconnaissez-vous la patrie ?
Comprenons-le tel qu'il est compris par le bon sens de l'Europe. Que dit-il relativement à l'Alsace ? Une seule chose : c'est que l'Alsace ne doit pas être contrainte d'obéir à l'étranger. Voulez-vous maintenant que nous cherchions quel est l'étranger pour l'Alsace ? Est-ce la France, ou est-ce l'Allemagne ? Quelle est la nationalité des Alsaciens, quelle est leur vraie patrie ? Vous affirmez, monsieur, que l'Alsace est de nationalité allemande. En êtes-vous bien sûr? Ne serait-ce pas là une de ces assertions qui reposent sur des mots et sur des apparences plutôt que sur la réalité ? Je vous prie d'examiner cette question posément, loyalement : à quoi distinguez-vous la nationalité ? à quoi reconnaissez-vous la patrie ?
Vous croyez avoir prouvé que l'Alsace est de nationalité allemande parce que sa population est de race germanique et parce que son langage est l'allemand. Mais je m'étonne qu'un historien comme vous affecte d'ignorer que ce n'est ni la race ni la langue qui fait la nationalité.

Ce n'est pas la race : jetez en effet les yeux sur l'Europe et vous verrez bien que les peuples ne sont presque jamais constitués d'après leur origine primitive. Les convenances géographiques, les intérêts politiques ou commerciaux sont ce qui a groupé les populations et fondé les Etats. Chaque nation s'est ainsi peu à peu formée, chaque patrie s'est dessinée sans qu'on se soit préoccupé de ces raisons ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. Si les nations correspondaient aux races, la Belgique serait à la France, le Portugal à l'Espagne, la Hollande à la Prusse ; en revanche, l'Ecosse se détacherait de l'Angleterre, à laquelle elle est si étroitement liée depuis un siècle et demi, la Russie et l'Autriche se diviseraient en trois ou quatre tronçons, la Suisse se partagerait en deux, et assurément Posen se séparerait de Berlin. Votre théorie des races est contraire à tout l'état actuel de l'Europe. Si elle venait à prévaloir, le monde entier serait à refaire.

La langue n'est pas non plus le signe caractéristique de la nationalité. On parle cinq langues en France, et pourtant personne ne s'avise de douter de notre unité nationale. On parle trois langues en Suisse ; la Suisse en est-elle moins une seule nation, et direz-vous qu'elle manque de patriotisme ? D'autre part, on parle anglais aux États-Unis ; voyez-vous que les États-Unis songent à rétablir le lien national qui les unissait autrefois à l'Angleterre? Vous vous targuez de ce qu'on parle allemand à Strasbourg ; en est-il moins vrai que c'est à Strasbourg que l'on a chanté pour la première fois notre Marseillaise ? Ce qui distingue les nations, ce n'est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu'ils sont un même peuple lorsqu'ils ont une communauté d'idées, d'intérêts, d'affections, de souvenirs et d'espérances. Voilà ce qui fait la patrie.

La patrie, c'est ce qu'on aime
Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie, c'est ce qu'on aime. Il se peut que l'Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie elle est française. Et savez-vous ce qui l'a rendue française ? Ce n'est pas Louis XIV, c'est notre Révolution de 1789. Depuis ce moment, I'Alsace a suivi toutes nos destinées ; elle a vécu de notre vie. Tout ce que nous pensions, elle le pensait ; tout ce que nous sentions, elle le sentait. Elle a partagé nos victoires et nos revers, notre gloire et nos fautes, toutes nos joies et toutes nos douleurs. Elle n'a rien eu de commun avec vous. La patrie, pour elle, c'est la France. L'étranger, pour elle, c'est l'Allemagne.

(…) Vous êtes, monsieur, un historien éminent. Mais, quand nous parlons du présent, ne fixons pas trop les yeux sur l'histoire. La race, c'est de l'histoire, c'est du passé. La langue, c'est encore de l'histoire, c'est le reste et le signe d'un passé lointain. Ce qui est actuel et vivant, ce sont les volontés, les idées, les intérêts, les affections. L'histoire vous dit peut-être que l'Alsace est un pays allemand ; mais le présent vous prouve qu'elle est un pays français. Il serait puéril de soutenir qu'elle doit retourner à l'Allemagne parce qu'elle en faisait partie iI y a quelques siècles. Allons-nous rétablir tout ce qui était autrefois ? Et alors, je vous prie, quelle Europe referons-nous ? celle du XVIIème siècle, ou celle du XVème, ou bien celle où la vieille Gaule possédait le Rhin tout entier, et où Strasbourg, Saverne et Colmar étaient des villes romaines ?

Soyons plutôt de notre temps. Nous avons aujourd'hui quelque chose de mieux que l'histoire pour nous guider. Nous possédons au XIXe siècle un principe de droit public qui est infiniment plus clair et plus indiscutable que votre prétendu principe de nationalité. Notre principe à nous est qu'une population ne peut être gouvernée que par les institutions qu'elle accepte librement, et qu'elle ne doit aussi faire partie d'un État que par sa volonté et son consentement libre. Voilà le principe moderne. Il est aujourd'hui l'unique fondement de l'ordre, et c'est à lui que doit se rallier quiconque est à la fois ami de la paix et partisan du progrès de l'humanité. Que la Prusse le veuille ou non, c'est ce principe-là qui finira par triompher. Si l'Alsace est et reste française, c'est uniquement parce qu'elle veut l'être. Vous ne la ferez allemande que si elle avait un jour quelques raisons pour vouloir être allemande. (...)

Numa Denys Fustel de Coulanges, 1830-1889
La Revue des Deux Mondes, octobre 1870 [texte intégral]

 

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Theodor Mommsen, 1817-1903

 

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contexte historique

La guerre franco-prussienne débute le 19 juillet 1870. Mal préparée, la France subit rapidement des défaites en Alsace. Les Prussiens bombardent Strasbourg à partir du 13 août et brûlent une bibliothèque universitaire avec ses 300 000 ouvrages (voir ici). Strasbourg doit officiellement capituler le 28 septembre 1870 (voir ici).

- "Le texte de Fustel de Coulanges est un texte de circonstance. Au début de la guerre franco-allemande de 1870, le grand historien allemand Mommsen, dans une «Lettre adressée au peuple italien», affirme le caractère allemand de l'Alsace en invoquant l'histoire, la langue et la race. Strasbourg serait allemand comme Milan et Venise sont italiens.
Fustel lui répond dans la Revue des Deux Mondes en invoquant la volonté et le consentement. Il contribue ainsi à fixer l'opposition entre la conception française et la conception allemande de la nation, qui n'est pas seulement l'objet d'un débat académique, mais trouve à propos de l'Alsace (et de la Moselle), mais aussi à propos du Slesvig, du Limbourg ou du Luxembourg, autres régions revendiquées par l'Allemagne, au même moment, avec les mêmes arguments, des objets concrets de conflit international. Quelques années plus tard, Ernest Renan, dans un texte célèbre, fixa les termes de cette opposition.
" (source)

Fustel de Coulanges écrit sa lettre le 27 octobre 1870.


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cartographie historique

 

Alsace_1871_1914_
carte en langue allemande :
Elsass désigne l'Alsace, et Lothringen
désigne la Moselle (Lotharingie, ou Lorraine)

 

eastern_france_1870
carte britannique, l'Est de la France pendant la guerre franco-prussienne, 1870-1871,
Cambridge University Press, 1912 (cliquer sur la carte pour l'agrandir et l'imprimer) source

 

eastern_france_1870_1871 extrait
extrait de la carte précédente

 

quelle42
le territoire de la France durant les années 1870-1872

 

Alsace_1871_1914
l'Alsace et la Moselle, 1871-1914

 

600px-Alsace_Lorraine_departments_evolution_map-fr
évolution territoriale des départements d'Alsace et de Lorraine

CarteAlsace-LorraineNB
anciens départements et territoires français (en hachures serrées) annexés par l'Allemagne en 1871 ;
et départements et territoires restés français, avec le redécoupage des limites départementales

 

Alsace-lorraine
carte de l'Alsace-Lorraine, extrait du livre scolaire La deuxième année de géographie
de Pierre Foncin, publié en 1888
(source seconde)

 

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liens

- "À la recherche dune identité nationale en Alsace (1870-1918)", Paul Smith, 1996.

 

 

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18 décembre 2008

la condition ouvrière au XIXe siècle

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la condition ouvrière au XIXe siècle

documents et conseils pour une dissertation


 

sujet et consigne

sujet de dissertation : la condition ouvrière au XIXe siècle en France. La base de votre information doit être tirée du bloc documentaire ci-dessous.

 

 

 

forge__peinture_
Fernand Cormon, Une forge, 1893, huile sur toile, musée d'Orsay (source)

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Qu'est-ce qu'une dissertation ?

1- Une dissertation est une démonstration, une explication sollicitée par l'intitulé du sujet. Il s'agit d'utiliser des connaissances pour répondre au sujet en construisant une problématique. Celle-ci ne peut surgir du vide ni d'une "méthode" a priori. La problématique dépend de l'interprétation que vous faites du sujet... et de l'étendue de vos connaissances, bien sûr. Sans connaissances, on ne peut faire une dissertation.

2 - Quant à l'aspect formel, vous pouvez choisir un plan en trois parties comportant chacune deux ou trois sous-parties (au lycée, deux sous-parties, ce n'est pas mal...), ou bien un plan en deux parties comportant chacun trois ou quatre sous-parties. On ne numérote ni ces parties ni ces sous-parties, mais on peut leur attribuer un titre. On saute deux lignes entre chaque grande partie. Ce dispositif principal de la dissertation est encadré par une introduction et une conclusion.

3 - La valeur d'une dissertation procède de a) l'intelligence de votre réflexion, b) de la richesse des connaissances et c) du style ; sur ce denier point, veillez à la correction de la langue, à la diversité du vocabulaire, à la clarté de l'expression... N'écrivez pas ce que vous ne comprenez pas vous-même ou ne seriez pas capable d'expliquer à l'oral.

4 - Ci-dessous, vous disposez de plusieurs sources d'informations dans le bloc documentaire. Il faut d'abord les lire en réfléchissant au plan que vous allez retenir. Une fois le plan adopté, vous mobilisez pour votre développement les références choisies parmi ces documents.

N'oubliez pas ! Réussir une dissertation est avant tout une question de culture et secondairement une question de technique.

 

forge_d_but_XIXe
forge des années 1830-1840

 

 

 

 

 

 

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Bloc documentaire

 

1) Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, L. R. Villermé (1840)

2) Carte de l'Europe industrielle au XIXe siècle

3) Logements insalubres en Alsace

4) L'alimentation ouvrière et populaire

5) Le prolétariat des années 1830-1840

6) Les ouvriers du Creusot sous le Second Empire

7) Les assises économiques et sociales de la République : les ouvriers

8) Dossier : le travail des enfants dans l'industrie (1874)

9) Le livret ouvrier

10) Le prolétariat n'est pas une classe homogène

11) L'hétérogénéité du monde du travail

12) Dossier iconographique

    a) formes du travail ouvrier

    b) usines et ouvriers

    c) accidents du travail

    d) logement ouvrier

    e) culture ouvrière

    f) vie quotidienne

 

 

 

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1) Tableau de l’état physique et moral des ouvriers

L. R. Villermé (1840)

Des ouvriers de l'industrie cotonnière dans le département du Haut-Rhin
I. De ces ouvriers en général, et en particulier de ceux de la fabrique de Mulhouse et de la plaine d'Alsace.

La durée journalière du travail varie selon l'espèce de manufactures et même un peu selon les localités. À Mulhouse, à Dornach, etc., les filatures et les tissages mécaniques s'ouvrent généralement le matin à cinq heures, et se ferment le soir à huit, quelquefois à neuf. En hiver, l'entrée en est fréquemment retardée jusqu'au jour, mais les ouvriers n'y gagnent pas pour cela une minute. Ainsi, leur journée est au moins de quinze heures. Sur ce temps, ils ont une demi-heure pour le déjeuner et une heure pour le dîner ; c'est là tout le repos qu'on leur accorde. Par conséquent, ils ne fournissent jamais moins de treize heures et demie de travail par jour.
À Thann, à Wesserling, etc., la journée est aussi longue ; mais dans ce dernier endroit les ouvriers disposent chaque jour de deux heures entières. À Guebwiller, dans la belle filature de MM. Nicolas Schlumberger et Compagnie, elle est de treize heures au lieu de quinze, et la durée de travail effectif de douze au lieu de treize et demi (1).

Schlumberger___Guebwiller
filature Schlumberger à Guebwiller (Haut-Rhin)

D'un autre côté, à Bitschwiller, village rempli de filatures et de tissages mécaniques, situé entre Thann et Saint-Amarin, la journée, si l'on m'y a dit vrai, serait toujours de seize heures, car elle commence à cinq heures du matin et le soir elle finit à neuf.
Enfin, tous les samedis, elle est communément plus courte, ainsi que la durée de travail effectif, dans les établissements où les ouvriers sont à la pièce ou à la tâche ; elle l'est aussi tous les jours pour les ouvriers employés à construire ou à raccommoder les métiers et les machines. La durée du travail est la même dans les filatures : et dans les tissages mécaniques.

filature
métier à filer du type «Self Fartin» comme il en existait deux
dans l’usine Zeller à Oberbruck (Haut-Rhin) en 1859

Quant aux ateliers où l'on tisse à la main, comme les métiers où l'on tisse à la main, comme les métiers y marchent sans le secours d'un moteur général et que les salaires s'y paient constamment à la pièce ou à l'aune, la sortie et l'entrée y sont plus libres que dans les autres. Néanmoins, la durée du travail journalier y est presque toujours fort longue ; elle l'est surtout pour beaucoup de tisserands qui emportent chez eux des fils qu'ils tissent en famille sur leurs propres, métiers. Pour ces derniers, la journée commence souvent avec le jour, quelquefois plus tôt, et elle se prolonge très avant dans la nuit, jusqu'à dix ou onze heures.

Mais elle est ordinairement moins longue pour les ouvriers des campagnes, qui ne fabriquent des toiles que dans les moments où ils ne sont pas occupés à l'agriculture. Le travail dans les manufactures d'indiennes, du moins le travail soigné, ne peut se faire que pendant le jour. Voilà pourquoi, sans doute, il n'a lieu que depuis six heures du matin jusqu'à six heures du soir en été, et, en hiver, depuis 7 heures et demie, 8 heures du matin jusqu'à l'approche de la nuit. Il est interrompu une heure par un seul repas.

cardage_filage_1835_small
filature en 1835 : cardage à gauche et filage à droite

Dans les manufactures, où communément tout se paie à la tâche, les heures d'entrée et de sortie sont moins sévèrement observées que dans les filatures. On suit, dans les ateliers d'apprêts, la règle des fabriques dont ils font partie.
Enfin, on exige souvent des ouvriers qu'ils prolongent leur travail au-delà de l'heure où les ateliers restent ordinairement ouverts ; mais alors cet excédent de travail leur est payé à part. Il est bien entendu que toutes les durées indiquées ici peuvent être et sont très souvent diminuées dans les temps de stagnation des affaires ou de crise commerciale.
La cherté des loyers ne permet pas à ceux des ouvriers en coton du département du Haut-Rhin, qui gagnent les plus faibles salaires ou qui ont les plus fortes charges, de se loger toujours après de leurs ateliers. Cela s'observe surtout à Mulhouse. Cette ville s'accroît très vite ; mais les manufactures s'y développant plus rapidement encore, elle ne peut recevoir tous ceux qu'attire sans cesse dans ses murs le besoin de travail. De là, la nécessité pour les plus pauvres, qui ne pourraient d'ailleurs payer les loyers au taux élevé où ils sont, d'aller se loger loin de la ville, à une lieue, une lieue et demie, ou même plus loin, et d'en faire par conséquent chaque jour deux ou trois, pour se rendre le matin à la manufacture, et rentrer le soir chez eux.

Wesserling
Wesserling (Haut-Rhin) au début du XXe siècle

Les seuls ateliers de Mulhouse comptaient, en 1835, plus de 5 000 ouvriers logés ainsi dans les villages environnants. Ces ouvriers sont les moins bien rétribués. Ils se composent principalement de pauvres familles chargées d'enfants en bas âge, et venues de tous côtés, quand l'industrie n'était pas en souffrance, s'établir en Alsace, pour y louer leurs bras aux manufactures.
Il faut les voir arriver chaque matin en ville et en partir chaque soir. Il y a, parmi eux, une multitude de femmes pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue, et qui, faute de parapluie, portent renversé sur la tête, lorsqu'il pleut, leur tablier ou leur jupon de dessus, pour se préserver la figure et le cou, et un nombre encore plus considérable de jeunes enfants non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons tout gras de l'huile des métiers, tombée sur eux pendant qu'ils travaillent. Ces derniers, mieux préservés de la pluie par l'imperméabilité de leurs vêtements, n'ont pas même au bras, comme les femmes dont on vient de parler, un panier où sont les provisions pour la journée ; mais ils portent à la main ou cachent sous leur veste, ou comme ils le peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu'à l'heure de leur rentrée à la maison.
Ainsi à la fatigue d'une journée déjà démesurément longue, puisqu'elle est au moins de 15 heures, vient se joindre pour ces malheureux, celle de ces allées et retours si fréquents, si pénibles. Il en résulte que le soir ils arrivent chez eux accablés par le besoin de dormir, et que le lendemain ils en sortent avant d'être complètement reposés, pour se trouver dans l'atelier à l'heure de l'ouverture. On conçoit que, pour éviter de parcourir deux fois chaque jour un chemin aussi long, ils s'entassent, si l'on peut parler ainsi, dans des chambres ou pièces petites, malsaines, mais situées à proximité de leur travail.

Dornach_d_but_XXe_si_cle
Dornach au début du XXe siècle

J'ai vu à Mulhouse, à Dornach et dans des maisons voisines, de ces misérables logements, où deux familles couchaient chacune dans un coin, sur de la paille jetée sur le carreau et retenue par deux planches. Des lambeaux de couverture et souvent une espèce de matelas de plumes d'une saleté dégoûtante, voilà tout ce qui recouvrait cette paille.
Du reste, un mauvais et unique grabat pour toute la famille, un petit poêle qui sert à la cuisine comme au chauffage, une caisse ou grande boîte en guise d'armoire, une table, deux ou trois chaises, un banc, quelques poteries, composent communément tout le mobilier qui garnit la chambre des ouvriers employés dans les filatures et les tissages de la même ville.
Cette chambre, que je suppose à feu et de 10 à 12 pieds en tous sens, coûte ordinairement à chaque ménage, qui veut en avoir une entière, dans Mulhouse ou à proximité de Mulhouse, de 6 à 8 F. et même 9 F. par mois, que l'on exige en deux termes, c'est-à-dire de 15 en 15 jours, aux époques où les locataires reçoivent leur paie-: c'est depuis 72 jusqu'à 96, et quelquefois 108 F. par an. Un prix aussi exorbitant tente les spéculateurs ; aussi font-ils bâtir, chaque année, de nouvelles maisons pour les ouvriers de la fabrique, et ces maisons sont à peine élevées que la misère les remplit d'habitants.
Et cette misère, dans laquelle vivent les derniers ouvriers de l'industrie du coton, est si profonde qu'elle produit ce triste résultat que tandis que dans les familles de fabricants, négociants, drapiers, directeurs d'usines, la moitié des enfants atteint la 29e année, cette même moitié cesse d'exister avant l’âge de 2 ans accomplis dans les familles de tisserands et d'ouvriers des filatures de coton. Quel manque de soins, quel abandon de la part des parents, quelles privations, quelles souffrances cela ne fait-il supposer pour ces derniers ?

L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840)

Louis-René Villermé (1782-1867) fut d'abrd chirurgien dans les armées napoléoniennes avant d'être licencié après l'abdication de l'Empereur. Il abandonne le médecine en 1818 pour se consacrer à la rédaction d'une série de mémoires sur la famine et la guerre, le régime des prisons et la mortalité à Paris qui permirent de faire voter la loi de 1841 règlementant le travail des enfants.

(1) La journée y commence en été à 5 heures du matin pour finir le soir à 6 heures et demie, en hiver à 7 heures pour finir le soir à 8 heures et demie, et l'on y accorde, comme à Mulhouse, etc., une heure et demie pour les repas et le repos.

 

2) Carte de l'Europe industrielle au XIXe siècle

Europe_industrielle_XIXe




 

3) Logements insalubres en Alsace

De quoi a-t-on peur ? De l’immoralité, mais aussi et c’est une nouveauté, des maladies contagieuses dont les pauvres et leur habitat seraient les foyers privilégiés.
En effet, le développement fulgurant du choléra en 1832 cause un choc dans l’opinion publique. C’est sans doute l’épidémie qui a le plus marqué les esprits au XIXe siècle, par sa rapidité, le nombre élevé de victimes, mais aussi et surtout par un sentiment d’impuissance et de fatalité. Or les classes aisées pensent que la maladie se transmet par les pauvres, ces derniers étant les plus touchés.

Les médecins et les hygiénistes font d’ailleurs le rapprochement entre l’insalubrité des logements des indigents et des ouvriers et l’intensité de la maladie. Selon eux, la propreté et une bonne hygiène seraient donc une question de santé et de moralité publique. Du coup, les autorités se préoccupent des logements. Sous le Second Empire, Napoléon III, auteur de la brochure L’extinction du paupérisme (1844) s’intéresse aux questions sociales, et pense que l’État a son rôle à jouer. Une partie de sa «politique sociale» passe par la question des logements. Il encourage notamment la construction de logements populaires.
C’est en Angleterre qu’ont lieu les premières réflexions et les premières expériences en matière de logement ouvrier. Sa première loi sur la santé, le “Public Health Act” adoptée le 31 août 1848 sert de modèle pour les autres pays industrialisés en matière de législation sanitaire.

La loi du 13 avril 1850 sur les logements insalubres Les différentes familles du «christianisme social» se sont elles aussi préoccupées de la question du logement ouvrier. De fait, la loi sur les logements insalubres a été votée sur l’initiative des frères Armand et Anatole de Melun, prosélytes du catholicisme social. Le problème des logements est abordé dans un article paru dans les Annales dès 1845. Pour ses auteurs la charité des riches ne suffit pas à régler le problème de l’insalubrité. L’État doit intervenir par une législation adéquate. La loi est mesurée : Melun se défend de toucher au droit de propriété, mais tient à dénoncer les excès du libéralisme.
La loi du 13 avril 1850 encourage la création de commissions chargées d’inspecter les habitations insalubres. Cette loi est assez novatrice. Enfin des experts (médecins, architectes) s’occupent concrètement de l’insalubrité des logements de la classe pauvre. Mais la loi a ses limites car la création de commissions n’est pas obligatoire et dépend de l’appréciation du conseil municipal. Or celui-ci se compose majoritairement de propriétaires qui n’ont pas forcément intérêt à son application. Par ailleurs, on peut reprocher à cette loi de ne pas s’intéresser au sort des locataires expulsés des logements insalubres qui ne sont ni relogés, ni indemnisés.

les logements insalubres à Colmar
Analyse de l’espace urbain
À Colmar, on constate tout d’abord l’insalubrité des rues. Cela peut parfois causer ou aggraver l’insalubrité des logements. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Colmar possède plusieurs cours d’eau, notamment le canal du Logelbach qui traverse la ville, dans une direction NO-SE, pour aller rejoindre la Lauch située au sud. Les cours d’eau posent problème lors des inondations mais aussi dans la vie courante car ils font régner une grande humidité ambiante et s’infiltrent souvent dans les caves proches de leurs lits. Par ailleurs, ces cours d’eau sont sales car ils servent d’égouts, et on y déverse des déchets aussi bien ménagers qu’industriels, les cadavres d’animaux et le contenu des pots de chambre. Les eaux stagnantes sont également l’une des premières causes de l’insalubrité des rues avec les dépôts d’ordures.

Cela est dû en partie au manque de rigoles, à un mauvais nivellement de la rue et un mauvais pavage. On reproche aussi à ces rues d’être étroites, sombres et mal aérées pour la plupart, la ville ayant en effet gardé en grande partie son bâti du Moyen Âge. Par ailleurs, sous le Second Empire, Colmar est encore à dominante agricole. Ce sont surtout les bêtes qui causent problème, elles abîment et souillent les rues lors de leurs passages fréquents. Leurs étables sont une cause d’insalubrité pour les logements par leur odeur, par la présence d’éventuels parasites et insectes (puces). Les agriculteurs conservent précieusement le fumier de leurs animaux car il constitue un engrais de qualité et peu cher. Ils l’entassent dans les cours ou même dans les caves et dans les corridors (1) .

Certains quartiers sont plus insalubres que d’autres et apparaissent plus souvent dans les sources. L’influence de l’environnement explique en partie la situation de ces quartiers. La partie Est de la ville correspond au quartier des laboureurs. L’insalubrité y est grande du fait des pratiques des agriculteurs. Il y a de nombreux fumiers dans les cours, les étables posent problème ainsi que les attelages qui abîment les pavés.
La partie sud-est correspond au quartier des maraîchers, jardiniers, vignerons. Ils s’y sont établis car c’est l’endroit le plus bas et le plus humide de la ville. Ils y trouvent de l’eau en abondance pour leurs cultures, la Lauch leur offre même des facilités de transport. Mais cette humidité est préjudiciable à la santé. Les environs de la rue du Chantier et de la rue de la Hart correspondent à des quartiers d’ouvriers. Les maisons sont construites à la va-vite dans les faubourgs.

Sandra CARVALHO
"Les logements insalubres à Colmar sous le Second Empire", Chantiers historiques en Alsace, n° 5, 2002, Presses universitaires de Strasbourg
www-umb.u-strasbg.fr/tele/pdf/Chantiers5.pdf

(1) Archives Municipales de Colmar, 5J 2, 3b rapport de la visite du 1er au 4 août 1854

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le vieux Colmar, quartier de la petite Venise



4) L'alimentation ouvrière et populaire


ration_journali_re__Corbin_
rations alimentaires journalières dans les hospices
de Limoges au XIXe siècle ;
(source : Corbin)
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Limousin_Corbin_couv

source des rations alimentaires : Alain Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, 1845-1880, 1975), éd. Presses universitaires de Limoges, 1998.




5) Le prolétariat des années 1830-1840

Le nouveau prolétariat

Si la découverte du prolétariat d'usine par les "observateurs sociaux" des années 1830-1840 est le grand motif d'inquiétude de la société des notables, le poids de cette nouvelle classe ouvrière constituée progressivement depuis la fin du XVIIIe siècle reste très limitée. Dans les années 1840, 1,2 million d'ouvriers travailleraient dans les manufactures sur un total de 4,4 millions, et 60% d'entre eux dans le textile (coton, laine et soie), le reste étant surtout réparti dans la métallurgie et la mine.

manufacture_1840
usine de teinturerie, filature, tissage et usine d'apprêt des étoffes,
fabrique Victor Grandin
à Elbeuf (Seine-Maritime), tableau peinture, 1840 (source)

Dans les régions où elles se sont implantées, les manufactures ont mobilisé une main d'œuvre  le plus souvent sous-employée, aux frontières de l'indigence et située dans les campagnes surpeuplées. Mais le recrutement de ce nouveau prolétariat en France reste difficile. Beaucoup de ces ouvriers possèdent encore un lopin de terre et associent, comme les ouvriers métallurgistes de Saint-Étienne, le travail à l'usine et celui des champs. La pluriactivité freine beaucoup plus qu'en Angleterre le passage de la campagne à la ville, et c'est souvent sur place que s'opère le passage de la paysannerie à la condition ouvrière.

Mais dans la filature, à Rouen, à Lille ou Mulhouse, s'impose un profil de prolétaire qui n'a que ses bras à louer. La présence de machines, l'utilisation de moulins hydrauliques ou de la vapeur qui limitent l'utilisation de la force physique, ont permis de recruter largement des femmes et des enfants, ce qui a déqualifié le travail des hommes. Les femmes représentent plus du tiers des effectifs de la nouvelle industrie textile. Elles sont deux fois moins payées qu'un homme ; les enfants, employés dans des tâches annexes, souvent dès l'âge de 6 ou 7 ans, deux fois moins payés qu'une femme.
Dans les manufactures, le travail est plus long (14 à 15 heures par jour) et plus intense, parce que dans les années 1840 se généralise le travail aux pièces, qui fixe la rémunération selon le rendement. Le travail est d'autant plus pénible qu'il ajoute aux courbatures permanentes des affections pulmonaires graves liées à la poussière du coton, à l'humidité, à la chaleur accablante…

La main d'œuvre, encore attachée aux rythmes de vie de la société rurale, a été progressivement "dressée" à la discipline de l'usine. La fabrique est surmontée de sa cloche "pour l'appel des ouvriers", des règlements d'entreprise assortis d'amende redoutées rythment le travail. Mais la marge de manœuvre peut être encore importante dans certaines manufactures où l'on est embauché par familles entières, où les ouvriers mangent, boivent, se disputent, font des lectures collectives et parfois dorment. Contestée au niveau individuel, l'usine n'est pas encore rejetée collectivement par la main d'œuvre, et le patron peut, à l'occasion d'une fête ou d'une remise de prix, incarner encore la communauté de travail.
Un logement sordide reste aux yeux des enquêteurs philanthropes la marque la plus visible du malheur ouvrier. À Lille, où des ouvriers vivent dans des caves, les deux tiers des adultes n'atteignent pas l'âge de 40 ans. À l'exception de la tradition maintenue de la procession – celle de la Saint-Éloi pour les métallurgistes de Vierzon, accompagnée d'un banquet et d'un bal très apprécié -, la pratique religieuse est faible.

À Rouen, l'absence à la messe est justifiée par les ouvriers, auprès de l'économiste Adolphe Blanqui, par le fait que le dimanche, on lave le seul vêtement qu'on possède. Si la famille ouvrière parvient à survivre dans les périodes de prospérité, elle est très vulnérable aux aléas de la conjoncture, d'autant que le licenciement ne rencontre aucun obstacle. Une maladie, le simple déclin des forces avec l'âge, entraînent la chute du revenu, le basculement dans l'indigence. Pour fixer la main d'œuvre, quelques patrons accordent des soins médicaux gratuits, un logement à prix réduit, des subventions à une société d'entraide… Un premier paternalisme tente de reproduire, sur le modèle rural, une communauté fondée sur les liens de fidélité du patronage.

Les ouvriers de métier

Le vrai prolétariat reste très minoritaire dans un monde du travail dominée par des formes d'activité moins contraignantes et beaucoup plus complexes. L'idée même d'un destin de "prolétaire" reste encore assez étrangère au monde du travail. Le journalier, souvent embauché le matin et licencié le soir – c'est le cas pour les deux tiers des travailleurs utilisés par le gros mécanicien de la rive gauche de Paris, Cail -, peut avoir ce sentiment. Mais il est flottant, passe d'un métier à l'autre et ne s'enracine guère dans un destin collectif.

Le vrai prolétariat reste très minoritaire dans un monde du travail dominée par des formes d'activité moins contraignantes et beaucoup plus complexes. L'idée même d'un destin de "prolétaire" reste encore assez étrangère au monde du travail. Le journalier, souvent embauché le matin et licencié le soir – c'est le cas pour les deux tiers des travailleurs utilisés par le gros mécanicien de la rive gauche de Paris, Cail -, peut avoir ce sentiment. Mais il est flottant, passe d'un métier à l'autre et ne s'enracine guère dans un destin collectif.

Pour beaucoup de travailleurs, on est ouvrier une partie de sa vie et, après avoir été apprenti, compagnon dans une petite entreprise qui domine largement le monde du travail, on s'installe à son compte et on se marie. Dans les mauvaises périodes, on peut, comme Martin Nadaud, maçon creusois devenu petit patron, redevenir ouvrier, puis créer, avec quelques compagnons, une association qui fonctionne comme un patronat collectif proche de la condition ouvrière. L'artisan, qui travaille seul ou en famille avec un compagnon, reste le travailleur type. Cette absence de frontière nette entre le petit patronat et l'ouvrier de métier est la base sociale de la solidarité politique souvent manifestée à Paris ou à Lyon par le monde du travail.

Le monde des métiers reste très varié. Si le revenu du cordonnier, du tailleur, du maçon, est très bas, proche de celui du prolétaire d'usine, tout comme celui du tisserand de village, soumis à la pression de la concurrence des mécaniques, le revenu de l'ouvrier des industries de luxe et de demi-luxe de la fabrique parisienne – les bijoutiers, ébénistes, ouvriers du bronze… - est beaucoup plus élevé, comme celui des ouvriers mécaniciens, dont le nombre progresse vite.
À Paris, le salaire peut varier dans le monde ouvrier de 2,50 F pour le manœuvre, à 6 à 8 F par jour pour l'ouvrier de métier. Mais les chômages sont nombreux, et les intermédiaires du "marchandage", haïs par les ouvriers, durcissent l'exploitation ouvrière par leur prélèvement sur le salaire.
Les conditions de vie sont tout aussi contrastées. Les maçons creusois, migrants temporaires, arrivés à Paris s'entassent dans les "garnis", ces greniers transformés en dortoirs dans le centre de Paris, vivent pauvrement et économisent pour retourner au pays, mais l'ouvrier de métier vit souvent décemment "dans ses meubles" à côté de son atelier. Le monde des métiers se distingue par son niveau culturel et son savoir-faire. Plus des quatre cinquièmes des ouvriers de métier savent lire à Paris ou à Lyon, alors que 80% des mineurs du Nord sont analphabètes.
Le parcours de ces travailleurs passe par toutes les étapes d'un véritable cursus ponctué de rites d'initiation et l'acquisition progressive chez un patron d'un "tour de main", d'un savoir de métier.
L'ouvrier qui a un vrai savoir professionnel se déplace, change de ville, de patron, et ce "nomadisme des savoir-faire" est orienté par un réseau d'amis, de cousinage, de gens du pays, qui peut s'étendre à toute la France. Il lui permet de peser ainsi sur les salaires offerts par les maîtres, et de répondre aux périodes alternées de "coups de feu" et de morte-saison. La carrière des verriers s'inscrit dans des itinéraires qui les mènent parfois jusqu'en Asturies ou en Vénétie. La sociabilité de ces ouvriers d'élite est ancrée dans de nombreuses sociétés d'entraide, sociétés d'agrément, sociétés chantantes, sociétés à boire, qui organisent des fêtes et soudent la communauté autour d'un saint patron.

Francis Démier, La France du XIXe siècle, 1814-1914, p. 181-184



6) Les ouvriers du Creusot sous le Second Empire

Le Second Empire est l'époque des progrès gigantesques de l'usine du Creusot qui se hisse au premier rang en Europe occidentale. Le système paternaliste qui doit empêcher pour toujours le retour des révoltes ouvrières, avec au besoin la protection du sabre bonapartiste atteint sa perfection. Car Eugène Schneider joue à fond la carte "impériale", comme il avait joué la carte Louis-Philippe ; la République devient trop facilement "démocratique et sociale", l'Empire, c'est la paix... au Creusot ! En fait, pendant dix-huit ans, l'Ordre règne dans les ateliers et dans la ville, tandis que les profits montent.

L'usine ne cesse de s'agrandir à partir de 1852. La guerre de Crimée (1854-56) réintroduit au Creusot les fabrications de guerre qui lui évitent de ressentir la crise économique en cours (machines pour vaisseaux de guerre et blindages). Les profits ainsi réalisés permettent, avec les spéculations financières de M. Schneider [Régent de la Banque de France, président du Conseil d'administration de la "Société Générale" créée en 1864], les transformations et modernisations nécessaires dans la période suivante pour résister à la concurrence anglaise ; une nouvelle forge, moderne et colossale, est créée en 1861 ; la production de rails, locomotives, bateaux à vapeur, etc... s'intensifie. En 1867, nouvelle étape : la fabrication de l'acier apparaît au Creusot-; la Société achète de nouvelles mines de fer et de charbon (Montchanin, La Machine) dans la région. Le nombre des ouvriers est passé de 1 700 en 1836 à 10 000 en 1869, le chiffre d'affaires de 10,3 millions en 1847 à 35 millions en 1865.

tuilerie___Montchanin_les_Mines
ouvriers sortant de la tuilerie de Montchanin-les-Mines (Saône-et-Loire)

En même temps, la ville croît rapidement, passant de 2 700 habitants en 1836, se haussant ainsi au premier rang des villes de Saône-et-Loire. La natalité y est énorme (59 naissances par 1 000 habitants en 1863 !) mais l'accroissement se fait surtout par l'immigration des jeunes paysans du Morvan et de toute la Haute-Bourgogne. Parallèlement s'est formée une petite bourgeoisie de commerçants, d'artisans, professions libérales, qui supporte de plus en plus mal sa subordination à la Société et la mainmise totale de celle-ci sur l'administration municipale. Son mécontentement va rejoindre celui des ouvriers, dont les conditions de vie n'ont cessé de se détériorer pendant que les profits patronaux grandissaient.

Le niveau de vie des ouvriers creusotins a baissé en effet de façon sensible de 1851 à 1869 : ils ont subi une paupérisation relative et absolue. C'est ce qui ressort d'une étude comparée de l'évolution des salaires, des prix et de la durée du travail. La baisse du salaire réel de 10% environ n'est pas compensée par le progrès des "avantages sociaux", ces institutions patronales - caisse de prévoyance (alimentée par une retenue de 2,5% sur les salaires), bureau de bienfaisance, logements ouvriers, etc... - qui caractérisent le paternalisme modèle de la Société et dont les maigres avantages pour une minorité sont contrebalancés par la dépendance absolue qu'ils imposent à l'ouvrier.

villedieu
Groupant 80 maisons, construites en 1865, l’ensemble (qui a été agrandi en 1872
de 25 unités) s’étend sur un plan orthogonal. Cette cité, la deuxième édifiée par Schneider,
tend vers le modèle conforme à l’idéologie du paternalisme social et elle fut perçue
comme telle (rapport de Simonin sur sa visite de l’Exposition universelle de 1867).
Ce sont des maisons individuelles de deux pièces sur un seul niveau
avec cuisine en appentis ; toutes sont rigoureusement identiques avec la même position
dans des parcelles d’égale superficie. (source : ecomusee-creusot-montceau.fr)

Ainsi la consommation de viande et de vin par habitant est-elle moindre au Creusot qu'à Paris, les conscrits de la commune se distinguent par leur petite taille au conseil de révision, et l'âge moyen de la vie n'est que de 24 ans au lieu de 33 à Paris vers 1867. C'est d'ailleurs très consciemment que les salaires sont calculés au plus juste, ni trop bas ni trop haut, comme l'explique A. P. Deseilligny, directeur de l'usine jusqu'en 1866 et gendre de E. Schneider :

"En France depuis trente ans des salaires plus élevés ont permis aux ouvriers de mieux se nourrir ; dans beaucoup de professions, il est arrivé que de supplément de dépenses n'a pas été inutile (sic) et que l'homme fortifié par une nourriture substantielle a pu produire davantage... Mais s'il est utile... d'avoir des salaires suffisants, il est fort dangereux d'avoir des salaires exagérés. Or avec une population immorale, il faut payer finalement non seulement la dépense du nécessaire, mais celle du superflu. Le budget du vice vient s'ajouter à celui de la famille, et c'est presque toujours alors qu'arrivent, comme de tristes conséquences, les mécontentements et les grèves" (A.-P. Deseilligny, De l'influence de l'éducation sur la moralité et le bien-être des classes laborieuses, 1869).

Autrement dit : enseignons la morale et payons au juste prix pour encourager la productivité tout en évitant les grèves !

ouvriers_mineurs_le_Creusot
ouvriers mineurs au Creusot, 1887

Les conditions mêmes du travail à l'usine et à la mine ont empiré. L'ancien travail semi-artisanal, avec des heures de labeur "poreuses", coupé de repos, ou de séjours à la campagne, pour les travaux agricoles, a fait place au travail industriel moderne (pour l'époque : on fait encore mieux de nos jours !). Un enquêteur plein de partialité en faveur de Schneider nous décrit ainsi le travail des puddleurs :

"Cet ouvrier dont on exige tant d'habileté et de sang-froid, est placé à la bouche d'un four, l'oeil fixé sur une sole enflammée d'où s'exhale une chaleur de 1 500°, celle du blanc soudant. Qu'il éprouve un moment de vertige, que son regard se trouble à suivre le métal en fusion et il en résultera un dommage dont il aura à supporter sa part s'il travaille à la tâche. Cette tâche il ne la remplit pourtant qu'inondé de sueur et dévoré d'une soif ardente, et, ce qui est le plus triste à dire, en abrégeant la durée de sa vie. L'ouvrier en a la conscience et il persiste : l'industrie est pleine de ces héroïsmes obscurs" (L. Reybaud, Rapport sur la condition des ouvriers en fer : Le Creusot, 1867.

Quant aux mineurs, c'est pire encore, d'après le tableau que nous trace J.-B. Dumay du travail dans les mines de fer de Mazenay, près du Creusot, appartenant à la Société :

"Les galeries ont de 7 à 8 m de large sur 50 à 50 cm de haut. Deux mineurs côte à côte dans cet enfer travaillent couchés sur un côté opposé, pour ne pas se gêner mutuellement. On imagine facilement qu'une pareille situation pendant 10 heures par jour, souvent 12, est un véritable supplice... surtout lorsqu'il y a, comme c'est souvent le cas, 2 ou 3 cm d'eau. Ce travail est d'autant plus meurtrier qu'en raison de l'humidité qui règne dans la galerie, les ouvriers ne peuvent se reposer quelques minutes sans ressentir des frissons, il faut recommencer de frapper plus fort pour s'échauffer... les déblayeurs sont aussi obligés de se mouvoir dans toutes les positions pour charger leurs petits wagonnets" (J.-B. Dumay, Un fief capitaliste, Le Creusot, 1882).

Ainsi se forme parallèlement aux transformations de l'industrie un prolétariat nouveau, lié corps et âme à l'usine géante qui l'exploite, mais qui ne va pas tarder à prendre conscience de sa force.

Pierre Ponsot, Les grèves de 1870 et la Commune de 1871 au Creusot,
éditions Sociales, 1957, p. 12-16




Seveux_sortie_des_ouvriers
Seveux, dans le département de la Haute-Saône

 

7) Les assises économiques et sociales de la République

Les ouvriers, des villes aux banlieues
L'atelier et l'usine


La représentation qu'on donne de la "classe ouvrière" dans la République fait de celle-ci, face à la bourgeoisie, une autre "avant-garde", guidée elle aussi par un messianisme de progrès, mais animée du désir de bouleverser la société plutôt que de la changer au rythme mesurée des réformes républicaines. L'image se heurte à une première réalité.

À la veille de la guerre, il reste difficile, en France, d'identifier clairement les contours du prolétariat moderne, d'une "classe ouvrière" au sens d'agrégat social, douée d'une "conscience de classe" et destinée par le courant marxiste à changer la société. Nous l'avons dit, la France est encore très largement dominée par l'atelier, et le travail est rarement décomposé en tâches parcellaires dans la grande usine. Le travail ouvrier reste proche de l'artisanat, dans une société où l'on a en moyenne 1 patron pour 4,3 ouvriers.

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ouvriers de la Compagnie industrielle des pétroles, Rouen

 

Les ouvriers à domicile, commandés par un lointain donneur d'ordres, représentent encore 26,3% des ouvriers en 1906. Les véritables usines qui dépassent 100 salariés ne regroupent que 24,3% des ouvriers, et en revanche les entreprises de moins de 10 salariés occupent près de la moitié de la main d'oeuvre. La population ouvrière, du reste, est loin d'augmenter au rythme qu'elle connaît en Allemagne. Le nombre des ouvriers n'a crû que de 17% entre 1866 et 1906. En outre, la répartition de la main  d'oeuvre a peu évolué. Les deux tiers des ouvriers sont encore dans les industries traditionnelles : textile, bâtiment, alimentation..., et seulement 12% se trouvent dans les secteurs de pointe de la deuxième industrialisation : métallurgie, mines, chimie...

On ne saurait pourtant en conclure à une inertie de l'ouvrier. Être ouvrier n'était dans le premier XIXe siècle qu'une étape dans un cursus professionnel qui pouvait mener à s'établir à son compte. Désormais, le processus s'est enrayé, et la vie ouvrière s'impose comme un destin. L'ouvrier était souvent un migrant temporaire, un ouvrier paysan, un travailleur qui pouvait se replier sur le monde rural. La perspective recule, et l'ouvrier se fixe dans l'horizon de la ville ou, phénomène nouveau, dans sa banlieue.

En dépit de la dispersion des travailleurs, de grandes concentrations ouvrières sont apparues. L'empire Schneider, au Creusot, est passé en quarante ans de 9 000 à 20 000 ouvriers. Le nombre des mineurs a bondi de 33 000 en 1851 à 150 000 en 1913, dont 135 000 concentrées dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais. Les nouveaux industriels sont vite passés à une vitesse supérieure. Renault a 4 000 ouvriers à Billancourt, la Compagnie générale d'électricité, 3 5000 à Ivry.

Autre obstacle à l'unité prolétarienne, la "classe ouvrière" est restée fortement stratifiée, par les compétences, les qualifications, les salaires, mais la hiérarchie a sensiblement changé de nature. En haut de l'échelle, on a toujours un ensemble d'ouvriers qualifiés, avec des salaires assez élevés, supérieurs souvent à ceux des fonctionnaires et des employés. Ce sont des travailleurs capables d'utiliser des machines polyvalentes, ou détenteurs d'un savoir technique complexe, d'un tour de main acquis au fil d'un long cursus de l'atelier.

Cette "aristocratie ouvrière" échappe mieux aux périodes de chômage, résiste au processus de déqualification imposé par les premières tentatives de taylorisation, et change aussi de profil. L'ouvrier qualifié n'est plus tant l'ébéniste ou le bronzier parisien que le mécanicien ou le cheminot. Mieux syndiqués, ils cherchent à faire reconnaître désormais une nouvelle professionnalisation, acquise dans les nouvelles écoles techniques, comme l'école Diderot fondée en 1872, et revendiquent dans des grèves d'un nouveau type une règlementation de l'avancement (les cheminots en 1910).

Une plèbe d'ouvriers déqualifiés, moins payés, embauchés de façon précaire, constitue encore le gros de la main d'oeuvre. Mais cette masse ouvrière a changé. Il existe toujours un grand nombre de journaliers, de manoeuvres, indispensables dans les usines où les tâches de manutention sont importantes parce que l'intégration du processus de travail n'y existe guère. Mais une nouvelle catégorie, les ouvriers spécialisés (OS), se développe rapidement au début du siècle. Sans qualification précise, ils sont utilisés sur des machines-outils de plus en plus perfectionnées et selon des rythmes de travail qui leur échappent.

De 1870 à 1906, le travail des femmes, toujours payé deux fois moins que celui des hommes, a augmenté de plus de 30%. Employées dans la confection, elles forment aussi la main-d'oeuvre favorite du sweating-system ["travail à la sueur", surexploitation] des grandes villes. Elles sont aussi recrutées massivement dans les nouvelles industries, dangereuses et polluantes, comme la chimie de la banlieue parisienne, ou encore dans les tâches très parcellisées des usines de matériel électrique. Une autre main-d'oeuvre déqualifiée est celle des travailleurs étrangers, hommes jeunes et célibataires, déracinés de leur milieu rural et employés dans les travaux pénibles de la mine et de la métallurgie.

Dans les usines, le travail s'est stabilisé autour d'une durée de onze heures par jour. On respecte, en général, le repos hedomadaire, et certains travailleurs commencent à goûter à la semaine anglaise. Mais la diminution d'un temps de travail qui demeure extrêmement pénible dans des usines surchauffées, polluées, encombrées d'un fouillis de courroies et d'engrenages dangereux, reste une des grandes priorités, dont l'importance apparaît dans la campagne des "trois huit" menée par la CGT.

 

Une lente amélioration de la condition ouvrière

La condition ouvrière s'est améliorée parce que le salaire, en moyenne, a augmenté. Le mouvement amorcé sous le Second Empire a évolué irrégulièrement, il peut être différent d'une catégorie à l'autre, il est souvent contrarié par l'existence fréquente de périodes de chômage aux effets ravageurs, il constitue cependant une tendance de fond.

Cette nouvelle conquête d'un mieux être ne modifie pas l'insécurité ouvrière, phénomène essentiel qui creuse la différence entre l'ouvrier et le reste de la société. Confronté à un avoir dérisoire, à des chômages fréquents, à la perte du salaire à l'occasion d'une maladie ou d'accidents du travail très nombreux, l'ouvrier ne peut guère faire d'épargne, tout au moins à un niveau qui lui permette d'échapper à la hantise du lendemain. Les caisses de secours patronales qui versent des indemnités en cas de maladie, les caisses de retraite qui sont apparues dans les sociétés minières ou les compagnies de chemin de fer, représentent certes un recours, mais ne protègent qu'une partie très limitée de la classe ouvrière.

Dans le budget ouvrier, augmenté de nouveaux gains acquis au fil des luttes, la dépense essentielle reste la nourriture, dont la part varie de 60 à 70%. Le pain, qui est toujours la base de la nourriture, recule dans les dépenses au profit du vin et de la viande. À la Belle Époque, le sucre, le café, le lait, des légumes plus facilement accessibles pour ceux qui possèdent un "jardin ouvrier", améliorent l'ordinaire. Pour soulager les difficultés quotidiennes, des coopératives ouvrières répondent aux économats patronaux. Limitées au départ à la création de boulangeries ou d'épiceries, elles sont développées sous l'influence socialiste et offrent de nombreux services.

Avec une alimentation meilleure, la santé ouvrière a progressé surtout à Paris. On écartait encore du recrutement militaire, en 1869, 17,9% des hommes du XIe arrondissement parce qu'ils n'atteignaient pas la taille de 1,60 m. Ils ne sont plus que 3,3% en 1903. Le réseau des dispensaires (24 à Paris) a amélioré les soins dans la capitale, en particulier pour les femmes en couches, et les bains publics (c'est un effort des municipalités radicales et socialistes) ont fait progresser l'hygiène. Mais la tuberculose, la typhoïde, la diphtérie, la scarlatine, la rougeole, font encore des ravages à Paris, et surtout dans sa banlieue, où l'eau courante est rare et celle des puits polluée. À la veille de la guerre, à Paris, au moins un couple sur trois a perdu un enfant en bas âge.

Dans leur budget, les ouvriers dépensent sensiblement plus pour se vêtir. L'importance nouvelle de la confection, des grands magasins, banalise le vêtement, fait reculer les manières provinciales et disparaître la blouse chez un travailleur qui, hors de son travail, tend à s'habiller en "bourgeois". Un des signes le plus pénibles de la condition ouvrière reste le logement, qui distingue nettement l'ouvrier du reste de la société. Ce logement, mal éclairé, sans hygiène et assorti d'un nombre dérisoire de meubles, est exigu (le quart des ouvriers parisiens vit dans une seule pièce) et mal équipé, ce qui contraint encore souvent à réchauffer ses aliments à la gargote.

Et pourtant ces logements sordides sont chers (plus de 20% de hausse à Paris entre 1900 et 1913), car il existe une véritable crise du logement populaire. Cette cherté du loyer explique l'instabilité de l'ouvrier dans la ville, ses déménagements fréquents, faits parfois à la "cloche de bois" quand on ne peut plus payer le loyer. L'haussmannisation a assuré à la bourgeoisie des conditions de logements très confortables mais oublié la construction de logements pour les ouvriers, peu rentables. Ces derniers se sont accrochés au vieux tissu urbain, tant que leur travail était lié à la fabrique parisienne, imbriqué dans les rues du centre.

Mais, au tournant du XXe siècle, la crise des vieilles industries parisiennes, l'industrialisation rapide de la banlieue, provoquent un déplacement progressif de la population vers la périphérie de Paris et des grandes villes. Le phénomène est encouragé par l'apparition de nouveaux transports en commun, en particulier les trains de banlieue, les tramways, mais dans un premier temps ceux-ci restent chers et la décongestion des quartiers ouvriers de Paris très lente. Les nouveaux transports sont surtout accessibles aux employés, qui tout en travaillant à Paris décident d'habiter la banlieue proche, plus agréable que les vieux quartiers de la capitale.

La banlieue, dont la population progresse trois fois plus vite que celle de la capitale, reste très contrastée. À Saint-Denis, la population ouvrière représente 80% de la population totale, et accueille de véritables colonies de Bretons partis par villages entiers de Bretagne sous la conduite de leur recteur et habitant des "casernes ouvrières" dans un environnement délabré. À l'ouest, dans d'autres villes, Colombes ou Suresnes, la population ouvrière, venue de la province ou parfois de Paris, coexiste avec une population de petits bourgeois, voire de paysans qui continuent à cultiver pour Paris. C'est seulement en 1894, avec la loi Siegfried qui crée les habitations à bon marché, que l'État commence par des encouragements fiscaux à intervenir dans le logement social. Mais elles restent gérées par le privé, et il faut attendre 1912 pour que les municipalités encouragent la construction locative et que soient mis en place les offices publics d'HBM.

Pour une autre grande partie de la classe ouvrière, celle qui habite les cités ouvrières des "villes-usines", l'horizon est différent. Les grandes compagnies minières et métallurgiques construisent des cités dans lesquelles le patronat aide les ouvriers à devenir progressivement propriétaire d'une maisonnette et d'un bout de jardin. Cet enracinement progressif est voulu par les entreprises pour fixer une main d'oeuvre volatile. L'acquisition lente d'une maison participe de toute une politique de contrôle social paternaliste qui prend en charge l'ouvrier, lui "offre" une école et une église, des moyens de promotion interne (le fils d'un ouvrier Schneider peut devenir ingénieur Schneider grâce aux seules écoles Schneider), subventionne les associations sportives et culturelles, et un système de retraites lié à une caisse d'entreprise gérée par le patronat. Si l'ouvrier quitte ce cadre, il perd tout. C'est pourquoi cet encadrement protecteur apparaît de plus en plus pesant et se trouve contesté.

Une culture ouvrière

À défaut de conscience de classe claire et d'unité sociologique, c'est probablement une culture ouvrière de la ville qui soude le mieux le monde ouvrier. Cette culture ouvrière a été longtemps une culture de métier, elle est aussi une culture de quartier. Les ouvriers y sont immergés dans un tissu populaire diversifié qui offre des possibilités de relations humaines variées. Cette vie de relations extérieures au foyer est souvent la conséquence de l'aspect répulsif du logement, qui fait de la rue, du café, du cabaret, l'espace de sociabilité des ouvriers (on compte alors à Saint-Ouen 1 café pour 80 habitants). Au cabaret, on lit le journal et ses feuilletons, on commente les nouvelles, on fume, on boit, et on fait la fête, parfois entre ouvriers venus d'une même région. Des banquets rythment la vie associative, banquets de militants, de fête corporative chez les mineurs, de carnaval ou de paroisse.

Avec un modeste recul du temps de travail, les formes de loisir évoluent. Si l'ouvrier a été chassé des théâtres du centre ville, trop chers, il se retrouve au café-concert, qui reprend les chansons à la mode. À Saint-Denis, les ouvriers peuvent se retrouver dans 20 bals et 4 cabarets. Boulogne, Puteaux, Saint-Denis... ouvrent des théâtres pour le peuple, où l'on joue Cyrano de Bergerac, mais aussi Germinal. L'engouement pour la bicyclette gagne une classe ouvrière qui découvre les nouveaux clubs sportifs.

Les bourses du travail se dotent de bibliothèques, une contre-culture ouvrière, encore timide, progresse et se nourrit des universités populaires, des idées des sociétés de libre-pensée, qui participent à la bataille contre le retour en force des oeuvres et des patronages catholiques. La ville est donc le creuset d'une culture ouvrière qui est à la fois une culture républicaine, imprégnée des souvenirs de la geste révolutionnaire, mais aussi une contre-culture de classe qui affirme la spécificité des travailleurs dans la "citoyenneté républicaine".

Francis Démier, La France du XIXe siècle, 1814-1914, p. 426-432





8) Dossier : le travail des enfants dans l'industrie

Loi sur le travail des enfants et des filles mineures dans l'industrie (1874)


Présentation par Christian Chevandier
© Association des Amis du Maitron 2003

L'indispensable

La loi du 19 mai 1874 " sur le travail des enfants et filles mineures dans l'industrie " fut votée au début de la IIIe République. Elle interdisait ou limitait leur emploi dans certaines conditions, mais comportait aussi des mesures de prévention sanitaire. Son application ne fut pas satisfaisante et a nécessité le vote d'un nouveau texte moins de vingt ans plus tard.

Le document

SECTION 1ère - Age d'admission. Durée du travail
Art. 2 - Les enfants ne pourront être employés par des patrons ni être admis dans les manufactures, usines, ateliers ou chantiers avant l'âge de douze ans révolus. Ils pourront être toutefois employés à l'âge de dix ans révolus dans les industries spécialement déterminées par un règlement d'administration publique rendu sur l'avis conforme de la commission supérieure ci-dessous instituée.
Art. 3 - Les enfants, jusqu'à l'âge de douze ans révolus, ne pourront être assujettis à une durée de travail de plus de six heures par jour, divisées par des repos. À partir de douze ans, ils ne pourront être employés plus de douze heures par jour, divisées par des repos.

SECTION II - Travail de nuit, des dimanches et jours fériés
Art. 4 - Les enfants ne pourront être employés à aucun travail de nuit jusqu'à l'âge de seize ans révolus. La même interdiction est appliquée à l'emploi des filles mineures de seize à vingt et un ans mais seulement dans les usines et manufactures. Tout travail entre neuf heures du soir et cinq heures du matin est considéré comme travail de nuit. Toutefois, en cas de chômage résultant d'une interruption accidentelle et de force majeure, l'interdiction ci-dessus pourra être temporairement levée, et pour un délai déterminé, par la commission locale ou l'inspecteur ci-dessous institués, sans que l'on puisse employer au travail de nuit des enfants de moins de douze ans.
Art. 5 - Les enfants âgés de moins de seize ans et les filles âgées de moins de vingt et un ans ne pourront être employés à aucun travail, par leurs patrons, les dimanches et fêtes reconnues par la loi, même pour rangement de l'atelier.
Art. 6 - Néanmoins dans les usines à feu continu, les enfants pourront être employés la nuit ou les dimanches et jours fériés aux travaux indispensables. Les travaux tolérés et le laps de temps pendant lequel ils devront être exécutés seront déterminés par des règlements d'administration publique. Ces travaux ne seront, dans aucun cas, autorisés que pour des enfants âgés de douze ans au moins. On devra, en outre, leur assurer le temps et la liberté nécessaires pour l'accomplissement des devoirs religieux.

SECTION III - Travaux souterrains
Art. 7 - Aucun enfant ne peut être admis dans les travaux souterrains des mines, minières et carrières avant l'âge de douze ans révolus. Les filles et femmes ne peuvent être admises dans ces travaux. Les conditions spéciales du travail des enfants de douze à seize ans dans les galeries souterraines, seront déterminées par des règlements d'administration publique.

SECTION IV - Instruction primaire
Art. 8 - Nul enfant, ayant moins de douze ans révolus, ne peut être employé par un patron qu'autant que ses parents ou tuteurs justifient qu'il fréquente actuellement une école publique ou privée. Tout enfant admis avant douze ans dans un atelier devra, jusqu'à cet âge, suivre les classes d'une école pendant le temps libre du travail. Il devra recevoir l'instruction pendant deux heures au moins, si une école spéciale est attachée à l'établissement industriel. La fréquentation de l'école sera constatée au moyen d'une feuille de présence dressée par l'instituteur et remise chaque semaine au patron.
Art. 9 - Aucun enfant ne pourra, avant l'âge de quinze ans accomplis, être admis à travailler plus de six heures chaque jour, s'il ne justifie, par la production d'un certificat de l'instituteur et de l'inspecteur primaire, visé par le maire, qu'il a acquis l'instruction primaire élémentaire. Ce certificat sera délivré sur papier libre et gratuitement.

SECTION V- Surveillance des enfants - Police des ateliers
Art. 10 - Les maires sont tenus de délivrer aux père, mère ou tuteur un livret sur lequel sont portés les nom et prénoms de l'enfant, la date et le lieu de sa naissance, son domicile, le temps pendant lequel il a suivi l'école. Les chefs d'industrie ou patrons inscriront sur le livret la date de l'entrée dans l'atelier ou établissement, et celle de la sortie. Il devront également tenir un registre sur lequel seront mentionnées toutes les indications insérées au présent article.

(...) il est interdit d'employer les enfants âgés de moins de seize ans :
1° Dans les ateliers où l'on manipule des matières explosibles et dans ceux où l'on fabrique des mélanges détonants, tels que poudre, fulminantes, etc., ou tous autres éclatant par le choc ou par le contact d'un corps enflammé.
2° Dans les ateliers destinés à la préparation, à la distillation ou à la manipulation de substances corrosives, vénéneuses et de celles qui dégagent des gaz délétères ou explosibles. La même interdiction s'applique aux travaux dangereux, ou malsains, tels que : l'aiguisage ou le polissage à sec des objets en métal et des verres ou cristaux ; le battage ou le grattage à sec des plombs carbonatés, dans les fabriques de céruse ; le grattage à sec d'émaux à base d'oxyde de plomb dans les fabriques de verres dits de mousseline ; l'étamage au mercure des glaces ; la dorure au mercure.

SECTION VI - Inspection
Art. 16 - Pour assurer l'exécution de la présente loi, il sera nommé quinze inspecteurs divisionnaires. La nomination des inspecteurs sera faite par le gouvernement, sur une liste de présentation dressée par la commission supérieure ci-dessous instituée, et portant trois candidats pour chaque emploi disponible. Ces inspecteurs seront rétribués par l'État. Chaque inspecteur divisionnaire résidera et exercera sa surveillance dans l'une des quinze circonscriptions territoriales déterminées par un règlement d'administration publique.
Art. 17 - Seront admissibles aux fonctions d'inspecteur les candidats qui justifieront du titre d'ingénieur de l'État ou d'un diplôme d'ingénieur civil, ainsi que les élèves diplômés de l'École centrale des arts et manufactures et des écoles des mines. Seront également admissibles ceux qui auront déjà rempli, pendant trois ans au moins, les fonctions d'inspecteur du travail des enfants ou qui justifieront avoir dirigé ou surveillé pendant cinq années des établissements industriels occupant cent ouvriers au moins.
Art. 18 - Les inspecteurs ont entrée dans tous les établissements manufacturiers, ateliers et chantiers. Ils visitent les enfants ; ils peuvent se faire représenter le registre prescrit par l'art. 10, les livrets, les feuilles de présence aux écoles, les règlements intérieurs. Les contraventions seront constatées par les procès-verbaux des inspecteurs, qui feront foi jusqu'à preuve contraire. Lorsqu'il s'agira de travaux souterrains, les contraventions seront constatées concurremment par les inspecteurs ou par les gardes-mines. Les procès-verbaux seront dressés en double exemplaire, dont l'un sera envoyé au préfet du département et l'autre déposé au parquet. Toutefois, lorsque les inspecteurs auront reconnu qu'il existe, dans un établissement ou atelier, une cause de danger ou d'insalubrité, ils prendront l'avis de la commission locale ci-dessous instituée, sur l'état de danger ou d'insalubrité, et ils contresigneront cet avis dans un procès-verbal. Les dispositions ci-dessus ne dérogent point aux règles du droit commun quant à la constatation et à la poursuite des infractions commises à la présente loi.
Art. 19 - Les inspecteurs devront chaque année adresser des rapports à la commission supérieure ci-dessous instituée.

SECTION IX - Pénalités
Art. 25 - Les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels qui auront contrevenu aux prescriptions de la présente loi et des règlements d'administration publique relatifs à son exécution seront poursuivis devant le tribunal correctionnel et punis d'une amende de 16 à 50 francs. L'amende sera appliquée autant de fois qu'il y aura eu de personnes employées dans les conditions contraires à la loi, sans que son chiffre total puisse excéder 500 francs. Toutefois, la peine ne sera pas applicable si les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels et les patrons établissent que l'infraction à la loi a été le résultat d'une erreur provenant de la production d'actes de naissance, livrets ou certificats contenant de fausses énonciations ou délivrés par une autre personne. Les dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 22 juin 1854, sur les livrets d'ouvriers, seront, dans ce cas, applicables aux auteurs des falsifications. Les chefs d'industrie sont civilement responsables des condamnations prononcées contre leurs directeurs ou gérants.
Art. 26 - S'il y a récidive, les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels et les patrons seront condamnés à une amende de 50 à 200 francs. La totalité des amendes réunies ne pourra toutefois excéder 1 000 francs. Il y a récidive quand le contrevenant a été frappé, dans les douze mois qui ont précédé le fait qui est l'objet de la poursuite, d'un premier jugement pour infraction à la présente loi ou règlements d'administration publique relatifs à son exécution.
Art. 28 - Seront punis d'une amende de 10 à 100 francs les propriétaires d'établissements industriels et les patrons qui auront mis obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur, des membres des commissions, ou des médecins, ingénieurs et experts délégués pour une visite ou une constatation.

 

Pour en savoir plus

Le travail des enfants
Habituel dans l'agriculture et dans une moindre mesure dans l'artisanat, l'emploi des enfants dès l'âge de 6 ans s'est développé dans les usines à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Le travail des enfants, mal rémunéré, fut un élément indispensable de l'industrialisation. Ils œuvraient souvent dans le même atelier que leurs parents, auxquels ils remettaient leur salaire (entre le quart et la moitié de celui d'un adulte). Ce travail était considéré comme formateur et, dans les verreries par exemple, un poste de "gamin" était la première étape d'un cursus professionnel.

Le contexte politique
L'Assemblée nationale, qui discute et vote cette loi en novembre 1872, en février 1873 et en mai 1874, a été élue en février 1871, au lendemain de la défaite. Composée en majorité de monarchistes, elle siège à Versailles d'où elle a animé le combat contre la Commune de Paris en mars, avril et mai 1871. Il s'agit alors de la seule assemblée parlementaire du pays, dans un contexte de transition politique que s'éternise. Elle est surtout préoccupée par la perspective d'une nouvelle Constitution, pour laquelle elle a désigné en novembre 1873 une commission de 30 membres chargée de la préparer. C'est un monarchiste de centre droit, Ambroise Joubert, député du Maine et Loire et manufacturier, qui présenta la proposition de loi lors de la séance du 19 juin 1871, moins d'un mois après la Semaine sanglante. En s'attaquant aux abus les plus rebutants de l'économie libérale, mais aussi en d'autres aspects, cette loi relève de l'Ordre moral de la majorité monarchiste de l'Assemblée. Ainsi, le travail du dimanche est limité et, lorsqu'il a néanmoins lieu, "on devra […] assurer le temps et la liberté nécessaire pour l'accomplissement des devoirs religieux", tandis que "les patrons […] doivent […] veiller au maintien des bonnes mœurs et à l'observation de la décence publique dans leurs ateliers". Une proposition prévoyant une limitation du travail féminin a été repoussée.

La loi
Votée aux lendemains de la défaite, cette loi s'inscrit dans le questionnement de la nation sur les origines de ce désastre. Parmi les causes, la supposée faiblesse des conscrits français face aux Prussiens étaient mise en avant. En limitant le travail des enfants, le pays leur permettrait une saine croissance et les soldats n'en seraient que plus vigoureux. Comme toutes les réformes, celle-ci est à situer dans une histoire plus longue. Ainsi, la proposition déposée par Ambroise Joubert reprend dans ses grands traits un projet de loi déjà examiné par le Sénat du Second Empire avant la défaite. Le caractère relativement serein des débats qui ont précédé l'adoption de la loi est significatif, d'une part de sa portée limitée, en second lieu du fait qu'elle ne rencontrait pas véritablement d'opposition. En cette courte période de reprise économique, la bourgeoisie industrielle, bien que moins influente dans l'Assemblée que les notables ruraux et une bourgeoisie plus traditionnelle, mena largement ces débats en faisant valoir ses intérêts. Ce serait un contresens de voir dans cette loi la satisfaction donnée à une revendication ouvrière. Le mouvement ouvrier français était sorti considérablement affaibli après la répression sanglante de la Commune de Paris et n'était pas en mesure d'imposer une réforme. D'autre part, nombre de travailleurs n'étaient pas hostiles au travail des enfants qui apportait un complément de ressources aux familles ouvrières, qui constituait un mode de garde et permettait d'acquérir une formation professionnelle.

Réglementer
Bien que proscrivant globalement l'emploi d'enfants de moins de douze ans dans les établissements industriels, la loi le permet dès l'âge de dix ans dans certains cas qui restent à déterminer. Avant douze ans, la durée maximale de travail quotidien est de six heures, de douze au-delà. Dans les mines et carrières, il n'y a pas de dérogation d'âge et le travail féminin est prohibé. Le travail de nuit (définit par la loi entre 21 heures et 5 heures) et celui des jours fériés et des dimanches est interdit avant l'âge de seize ans, de vingt et un ans pour les filles dans les usines et manufactures. Aucune restriction n'est envisagée hors du secteur industriel.
La loi conditionne l'emploi d'enfants de moins de douze ans à la fréquentation d'une école. Les mineurs de moins de quinze ans peuvent travailler plus de six heures s'ils justifient par un certificat de l'acquisition d'une instruction élémentaire. Associant une formation scolaire et un travail perçu comme formateur, les législateurs tentent de restaurer l'esprit de l'apprentissage. Une telle formule permettrait au patronat de disposer plus tard d'une main d'œuvre mieux instruite, donc plus efficace. Ce texte présente des aspects préventifs, qui renvoient à la volonté de "régénération" de la population française après la guerre franco-prussienne. Ainsi, les charges à porter sont limitées, l'exposition aux produits risquant d'exploser ou d'empoisonner (notamment en causant le saturnisme) est esquivée, et les risques d'accidents mécaniques sont pris en compte. C'est la première fois que de telles dispositions se trouvent dans une loi.

Surveiller
Des commissions, locales et supérieure, dont les membres ne sont pas rémunérés, sont instituées. La commission supérieure est surtout un lieu de réflexion. Elle a aussi pour fonction de veiller à l'application de loi, de contrôler les inspecteurs et d'effectuer un premier tri parmi les candidats. Les commissions locales, dont le pouvoir de contrôle n'est pas négligeable, sont largement dépendantes des conseils généraux. Un des éléments fondamentaux de cette loi est la création d'un corps relativement hétérogène d'inspecteurs rémunérés par le département ou l'État.

Une inspection salariée par l'État existait déjà en Angleterre et en Prusse, mais c'est en France une innovation pouvant laisser présager une certaine indépendance, donc une possible efficacité. Les inspecteurs divisionnaires sont nommés par le gouvernement sur proposition de la commission supérieure et sous condition de diplôme ou d'exercice professionnel dans l'encadrement du travail industriel. Sous leur direction peuvent exercer des inspecteurs départementaux nommés par le Conseil général. Ils peuvent (et doivent) visiter les établissements industriels. Leur autorité s'exerce sur une partie du territoire, une des quinze circonscriptions pour les inspecteurs divisionnaires ou un département pour leurs subordonnés. Certains prendront à cœur leur mission de contrôle et de prévention et tenteront d'outrepasser leurs faibles pouvoirs. L'institution d'un livret individuel pour ces enfants se situe dans la continuité du livret ouvrier, instauré au début du siècle et qui ne sera supprimé qu'en 1890. Des registres doivent préciser l'emploi de ces enfants, et les historiens qui aujourd'hui les utilisent les trouveraient encore plus précieux si leur tenue, en dissimulant les pratiques illégales, n'avait été avant tout formelle.

La loi multiplie les dérogations. Ainsi, en cas de "force majeure", non définie dans la loi, l'âge minimal pour le travail de nuit est ramené à douze ans, comme pour le travail du dimanche et des jours fériés dans les usines à feu continu. Des règlements ultérieurs devaient déterminer les conditions d'application de la loi, qui n'entre en vigueur qu'une année après sa promulgation. Elle prévoit des sanctions pécuniaires après condamnation par un tribunal correctionnel, mais le plafonnement des amendes, les conditions émises, les dérogations possibles et les réticences des magistrats en limiteront grandement la portée.

La deuxième parmi trois lois
Une première loi limitant le travail des enfants avait été votée en 1841. Il s'agissait de la première incursion sérieuse de l'État dans les relations professionnelles après une période de libéralisme intense. Son application peu satisfaisante, parce que l'inspection était assurée par des bénévoles peu motivés, avait rendu nécessaire celle du 19 mai 1874, complétée la même année par les lois du 7 octobre et du 7 -20 décembre. Mais celle-ci était encore trop imprécise pour être exécutée rigoureusement et les trop nombreuses exemptions et limitations comme le fait que les inspecteurs dépendaient en ce cas des notables des conseils généraux, au sein desquels les industriels exerçaient une indéniable influence, en avaient limité la portée. Ne satisfaisant personne, cette loi fut mise en cause cinq ans plus tard et les longs travaux pour sa révision aboutirent en 1892 à la loi "sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels". La loi votée en 1892, alors que le régime républicain était bien consolidé, interdisait le travail industriel avant l'âge de douze ans et apporta de nombreuses restrictions aux travail des mineurs de moins de dix-huit ans. Elle fut plus efficace car le contrôle de son exécution fut confié à un corps d'inspecteurs indépendants des autorités locales. Elle était complémentaire des lois votées au début de la décennie précédente sur l'obligation de scolarité. Au début du XXe siècle, le travail des enfants dans l'industrie était en très forte régression.

© Association des Amis du Maitron 2003




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9) Le livret ouvrier

La Révolution française avait peu fait pour le travailleur. Il avait acquis le droit d'exercer le métier de son choix - les corporations étaient abolies - mais ce droit était assujetti à d'importantes et humiliantes restrictions. L'ouvrier devait posséder un livret - certificat comportant son nom, son signalement et son lieu de travail. Il n'avait pas le droit de changer d'emploi tant que son patron ne certifiait pas qu'il était libre de toute dette et obligation envers lui.
Comme il était très courant pour les travailleurs de recevoir de leurs employeurs des avances dans les temps difficiles, des maîtres sans scrupules pouvaient effectivement les empêcher de changer d'emploi. Si l'employeur était d'accord pour le laisser partir, il pouvait porter le montant de la dette sur le livret et l'employeur suivant était tenu de lui rembourser cette somme en plusieurs versements, en retenant une partie du salaire de l'employé.
La possession de ce livret était imposée aux ouvriers d'industrie seulement, non aux artisans indépendants ou aux paysans ; elle était donc doublement discriminatoire. Ses origines remontaient à l'Ancien régime qui avait eu recours à quelque chose d'analogue, comme l'énonçait le décret de 1781 "pour garantir la docilité des ouvriers dans les régions industrielles".
Napoléon avait exigé que tout ouvrier sur le point de quitter son emploi fasse signer son livret par l'employeur et aussi par le maire qui y porterait le nom de la ville où le travailleurs déclarait se rendre. Il faisait donc office d'une sorte de passeport ; un ouvrier s'apercevait que, faute de ce document, il était passible d'emprisonnement pour vagabondage. Mais Napoléon négligea d'assortir ces sanctions prévues pour les travailleurs récalcitrants de pénalités pour les employeurs qui ignoraient la loi et en pratique, beaucoup d'employeurs ne s'en souciaient pas.
Certains d'entre eux par contre prenaient sur eux d'inscrire dans le livret des observations sur le travailleur qui pouvait l'handicaper dans sa recherche d'un nouvel emploi.

En 1845, un projet de loi fut proposé pour imposer des sanctions et les rendre effectives, et en 1854 une loi fut finalement votée pour revigorer l'institution. Les employeurs reçurent l'ordre d'exiger les livrets ; tous les ouvriers de l'industrie, travaillant en usine ou à domicile pour un patron, et pour la première fois les femmes aussi, furent tenus de l'avoir. À Paris, une ordonnance de police exigeait en outre des employeurs de faire apposer dans un délai de vingt-quatre heures un visa de la police sur le livret de tout ouvrier embauché? Néanmoins, une fois de plus la loi ne fut qu'en partie respectée - principalement dans les grandes usines employant une main d'oeuvre itinérante - mais les travailleurs politiquement conscients protestèrent contre cette loi d'exception.

Le député franc-maçon Nadaud disait qu'ils étaient enchaînés par un pied à la police et par l'autre au capitaliste. L'empire libéral proposa en 1870 l'abolition de tout le système mais il tomba avant de pouvoir mettre ce projet à exécution. Ce n'est qu'en 1890 que la loi cessa enfin de considérer l'ouvrier d'industrie comme une personne dangereuse, devant faire l'objet d'une étroite surveillance.

Theodore Zeldin, Histoire des passions françaises, 1848-1945,
I. Ambition et amour, éd. Points/Seuil, 1980, p. 235-237

livret_d_ouvrier_loi_du_22_juin_1854
livret ouvrier, loi du 22 juin 1854

livret_d_ouvrier_1853
livret ouvrier du Second Empire, 1855




10) Le prolétariat n'est pas une classe homogène

Combien il y avait de prolétaires en France, on n'en savait trop rien avec certitude, et le doute demeure. Le secteur industriel employait entre un quart et un tiers de la population active. Si l'on exclut de ces totaux les employeurs, on arrive à ces chiffres : 2 700 000 ouvriers sous Napoléon III, 3 millions en 1876 et 1886, 3 300  000 en 1891, une pointe à 4 800 000 en 1931 mais seulement 3 700 000 en 1936. On pourrait peut-être ajouter à ces chiffres un quart de million d'employés dans l'industrie durant le dix-neuvième siècle et un demi-million après la guerre.

Bien entendu tous les ouvriers n'étaient de sexe masculin, et tous les salariés ne travaillaient pas dans l'industrie. En 1906, lorsque la population active globale était de 20 millions, 11 700 000 étaient classés comme salariés, dont 4 100 000 femmes. Mais 2 090 000 travailleurs de ce soi-disant prolétariat étaient en réalité des artisans travaillant à leur compte – et non des salariés à proprement parler – que l'on pouvait difficilement distinguer des 2 080 000 autres artisans classés comme petits patrons, sans avoir pour autant aucun employé.

atelier_de_voilerie_1890
dans l'atelier de voilerie, 1890, Peter Henry Emerson (1856-1936), Musée d'Orsay

En 1906, 742 000 personnes seulement travaillaient dans des firmes industrielles de plus de 500 salariés. Les statistiques doivent être considérées comme approximatives : une étude plus poussée les contredit fréquemment. Ainsi, sous le Second Empire, en dépit de tout ce qu'on peut lire sur la rapidité de l'industrialisation, il n'est nullement certain que le nombre des ouvriers se soit accru : ce qui a pu se produire, c'est un accroissement du nombre des ouvriers d'usine aux dépens des artisans, mais l'accroissement peut s'illustrer par ces chiffres de 1872 :

          mines : 14 000 employeurs et 164 000 ouvriers ;
          usines : 183 000 employeurs et 1 112 000 ouvriers ;
          petite industrie : 596 000 employeurs et 1 060 000 ouvriers.

À cette époque, la population industrielle était encore presque également répartie entre les petits ateliers et les usines, et ce n'est que dans les années 1890 que la prédominance des secondes devint marquée. La transformation s'opéra à des rythmes très différents. La concentration dans le textile et la métallurgie fut rapide sous le Second Empire, mais en 1914, l'industrie du bâtiment (qui venait au troisième rang pour l'importance de la main d'œuvre) était encore presque entièrement artisanale.

La concentration ne se produisit que dans quelques régions. Une grande partie du pays n'en ressentait les effets qu'indirectement. Dans les années 1920, une nouvelle complication s'ajouta  du fait de l'existence des usines produisant en série, qui engendrèrent toute une classe d'ouvriers semi-qualifiés se distinguant nettement du personnel des entreprises plus traditionnelles.

Il est par conséquent impossible de parler du prolétariat comme d'une classe homogène, parce qu'elle était en perpétuel changement et parce que les variations en en sein étaient considérables.
Sous le Second Empire, certains ouvriers gagnaient de cinq à sept fois plus que d'autres. Les porcelainiers de Limoges par exemple, ou les souffleurs de verre de la Loire, avec un salaire quotidien d'environ 10 francs, étaient de véritables aristocrates par rapport aux manœuvres de leurs ateliers, et ils avaient encore moins en commun avec les tisserands de Mulhouse, par exemple, qui ne gagnaient qu'1 franc 65. Le métallurgiste moyen gagnait 3 francs 50 à 4 francs par jour, mais certains travailleurs en équipe du Creusot se faisaient de 10 à 11 francs alors que des employés subalternes dans le même corps de métier n'avaient que 1,50 ou 2 francs.

ouvriers_du_Creusot_1870
ouvriers du Creusot en 1870

De nombreux artisans n'étaient pas seulement des travailleurs manuels mais aussi des commerçants qui vendaient leurs propres produits et qui étaient propriétaires de leurs outils et de leurs boutiques. Il est impossible de les répertorier comme étant nécessairement des adversaires de l'ordre bourgeois. L'enquête de 1872 sur la condition ouvrière [cf. Georges Duveau, La vie ouvrière en France sous le Second Empire (1946)] révéla que 80% des employeurs étaient d'anciens ouvriers et que sur les 20% restants, 15% étaient fils d'ouvriers.

Les divisions internes étaient encore plus profondes parmi les ouvriers qu'au sein de la bourgeoisie. Les ouvriers n'avaient rien à envier aux classes dominantes pour la fragmentation en d'innombrables groupes atomisés par l'individualisme. Cette tradition est l'une des causes essentielles de la lenteur du développement du syndicalisme avant la Première Guerre mondiale.

Theodore Zeldin, Histoire des passions françaises, 1848-1945.
1 – Ambition et amour
, éd. Points-Seuil, 1980, p. 248-251




11) Le monde ouvrier est hétérogène

Le monde ouvrier frappe d'emblée par son hétérogénéité. Au début du XXe siècle, coexistent en effet toutes les formes historiques de production industrielle – travail à domicile, artisanat, fabrique. D'après les recensements, le nombre d'emplois dans l'industrie (ouvriers et employés) a évolué de la façon suivante :

                    1856 : 3 800 000
                    1891 : 4 500 000
                    1911 : 6 200 000

Pierre Sorlin, dans La société française (tome 1, 1840-1914), donne 3 millions d'ouvriers industriels en France en 1870 et 4,5 millions en 1914, soit un peu plus du tiers de la population active française.

Cette progression numérique s'accompagne d'une évolution dans la répartition entre les différents secteurs de l'industrie :
                                                                   1856                      1911
                    textile                     49,3%             41,7%
                    métallurgie               8,9%             15,2%
                    bâtiment                 13,3%             13,6%
                    mines                       5,1%               5,6%
                    autres                     23,4%             23,9%

Il s'agit d'une évolution lente. Les ouvriers qui travaillent dans la petite entreprise et l'artisanat restent majoritaires. La moitié des ouvriers sont employés, en 1906, dans des entreprises ne comptant que de 1 à 5 salariés, alors que ceux qui travaillent dans les usines de plus de 500 ouvriers ne représentent que 10% de la population ouvrière. Autre chiffre de la même année : 60% des salariés travaillent dans des établissements comptant moins de 100 personnes. En moyenne, on compte à peine 4,3 ouvriers par employeur.

Artisans en majorité, ces petits patrons qui sont au nombre de 800 000 ont un niveau de vie guère supérieur à celui de leurs employés. Le développement de la grande entreprise est en cours, mais il faudra attendre la guerre de 1914 et les années 1920 pour connaître une véritable accélération.

Cela n'empêche pas l'existence de fortes concentrations ouvrières dans la métallurgie notamment : à Joeuf, en Lorraine, les entreprises de Wendel comptent 4 000 ouvriers en 1906 ; à Longwy, les aciéries emploient quelque 6 500 personnes ; au Creusot, 20 000 ouvriers travaillent dans les usines Schneider, etc. L'industrie métallurgique est tirée par l'essor d'autres industries, notamment l'automobile. Rappelons que Renault, qui employait 110 personnes en 1900, compte 4 400 salariés en 1914. L'ère de la concentration industrielle commence ; c'est avec elle que se forme une classe ouvrière industrielle moderne.

Rolande Trempé a étudié cette évolution sur le cas particulier des mineurs de Carmaux. jusqu'à la grande dépression des années 1880, les mineurs restent en partie des paysans ancrés dans un univers rural. Par la suite, ils connaissent une "ouvriérisation", qui s'achève dans les années 1890. La société minière se stabilise et se structure. Mais cette stabilisation s'accompagne, sur l'ensemble du territoire, d'une grande mobilité. À Decazeville, on observe ainsi que 65% des ouvriers quittent l'usine l'année de leur embauche. La pénurie de main d'œuvre est à la fois la cause et la conséquence de cette noria.

À cette époque de grandes mutations structurelles, beaucoup d'ouvriers passent d'un établissement à l'autre dans l'espoir d'améliorer leur sort. Pour parer à cette pénurie, il est fréquent d'avoir recours à la main d'œuvre féminine, ou à la mécanisation ; ce sont les débuts de l'organisation scientifique du travail élaborée par Taylor dont l'ouvrage Shop Management connaît six éditions françaises entre 1903 et 1913.

Michel Winock, La Belle Époque, éd. Perrin, 2003, p. 136-138




12) Dossier iconographique

a) formes du travail ouvrier

 

ouvriers_armuriers_1855
ouvriers armuriers de Besançon, 1855


ouvriers_ganterie_1855
ouvriers gantiers, La France illustrée, 1855

ouvriers_tonneliers
ouvriers tonneliers de Mâcon (Saône-et-Loire), La France illustrée, 1881


ouvriers_en_soie
ouvriers en soie de la ville de Lyon, La France illustrée, 1881


ouvriers_sandaliers
ouvrières et ouvriers sandaliers, fin du XIXe-debut du XXe siècle

ateliers___Aubusson
ateliers des tapisseries d'Aubusson (Creuse)


ouvri_res_m_tier_haute_lisse
Aubusson, travail sur un métier de basse-lisse


manufacteure_nat_Beauvais
ouvriers de la manufacture nationale de Beauvais

ouvriers___Saint_Chamond
ouvriers à Saint-Chamond, début XXe siècle


ouvriers__gaz_
ouvriers de Nicolas Mohr, "gaz", boulevard Soult à Paris

ouvriers_tunnel_funiculaire_Morlaix
Morlaix, ouvriers à la construction du tunnel du funiculaire en 1905
(projet abandonné faute de moyens financiers)


ouvriers__1_
1898, hommes, femmes, enfants dans un atelier de travail du bois ; les enfants
sont  chaussés de sabots ; 
ouvrier avec scie circulaire, gabarit, enclume et marteau
de forgeron
(établissement Ch. Woerner à Sainte-Marie-aux-Mines dans le Haut-Rhin,
trentième anniversaire)



ouvriers__2_
ouvriers et ouvrière posant devant une boutique


ouvriers_granvant_sur_l_airain
ouvriers gravant sur l'airan, à Saint-Émilion près Libourne (Gironde)

ouvriers___Tr_laz_
ouvriers des carrières d'ardoises à Trélazé (Maine-et-Loire)

À Fumel, dans le Lot-et-Garonne, la machine soufflante dite "machine de Watt" est installée dans la fonderie en 1870. Elle est destinée à fournir l'air nécessaire à la combustion du minerai dans les hauts fourneaux de la Société Métallurgique du Périgord. Cette entreprise produit, à l'origine, du matériel ferroviaire puis des tuyaux d'adduction d'eau, des becs de gaz pour l'équipement des villes et des bâtis de machines-outils. Ci-dessous, quatre opérations en fonderie :

fonderie___Fumel__1_
1) les ouvriers
vont chercher la fonte à la grande fonderie

fonderie___Fumel__2_
2) les ouvriers attendent que la poche soit pleine pour la remplacer par une autre

fonderie___Fumel__3_
3) les ouvriers emportent la poche pleine pour couler leur moule

fonderie___Fumel__4_
4) les ouvriers coulent la fonte dans des moules

 

charbon_dans_le_bas_Meudon
ouvriers chargeant du charbon dans le bas-Meudon (ancien département de la Seine)

ouvriers___St_Nazaire
"activité des ouvriers prise sur le vif" à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique)

ouvriers__3_
terrassiers ?



b) usines et ouvriers

 

ouvriers_sortie_Aci_ries_Firminy
Firminy dans la Loire : sortie des ouvriers des Aciéries et Forges


filature_Pouru_Saint_R_my
entrée de la filature à Pouru-Saint-Rémy dans les Ardennes


Lens_descente_des_ouvriers
Lens, la descente des ouvriers dans le puits

remonte_des_ouvriers_Bruay
la "remonte" des ouvriers de la fosse n° 4 à la mine de Bruay (Pas-de-Calais)


sortie_usine___Bernay
sortie de l'usine Masselin Frères à Bernay (Eure)


sortie_usines_Montlu_on
sortie des usines Saint-Jacques à Montluçon (Allier)

sortie_d_usine___Troyes
sortie d'usine à Troyes (Aube)


Saint__tienne_sortie_Manufacture
ouvriers sortant de la Manufacture d'armes de Saint-Étienne

sortie_ouvriers_Bourges
sortie des ouvriers de la fonderie à Bourges (Indre), avant 1907



c) accidents du travail

 

catastrophe_Graissessac_1877
un coup de grisou au puits Sainte-Barbe à Graissessac
dans l'Hérault occasionne la mort de plusieurs mineurs

catastrophe_ferroviaire_1910
catastrophe ferroviaire, 1910

accident_dans_une_marni_re
à Berville-en-Caux (Seine-Maritime), en mars 1911, des ouvriers restent ensevelis
dans une marnière pendant 120 heures sans vivres ni vêtements chauds ;
une manière est une galerie creusée sous terre pour retirer une roche calcaire
(la marne) servant d'engrais  à cette époque

 

 

 

d) logement ouvrier

 

casernes_des_ouvriers_Haute_Loire
Arrest (Somme) : les "casernes" des ouvriers

image_expo_musee_orsay
une exception aux images précédentes, toutes françaises :
celle-ci, montrant un taudis à Glasgow (Écosse) entre 1868 et 1871
(photo de Thomas Annan)


int_rieur_ouvrier_Belgique
intérieur ouvrier en Belgique au début du XXe siècle




e) culture ouvrière

 

honneur_au_travail
à Gonneville-sur-Scie en Seine-Maritime

jardins_ouvriers_dans_l_Aube
les jardins ouvriers à proximité de la Verrerie de Bayel (Aube)

ouvriers_de_la_kermesse_1912
l'image des ouvriers, dans une kermesse en 1912 ; à noter, trois ecclésiastiques


boucherie_coop_rative
boucherie coopérative


 

f) vie quotidienne

trieuse_de_charbon_en_costume_de_travail
"trieuse de charbon en costume de travail"

 

vin_chaud_et_pain_grill_
vin chaud et pain grillé servis aux nouveaux époux à minuit

 

 

chorale_des_enfants_du_peuple
Dijon, chorale des enfants du peuple, début XXe siècle

 

luce_maximilien_05
Maximilien Luce (1858-1941), La toilette (1887),
Genève, musée du Petit Palais

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Question!!

Commentaire :
Vos connaissances ont l'air vraiment très complètes sur les ouvriers et je recherche l'évolution du nombre d'ouvriers de 1800 à aujourd'hui. Je pense sincèrement que vous pourrez m'aider à ce sujet, alors merci pour ce que j'ai déjà appris mais aussi je pense, pour ce que je vais encore apprendre.

Auteur : Quentin

réponse

Il n'existe pas de statistiques très sûres relatives à la population ouvrière. D'abord parce qu'il faudrait s'entendre sur ce qu'on désigne : il y a les ouvriers salariés mais aussi des artisans n'ayant aucun employé et pouvant effectuer un travail "ouvrier"… Voir notamment le document 10 de ce dossier et aussi le document 11 qui fournit des chiffres différents…

1840 4 millions (?)

1856 : 3,8 millions (ouvriers et employés d'usine)

1876 et 1886 : 2,7 millions

1891 : 3,3 millions

1891 : 4,5 (ouvriers et employés d'usine)

1906 : 11 millions, mais y compris plus de 4 millions d'artisans divers

1911 : 6,2 millions (ouvriers et employés d'usine)

1931 : 4,8 millions

1936 : 3,7 millions

1960 : 7 millions

2009 : 6 millions

Les statitsiques sont, étrangements, difficiles à trouver...

Michel Renard
professeur d'histoire

 

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22 janvier 2007

l'abbé Pierre dans la Résistance

http://penseesdujour.hautetfort.com/images/medium_abbe-pierre.jpg
il n'y a pas d'image de l'abbé Pierre datant de son
engaement dans la Résistance (ici, en 1954)





«Il aurait mérité dix fois

d'être fait “Juste parmi les nations”»

Henri Grouès est devenu l’abbé Pierre dans la Résistance. Mais il a eu

d’autres pseudonymes : Georges Houdin ou Harry Barlow…


Jean-Claude Duclos, conservateur du musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère décrit pour Libération.fr l’itinéraire de l’abbé Pierre dans la Résistance et particulièrement son action en faveur des juifs.

par Jean-Dominique MERCHET
LIBERATION.FR : mercredi 24 janvier 2007

 

Jean-Claude Duclos - (l'abbé Pierre) est entré dans la Résistance dès la rafle des juifs à Grenoble, le 26 août 1942. Il était alors vicaire à l’Eglise Notre-Dame et son évêque, Mgr Caillot, était un chaud partisan du maréchal Pétain. L’abbé Pierre, qui ne portait pas encore ce nom, a hébergé des Juifs, leur a confectionné de faux papiers et les a fait passer clandestinement en Suisse, par la région de Chamonix. Il aurait mérité dix fois d’être fait “Juste parmi les nations”, mais la demande n’a jamais été faite. Son action en faveur des juifs est incontestable. Ici, nous avons été offusqués quand on a essayé de le faire passer pour antisémite, à cause de son amitié pour Roger Garaudy (un auteur négationniste, ndlr).

L’abbé Pierre a également organisé, en novembre 1942, le passage en Suisse de Jacques De Gaulle, le jeune frère du général, qui était entièrement paralysé à la suite d’une maladie. Il va ensuite organiser la fuite aux maquis des jeunes réfractaires au Service du travail obligatoire. D’abord dans le massif de la Chartreuse, puis dans le Vercors. Lui-même n’a jamais combattu.

En janvier 44, l’abbé Pierre qui a été repéré par les Allemands, quitte l’Isère et au terme d’un long périple par l’Espagne, gagne Alger où il rencontre le général De Gaulle. Comme de nombreux résistants, il est naturellement entré en politique à la Libération, pour changer la société.

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biographie de l'abbé Pierre

De son vrai nom Henri Grouès, l'Abbé Pierre a consacré sa vie aux déshérités. Né le 5 août 1912 à Lyon dans une famille nombreuse et aisée, il effectue des études chez les Jésuites, avant d'entrer à 19 ans chez les Capucins, le plus pauvre des ordres mendiants. Malade, il doit les quitter peu après son ordination le 24 août 1938. Affecté au diocèse de Grenoble, il devient vicaire de la basilique Saint-Joseph, aumônier d'un orphelinat, puis vicaire à la cathédrale de Grenoble. Sous l'Occupation, il entre dans la clandestinité en 1942, vient en aide aux Juifs, soutient les résistants du Vercors et réussit à faire évader Jacques de Gaulle, le frère du général de Gaulle. Arrêté en mai 1944 par les Allemands à Cambo-les-Bains (Pyrénées-Atlantiques), il réussit à s'échapper et à rejoindre Alger.

Député MRP de Meurthe-et-Moselle (1945-1951), l'Abbé Pierre fonde en 1949 "Les Compagnons d'Emmaüs", avant de lancer le 1er février 1954 son célèbre appel radiodiffusé pour "l'insurrection de la bonté" au cours du terrible hiver de cette année-là.



151359143655
la basilique Notre-Dame à Grenoble avant-guerre : Henri Grouès
(l'abbé Pierre) y fut vicaire au début des années 1940




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28 novembre 2006

les 3 premières Républiques


la République

 

 

les 3 premières Républiques en France :

1792, 1848 et 1870

 

 

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cliquer sur l'image pour l'agrandir

 

- définition de la République : forme d'État non monarchique ; régime dans lequel les pouvoirs politiques sont désignés par l'élection

 

- un récit explicatif (© Hachette) de la révolution de février 1848

 

 

1792

 


prise des Tuileries (résidence du roi Louis XVI) le 10 août 1792

 

 

1848

 


24 février 1848

 

Barricade_rue_Soufflot_1848
barricade de la rue Soufflot,  février 1848, peinture d'Horace Vernet

 

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Combat du peuple parisien dans les journées des 22, 23 et 24 février 1848,
grande barricade du Château-d’eau. Image d'Épinal de la révolution de février 1848.
Musée de l’Histoire de France © Centre historique des archives nationales

      


24 février 1848


séance du 24 février 1848 à la Chambre des députés

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proclamation de la République par Lamartine devant l'Hôtel de Ville de Paris




1870

proclamation_r_E9publiqueIII
4 septembre 1870, proclamation de la République,
musée Carnavalet, Paris




4 septembre 1870




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18 septembre 2017

Repères chronologiques en histoire

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Repères chronologiques en histoire

 

La chronologie, c'est la base de l'histoire. Elle permet de situer dans le temps un événement, de l'envisager par rapport à d'autres, et d'évaluer la durée des phénomènes. Faire de l'histoire, c'est tenter de comprendre le passé à partir de la chronologie.

La chronologie utilise des repères et des unités de temps (jours, années lunaires ou solaires, siècles, ères...).

Une ère historique est définie par un événement repère qui sert de point de départ au décompte des années.

 

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septembre 2006 - cliquer sur l'image pour l'agrandir

 

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septembre 2007

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septembre 2007 - cliquer sur l'image pour l'agrandir

 

 

- le 1er de l'an 5768 du calendrier hébraïque correspond au 13 septembre 2007 ; les 13 et 14 septembre sont les jours de fête du nouvel an juif : Rosh Hashana.

- les prochaines fêtes principales du calendrier chrétien sont : a) le 1er novembre (fête de la Toussaint = fête de tous les saints ; à ne pas confondre avec le 2 novembre qui est la fête des défunts) ; b) la fête de Noël correspondant à la naissance de Jésus.

- l'année 1428 de l'Hégire (calendrier musulman) a commencé le 20 janvier 2007 (1er jour = 1er muharram) ; le jeudi 13 septembre a commencé le mois de ramadan (9e mois du calendrier lunaire musulman) au cours duquel s'effectue le jeûne.

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septembre 2008

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septembre 2008 - cliquer sur l'image pour l'agrandir

 

 

- le 1er de l'an 5769 du calendrier hébraïque correspond au 30 septembre 2008 ; les 30  sept. et 1er oct. 2008 ont les jours de fête du nouvel an juif : Rosh Hashana.

- les prochaines fêtes principales du calendrier chrétien sont : a) le 1er novembre (fête de la Toussaint = fête de tous les saints ; à ne pas confondre avec le 2 novembre qui est la fête des défunts) ; b) la fête de Noël correspondant à la naissance de Jésus.

- l'année 1429 de l'Hégire (calendrier musulman) a commencé le 10 janvier 2008 (1er jour = 1er muharram) ; le lundi 1er septembre a commencé le mois de ramadan (9e mois du calendrier lunaire musulman) au cours duquel s'effectue le jeûne.




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septembre 2009

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septembre 2008 - cliquer sur l'image pour l'agrandir

 

- le 1er de l'an 5770 du calendrier hébraïque correspond au 9/10 septembre 2009 ; les 9 et 10 sept. 2009 sont donc les jours de fête du nouvel an juif : Rosh Hashana.

- les prochaines fêtes principales du calendrier chrétien sont : a) le 1er novembre (fête de la Toussaint = fête de tous les saints ; à ne pas confondre avec le 2 novembre qui est la fête des défunts) ; b) la fête de Noël correspondant à la naissance de Jésus.

- l'année 1430 de l'Hégire (calendrier musulman) a commencé le 29 décembre 2008 (1er jour = 1er muharram) ; le samedi 22 août 2009 a commencé le mois de ramadan (9e mois du calendrier lunaire musulman) au cours duquel s'effectue le jeûne.17035150_jpeg_preview_medium

** voir l'excellente explication de l'astrophysicien algérien, Nidhal Guessoum sur la détermination du 1er jour du mois de Ramadan qui montre que ce mois ne pouvait absolument pas commencer le 21 août 2009 (comme certains États musulmans l'ont pourtant déclaré), mais le 22.

 

 

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septembre 2014

 

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- le 1er de l'an 5777 du calendrier hébraïque correspond au 3 octobre 2016 ; les 3 et 4 octobre 2014 sont les jours de fête du nouvel an juif : Rosh Hashana. La fête de Yom Kippour (Jour du Grand Pardon) correspond au 4 octobre 2014.

- les prochaines fêtes principales du calendrier chrétien sont :  a) la fête de Pâques (Passion du Christ) ; b) la fête de Noël correspondant à la naissance de Jésus , c) le 1er novembre (fête de la Toussaint = fête de tous les saints ; à ne pas confondre avec le 2 novembre qui est la fête des défunts).

- l'année 1438 de l'Hégire (calendrier musulman) commence le 3 octobre 2016 (1er jour = 1er muharram). Le mois de ramadan (9e mois du calendrier lunaire musulman) au cours duquel s'effectue le jeûne, a lieu du 27 mai au 24 juin 2017.

 

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septembre 2016

 

1er Moharam 1438 : dimanche 2 octobre 2016.

 

 

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septembre 2017

 

  • nouvel an hébraïque (juif) : le nouvel an juif, Roch Hachana en hébreu, débute le 20 septembre cette année, ouvrant deux jours de festivités pour la communauté religieuse ; il s'agit del'année 5778. (cf. Consistoire de Paris)
  • nouvel an musulman : l'hégire 1439, nouvel an musulman 2017, doit cette année avoir lieu à la date du vendredi 22 septembre 2017. (cf. Mosquée de Paris)

 

 

liens

- le sens de Roch Hachana dans la religion juive (2009)

- 1er muharram : calendrier lunaire ou islamique (2006)

 

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* voir la page Chronologie de l'Institut de mécaniques céleste et de calcul des éphémérides (Observatoire de Paris).
Attention ! cette page évoque "l'année zéro"... - qui n'existe pas pour les historiens.
Par ailleurs, quand on lit sur cette page : "L'ère chrétienne a débuté le 25 décembre de l'an 753 de la fondation de Rome...", il faut comprendre qu'il s'agit de l'année 1 et que la fondation de Rome se situe en 753 av. J.-C.

 

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bâtiment Perrault de l'Observatoire de Paris

 

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30 juillet 2009

différence entre mythologie et philosophie

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à propos de la différence entre

mythologie et philosophie

 

La philosophie et la mythologie sont deux formes intellectuelles différentes. La philosophie, comme l'histoire, sont sorties et se sont opposées à la mythologie.

M. Renard

 

9782253942412_GLe philosophe Michel Meyer, auteur contemporain de plusieurs ouvrages a écrit Qu'est-ce que la philosophie ? (1997, Le Livre de poche, biblio-essais) ; son chapitre "Les origines de la philosophie" commence ainsi :

- L'homme a toujours philosophé. Il l'a fait par le mythe avant de développer sa raison en la tournant vers elle-même et ses multiples possibilités. Encore qu'il y ait une rationalité du mythe, ce qui montre bien l'historicité du philosopher, non dans ses questions, mais dans ses réponses.

La philosophie, dit Aristote, est née de l'étonnement. La première forme de l'interrogation sur fond de réponses préalables : le mythe. Comment passe-t-on du mythe à la philosophie, du mythos au logos, comme on dit habituellement ? Comment cet étonnement, cette interrogativité, peut-il surgir du mythe, fermé sur lui-même, et ayant donc "toujours raison", anticipativement, quel que soit le problème, parce qu'il sert d'explication universelle et absolue à tout ce qui peut survenir ?

l'histoire atteint les mythes dans leur crédibilité

La réponse est claire et simple : par l'Histoire. C'est celle-ci qui fait bouger les choses et atteint les mythes dans leur crédibilité. Les mythes se révèlent alors pour ce qu'ils sont-: de simples mythes, des fables. Ce qui faisait foi dans un monde "homérique", cesse de valoir pour ne plus devenir que fiction lorsque la société se démocratise. Les exploits guerriers, imputés aux dieux qui se comportent comme des nobles, souverains dans leurs décrets, n'apparaissent plus que comme des métaphores et des histoires.

Il faut alors chercher ailleurs l'explication des tempêtes et des incendies, de la vie sur terre comme de tout mouvement. On attribuera au feu, à l'air, à l'eau ou à la terre, l'origine des choses et de leurs mélanges.

Mais c'est surtout le rapport aux dieux qui inquiète les hommes dans cet abandon progressif, ce retrait du divin. C'est ce que symbolise précisément l'énigme du Sphinx, les oracles, les mystères. C'est par eux que le mythe imprime encore sa trace ; l'ancien devient de plus en plus muet et il n'est plus qu'intrigue ; les vieilles identités s'avèrent des différences, et à la fin, tout semble se muer en son contraire.

Oedipe retrouve l'identité à travers les différences

La réalité d'antan n'est plus qu'apparence, et partant, le nouveau fait irruption de façon menaçante. Ne pas résoudre les énigmes est dangereux, car c'est ne plus pouvoir se rapporter aux dieux, qui ne parlent plus que par d'aussi "inquiétantes étrangetés", et du même coup, c'est risquer de les offenser.

Dans un monde qui change, qui se fragmente et qui demeure sous l'emprise de ses mythes, ceux-ci, s'ils ne sont plus que des questions, n'en posent pas moins des questions de vie ou de mort qui, on le sait par la légende d'Oedipe, accablaient Thèbes de catastrophes, avant qu'Oedipe ne résolve le problème soulevé par l'Oracle.

Ne pas y reconnaître l'homme, c'était pour l'homme lui-même l'aveu de son étrangeté à soi. Mais Oedipe, en retrouvant l'identité par-delà les différences du temps qui passe, semble bafouer celles-ci et les abolir, abolir la différence de la vie et de la mort en tuant son père, entre parents et enfants en épousant sa mère. Abolir les interdits, se croire Dieu : le remède est pire que la mal.

Accepter l'énigme, vivre avec, la dompter par la raison : en un mot, philosopher. Le philosophe sera désormais celui qui peut résoudre les énigmes. Au tragique s'est substitué le philosophique.

D'où la question qu'ont posé les Grecs et qui est toujours la nôtre, au plus profond de notre propre philosopher : qu'est-ce que l'énigme ?

Michel Meyer, Qu'est-ce que la philosophie ? (1997, p. 19-21)

 

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Le grand historien et anthropologue de la Grèce ancienne, mort récemment, Jean-Pierre Vernant a écrit à ce sujet :

9782707143259"Pour que le domaine du mythe se délimite par rapport à d'autres, pour qu'à travers l'opposition du mythe et du logos, désormais séparés et confrontés, se dessine cette figure du mythe propre à l'Antiquité classique, il a fallu toute une série de conditions dont le jeu, entre le huitième et le quatrième siècles avant notre ère, a conduit à creuser, au sein de l'univers mental de Grecs, une multiplicité de coupures et de tensions internes.

Un premier élément à retenir sur ce plan est le passage de la tradition orale à divers types de littérature écrite. (…)

La rédaction écrite on le sait, obéit à des règles plus variées et plus souples que le composition orale de type formulaire. L'écriture en prose marque un nouveau palier. Comme l'a bien vu Adam Parry, il y a une étroite corrélation entre l'élaboration d'un langage abstrait et la pleine maîtrise de leur style chez les premiers grands prosateurs grecs.

La rédaction en prose – traités médicaux, récits historiques, plaidoyers d'orateurs, dissertations de philosophes – ne constitue pas seulement, par rapport à la tradition orale et aux créations poétiques, un autre mode d'expression mais une forme de pensée nouvelle. L'organisation du discours écrit va de pair avec une analyse plus serrée, une mise en ordre plus stricte de la matière conceptuelle.

Déjà chez un orateur comme Gorgias ou chez un historien comme Thucydide, le jeu réglé des antithèses dans la rhétorique balancée du discours écrit, en découpant, distribuant, opposant termes à termes les éléments fondamentaux de la situation à décrire, fonctionne comme un véritable outil logique conférant à l'intelligence verbale prise sur le réel.

L'élaboration du langage philosophique va plus loin, tant par le niveau d'abstraction des concepts et l'emploi d'un vocabulaire ontologique (qu'on pense à la notion d'Être, ou de l'Un) que par l'exigence d'un nouveau type de rigueur dans le raisonnement : aux techniques persuasives de l'argumentation rhétorique le philosophe oppose les procédures démonstratives d'un discours dont les déductions des mathématiciens, opérant sur les nombres et les figures, lui fournit le modèle. (…)
Dans et par la littérature écrite s'instaure ce type de discours ou le logos n'est plus seulement la parole, où il a pris valeur de rationalité démonstrative et s'oppose sur ce plan, tant pour la forme que pour le fond, à la parole du muthos.

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Il s'y oppose pour la forme par l'écart entre la démonstration argumentée [du philosophe] et la texture narrative du récit mythique ; il s'y oppose pour le fond par la distance entre les entités abstraites du philosophe et les puissances divines dont le mythe raconte les aventures dramatiques. (…)

En renonçant volontairement au dramatique et au merveilleux, le logos situe son action sur l'esprit à un autre niveau que celui de l'opération mimétique [imitation] et de la participation émotionnelle. Il se propose d'établir le vrai après enquête scrupuleuse et de l'énoncer suivant un mode d'exposition qui, au moins en droit, ne fait appel qu'à l'intelligence critique du lecteur. (…)

Il est bien significatif que la même opposition entre, d'une part le merveilleux propre à l'expression orale et aux genres poétiques, de l'autre, le discours véridique, se retrouve chez les philosophes et commande une attitude d'esprit analogue à l'égard du muthos assimilé, dans sa forme narrative, à un conte de bonne femme, pareil à ceux que débitent les nourrices pour distraire ou effrayer les enfants.

Quand Platon, dans le Sophiste, entend disqualifier les thèses de ses prédécesseurs éléates ou héraclitéens, il leur reproche d'avoir en guise de démonstration, utilisé le récit d'événements dramatiques, de péripéties et de renversements imprévus : «Ils m'ont l'air de nous conter des mythes, comme on en ferait à des enfants. D'après l'un, il y a trois êtres qui tantôt s'entreguerroient les uns avec les autres, tantôt, devenus amis, nous font assister à leurs épousailles, enfantements, nourrissement de rejetons».

Discordes, combats, réconciliations, mariages, procréations, toute cette mise en scène de la narration mythique peut bien séduire des esprits puérils ; elle n'apporte rien à qui cherche à comprendre, au sens propre de ce terme, parce que l'entendement se réfère à une forme d'intelligibilité que le muthos ne comporte pas et que le discours explicatif est seul à posséder.

Que l'on raconte au sujet de l'Être des mésaventures analogues à celles que le légende attribue aux dieux ou aux héros, personne ne pourra distinguer dans ces récits l'authentique du fabuleux.

Les narrateurs, note ironiquement Platon, ne se sont pas souciés «d'abaisser leur regard» sur la foule de ceux qui, comme lui, pour distinguer le vrai du faux, exigent d'un discours qu'il soit à chaque moment capable de rendre des comptes à qui lui en demande ou, ce qui revient au même, de rendre raison de soi, en donnant clairement à entendre de quoi il parle, comment il en parle, et ce qu'il en dit.

Jean-Pierre Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne,
Maspéro, 1974, p. 196-202

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9 juillet 2009

le baptème historien des salles de classe

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le nom des salles de salles de classe

en Histoire-Géographie



- la salle 204 devient la salle Ernest LAVISSE

- la salle 205 devient la salle Olympe de GOUGES

- la salle 206 devient la salle Fernand BRAUDEL

- la salle 208 devient la salle LAMARTINE

- la salle 208 bis (cabinet HG) devient la salle THUCYDIDE

- la salle 209 devient la salle Marc BLOCH

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qui sont ces historiens ?



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Thucydide

(460-396 ? av.)

"celui qu'on est tenté d'appeler, en dépit d'Hérodote, le premier véritable historien grec" (Jean-Pierre Vernant)

- Histoire de la guerre du Péloponnèse, Garnier-Flammarion, 1993.

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Souci du vrai dans l'établissement des faits, exigence de clarté dans l'énoncé des changements qui se produisent au cours de la vie des cités (guerres et révolutions politiques), connaissance assez précise de la "nature humaine" pour repérer dans la trame des événements l'ordre qui donne sur eux prise à l'intelligence, - tous ces traits sont associés, chez celui qu'on est tenté d'appeler, en dépit d'Hérodote, le premier véritable historien grec, à un refus hautain du merveilleux, to muthôdes, considéré comme un ornement propre au discours oral et à son caractère circonstanciel mais qui se trouverait déplacé dans un texte écrit dont l'apport doit constituer un acquis permanent : «À l'audition l'absence de merveilleux dans les faits rapportés paraîtra sans doute en diminuer le charme  mais si l'on veut voir clair dans les événements passés et dans ceux qui, à l'avenir, en vertu du caractère humain qui est le leur, présenteront des similitudes ou des analogies, qu'alors on les juge utiles et cela suffira : ils constituent un trésor pour toujours (ktêma es aiei) plutôt qu'une production d'apparat pour un auditoire du moment» (Thucydide, II, 22, 4). La critique que trois siècles plus tard Polybe dirige contre Phylarque, accusé de vouloir provoquer la pitié et l'émoi du lecteur en étalant sous ses yeux des scènes de terreur (ta deina), fournit le meilleur commentaire au texte de Thucydide : «L'historien ne doit pas faire servir l'histoire à produire l'émotion des lecteurs par le fantastique, (…) mais présenter les actions et les paroles entièrement selon la vérité, même si d'aventure 2707146897.08.lzzzzzzzelles sont fort ordinaires». Car le but de l'histoire ne consiste pas à «émouvoir et charmer pour un moment les auditeurs» mais à «instruire et convaincre pour tout le temps les personnes studieuses avec des actes et des discours vrais» (Polybe, II, 56, 7-12).

Jean-Pierre Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne,
Maspéro, 1974, p. 200-201.





Alphonse de LamartineDSC02956

(1790-1869)





























Ernest LavisseErnest_Lavisse_portrait

(1842-1922)
















 




Marc Blochbloch3

(1886-1944)

notice biographique du fonds Marc Bloch aux Archives nationales

Né en 1886, Marc Bloch était le fils de Gustave Bloch, professeur d’histoire romaine à la Sorbonne. Agrégé d’histoire lui-même, il compléta ses études à Leipzig et à Berlin (1908-1909). Mobilisé comme agent d’infanterie, il fut, à l’issue de la Grande Guerre, capitaine d’état-major, titulaire de quatre citations et chevalier de la Légion d’honneur. À la faculté de Strasbourg, il fut chargé de cours d’histoire médiévale de 1919 à 1936. En 1929, il fonda avec Lucien Febvre (historien et professeur au Collège de France) Les Annales d’histoire économique et sociale et se trouva bientôt nommé professeur d’histoire économique à la Sorbonne.

Marqué par l’abandon de Munich, il demanda à servir lorsqu’éclata la guerre en 1939. Il entra dans la Résistance en 1942 et devint délégué du Mouvement Franc-Tireur au directoire régional des Mouvements unis de la Résistance. Mais, au printemps 1944, il fut arrêté et emprisonné au fort Montluc. Après le débarquement allié, il fut fusillé par les Allemands. Marc Bloch est l’auteur de nombreux ouvrages dont Les Rois thaumaturges, 1924, Les Caractères originaux de l’histoire rurale française, 1931, La Société féodale, 1939-1940. Dans son ouvrage posthume intitulé Apologie pour l’histoire (1952) est exposée sa conception de l’histoire.             

- notice biographique

- Marc Bloch au Panthéon ? une demande de 17 historiens


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Fernand Braudel

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(1902-1985)

notice biographique (corrigée) du site de l'Académie française :

Né à Luméville-en-Ornois (Meuse), le 24 août 1902.
Agrégé d'histoire (1923). Professeur d'histoire aux lycées de Constantine et d'Alger (1924-1932). Professeur aux lycées Pasteur, Condorcet et Henri IV, à Paris (1932-1935). Membre d'une mission française d'enseignement au Brésil, à Sao Paulo (1935-1937). Directeur d'études à l'École pratique des Hautes études (section de philologie et d'histoire) (1937). Mobilisé en 1938, prisonnier en Allemagne en 1940-1945.

Directeur de la revue Les Annales (1946-1968). Docteur ès lettres en 1947. Professeur titulaire de la chaire d'histoire de la civilisation moderne au Collège de France (1949-1972). Directeur d'études de la VIe section (Sciences économiques et sociales de l'École pratique des Hautes études (1956-1972). Fondateur de l'Association internationale d'histoire économique et administrateur de la Maison des Sciences de l'homme en 1962. Professeur honoraire au Collège de France en 1972.

Correspondant de nombreuses académies étrangères, notamment celles de Budapest, Munich, Madrid, Belgrade. Docteur honoris causa de plusieurs Universités, notamment Oxford, Bruxelles, Madrid, Varsovie, Cambridge, Yale, Genève, Padoue, Leyde, Montréal, Cologne, Chicago.
Élu à l'Académie française, le 14 juin 1984 au fauteuil de André Chamson (15e) et reçu le 30 mai 1985 par Maurice Druon. Mort le 27 novembre 1985.


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- notice biographique du site du Collège de France

- note bio-bibliographique sur le site de la revue EspacesTemps

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- "Fernand Braudel et la Grammaire des civilisations (1963)"










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une femme dans l'histoire


Olympe de Gouges

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- une bio-bibliographie d'Olympe de Gouges

- une autre biographie :

Marie Gouze dite Olympe de Gouges. Née à Montauban en 1748 – Décédée à Paris en 1793.
Féministe française, femme généreuse, femme de cœur, Olympe de Gouges fut l’ardente avocate de l’émancipation de la femme.
Elle a été témoin engagée de la Révolution française au travers de ses pièces de théâtre, écrits littéraires et autre libellés politiques.
Ce n’est qu’à partir de la Révolution qu’elle va montrer à quel point elle est en avance sur son temps. Elle est en effet, avec Théroigne de Méricourt et Claire Lacombe l’une des premières féministes.

Auteur d’un texte précurseur publié en septembre 1791, "Les Droits de la Femme et de la citoyenneté", elle a su faire preuve d’un réel courage dans l’affirmation de ses idées, de ses prises de position face aux événements révolutionnaires et cela lui a valu de périr sur la guillotine, le 3 novembre 1793.

«Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne»

Le préambule adressé à Marie-Antoinette, ainsi que l’article X étaient prémonitoires.
Elle rédige également des pamphlets contre Marat et Robespierre. Lors du procès de Louis XVI, elle tente de défendre le roi, qu’elle ne juge pas coupable en tant qu’homme mais uniquement comme souverain.
Solidaire des girondins après les journées de mai-juin 1793, elle est accusée d’être l’auteur d’une affiche girondine. Olympe de Gouges est arrêtée le 20 juillet 1793, condamnée à mort et guillotinée le 2 novembre 1793.
"Pensez à moi et souvenez-vous de l’action que j’ai menée en faveur des femmes ! Je suis certaine que nous triompherons un jour !"
Olympe de Gouges

source


Analyse de l'image

Olympe de Gouges, une militante féministe

Née en 1748 à Montauban d’un père boucher ou bien du noble Le Franc de Pompignan, d’après ses dires, Marie-Olympe de Gouze monte à Paris en 1766, après son veuvage, et, sous le nom d’Olympe de Gouges, se lance dans une carrière littéraire, tout en partageant la vie de Jacques Biétrix de Rozières, un haut fonctionnaire de la Marine. Auteur de nombreux romans et pièces de théâtre, elle s’engage dans des combats politiques en faveur des Noirs et de l’égalité des sexes.

Son écrit politique le plus célèbre est la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (septembre 1791), véritable manifeste du féminisme adressé à Marie-Antoinette. Prenant pour modèle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle affirme que « la femme naît et demeure égale à l’homme en droits » (art. 1). A la suite de Condorcet, qui avait rédigé l’année précédente un traité Sur l’admission des femmes au droit de cité, elle considère que la femme détient des droits naturels au même titre que les hommes et doit pouvoir participer en tant que citoyenne à la vie politique et au suffrage universel. Olympe de Gouges revendique également pour les femmes la liberté d’opinion et la liberté sexuelle : à ce titre, elle réclame la suppression du mariage et l’instauration du divorce.

Sur le plan politique, d’abord attachée à une monarchie modérée, puis républicaine, elle rejoint les Girondins et, convaincue que les femmes doivent jouer un rôle dans les débats politiques, propose à la Convention d’assister Malesherbes dans sa défense du roi Louis XVI en décembre 1792, qu’elle juge fautif en tant que roi mais non en tant qu’homme. Toutefois, sa demande sera rejetée au motif qu’une femme ne peut assumer une telle tâche. C’est cet épisode malheureux que rappelle la légende manuscrite de l’aquarelle anonyme représentant Olympe de Gouges dans l’attitude d’une femme savante, assise sur un fauteuil de style Louis XV, un livre à la main. Très fluide et transparente, cette aquarelle rehaussée de mine de plomb et le fond de paysage simplement esquissé annoncent le romantisme à venir.

En 1793, lors de la Terreur, Olympe de Gouges s’en prend à Robespierre et aux Montagnards qu’elle accuse de vouloir instaurer une dictature et auxquels elle reproche des violences aveugles. Après l’insurrection parisienne des 31 mai-2 juin et la chute de la Gironde, elle prend ouvertement parti en faveur de celle-ci à la Convention et est arrêtée le 20 juillet 1793 pour avoir rédigé un placard fédéraliste à caractère girondin, Les Trois Urnes ou le Salut de la Patrie. Jugée le 2 novembre, elle fut exécutée sur l’échafaud le lendemain.


Interprétation

La Révolution : une avancée pour les droits des femmes ?

Sur le plan politique, les révolutionnaires refusent de reconnaître le droit des femmes à participer à la vie politique. Après les avoir laissées un temps se constituer en clubs et se mêler aux mouvements populaires, un terme est officiellement mis à l’automne 1793 à toute activité politique féminine, avec l’interdiction des clubs féminins et le refus de la citoyenneté pour les femmes. Ce revirement de l’opinion par rapport aux femmes se durcit en 1795, lors de l’insurrection de prairial (20-24 mai) : la Convention interdit d’abord aux femmes d’entrer dans ses tribunes, puis d’assister aux assemblées politiques et de s’attrouper dans la rue, cependant que de nombreuses femmes sont pourchassées dans la nuit du 1er au 2 prairial et jugées par une commission militaire.

Si les femmes se virent ainsi exclues des affaires de la cité, les révolutionnaires prirent néanmoins quelques mesures pour améliorer leur statut civil et social et les soustraire à l’oppression masculine : l’égalité des droits de succession entre hommes et femmes fut admise le 8 avril 1791, le divorce, réclamé par Olympe de Gouges, instauré le 30 août 1792 et la reconnaissance civile concédée aux femmes le 20 septembre 1792, lors des lois sur l’état civil. Mais de telles avancées furent de courte durée, car le Code civil napoléonien, promulgué le 21 mars 1804, rétablit bientôt les pleins pouvoirs du chef de famille. Seul le divorce échappe momentanément à ce retour en arrière : il ne sera supprimé qu’en 1816.

Les femmes et la Révolution

La participation politique des femmes aux événements s’est affirmée durant la Révolution française. Tantôt dans la rue, tantôt dans les tribunes des clubs, sociétés ou assemblées, les femmes ont occupé le terrain de l’action militante à plusieurs reprises, en particulier lors des journées insurrectionnelles des 31 mai-2 juin 1793 et du 9 thermidor an II (27 juillet 1794) qui virent respectivement la chute des Girondins et celle des Robespierristes.

Souvent surnommées péjorativement les «tricoteuses», en référence à leur travail manuel qu’elles continuaient à exercer dans les tribunes publiques, tout en participant activement aux délibérations politiques, ces militantes s’engageaient sur tous les fronts-: lutte contre la misère et la faim, contre la Gironde à la Convention, etc. Parallèlement à ces combats, un mouvement de défense des droits de la femme se fait jour, soutenu par quelques personnalités comme Olympe de Gouges, Etta Palm d’Aelders ou Théroigne de Méricourt qui revendiquent la liberté de la femme et l’amélioration de sa condition sur le plan civil, social ou économique.

Charlotte DENOËL (source)

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20 septembre 2009

texte d'Alain : penser, c'est dire non

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le philosophe Alain, vu par Henry de Waroquier (source)




Penser, c'est dire non, Alain

 

Penser, c'est dire non. Remarquez que le signe du oui est d'un homme qui s'endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n'est que l'apparence. En tous ces cas-là, c'est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l'heureux acquiescement. Elle se sépare d'elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n'y a pas au monde d'autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c'est que je consens, c'est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c'est que je respecte au lieu d'examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C'est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu'il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien.

Je le dis aussi bien pour les choses qui nous entourent (...). Qu'est ce que je verrais si je devais tout croire ? En vérité une sorte de bariolage, et comme une tapisserie incompréhensible. Mais c'est en m'interrogeant sur chaque chose que je la vois (...). C'est donc bien à moi-même que je dis non.

ALAIN
Propos sur les pouvoirs,
"L'homme devant l'apparence", 19 janvier 1924, n° 139
ou Propos sur la religion, LXIV,
publié dans Propos sur le pouvoir, Folio-essais, 1985, p. 351-355

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Louis Canet, élève du philosophe Alain

 

 

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1 septembre 2009

rentrée des professeurs d'histoire (1er septembre)

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les professeurs d'histoire

le jour de leur rentrée : 1er septembre



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M. Degraix

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M. Bouderlique

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Mme Reynaud


Val_rie_1er_sept_2009
Mme Goy


Michel_Renard_1er_sept
M. Renard


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Mme Mathulin est professeur d'économie,
mais elle assurera des séances d'E.CJ.S. avec nous



- vérification des emplois du temps; des progressions, fixation des dates de devoirs communs, inventaires du matériel pédagogique, évocation de la reconduction du dispositif de préparation du concours de Sciences Po...

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4 février 2007

images de la confrontation militaire entre l'islam et la chrétienté

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Godefroi de Bouillon, menant ses hommes à la croisade
(XIIIe siècle, BN MS Fr. 9084, f. 20v)



images de la confrontation militaire

entre l'islam et la chrétienté

identification des éléments d'une image



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légende à compléter



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cliquer sur l'image pour l'agrandir



- article en cours de constitution


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22 octobre 2009

méthode d'explication de textes en philo

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méthode d'explication de textes


0. Conseils, présentation

Commençons tout d’abord par nous rappeler qu’"une explication de texte explique un texte". Ceci n’est ni un truisme ni une tautologie. Reprenons : une explication de texte explique… un texte. Autrement dit, il faut rester dans le cadre du texte qui forme un tout, une globalité autosuffisante même si l’auteur ne répond que partiellement à la question ou aux questions qu’il se pose.

Le texte a une signification globale, d’ensemble. Par ailleurs, ‘expliquer’ veut dire qu’il ne faut pas commenter. Il faut expliquer, c’est tout.
Connaître la pensée de l’auteur n’est ni indispensable ni requise. L’explication doit rendre compte, par sa compréhension précise, du problème que se pose l’auteur ou que pose le texte. Cela signifie qu’il faut faire une bonne explication et dégager le problème que pose le texte et pour lequel il propose une réponse.

Si nous n’arrivons pas à expliquer une phrase, nous pouvons émettre des hypothèses, en mentionnant que ce sont des hypothèses. Car il ne faut passer sous silence aucun passage du texte. Il ne faut pas négliger ce que nous ne comprenons pas.

Il faut aborder le texte comme objet d’étude : il ne se livre pas immédiatement au regard ou à la lecture. Mais il s’offre à une investigation curieuse d’en manifester des aspects non évidents au premier abord. Le texte peut manifester une étrangeté : il convient alors de l’analyser à divers niveaux, de savoir "lire entre les lignes". Son vocabulaire, la construction de certaines de ses phrases, son style, la bizarrerie de certaines idées, l’absence d’évidence de l’argument, la présence de paradoxes, peuvent par exemple retenir l’attention et demander une explication.

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Ce qui est indispensable de prime abord, c’est de voir que le texte pose problème. S’il allait de soi, il ne demanderait pas d’explication ! Autrement dit, si la lecture révèle des difficultés, ce n’est pas un inconvénient mais une condition nécessaire. Dès lors, il faut répertorier ces difficultés et évaluer leur importance. Ceci nous permettra de repérer les questions principales qui vont organiser l’ensemble de l’analyse et la structurer.

En ce qui concerne les difficultés rencontrées à la lecture d’un texte, les difficultés techniques concernent des références précises, du vocabulaire précis, etc. Donc nous nous attendons à une réponse précise. D’un autre côté, les difficultés non techniques renvoient au style de l’auteur, au flou de ses phrases, etc. Ici, la réponse relève davantage de l’interprétation personnelle.

Un texte, en plus d’avoir un thème, présente une thèse, réponse à un problème philosophique, qui peut ne pas être évidente à la première lecture.

Ainsi, mieux vaut se concentrer sur sa structure, son organisation et reporter à plus tard l’élucidation de la thèse. Pour ce faire, balisons le texte à l'aide de connecteurs logiques et posons-nous à chaque fois la question de leur fonction. Attention ! ces connecteurs ne sont pas forcément syntaxiques. Nous pouvons laisser inexpliqué un détail secondaire (et encore…) mais pas le cœur de l’argumentation. Le repérage de la structure du texte est ici d’une grande utilité.

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La nécessité d’insister ou non sur la situation du passage dans son contexte variera selon qu’il s’agit d’un moment d’un argument plus général, qui a commencé auparavant et se poursuit ensuite, ou bien au contraire d’un argument relativement autonome. Mais dans un cas comme dans l’autre, il faudra que nous comprenions à partir du texte la nécessité de faire intervenir les éléments du contexte qui seront présentés.

Enfin, n’oublions pas que la lecture d’un texte philosophique n’a pour objet que nourrir la réflexion sur un thème. Étudier un texte signifie donc ceci : montrer en quoi le texte proposé apporte une réponse (et construit celle-ci) à une question philosophique, quels sont les enjeux de la question abordée (i.e. ce que l’étude du texte nous fait gagner).

En réalité, l’objectif de l’explication de texte est de retrouver l’ordre, la progression du texte : il s’agit de retrouver la façon dont le philosophe a abordé les difficultés rencontrées et a tenté de les résoudre. Il ne faut jamais oublier que c’est une bonne explication du texte qui nous conduit naturellement à l’interroger et à l’évaluer, non de manière artificielle et/ou superficielle en lui opposant ses propres convictions ou celles d’un autre auteur, mais en éclaircissant ses présupposés et en comprenant la pertinence de sa démarche.
C’est comme cela que nous pourrons dire avoir compris un aspect de la pensée d’un auteur.
Et The Best Conseil : il nous faut soigner notre calligraphie, ne faire ni fautes d’orthographe ou de grammaire, conjugaison, etc. ; sous peine de lourdes sanctions !

Bon, c’est bien joli tout ça, mais nous sommes restés dans un point de vue très théorique et abstrait. Alors : en pratique, comment ça marche ?

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1. Introduction

Recherches à faire au brouillon ; l’introduction doit se rédiger au brouillon avant la rédaction finale.

1. Mise en contexte, présentation du texte

Il n’est pas interdit de parler de l’auteur, si nous le connaissons, c’est le bon moment ! En général, dans l’énoncé il y a son nom et le titre du livre dont est extrait le texte. De deux choses l’une : si l’auteur n’est pas connu de nous, donner son nom et le titre du livre. A contrario, si l’auteur est connu de nous, il est bon de pouvoir replacer le livre dans l’œuvre de l’auteur (chronologie ou comparaison avec d’autres ouvrages) ; si de plus nous connaissons l’extrait (là c’est le summum), il est bien de donner des références : où se situe l’extrait dans le livre ?
Ensuite, il est bon de voir l’originalité du texte par rapport à ce qui précède ou suit (pour cela, nous utiliserons les connaissances acquises en cours). Posons-nous la question : sur quel plan philosophique se trouve l’auteur ? Est-ce un texte politique, métaphysique, épistémologique, esthétique… ? Y a-t-il des présupposés à ce plan philosophique ?
Bref, il n’est pas interdit de faire appel à des connaissances concernant le contexte plus ou moins large du texte, à la condition que celles-ci n’apparaissent pas pour elles-mêmes, mais en tant seulement qu’elles servent à l’explication elle-même.

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Simone Weil (1909-1943)

2. Plan

Il faut mettre en lumière les différentes étapes par lesquelles l’auteur passe pour asseoir sa thèse : les différentes "parties" du texte. Mais attention, encore une fois, n’oublions pas que ces parties ne sont que les étapes d’une réflexion unitaire. Un texte philosophique n’est jamais constitué de morceaux artificiellement juxtaposés : il expose une pensée par concepts et mots-clefs dont le mouvement est articulé en moments distincts.

Pour retrouver les articulations du texte, il faut penser à s’aider des conjonctions de coordination et de subordination. Les premières marquent entre des mots ou des propositions de même fonction l’union (et), l’opposition (mais, pourtant), l’alternative (ou), la négation (ni), la conséquence (donc), la conclusion (ainsi, enfin), etc. Les secondes établissent une dépendance entre les éléments qu’elles unissent (comme, quand, qui, etc.). Ces petits mots marquent la structure logique du texte, même si ce ne sont pas les seuls. Nous pouvons les souligner ou les entourer, cela aide à visualiser la construction du passage.
De même, il nous faut repérer les concepts, les mots-clefs et les phrases fortes du texte.1021979573

Grâce à cela, nous pouvons faire un plan du texte en précisant les lignes (si possible les débuts et fins de phrases s’il n’y a pas de retour à la ligne). Donner un titre aux parties ; le plus souvent nous donnerons les concepts ou mieux : les distinctions conceptuelles mises en œuvre dans chaque partie. Nous pouvons aussi donner comme titres un bref résumé de chacune des parties.


3. Problématisation

Nous nous poserons tout d’abord deux questions à propos de l’auteur : quel est le thème de sa réflexion ? et quelle thèse soutient-il ? Ensuite, n’oublions pas que l’auteur est un individu singulier et que son texte est son point de vue. En ce sens, il n’est donc pas absolu ; il est relatif. Ainsi : quels sont les présupposés inhérents au texte ?
Il faut préciser les enjeux du texte : il s’agit de repérer dans quel débat s’inscrit le texte et quelles conséquences il implique. Il ne faut pas hésiter à lire le texte plusieurs fois afin d’en faire apparaître le sens. La première lecture doit permettre d’en prendre connaissance et de dégager le thème dont le texte se préoccupe. Une seconde lecture permet d’identifier la thèse précise que soutient l’auteur. À la troisième lecture, nous pouvons expliciter le problème dans lequel se situe le texte, et donc repérer éventuellement les points de vue auxquels l’auteur s’oppose et qu’il cherche à réfuter. Il s’agit pour nous de dégager le ou les problème(s) soulevé(s) par une question ou une notion particulière.
Grâce à ce travail effectué, nous pouvons dégager une problématique du texte, un questionnement, un fil directeur : qu’est-ce qui pousse l’auteur à écrire ce texte ? Quelles sont les questions que ce texte soulève ?, etc. C’est la problématisation du texte.

Ces quatre éléments : thème, thèse, problème, structure, constituent l’introduction à l’étude du texte. L’introduction doit se terminer (le plus souvent) par une question : celle à laquelle la thèse du texte apporte une réponse.

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le crâne de Descartes (1596-1650)


2. Développement

À l’aide des mots-clefs et concepts, expliquer en se demandant sans cesse "pourquoi ?" jusqu’à ce que nous arrivions à une réponse qui ne nécessite plus de "pourquoi ?". En général, cela nous conduit à une distinction conceptuelle, à un concept, ou tout simplement à l’explication totale et finale.
Attention ! Ne pas oublier les transitions !, qui doivent être mises en évidence par un saut de ligne avant et après chaque partie. Le sens général du texte, son intention, déterminent le sens de ses éléments. Dans la rédaction du développement, il faut à la fin de chaque partie ou sous-partie, rappeler ce qui a été gagné par rapport au thème et à la thèse et rappeler ce qui nous manque mais va être résolu dans la partie suivante.

Il faut apprendre à questionner le texte. Nous nous demanderons alors pour chaque idée (en plus du "pourquoi ?") : qu’est-ce que cela signifie ?, comment le justifier ?, qu’est-ce que cela implique ? Pour cela, il faut être sensible : à la logique du texte, aux transitions ; aux détails du texte, aux exemples ; aux difficultés d’interprétation.

Pour chaque partie du texte, il faudra rester fidèle à l’auteur, en n’oubliant jamais la question qu’il traite. Bref, il ne faut ni s’éparpiller, ni faire de digressions. Par ailleurs, nous éviterons la paraphrase. Si c’est pour dire (en moins bien) ce que dit l’auteur d’une manière détournée, autant recopier le texte (sic) ! Pour cela, nous n’hésiterons pas à lire entre les lignes.
Il faut aussi proposer des références : savoir utiliser ses connaissances et se référer à d’autres sources d’information que le texte pour l’expliquer ; par exemple, nous pourrons illustrer ce que dit l’auteur (exemple, métaphore, etc.).

Nous l’avons déjà dit, mais il ne faut surtout pas passer sous silence ce que nous ne comprenons pas d’emblée. Les difficultés que nous avons rencontrées permettent de dégager le problème philosophique du texte ; autrement dit de procéder à son évaluation critique : confronter la solution proposée par l’auteur à d’autres solutions possibles ; évaluer la façon dont le problème a été posé ; comparer la thèse de l’auteur à d’autres doctrines étudiées ou d’autres thèses qu’il aurait fournies (la pensée d’un auteur n’est pas figée, elle évolue au fil du temps et parfois au fil d’un texte) ; dégager des questions qu’il conduit à formuler ; montrer que ses présupposés peuvent être mis en question ; apprécier son actualité, ses enjeux.

Ceci ne peut se faire qu’en confrontant aux solutions, à l’approche de l’auteur, d’autres solutions ou approches possibles. Ce contraste permet de réellement comprendre le texte ; de saisir son sens propre. Mais ce ne peut se faire qu’à partir, qu’en partant de l’explication précise du texte lui-même. Il faut suivre le texte, et l’expliquer, afin de mettre en valeur, d’éclairer la démarche de l’auteur.

Pour ce faire, l’ordre est essentiel : si l’auteur aborde tel concept ou telle question avant ou après tel(le) autre, ce n’est pas par hasard. C’est que la première étape appelle ou éclaire la suivante ; que la seconde est portée par la première ou l’englobe. L’ordre du texte est la démarche par laquelle un philosophe a construit sa réponse à une question donnée. Nous n’allons pas du premier étage au troisième sans passer par le second.

D’autre part, il nous faut nous appuyer sur des éléments que nous avons compris. Demandons-nous quel est PROFILleur statut dans l’économie du texte (exemple, idée critiquée, défendue, argument…). Partons de ces éléments pour comprendre l’ensemble du texte et essayons ainsi de combler les passages que nous ne comprenons pas.

Nous pouvons faire cette étude soit de manière linéaire (c’est en général recommandé puisque le texte a une progression) ou de manière globale (mais c’est largement déconseillé parce qu’en général il en sort un devoir informe sans logique interne).


3. Conclusion

La conclusion doit se rédiger au brouillon avant la rédaction finale.

Elle doit être sobre : elle rappelle ce qui a été acquis, les implications de la démonstration qui ont été mises en évidence. C’est un récapitulatif des concepts et distinctions conceptuelles de chaque partie avec explication de leur enchaînement (cela suit la problématique et permet d’y répondre).

En gros, c’est une synthèse des transitions de notre développement. Nous pouvons ici aborder la façon dont l’auteur s’y est pris vis-à-vis de la question qu’il traite : pourquoi et en quoi est-ce pertinent ? en quoi le problème qu’il se pose est un réel problème ? peut-elle nous prémunir ou nous délivrer de certaines illusions ou erreurs ?

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Mais il n’y a pas lieu d’introduire dans la conclusion une idée nouvelle, sans rapports logiques avec ce qui précède, sous prétexte d’"ouverture". Ce serait un simple artifice rhétorique, facile, mais inutile et absolument superflu. La réflexion menée en commun avec l’auteur forme le devoir. Elle seule. Il est inutile de chercher à caser à tout prix ses opinions parce qu’elles auraient un vague rapport avec ce qui a été vu auparavant.

Rien ne peut gâcher plus un devoir bien mené qu’une sentence arbitraire assénée comme une vérité indubitable à la fin de la copie. Donc, si nous sommes tentés par cela, n’oublions pas qu’il ne faut jamais écrire la dernière phrase ! C’est elle qui gâche tout.

Emmanuelle Curatolo
professeur de philosophie, 2009
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NB : Cette méthode a des aspects redondants, mais il vaut mieux trop que pas assez pour bien l’assimiler.



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4 janvier 2010

le lycée blanc-gris

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le lycée sous la neige

à la rentrée du 4 janvier 2010


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la "vie scolaire" : ce nom m'a toujours étonné... je ne comprends pas pourquoi
on ne dit plus la "surveillance"... les cours ne font-ils pas partie de la "vie scolaire"...??)


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la cour et le bâtiment du lycée professionnel

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la "vie scolaire" et le parc, vue du 2e étage du bâtiment A

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la "vie scolaire"

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les salles de permanence

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chemin entre la "vie scolaire" et le bâtiment A (à droite) ; au fond, la cour

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le bâtiment L (logistique), puis l'internat et le restaurant scolaire (en blanc)

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le bâtiment L (logistique)

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l'entrée du lycée, avec la désolante "oeuvre du 1% culturel"...

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vue sur le parking des professeurs

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entre les bâtiment B (à gauche) et A (à droite)

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entre les bâtiment B (à droite) et A (à gauche)




quelques réactions sur Facebook

Ydriss Foretz
Ydriss Foretz
(étudiant en Histoire à la Sorbonne, ancien élève de collège de M. Renard)

Le lycée de St-Chamond ou la portée hiémale des Jardins suspendus...

Michel Renard
Michel Renard

- j'y ai déjà pensé... cette architecture a un petit côté néo-babylonien qui me plaît...

Karine Meziane
Karine Meziane

T T ça me manque le lycée!!!

Michel Renard
Michel Renard

- tu es hyper rapide à réagir...!!!! ne t'inquiète pas, c'est une nostalgie qui dure longtemps... ^^

Sarah 'Boom' Boumghar
Sarah 'Boom' Boumghar

Moi aussi ça me manque parfois.

Karine Meziane
Karine Meziane

je HAIS Jean Monnet!!

Sarah 'Boom' Boumghar
Sarah 'Boom' Boumghar

Moi j'aime ma fac =)
Mais au lycée tout était plus simple.

Assia Oukala
Assia Oukala

je suis tout à fait d'accord avec Sarah !!

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5 août 2009

idées fausses à éviter au bac

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clichés, idées reçues

et  idées fausses  à éviter au  bac



«La science cherche des vérités absolues» (faux : la science ne prétend pas atteindre des vérités absolues et ne vise que des vérités partielles et relatives).

«Les hommes ont de tout temps recherché la vérité» (faux : avant  la science  et la philosophie (en gros VIe siècle av. JC), on pensait que  la vérité, c’était ce qu’il ne fallait pas oublier, autrement dit les croyances ancestrales. En Grèce le mot vérité est «alétheia» qui veut dire : le non-oubli.

«Tous les hommes recherchent la vérité» (faux : seuls certains hommes, dont  les savants et les philosophes, les journalistes, les juges aussi, les médecins etc… recherchent la vérité. Sûrement pas tous les hommes).

«Le bonheur est le but de la vie» (Non : même si tous les hommes recherchent le bonheur, ce n’est pas forcément LE but de la vie. Il peut y avoir d’autres buts. C’est ce que pense Kant).

«Kant veut imposer une morale unique à tout le monde» (faux : Kant ne veut rien imposer du tout. Il réfléchit aux conditions de possibilité d’une morale universelle).

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«Quand on agit moralement, c’est pour se donner bonne conscience» (c’est un contresens sur la conscience morale. Vladimir Jankélévitch a montré pourquoi la conscience morale scrupuleuse est toujours malheureuse -  au contraire).

«Personne n’a jamais fait quelque chose de  désintéressé» (variante du précédent. Si c’était vrai, il faudrait mettre à la poubelle tous les écrits de Kant sur la morale, car Kant définit les comportements  moraux  par leur caractère  désintéressé. Si vous pensez cela, ne le dites pas le jour du bac).

«La science détient la vérité» (faux : la science propose des théories qui rendent compte partiellement de  la réalité, mais qui ne sont jamais définitives. Elle ne peut «détenir» quoique ce soit).

«Ce qui, dans la science est vrai à un moment, devient faux par la suite» (inexact : les vérités scientifiques sont provisoires, mais elles ne sont pas annulées ni renversées par les théories ultérieures. Elles sont soit complétées, soit englobées, soit relativisées).

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«Rousseau veut retourner à l’état de nature» (faux et absurde. Nul ne peut vouloir sérieusement revenir en arrière, nul ne peut abolir la civilisation).

«Platon pense que l’art est inutile et le condamne» (faux : Platon ne critique que la poésie et la peinture).

«Le projet politique de Rousseau dans le Contrat social est utopique» (inexact. Ce n’est pas un projet politique mais une théorie qui sert de référence pour juger ce qui est souhaitable)

«Pour comprendre une œuvre d’art, il faut en déchiffrer le message» (faux : les œuvres d’art n’ont pas forcément un message ; mais surtout, en art, le contenu ne peut être dissocié de la forme. Donc le «message», c’est ce qui, dans l’oeuvre, ne relève pas de l’art).

«L’art abstrait a pour contenu des idées abstraites» (faux : l’art abstrait ne cherche pas à communiquer des idées).

«La religion peut se définir comme le fait de croire en un Dieu» (faux : la plupart des religions pratiquées dans le monde aujourd’hui même ne se réfèrent à aucun Dieu  (animisme, fétichisme, chamanisme, bouddhisme, syncrétisme etc…), ou bien à plusieurs  divinités.

«Les stoïciens sont fatalistes et résignés»  (faux : la doctrine stoïcienne prône une coopération active et joyeuse au destin).

«Pour la doctrine déterministe, l’homme n’est pas libre» (faux : c’est le fatalisme qui nie la liberté, pas le déterminisme).

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«Machiavel prône dans Le Prince un régime de type dictatorial» (faux : Machiavel est républicain, mais il constate que la fondation d’un État appelle des procédés souvent violents).

«La beauté est relative au goût de chacun» (faux : l’agréable varie selon le goût de chacun, au contraire le beau est susceptible de plaire universellement)

«Les philosophes pensent que l’homme doit en toute circonstance  suivre la raison» (faux : Pascal a dit que c’est une erreur de croire que l’homme n’est constitué que d’une partie rationnelle. Saint Augustin, Kant, etc… estiment eux aussi que la raison seule ne suffit pas pour mettre l’homme sur la voie du salut. D’autres encore (Nietzsche, Heidegger) critiquent la raison.

«La démocratie est un régime politique parfait, c’est le meilleur» (il est préférable de dire : c’est «le pire de tous, à l’exception de tous les autres»  Churchill )

«Les philosophes veulent "éradiquer" toute opinion» (faux : Platon par exemple,  insiste sur le rôle de  l’opinion droite dans le Ménon. H. Arendt montre qu’il ne peut y avoir de démocratie fondée sur le savoir incontestable  de ce qui est juste ou vrai, un tel savoir n’existe pas, et aucun homme ne peut se prévaloir de ce type de savoir.

«Toute inégalité est injuste» (faux : revoyez votre cours sur la justice)

«La justice, c’est de traiter tout le monde également» (faux : revoyez la définition de l’équité).

«Aimer ne peut être un devoir, car on ne peut se forcer à aimer» (à nuancer : revoyez votre cours sur la morale de Kant).

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«Parce que nous vivons en société, nous ne pouvons être libres» (Enfantillage : l’homme ne peut se passer de ses semblables, car il est un «animal politique (Aristote). C’est un songe creux de croire qu’à l’«état de nature» où loin de toute société (cf le film  Into the wild) nous pourrions être heureux et libres. Seuls des êtres d’exception peuvent y parvenir, et en général soit ils ont la foi, soit ils écrivent pour la postérité, comme le fameux philosophe américain Thoreau.

«Pour Freud, l’homme n’est pas libre car il est déterminé par son inconscient» :  (pour Freud en effet, l’homme est en grande partie déterminé par son inconscient, mais cela ne l’empêche pas d’être libre ou d’y tendre. La psychanalyse l’aide à reconquérir sa liberté).

«Pour Spinoza la liberté est une illusion» : (c’est le libre arbitre qui est une illusion. Pour Spinoza, l’homme devient libre par la connaissance  rationnelle).

Laurence Hansen-Love552
professeur agrégé  de philosophie, enseignant à Paris.
directrice de collections (Hatier et Belin).
source

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3 octobre 2009

texte de Feuerbach

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Ludwig Feuerbach, philosophe allemand (1804-1872)



conscience humaine, conscience animale,

Feuerbach (1841)

 

texte de philo à commenter pour la rentrée :

- Quelle est donc cette différence essentielle qui distingue l'homme de l'animal ? À cette question, la plus simple et la plus générale des réponses, mais aussi la plus populaire est : c'est la conscience. Mais la conscience au sens strict ; car la conscience qui désigne le sentiment de soi, le pouvoir de distinguer les objets sensibles, de percevoir et même de juger les choses extérieures sur des indices déterminés tombant sous les sens, cette conscience ne peut être refusée aux animaux.

La conscience entendu dans le sens le plus strict n'existe que pour un être qui a pour objet sa propre espèce et sa propre essence. Sans doute, l'animal est objet pour lui-même en tant qu'individu (et c'est pourquoi il possède le sentiment de soi) – mais non en tant qu'espèce (et c'est pourquoi il lui manque la conscience qui tire son nom de la science). Être doué de conscience, c'est être capable de science. La science est la science des espèces. Dans la vie nous avons affaire à des individus, dans la science à des espèces. Or seul un être qui a pour objet sa propre espèce, sa propre essence, est susceptible de prendre pour objet, dans leur signification essentielle, des choses et des êtres autres que lui.

C'est pourquoi l'animal n'a qu'une vie simple et l'homme une vie double : chez l'animal la vie intérieure se confond avec la vie extérieure, l'homme au contraire possède une vie intérieure et une vie extérieure. La vie intérieure de l'homme, c'est sa vie dans son rapport à son espèce, à son essence.

Ludwig Feuerbach (1841),
introduction à L'essence du christianisme
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- question : Qu'est ce qui définit l'homme selon Feuerbach ?

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schéma de lecture du texte

Quelle est donc cette différence essentielle qui distingue l'homme de l'animal ? À cette question, la plus simple et la plus générale des réponses, mais aussi la plus populaire est : c'est la conscience.
Mais la conscience au sens strict ;
- établissement d'un critère de distinction entre l'homme et l'animal ; critère basé sur la perception générale et populaire

car la conscience qui désigne le sentiment de soi, le pouvoir de distinguer les objets sensibles, de percevoir et même de juger les choses extérieures sur des indices déterminés tombant sous les sens, cette conscience ne peut être refusée aux animaux.
- les animaux ont une conscience d'eux-mêmes

La conscience entendu dans le sens le plus strict n'existe que pour un être qui a pour objet sa propre espèce et sa propre essence.
- seule la conscience qui dépasse la conscience de soi peut être définie comme rigoureuse [celle de l'homme]

Sans doute, l'animal est objet pour lui-même en tant qu'individu (et c'est pourquoi il possède le sentiment de soi) – mais non en tant qu'espèce (et c'est pourquoi il lui manque la conscience qui tire son nom de la science).
- l'animal se perçoit comme individu mais pas comme appartenant à une espèce

Être doué de conscience, c'est être capable de science. La science est la science des espèces. Dans la vie nous avons affaire à des individus, dans la science à des espèces.
- définition de la science, sur le mode aristotélicien : "il n'est de science que du général"

Or seul un être qui a pour objet sa propre espèce, sa propre essence, est susceptible de prendre pour objet, dans leur signification essentielle, des choses et des êtres autres que lui.
- appréhender sa propre essence, c'est percevoir au-delà de soi-même


C'est pourquoi l'animal n'a qu'une vie simple et l'homme une vie double : chez l'animal la vie intérieure se confond avec la vie extérieure, l'homme au contraire possède une vie intérieure et une vie extérieure. La vie intérieure de l'homme, c'est sa vie dans son rapport à son espèce, à son essence.
- bilan comparatif : la vie animale se réduit à son rapport avec l'extérieur ; la vie humaine a deux dimensions

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- remarque : en fait Feuerbach utilise le terme conscience dans deux sens :

1) dans un sens étendu avec la distinction conscience animale / conscience humaine

2) dans son sens strict qui ne concerne que l'homme (l'animal : "il lui manque la conscience qui tire son nom de la science")

- idée générale : ce qui définit l'homme, c'est la conscience qu'il a en propre d'appartenir à une espèce, c'est-à-dire à un ensemble plus grand que lui, un ensemble de pairs : il peut ainsi concevoir à la fois sa similitude et son altérité, dépasser sa propre individualité.

- reste maintenant à commenter tout cela... méthode

M. Renard

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Commentaire

Emmanuelle Curatolo Chaussard

Ce texte est un extrait de L’essence du christianisme de Feuerbach dans lequel il tend à montrer comment ce qui nous est en apparence extérieur nous est en réalité intérieur, comment le Dieu que les théologiens projettent hors de l’homme est en réalité l’homme lui-même : le retour à soi, l’identité de la conscience de Dieu et de la conscience de soi s’inscrivent dans la tradition hégélienne.

La religion provient d’un trait qui distingue profondément la conscience humaine de la conscience animale : la conscience de l’homme est double, il se sent comme individu et il se connaît comme espèce ; il se connaît comme tel dans la pensée qui est un langage intérieur, où l’homme, s’adressant à lui-même, est à la fois moi et toi ; il connaît donc l’infinité de son espèce, de son être véritable, en contraste avec la limitation de son individu (rapport au temps).

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Salvador Dali

Dieu n’est rien que l’ensemble des attributs infinis, sagesse, amour, vouloir qui appartiennent à l’espèce humaine. Vainement chercherait-on dans la religion quoi que ce soit qui ne se réfère à l’homme (1). Si la réflexion de Feuerbach est axée sur la réhabilitation de la religion, le texte qui nous intéresse a pour thème la nature de l’homme, ce qui le définit (sa conscience). Il s’agit ici de poser une définition de l’homme qui permettra dans un contexte plus large à Feuerbach de réfléchir sur la religion. C’est sur cette définition de l’homme et de sa conscience que nous allons travailler.

Feuerbach se propose de faire une étude différentielle de l'homme et de l'animal ("différence", "distingue") : il va aborder la question canonique de la distinction de l’homme et de l’animal par rapport à leur conscience. Il se place ainsi sur un plan ontologique (2) : "essentielle".
Mais ce plan peut se déplacer sur un plan épistémologique (au sens anglo-saxon de 'théorie de la connaissance') lorsque nous abordons la question de la connaissance du soi. Le présupposé à cette question est la possibilité même d’une telle distinction entre l’homme et l’animal par leurs consciences différentes. Feuerbach va éclaircir ce présupposé dès la première partie du texte (cf. plan, infra).

La conscience au sens psychologique c’est l’intuition (plus ou moins complète ou claire) qu’a l’esprit de ses états et de ses actes ; le fait de conscience est une des données fondamentales de la pensée. Nous pouvons distinguer entre conscience spontanée (ou immédiate) et conscience réfléchie. Dans le premier cas, le fait conscient n’est pas considéré différent du fait qu’il est conscient ; dans le second il y a une opposition nette entre ce qui connaît et ce qui est connu.

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les expériences du Dr Charcot

Ainsi, la conscience est à la fois une donnée primitive, indifférenciée, qui sert de matière à toute vie psychique mais aussi quelque chose de construit, par opposition entre le sujet et l’objet.
Nous pouvons alors distinguer entre conscience subjective (tournée vers le sujet) et conscience objective (tournée vers l’objet ou vers le sujet objectivé, c’est ce qui intéresse les sciences – une science au sens aristotélicien de «science du général» n’est possible que lorsque nous nous attachons à l’étude d’un objet).
Feuerbach aura en trame de ce texte ces distinctions puisque pour lui la conscience de l’animal est plus restreinte que celle de l’homme (qui lui a toutes les consciences précitées). Le problème sera alors : comment définir la conscience de l’animal puis celle de l’homme ? Et ce afin de les distinguer.
La réponse ou la thèse de Feuerbach, au terme de sa réflexion sera : ce qui distingue l'homme de l'animal est la conscience prise au sens strict, i.e. la conscience de son espèce.

Afin de comprendre la réponse de Feuerbach, nous allons procéder à une étude linéaire de son texte, qui se structure en trois parties :
1. «Quelle est donc […] refusée aux animaux» : La différence entre l'homme et l'animal se fait grâce à la conscience au sens strict. Nous verrons la définition de la conscience au sens large.
2. «La conscience entendue dans le sens le plus strict […] des choses et des êtres autres que lui» : la conscience au sens strict c'est avoir "pour objet sa propre espèce et sa propre essence". Nous verrons la distinction conscience de l’individu / conscience de l’espèce qui renvoie à celle entre conscience au sens strict / conscience au sens large.
3. «C'est pourquoi l'animal […] son rapport à son espèce, à son essence» : La double vie de l'homme : vie intérieure et vie extérieure.

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René Magritte, La condition humaine

Première partie

"Quelle est donc cette différence essentielle qui distingue l'homme de l'animal ? À cette question, la plus simple et la plus générale des réponses, mais aussi la plus populaire est : c'est la conscience. Mais la conscience au sens strict ; car la conscience qui désigne le sentiment de soi, le pouvoir de distinguer les objets sensibles, de percevoir et même de juger les choses extérieures sur des indices déterminés tombant sous les sens, cette conscience ne peut être refusée aux animaux."

Le problème qui va guider Feuerbach tout au long de ce texte est, comme nous l’avons dit, celui de la différence entre l’homme et l’animal. Ainsi, l’homme est un animal particulier qui doit être mis à part dans le règne animal et toute la question est de savoir pourquoi. Mais le problème est plus précis, il va s’agir de savoir quelle est la différence première, celle qui va fonder toutes les autres : «essentielle». C’est en cela que Feuerbach se place sur un plan ontologique.

En effet, l’homme, à la différence de l’animal est un animal raisonnable et politique (cf. Aristote), mais cela n’est possible que grâce à une différence plus profonde, qui tient à son être. Cette différence c’est la conscience.
Cependant, Feuerbach nous parle de réponse «la plus simple et la plus générale […] mais aussi la plus populaire». D’un côté cette réponse est celle qui tombe sous le sens, c’est celle du sens commun, qui se voit être la plus générale, donc la plus large. Autrement dit, c’est la réponse la plus triviale et la plus évidente. D’un autre côté, si «populaire» ne signifie pas ‘sens commun’ (et il y a tout lieu de le croire sinon les deux expressions ne seraient pas mentionnées), alors il s’agit de la réponse qui plait le plus. Populaire, dans une de ses acceptions veut dire : «Connu et aimé de tous, du plus grand nombre ; qui a la faveur du plus grand nombre» (3). Ce terme a une connotation souvent péjorative, néanmoins, Feuerbach va y apporter une précision : «Mais […] la conscience au sens strict».

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Donc Feuerbach suppose qu’il existe deux grands types de conscience : la conscience au sens large et la conscience au sens strict. La conscience au sens large se décompose elle-même en plusieurs sous-types : «le sentiment de soi, le pouvoir de distinguer les objets sensibles, de percevoir et même de juger les choses extérieures sur des indices déterminés tombant sous les sens».
Le «sentiment de soi» concerne la conscience de soi, de la conscience qui prend l’individu comme objet de connaissance (immédiate ou réflexive), alors que les autres sous-types concernent le non-soi ou le monde extérieur (4).

Si Feuerbach énonce ces cinq sous-types de conscience au sens large, c’est sûrement qu’ils se distinguent fondamentalement. Nous allons donc les définir :

- «le sentiment de soi» : aux sens psychologique et épistémologique, cela renvoie à la connaissance de l’individu dans sa singularité et pris comme objet individuel par lui-même (il s’objectivise pour sa propre connaissance de lui-même). Cela englobe la connaissance de son esprit, de ses affects, de ses désirs, de ses besoins, mais aussi de son corps (à la fois son schéma corporel – condition de la conscience actualisée de la posture - et son image corporelle – perception du corps par tous les moyens).

- «le pouvoir de distinguer les objets sensibles» : c’est la capacité réflexive qu’a l’individu de percevoir (premier sens de ‘distinguer’) les objets sensibles mais aussi de les passer au crible (deuxième sens de ‘distinguer’), d’en faire la distinction (pour utiliser une définition presque tautologique). Les «objets sensibles» étant les objets qui se présentent aux sens, non seulement les sens externes (les cinq sens), mais aussi les sens internes (comme la proprioception). Nous allons éclaircir cela avec la définition de la perception :

- «de percevoir» : percevoir n’est pas recevoir. Percevoir c’est avant tout capter, prendre pour soi, s’emparer de (par exemple c’est recueillir une somme d’argent ; nous percevons un salaire, un impôt (5)). Dans ce texte, ‘percevoir’ s’entend dans son acception suivante : prendre connaissance des événements de notre environnement par le biais de nos systèmes perceptifs. Dans ce sens-là, la perception peut désigner à la fois le résultat de cette connaissance et le processus psycho-physiologique qui lui a donné naissance. En tant que résultat de cette prise de connaissance, la perception renvoie à la représentation, i.e. à l’image, la prise de conscience que l’on a d’une chose, d’un événement, voire à l’idée que nous nous en faisons. Elle peut être aussi une intuition, beaucoup plus diffuse, reflétant plus un état émotionnel qu’une représentation statique de quelque chose. Mais la perception ne reflète pas toujours le réel (par exemple : hallucinations ou illusions).

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En tant que processus permettant d’accéder à une conscience de l’objet ou de l’événement, la perception peut être considérée comme une des grandes fonctions dont est doté l’organisme au même titre que la respiration ou la digestion. C’est la fonction de notre corps, de notre cerveau qui permet d’avoir une connaissance du monde qui nous entoure. Elle est cette fonction qui nous permet d’agir, de nous déplacer et d’interagir avec nos semblables et notre environnement. Cette fonction permet de saisir, de capturer mentalement certaines propriétés, certains détails pertinents de l’environnement. Les objets ou événements dont je prends connaissance peuvent être à l’extérieur de mon corps. Mais les événements, les choses à saisir peuvent aussi être à l’intérieur de mon corps (une douleur) (6). Cela nous explique le dernier sous-type de conscience, à savoir :

- «juger les choses extérieures sur des indices déterminés tombant sous les sens» : c’est effectuer des inférences nous permettant d’agir en partant d’événements perçus.

D’après les définitions que nous venons de donner, il devient évident que cette conscience «ne peut être refusée aux animaux».

Dans cette première partie, Feuerbach nous apprend qu’il existe une différence fondamentale entre les hommes et les animaux, celle-ci résidant dans la conscience. Néanmoins, «conscience» est un terme trop générique pour établir une bonne distinction. Alors il effectue une distinction entre conscience au sens large et conscience au sens strict. Nous avons vu précédemment ce que signifie la conscience au sens large, que nous avons définie grâce à la perception, celle-ci étant commune à l’homme et à l’animal. Maintenant nous allons voir ce qu’est la conscience au sens strict, en éclaircissant la notion de connaissance, beaucoup employée en première partie mais non encore bien définie.

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Deuxième partie

"La conscience entendue dans le sens le plus strict n'existe que pour un être qui a pour objet sa propre espèce et sa propre essence. Sans doute, l'animal est objet pour lui-même en tant qu'individu (et c'est pourquoi il possède le sentiment de soi) – mais non en tant qu'espèce (et c'est pourquoi il lui manque la conscience qui tire son nom de la science). Être doué de conscience, c'est être capable de science. La science est la science des espèces. Dans la vie nous avons affaire à des individus, dans la science à des espèces. Or seul un être qui a pour objet sa propre espèce, sa propre essence, est susceptible de prendre pour objet, dans leur signification essentielle, des choses et des êtres autres que lui."

Dans cette deuxième partie Feuerbach précise ce qu’il entend par conscience au sens strict. Il ne fait cependant qu’une distinction sommaire puisqu’il écrit «dans le sens le plus strict » (7).

La conscience au sens le plus strict n’est possible que «pour un être qui a pour objet sa propre espèce et sa propre essence». Attardons-nous sur ces deux termes d’‘espèce’ et d’‘essence’. L’espèce c’est le dernier échelon de la classification des animaux en biologie : Règne, Embranchement, Classe, Ordre, Famille, Genre, Espèce. Dans une espèce nous avons ensuite des individus. L’espèce c’est donc le regroupement d’individus selon un certain nombre de ressemblances et de caractéristiques propres : l’espèce est un groupe d’individus présentant un type commun, héréditaire, bien défini et généralement tel, dans l’état actuel des choses, qu’on ne peut le mélanger par croisement, d’une façon durable, avec le type d’une autre espèce (8). Les différences au sein d’une espèce feront l’individu en tant que tel.

L’essence, au sens métaphysique ou ontologique est ce qui s’oppose à l’accident (9). C’est ce qui est considéré comme formant le fond de l’être, par opposition aux modifications qui ne l’atteignent que superficiellement ou temporairement. Cette essence peut être placée dans le particulier ou le général. C’est aussi ce qui constitue la nature d’un être. Au sens logique, c’est l’ensemble des déterminations qui définissent un objet (10). Ainsi, ces terme d’‘espèce’ et d’‘essence’ nous placent sur plusieurs plans : ontologie, biologie, logique. Un être doté de conscience au sens strict sera donc un être qui a pour objet le groupe d’individus auquel il appartient mais aussi sa nature, ce qui fait le fond de son être (et qui s’oppose aux contingences). Mais que signifie alors ‘avoir « pour objet »’ ?

Nous pouvons poser l’hypothèse que Feuerbach veut nous dire : un être qui se donne comme objet de conscience son espèce et son essence. Et alors nous sommes face à deux problèmes :
1. celui de l’objectivation dans la conscience et
2. ce que signifie en avoir conscience. Ce qui peut s’expliquer comme suit :

Pour objectiver l’espèce et l’essence dans sa conscience, l’homme doit pouvoir se prendre lui-même comme un objet, en se considérant comme autre chose que le sujet sentant, et effectuer une inférence selon laquelle il n’est pas le seul à avoir certaines caractéristiques (son essence) mais qu’il fait partie d’un groupe dont les individus possèdent eux aussi ces caractéristiques (l’espèce) 11). Cela n’est possible qu’à certaines conditions : des conditions de perception et de sensibilité (cf. Kant (12)). Une des conditions a priori de la sensibilité chez Kant est l’espace et le temps.
Le temps nous préoccupe ici parce que pour qu’un être ait conscience non seulement de son essence mais aussi de son être, il est indispensable qu’il puisse se projeter dans le temps pour prendre en compte ne serait-ce que la pérennité de l’espèce par exemple. Or les animaux n’ont pas conscience du temps ; ils vivent dans un présent perpétuel. Ensuite, avoir conscience, ici s’entend dans le sens le plus proche de l’étymologie du terme de conscience : con-science, c’est faire science avec. C’est pour cela que Feuerbach écrit : «la conscience qui tire son nom de la science».

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Dès lors, un animal n’ayant conscience que de l’individu ne peut faire science car la science suppose un degré de généralité ou de généralisation dans son objet (c’est le premier critère, le critère aristotélicien de la science) ; par ailleurs, comme nous l’avons dit dans la première partie, l’animal a bien le sentiment de soi, i.e. la conscience de lui-même comme individu.
Feuerbach fait alors un constat qui délimite la vie courante de la science : «Dans la vie nous avons affaire à des individus, dans la science à des espèces», phrase assez limpide pour ne pas avoir à l’expliquer.

Enfin, le dernier problème de cette partie réside dans sa dernière phrase : «Or seul un être qui a pour objet sa propre espèce, sa propre essence, est susceptible de prendre pour objet, dans leur signification essentielle, des choses et des êtres autres que lui.» Feuerbach semble suggérer que seul l’homme (puisqu’il écrit ici sur l’homme) peut prendre pour objet des choses et des être autres que lui. Donc il nous faut expliquer ce qu’est ‘prendre pour objet’ (comme nous l’avions écrit plus haut) et la fin de cette phrase qui, nous le verrons, se distingue sur plusieurs plans. ‘Prendre pour objet’, c’est en faire la connaissance. Et la connaissance, désigne d’une part : l’acte de connaître et la chose connue ; d’autre part elle s’applique à la simple présentation d’un objet ou au fait de le comprendre.

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Titien, La femme au miroir, 1515 (Louvre)

D’où nous pouvons tirer plusieurs sens fondamentaux : 1. acte de pensée qui pose légitimement un objet en tant qu’objet, soit qu’on admette soit qu’on n’admette pas une part de passivité dans cette connaissance (la théorie de la connaissance est alors l’étude des problèmes que soulève le rapport du sujet et de l’objet) ; 2. acte de la pensée qui pénètre et définit l’objet de sa connaissance, la connaissance parfaite d’une chose, en ce sens, est celle qui, subjectivement considérée, ne laisse rien d’obscur ou de confus dans la chose connue, ou qui, objectivement considérée, ne laisse rien en dehors d’elle de ce qui existe dans la réalité à laquelle elle s’applique (13).

Dès lors, ‘avoir pour objet de conscience’ signifierait ‘en saisir clairement et distinctement (14) l’existence et posséder une définition de l’essence de l’événement considéré’. D’où l’expression «signification essentielle  (15)». La dernière partie de la phrase «des choses et des êtres autres que lui» concerne dans un premier temps le monde extérieur (dont nous avons parlé dans la première partie avec la perception) mais nous pouvons aussi supposer qu’il y a un rapport avec la notion d’empathie, selon laquelle nous comprenons les sentiments et les agissements d’autrui, en étant capables de nous "mettre à sa place" (16) et aussi en tant que nous sommes capables de nous nier en tant que singularité.

Nous avons vu ici la définition de la conscience au sens strict : c’est avoir une connaissance claire et distincte du soi et du non-soi, et le plus important : se connaître en tant qu’espèce, chose que ne peuvent faire les animaux. Cela étant basé sur un critère faible de scientificité (17), le critère aristotélicien selon lequel il n’y a de science que du général. Nous avons alors supposé un rapport au temps et à autrui bien spécifiques à l’homme. Quelles en sont alors les conséquences sur la vie de l’homme ? Ce sera l’objet de la troisième et dernière partie de ce texte.

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Troisième partie

"C'est pourquoi l'animal n'a qu'une vie simple et l'homme une vie double : chez l'animal la vie intérieure se confond avec la vie extérieure, l'homme au contraire possède une vie intérieure et une vie extérieure. La vie intérieure de l'homme, c'est sa vie dans son rapport à son espèce, à son essence."

Dans cette dernière partie, Feuerbach va alors distinguer deux dimensions, niveaux ou degrés de vie de l’homme, dont une seule composante n’est commune avec les animaux (et c’est d’ailleurs la seule que possèdent les animaux) : «l'animal n'a qu'une vie simple et l'homme une vie double». Cette affirmation découle directement de l’analyse que nous venons de faire («C'est pourquoi»). La vie simple de l’animal se définit par défaut par rapport à la vie double de l’homme. Et cette vie double c’est à la fois sa «vie intérieure» et sa «vie extérieure». Cette dernière étant ce qui est en commun entre l’homme et l’animal, la différence entre les deux réside dans la vie intérieure.

Parler de vie intérieure a un sens fort, cela semble se référer à l’introspection, le fait de pouvoir s’objectiver pour devenir l’objet de sa propre conscience, en tant qu’espèce et en tant qu’essence (l’introspection c’est l’observation d’une conscience individuelle par elle-même, en vue d’une fin spéculative, soit en vue de connaître l’esprit individuel en tant qu’individuel, soit en vue de connaître l’esprit individuel en tant que type immédiatement observable de l’âme humaine en général, ou même de tout esprit, quel qu’il soit). Or, à première lecture ces dénominations semblent paradoxales puisque nous pourrions penser que penser en tant qu’espèce n’est pas un fait introspectif.

Cependant, pour Feuerbach, penser notre propre essence, en tant qu’être humain c’est penser l’espèce, c’est voir l’autre, voir au-delà de soi-même. Nous touchons ici au point de vue hégélien que nous avions mentionné en introduction : l’homme est à la fois moi et toi. Tout se réunit dans l’Un. Au contraire, la vie de l’animal ne se définit que dans le rapport à l’altérité qu’il ne peut connaître en lui-même et il n’est pas possible pour lui de faire ces raisonnements qui lui permettent à chaque instant d’appréhender autrui comme un semblable, comme appartenant à une espèce. La vie de l’animal est dans l’instant et cela ne lui permet pas la généralisation nécessaire.

Pour extrapoler le texte de Feuerbach et en parlant en termes biologiques, nous pourrions dire dans un style contemporain que la vie extérieure de l’animal c’est comme la penser en termes de stimulus-réponse, par rapport aux stimulations externes mais aussi internes. Et en nous servant des distinctions précédemment définies, la vie extérieure tient dans la perception, mais la connaissance claire et distincte tiendrait, elle, de la vie intérieure. Et l’animal se verrait dénué de toute capacité introspective. Il reste encore un dernier problème dans ce texte : «la vie intérieure se confond avec la vie extérieure». Il semblerait ici que la vie intérieure ait un statut plus élevé que la vie extérieure et que sa présence nous permette de repérer une activité pensante supérieure.



Conclusion

Le projet de Feuerbach dans ce texte était de proposer une distinction fondamentale et ontologique entre l’homme et l’animal, cette distinction permettant d’établir toutes les autres (distinction politique par exemple). La première étape du raisonnement consistait en une distinction entre conscience au sens large et conscience au sens strict et plus précisément en une définition du sens large, sens que nous avons rapproché de celui de perception interne et externe.

La deuxième partie du texte s’attachait, quant à elle à la définition de la conscience au sens (le plus) strict : c’est alors la connaissance qu’a l’homme de son essence et son espèce ; la conscience est ici à prendre au sens de ‘faire science avec’ et renvoie à l’idée d’inférences possibles sur des classes d’objet, i.e. du général.

Enfin, la troisième partie nous permettait de délimiter deux niveaux de vie chez l’homme : le niveau extérieur qu’il partage avec l’animal et qui se rapporte à la perception et le niveau intérieur qui lui se rapporte à la capacité d’introspection. C’est ce niveau qui est spécifique à l’homme et qui lui permet de projeter l’image sublimée qu’il se fait de lui-même et de se nier en tant qu’individu afin de (se) former une idée de Dieu à son image. C’est en cela qu’est fondamentale la distinction entre l’homme et l’animal chez Feuerbach : elle lui permet de comprendre l’idée de Dieu comme un universel forgé par l’homme de par la sublimation et la négation du particulier (et donc de sa finitude) qu’elle suppose. Et cela, si l’on suit Feuerbach, l’animal n’en est pas capable (18), l’animal n’est pas doué de capacité d’abstraction.

Emmanuelle Curatolo-Chaussard
professeur de philosophie

notes

1 - Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, II, p. 689-90 (5ème éd., 1991).
2 - L’ontologie c’est l’étude de l'être des choses
.
3 - Définition du Petit Larousse.

4 -  Pour l’origine du problème de la connaissance du monde extérieur, voir Descartes, Méditations Métaphysiques.
5 - Nous faisons référence à l’étymologie du mot : perceptio, ‘la récolte’ et percipere, ‘se saisir de’.
6 -
Luyat, La perception.
7 - Nous soulignons.
8 - In Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Le critère d’une espèce en biologie est un critère de reproduction : si deux individus peuvent se reproduire ensemble alors ils font partie d’une même espèce.
9 - Voir Aristote, Métaphysique pour la distinction nécessaire/contingent.

10 - Ibid.
11 - En logique, nous dirions que l’individu est le représentant de sa classe espèce.
12 - Kant, Critique de la raison pure.
13 - Lalande, Op. Cit.
14 - Pour les idées claires et distinctes, voir Descartes, Discours de la méthode et Spinoza, L’Éthique.
15 - Nous soulignons.

16 - Sur l’empathie, voir Alain Berthoz et son livre du même nom.
17 - Pour d’autres critères de scientificité, voir : Kant, Prolègomènes à toute métaphysique future ; Bacon, Novum Organun ; Popper, Logique de la découverte scientifique ; Kuhn, La structure des révolutions scientifiques ; Comte, Cours de philosophie positive, et les articles de W. Hanson (sur l’abduction).

18 - Au sujet de cette projection, qui s’insère dans la pensée de la dialectique hégélienne, voir Hegel et sa référence à l’Appendice au chapitre 1 de L’Éthique de Spinoza, dans ses cours sur l’histoire.




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petit échange Facebook

Emmanuelle Curatolo Chaussard
Emmanuelle Curatolo-Chaussard, professeur de philosophie
J'attends ta présentation et après je balance quelques pistes de réflexion et une esquisse d'introduction. J'avais peur que ce soit pour cette semaine, mais si c'est pour lundi ça laisse du temps !
2 novembre, à 17:01

Michel Renard
Michel Renard
, professeur d'histoire
- ... ma présentation... ce ne sont que quelques réflexions sur la lecture d'Anne Durand-; en fait, la distinction homme/animal n'est pas centrale dans la problématique de Feuerbach ; il ne s'attache pas à développer cette distinction ; il ne fait qu'affirmer que la religion est le propre de l'homme et donc qu'on ne saurait la traiter comme une aberration...
2 novembre, à 19:13

 Emmanuelle Curatolo Chaussard
Emmanuelle Curatolo Chaussard, professeur de philosophie
Ça peut toujours servir pour l'explication de texte. Quand un auteur ne considère pas comme cruciale une distinction mais qu'il la fait tout de même à un moment de sa pensée, ça revêt tout de suite une signification particulière : pourquoi, lui qui n'y accorde pas d'importance en général, en a-t-il besoin à cet instant particulier ? C'est une bonne question à se poser... et la réponse se trouve au tout début du texte : "la plus simple et la plus générale des réponses, mais aussi la plus populaire".

Il se sert de la pensée du vulgaire ou alors du sens commun (le statut peut être ambigu dans sa phrase, ce qui accentue la réflexion, même si on travaille sur une traduction, on la suppose fidèle), sûrement pour étayer une thèse plus vaste, mais l'extrait s'en arrête à la définition de l'essence de l'homme en utilisant une stratégie de différentiation d'avec l'animal (ce qui est assez commun, mais sa réponse à la question est moins triviale que ce qui n'y parait à première lecture).

Si des terminales lisent ce qu'on écrit là, c'est important de voir que le genre de questions que je viens de poser, la façon dont je questionne le texte, c'est exactement ce qu'on vous demande pour une explication : questionnement sur les concepts mis en jeu, sur l'auteur (son originalité par rapport aux autres auteurs, l'originalité de ce texte par rapport à son oeuvre) et sur son style (les mots et tournures employées).

2 novembre, à 20:29





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textes d'autres philosophes

sur la conscience humaine

comparée à la conscience animale


descartes

Descartes

Pour ce qui est de l’entendement ou de la pensée que Montaigne et quelques autres attribuent aux bêtes, je ne puis être de leur avis. Ce n’est pas que je m’arrête à ce qu’on dit, que les hommes ont un empire absolu sur tous les autres animaux ; car j’avoue qu’il y en a de plus forts que nous, et crois qu’il y en peut aussi avoir qui aient des ruses naturelles, capables de tromper les hommes les plus fins.

Mais je considère qu’ils ne nous imitent ou surpassent qu’en celles de nos actions qui ne sont point conduites par notre pensée ; car il arrive souvent que nous marchons ou mangeons, sans penser en aucune façon à ce que nous faisons ; et c’est tellement sans user de notre raison que nous repoussons les choses qui nous nuisent, et parons les coups que l’on nous porte, qu’encore que nous voulussions expressément ne point mettre nos mains devant notre tête, lorsqu’il arrive que nous tombons, nous ne pourrions nous en empêcher. Je crois aussi que nous mangerions, comme les bêtes, sans l’avoir appris, si nous n’avions aucune pensée ; et l’on dit que ceux qui marchent en dormant, passent quelquefois des rivières à la nage, où ils se noieraient, étant éveillés.

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John Everett Millais (1829-1896)
Une somnambule, vers 1871
Huile sur toile
  Bolton, Museums and Art Gallery

Pour les mouvements de nos passions, bien qu’ils soient accompagnés en nous de pensées, à cause que nous avons la faculté de penser, il est néanmoins très évident qu’ils ne dépendent pas d’elle, parce qu’ils se font souvent malgré nous, et que, par conséquent, ils peuvent être dans les bêtes, et même plus violents qu’ils ne sont dans les hommes, sans qu’on puisse pour cela conclure qu’elles ont des pensées.

Enfin, il n’y aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent, que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion.

Je dis les paroles ou autres signes parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix ; et que ces signes soient à propos, pour exclure le parler des perroquets, sans exclure celui des fous, qui ne laisse pas d’être à propos des sujets qui se présentent, bien qu’il ne suive pas la raison ; et j’ajoute que ces paroles ou signes prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu’une de ses passions ; à savoir, ce sera un mouvement de l’espérance qu’elle a de manger, si l’on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu’elle l’a dit ; et ainsi toutes les choses qu’on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que les mouvements de leur crainte, de leur espérance, de leur joie, en sorte qu’ils les peuvent faire sans aucune pensée.

Or, il est, ce me semble, fort remarquable que la parole ainsi définie, ne convient qu’à l’homme seul. Car, bien que Montaigne et Charron aient dit qu’il y a plus de différence d’homme à homme que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eut point à ses passions ; et il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées.

Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leurs manquent. Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles mais que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient.

Descartes : Lettre au marquis de Newcastle (23 Novembre 1646)

* prolation : terme de grammaire. Action de proférer. La prolation d'un alexandrin est plus majestueuse que celle d'un octosyllabe. Terme de musique. Prolongation de son par la voix, soit dans les roulements, soit dans les cadences.


bergson

Bergson

«Radicale est la différence entre la conscience de l’animal, même le plus intelligent, et la conscience humaine. Car la conscience correspond exactement à la puissance de choix dont l’être vivant dispose ; elle est coextensive à la frange d’action possible qui entoure l’action réelle : conscience est synonyme d’invention et de liberté.

Or, chez l’animal, l’invention n’est jamais qu’une variation sur le thème de la routine. Enfermé dans les habitudes de l’espèce, il arrivera sans doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il n’échappe à l’automatisme que pour un instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau : les portes de sa prison se referment aussitôt ouvertes ; en tirant sur sa chaîne il ne réussit qu’à l’allonger. Avec l’homme, la conscience brise la chaîne. Chez l’homme, et chez l’homme seulement, elle se libère. »

Bergson, L'évolution créatrice (1907)


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feuerbach












Gedanken über Tod und Unsterblichkeit (1830)



sur la pensée de Feuerbach

Ludwig Feuerbach (1804-1872) : la religion de l’Homme
par Anne Durand (doctorante en philosophie, Paris I-Sorbonne)

À partir de son ouvrage Pensées sur la mort et l’immortalité (1), puis dans L’Essence du christianisme (2), Ludwig Feuerbach entend opérer une critique de la religion dont le résultat sera le fondement d’une anthropologie. De façon schématique, on peut dire que Feuerbach montre dans les Pensées sur la mort et l’immortalité que la croyance en un Dieu personnel et la croyance en une vie éternelle sont liées, et que, pour se réapproprier la vie terrestre, il est nécessaire de renoncer à la croyance en Dieu.

Dans l’Essence du christianisme, il s’attache à définir ce qu’est l’objet religieux proprement dit, à savoir, par quel processus l’homme pose hors de lui un être transcendant, Dieu, dans lequel il aliène nombre de ses propres qualités.

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Dans les Pensées sur la mort et l’immortalité, Feuerbach explique d’abord de quelle façon l’homme crée Dieu. Il montre que le Dieu personnel est en effet le fruit d’une abstraction du Soi que le sujet objective en un être extérieur auquel il donne une existence réelle par le nom de Dieu.

Ce Dieu n’est donc autre que l’essence humaine objectivée et non reconnue comme telle par le croyant. Dieu est le Je qui s’ignore et s’objective dans une essence particulière. La contradiction est là, précisément dans cet être à la fois personnifié et infini. Pour reprendre les termes de l’auteur : «On ne trouve donc rien en Dieu qui ne serait pas dans la personnalité finie ; on trouve en Dieu la même chose, le même contenu qu’en l’homme.» (Feuerbach, 1991 : 55-56.) Or cet être hors de la nature, éternel… est le mode d’existence de l’homme.

Qui a un Dieu éternel ne saurait réellement mourir. Qui se projette dans un être supra-mondain, ne peut pas réellement avoir sa vérité et sa véritable vie dans ce monde. De la croyance en ce Dieu personnel découle donc la négation de la nature et par là même de la mort.
«Par conséquent, la mort qui rayonne jusque dans les profondeurs de tout être et de toute connaissance ne sera saisie que comme une négation superficielle, externe, produite par la nécessité externe de toute existence naturelle et ne touchant que l’enveloppe externe de l’individu et non pas comme une négation interne qui s’élève et pénètre le cœur. La mort n’est qu’un casse-noix qui ne rompt que la coquille externe qui enveloppe l’individu afin de faire apparaître pour lui-même son noyau savoureux et pulpeux.» (Feuerbach, 1991 : 56.)

«Connais-toi toi-même». C’est donc à cela qu’invite Feuerbach dans L’Essence du christianisme, fort des acquis des Pensées sur la mort et l’immortalité. Car nous n’avons pas pleine conscience ou pleine possession de nous-mêmes. Ce qu’entend dévoiler Feuerbach, c’est l’essence authentique de la religion, c’est-à-dire son fond anthropologique, puis son essence inauthentique, c’est-à-dire théologique.

Ces deux points structurent d’ailleurs LEssence du christianisme. Son projet, plus généralement, consiste à montrer la vérité anthropologique de la conscience religieuse et de quelle façon l’homme en vient à poser hors de lui-même, dans un être transcendant, ses propres déterminations. «À partir de son Dieu, tu connais l’homme, et inversement, à partir de l’homme son Dieu : les deux ne font qu’un.» (Feuerbach, 1973 : 130.) Il ne s’agit donc pas pour Feuerbach de critiquer en soi la conscience religieuse puisque cette dernière est inhérente à l’homme. Feuerbach annonçait cela au tout début de l’introduction de L'essence du christianisme : «La religion repose sur la différence essentielle de l’homme et de l’animal.» (Feuerbach, 1973 : 117.)

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À la différence de l’animal, l’homme a une religion parce qu’il a conscience de son genre, c’est-à-dire du genre humain auquel il appartient. Le but de Feuerbach est alors de montrer le fond véridique de la conscience religieuse, à savoir l’homme lui-même, de montrer que ce qui est divin (3) en l’homme n’a pas besoin d’être recherché dans un être transcendant. Bref, il faut dévoiler la vérité anthropologique de la religion. D’abord il y a ce qui est de l’ordre du fait, le fait religieux ; puis il y a la croyance en Dieu qui est une illusion. Cette vérité anthropologique, c’est ce que nie la théologie, y compris dans son versant spéculatif.

«Lorsque la religion avance en années et avec les années progresse en entendement, lorsqu’à l’intérieur de la religion s’éveille la réflexion sur la religion, lorsque commence le crépuscule de la conscience de l’unité de l’essence divine avec celle de l’homme, bref, lorsque la religion devient théologie, alors la séparation originairement innocente et involontaire de Dieu et de l’homme devient une distinction intentionnelle, érudite, qui n’a d’autre but que l’évacuation hors de la conscience de cette unité qui s’y est déjà introduite.» (Feuerbach, 1973 : 345.)

La distinction intentionnelle est le fait volontaire de la théologie qui, une fois arrivée à un certain progrès de la conscience religieuse, nie paradoxalement tout caractère humain à Dieu pour n’en faire qu’un être rationnel ou un absolu. «La conscience de Dieu est la conscience de soi de l’homme» (Feuerbach, 1973 : 129), c’est la vérité voilée de la religion et c’est ce que nie la théologie. Certes, le croyant ne reconnaît pas l’homme ni moins encore l’essence humaine dans le Dieu qu’il prie. Pourtant, c’est en dévoilant cette identité par la philosophie et en ne la laissant pas être à nouveau voilée par la théologie que Feuerbach entend fonder une anthropologie.

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La philosophie anthropologique
Pour sortir de ce schéma, il ne faut plus faire une critique religieuse de la religion mais au contraire une critique philosophique qui vise à découvrir ce qu’est l’essence de la religion, indépendamment des religions déterminées. Or, découvrir l’essence de la religion signifie rechercher de quelle façon l’homme peut prendre conscience de lui même (puisque la religion est le signe de la conscience de soi) et dans le même temps aliéner cette même conscience dans un autre (puisqu’il n’est pas conscient que Dieu n’est autre que l’extériorisation de son essence humaine).

Feuerbach explique ce phénomène d’extériorisation ou de projection de la façon suivante : «L’homme – tel est le mystère de la religion – objective son essence, puis à nouveau fait de lui-même l’objet de cet être objectivé, métamorphosé en un sujet, une personne.» (Feuerbach, 1973 :147-148.)

Nous percevons ici deux moments : un premier moment où l’homme-sujet objective son essence en Dieu. Puis un second moment où Dieu devient le sujet de l’homme. L’homme devient donc dans ce deuxième temps dépendant et inférieur à Dieu. Ce travail d’éclaircissement une fois effectué, Feuerbach est en mesure de proposer un renversement, c’est-à-dire que l’homme doit reprendre sa juste place à savoir celle d’homme-sujet. Après avoir nié en lui ce qu’il avait affirmé en Dieu, l’homme doit affirmer en lui-même ce qu’il doit nier en Dieu. Il doit retrouver ses qualités dans un mouvement de projection puis de réappropriation.

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«Homo homini deus est» -
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Lorsque son essence est identifiée comme sienne : «Homo homini deus est» (l’homme est un dieu pour l’homme), l’homme se réapproprie ses déterminations et ses qualités, ce qu’il allait chercher dans un au-delà, qu’il aliénait en un Dieu transcendant. Ce qui était transcendant devient alors immanent. L’homme peut alors accorder à sa vie terrestre et à tout ce qu’il avait sacrifié en Dieu la place qui lui revient. En revanche, cela ne fait pas disparaître la religion, puisque celle-ci est intrinsèque à l’homme, elle se transforme donc en une religion de l’Homme.

Dans Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande (4), Friedrich Engels a reproché à Feuerbach de maintenir une religion vidée de son sens puisque ne correspondant plus à une religion réelle. Pour Engels, Feuerbach eut le tort de donner à la religion sa signification étymologique de «lien» (religio) et à partir de cette définition, d’avoir rendu tout à fait abstraits les rapports humains. Engels écrit : «[Feuerbach] devient tout ce qu’il y a de plus abstrait dès qu’il s’agit des relations humaines autres que des rapports sexuels» (Engels, 1901 : 196).

Feuerbach serait passé à côté de ce qui conditionne pour bonne part les rapports humains, notamment les rapports sociaux et économiques. De la part de Max Stirner, dans L’Unique et sa propriété (5), la critique vient plutôt de la reconduction d’une entité abstraite, c’est-à-dire l’Homme en tant qu’essence humaine ou genre humain, alors que Stirner n’affirme que l’existence des individus. Ainsi, Stirner reproche à Feuerbach de considérer «le genre, l’homme, [comme étant] une abstraction, une idée pour notre être vrai, à la différence du moi individuel et réel qu’il tient pour l’inessentiel.» (6) (Feuerbach, 2001 : 228.) Ces deux questions se recoupent car elles posent dans les deux cas la question du lien ou du rapport à autrui.

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Feuerbach oppose à Stirner les points essentiels de sa doctrine: l’individu sensible, «vrai et réel» se trouve au centre de sa philosophie, mais il n’en fait pas pour autant une entité abstraite car il n’y a pas d’individu isolé. C’est cette conception de Stirner qui est en soi une abstraction, dont la prise en compte du sensible aurait dû le prémunir. Car, s’il peut se concevoir comme unique en pensée, la sensibilité le ramène naturellement à la communauté. Dans L’Essence du christianisme dans son rapport à L’Unique et sa propriété, Feuerbach écrit : «Obéis aux sens! […] Comme mâle tu te rapportes essentiellement, nécessairement à un autre moi ou être : à la femme. Pour te reconnaître comme individu, je ne dois donc pas limiter à toi seul ma reconnaissance, il me faut en même temps, l’étendre au-delà de toi, à ta femme. La reconnaissance de l’individu est nécessairement reconnaissance de deux individus.» (Feuerbach, 2001 : 231.)

Feuerbach lui-même ne se définissait pas comme athée. Certes, il proclame la mort de Dieu, mais c’est pour mieux diviniser l’homme. De plus, il entend retrouver grâce à la nouvelle religion, «la religion de l’homme», les principes fondamentaux du christianisme niés par le christianisme en acte. Or Feuerbach a montré que l’essence humaine était présente dans la religion révélée, de façon aliénée et inconsciente certes, mais tout de même là. Chez Feuerbach, il n’est pas question de fonder une nouvelle humanité après la mort de Dieu, il s’agit au contraire de découvrir cette humanité (7).

Pour le dire plus simplement, Feuerbach est plus archéologue qu’inventeur. Mais Feuerbach permet aussi de résoudre à travers sa conception du rapport à autrui tant critiqué par Engels le problème de la réification, cette volonté de dire tout de l’homme à travers les sciences humaines, économiques ou le droit. L’étude uniquement sociale ou économique des rapports humains ne cernerait pas précisément ce qui est humain dans ces rapports. Ainsi, dans les Thèses provisoires pour la réforme de la philosophie, il cite le § 190 du Droit naturel de Hegel : «Dans le droit, c’est la personne qui est l’objet, dans la morale c’est le sujet, dans la famille le membre de la famille». (Feuerbach, 2001 : 128.).

Or Feuerbach l’affirme : «toute spéculation sur le droit, la volonté, la liberté, la personnalité, qui se passe de l’homme, se situe hors de l’homme ou même au-dessus de lui, est une spéculation sans unité, sans nécessité, sans substance, sans fondement, et sans réalité» (ibid.) Dans les Manuscrits de 1844, Karl Marx soutenait encore ce fond intrinsèquement humain, indépendant des considérations purement économiques. Il dénonçait par exemple le fait que l’économie politique ne considérait pas l’homme «dans le temps où il ne travaille pas, en tant qu’homme» (Marx 1996 : 63).

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Karl Marx, vers 1844

Marx définissait alors le communisme comme «appropriation réelle de l’essence de l’homme par l’homme», comme «retour complet de l’homme à lui-même en tant qu’être pour soi, c’est-à-dire en tant qu’être social» (ibid.). Or, il est difficile de ne pas y voir un écho aux propos de Feuerbach dans L’Essence du christianisme dans son rapport à lUnique et sa propriété : «il [Feuerbach] transpose dans la communauté seulement l’essence de l’homme – Feuerbach est l’homme communautaire, communiste» (Feuerbach, 2001 : 241). Feuerbach ne nie pas l’idée d’infini ou d’immortalité, il nie seulement l’idée d’infini ou d’immortalité personnelle. Et la religion est précisément la conscience de l’infini. L’individu fini est conscient de son essence infinie, humaine, qui s’exprime socialement.

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Conséquences éthiques et praxis sociale
Mais la négation de la religion chrétienne entraîne-t-elle nécessairement une négation des valeurs et de la morale qui s’y rattachent? Feuerbach ne nie pas les valeurs chrétiennes puisque nous l’avons vu, il les reconduit. Seulement, cette reconduction de la religion s’effectue sans les dogmes religieux, parce que non seulement ceux-ci sont souvent contraires à la vraie signification de la religion, mais plus encore parce qu’ils ne garantissent en rien l’attitude morale.

Ce point précis est approfondi dans Pierre Bayle. Ein Beitrag zur Geschichte der Philosophie und Menscheit (8) (Feuerbach, [1838] 1967). Dans cet ouvrage, plus encore que la critique des dogmes, Feuerbach démontre la possibilité d’une morale athée. Mieux, Feuerbach rend grâce à Pierre Bayle d’avoir montré qu’un État d’athées était concevable, ce qui revient à dire que l’État peut se maintenir et fonctionner sans recourir nécessairement aux dogmes religieux.

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Pierre Bayle, 1647-1706

En fait, la démonstration de Bayle s’appuie sur la constatation d’un fait évident. Dans les Réponses aux questions d’un Provincial (Œuvres diverses IV, 965-66), après avoir critiqué la pratique du duel pour l’honneur par ceux-là mêmes qui prient pour que leurs péchés soient pardonnés comme ils ont eux-mêmes pardonné à ceux qui les ont offensés, Bayle ajoute : «Vous ferez la même remarque par rapport à toutes les choses que le christianisme a condamnées, et que les Chrétiens ne laissent pas de considérer comme honorables selon le monde.»

Il insiste dans les Pensées sur la comète (Od. III, § 145) : «puisque l’expérience nous montre que ceux qui croient [au] paradis et [à l’]enfer sont capables de commettre toute sorte de crimes, il est évident que l’inclinaison à mal faire ne se trouve pas plus dans une âme destituée de la connaissance de Dieu que dans une âme qui connaît Dieu».

Feuerbach insiste sur ces passages de Bayle parce qu’ils montrent que non seulement l’athée n’est pas nécessairement plus immoral que le croyant mais que plus encore, il est même susceptible d’être plus moral que ce dernier, car la raison, seule boussole morale de l’athée ne lui donnera pas les motifs de faire le mal que la religion donne parfois aux croyants. Cette défense de la raison comme seul guide de la morale est alors poursuivie par Feuerbach au travers d’une critique de la théologie qui fonde le Bien, la Justice et le Droit en Dieu.

La critique porte sur le fait que Dieu a, entre autres prédicats, la toute-puissance qui en soi est contraire à la fondation du juste, puisque Dieu peut faire que ce qui est juste devienne injuste ou que l’injuste devienne juste. Poser ces valeurs en Dieu, c’est donc les rendre arbitraires. Mais plus encore c’est les rendre dépendantes de notre volonté de plaire à Dieu. Car si le Bien est en Dieu, en un Dieu personnel, alors c’est pour plaire à ce Dieu que l’on fait le Bien. Feuerbach, dans la droite ligne de Bayle, encore une fois use du renversement et montre que si le droit, la justice, le Bien… sont fondés en Dieu, c’est en fait qu’ils sont divins, c’est-à-dire qu’ils comptent pour ce qui a le plus de valeur pour l’homme.

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Et c’est sur ce point, que Feuerbach fait alors l’apologie d’Emmanuel Kant et Johann Gottlieb Fichte (9) pour avoir su rendre la philosophie indépendante de la théologie et en conséquence avoir pu poser l’éthique de façon autonome.

«C’est donc une sainte tâche de l’humanité que de saisir en son autonomie l’Éthique ;  toutes les autres représentations théologiques la défiguraient, la souillaient, l’obscurcissaient. C’est seulement chez Kant et Fichte, où, pour son salut et le salut de l’humanité, la philosophie se saisit en son autonomie, indépendamment de la théologie, ce fut seulement chez eux que l’Idée éthique parvint à l’existence en sa pureté et sa clarté.» (Feuerbach, 1967 s., t.V : 210.)

L’autonomie éthique repose chez Kant et Fichte sur la raison, et la raison pour Feuerbach est nécessairement raison humaine. Non seulement, l’athéisme ou la non croyance en un Dieu personnel ne ruine pas toute morale ou éthique, mais plus encore, ce n’est que fondée en raison que l’éthique est définitivement assurée.

Une organisation sociale athée ou un État athée n’est donc pas en soi condamnable au motif qu’il ferait nécessairement disparaître toute morale. Le rationalisme non seulement préserve l’éthique mieux que ne le fait la théologie, mais plus encore il permet de se préoccuper des conditions réelles de vie.
La philosophie nouvelle autrement appelée philosophie de l’avenir qu’entend fonder Feuerbach (10) a pour but de faire descendre la philosophie «de la béatitude d’une pensée divine et sans besoins, dans la misère humaine» (Feuerbach, 2001 : 131).

L’histoire philosophique, au travers des critiques de Marx notamment, à partir des Thèses surideologie_all_L25 Feuerbach et de L’Idéologie allemande, a laissé de la philosophie de Feuerbach une image biaisée : Feuerbach a certes effectué une critique de la religion nécessaire, mais il aurait laissé une philosophie inopérante. Or, Feuerbach est on ne peut plus clair sur sa démarche dès la préface de L'Essence du christianisme : «Le contenu de cet écrit est bien pathologique ou physiologique, mais son but n’en est pas moins thérapeutique ou pratique.» (Feuerbach, 1973 : 93.)

Le but est de dénoncer une conception tant religieuse que philosophique qui, lorsqu’elle ne nie pas simplement l’humain, ne le considère que sous sa forme la plus abstraite ou incorporelle. Pour cela, Feuerbach s’attache à dévoiler ce que sont la religion et la théologie, et à mesure que le voile tombe, à réintroduire ce qui est de l’ordre du corporel et de l’interpersonnel.

La conséquence de cette démarche pour la praxis sociale ou politique est simple et exposée dans la Nécessité d’une réforme de la philosophie :  «dans la religion chrétienne tu as ta république dans le ciel, c’est pourquoi tu n’en as nul besoin sur terre. Bien au contraire, il faut que tu sois esclave sur terre, pour que le ciel ne soit pas vain» (Feuerbach, 2001 : 106-7).

Donc le christianisme est «une religion qui détruit l’énergie politique des hommes». Feuerbach ne fait ni la théorie du droit ni celle de l’économie. En revanche, il entend donner les conditions de possibilité d’une action politique réelle et ces conditions tiennent à la critique tant de la religion que de la théologie spéculative rationalisée, c’est-à-dire de la critique de Hegel. Il s’agit de dénoncer soit la religion qui crée un au-delà dévalorisant le monde d’ici-bas, soit la théologie et la spéculation qui à force d’abstraction nient l’homme dans sa réalité sensible et concrète.

Pour citer à nouveau l’ouvrage sur Bayle, il s’agit : «[du] conflit de Dieu et du monde, du ciel et de la terre, de la grâce et de la nature, de l’esprit et de la chair, de la foi et de la raison. Le combat entre l’Église et l’État était seulement l’expression extérieure apparente et politique des divergences internes et enfouies de l’humanité. Où l’humanité fait un avec elle-même, son monde ne peut pas se diviser en deux» (Feuerbach, 1967 s., t.V : 7).

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Donc, l’homme qui ne pose plus son essence aliénée dans un être transcendant, l’homme qui n’a plus foi en une vie éternelle après la mort, cet homme-là est capable d’agir politiquement, socialement dans ce monde. Toute la philosophie de Feuerbach tend vers un seul but : rendre un tel homme apparent.
La philosophie de Feuerbach, immanente et rationnelle, donne les conditions de possibilités d’une praxis sociale et éthique. Or, ces conditions de possibilités ne sont pas posées arbitrairement, elles découlent au contraire naturellement des acquis de son anthropologie. Ainsi, si l’action politique, c’est-à-dire collective est possible, c’est parce que l’homme est en mesure de reconnaître le tout que forme l’humanité, c’est-à-dire cette pluralité.

Il fallait donc un retour à l’Homme (aux hommes) et au mondain pour rendre une politique possible. Le christianisme est alors nié pratiquement : «Le christianisme […] n’est plus qu’une idée fixe, qui se trouve dans la contradiction la plus criante avec nos compagnies d’assurances – incendie et – vie, nos chemins de fer et nos locomotives…» (Feuerbach, 1973 : 113.) La seule raison alors pour faire perdurer cette illusion, c’est l’intérêt politique qu’il y a à le faire croire. Bref, ce que dénonce Feuerbach c’est un état politique (11) en total contradiction avec la conscience de soi de l’homme. Or, dans Nécessité d’une réforme de la philosophie, Feuerbach soutient que le «besoin fondamental de l’humanité présente [est] le besoin de liberté politique» (Feuerbach, 2001 : 103).


notes

1. Gedanken über Tod und Unsterblichkeit, la première édition, anonyme, date de 1830.
2. La première édition de Wesen des Christentums date de 1841.
3. Ce qui est divin en l’homme signifie chez Feuerbach les qualités supérieures de l’homme que l’on prête, dans la religion révélée, à un Dieu transcendant : volonté, intelligence, amour. Voir sur ce point le premier chapitre de l’Essence du christianisme.
4. Ludwig Feuerbach und der Ausgang der klassischen deutschen Philosophie, publié en 1886.
5. Der Einzige und sein Eigenthum, publié en 1845.
6. Cette phrase de Stirner est donnée telle que citée par Feuerbach dans L’Essence du christianisme dans son rapport à L’Unique et sa propriété (Über das «Wesen des Christentums». in Beziehung auf den «Einziger und sein Eigenthum», publié en 1845).
7. Sur ce point Feuerbach se distingue nettement d’autres penseurs de la mort de Dieu, tels que Dostoïevski ou Nietzsche. Sur ce thème, cf. Lubac (1983).
8. Toutes les citations de Bayle sont extraites de l’ouvrage de Feuerbach.
9. Certaines pages sont presque exclusivement consacrées à Kant et Fichte dans l’ouvrage sur Bayle.
10. Feuerbach parle de «philosophie nouvelle» dans les textes des années 1840 postérieurs à l’Essence du christianisme. Les Manifestes philosophiques rassemblent les textes les plus importants qui s’y rapportent.
11. Il s’agit en l’occurrence de la période du Vormärz, période d’intense activité politique ou d’engagement de la part des jeunes hégéliens.

Anne Durand
tr@jectoires – n° 2 – novembre 2008 - source
LUDWIG FEUERBACH : LA RELIGION DE L’HOMME

Bibliographie
ENGELS, Friedrich ([1886] 1901) : Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, in : Religion, Philosophie, Socialisme. Paris (Librairie G. Jacques).
FEUERBACH, Ludwig ([1838] 1967) : Pierre Bayle. Ein Beitrag zur Geschichte der Philosophie und Menschheit, in : Gesammelte Werke. t. IV (S. e. al, éd.). Berlin (Akademie Verlag).
— ([1841] 1973) : L’Essence du christianisme. Paris (François Maspéro).
— ([1845] 2001) : L’Essence du christianisme dans son rapport à L’Unique et sa propriété. Nécessité d’une réforme de la philosophie. Thèses provisoires pour la réforme de la philosophie, in : Manifestes philosophiques, textes choisis (2e édition). Paris (PUF).
— ([1830] 1991) : Pensées sur la mort et l’immortalité. Paris (Éditions du Cerf).
LUBAC, Henri (de) (1983) : Drame de l’humanisme athée. Paris (Éditions du Cerf).
MARX, Karl (1996) : Manuscrits de 1844. Paris (Flammarion).
STIRNER, Max ([1845] 2000) : L’Unique et sa propriété. Paris (Table ronde).

dossier : M. Renard


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21 juillet 2011

La Reine Margot

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La Reine Margot

histoire, roman, film

 

La Reine Margot est un personnage historique, Marguerite de Valois (1553-1615), soeur de trois rois de France, première épouse de Henri de Navarre en 1572 (devenu Henri IV), objet du roman historique d'Alexandre Dumas (1845) et de plusieurs films dont celui de Patrice Chéreau (1994).

Ouvrage donné à lire aux anciens élèves de Seconde qui passent en Premère Littéraire, par leur professeur de Lettres pendant l'été 2011.

Je l'ai moi-même lu fin juillet 2011. Les distorsions avec la réalité historique sont évidemment gênantes pour un historien. Mais le souffle du roman l'emporte tout de même. Dumas a restitué une atmosphère assez proche de la réalité même s'il a mélangé les circonstances. Et chargé outre-mesure les Valois et notamment Catherine de Médicis.

 

histoire dynastique

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la dynastie des Valois à partir de François 1er. À partir de 1559, Catherine exerce
la réalité du pouvoir... (
©Michel Renard)

 

le roman d'Alexandre Dumas

Époque du récit 1572 à 1574

Résumé Catherine de Médicis règne, toute puissante, sur la France que gouverne tant bien que mal Charles IX, et sur ses enfants : ses fils, Charles évidemment, Henri duc d'Anjou, François duc d'Alençon, et sa fille Marguerite. Le roman s'ouvre sur le mariage de Marguerite de Valois, surnommée Margot, et Henri de Bourbon, roi de Navarre. Ce mariage entre une catholique et un protestant est destiné à ramener la paix dans le royaume. Mais Catherine et le roi Charles IX se préparent dans l'ombre à mater le parti protestant. Les frères de Charles complotent également pour prendre sa place et Henri de Navarre ne songe qu'à défendre sa vie.

Intrigues, alliances, complots, trahisons vont se succéder tandis que Margot entretient une tendre liaison avec un gentilhomme protestant, La Mole. Commence alors une lutte âpre et sans merci entre les deux camps, dont le point d'orgue sera le massacre de la Saint-Barthélémy. Charles IX, roi fantasque, d'une méfiance maladive, et perpétuellement sous l'influence de sa mère, finit par se prendre réellement d'amitié pour son beau-frère Henri (le futur Henri IV), au grand dam de Catherine de Médicis.

Après bien des évènements tragiques, Charles IX succombe à un mystérieux empoisonnement et meurt sans pouvoir assurer le trône à Henri de Navarre. C'est donc le duc d'Anjou, qui entre temps a été sacré roi de Pologne, qui revient en France pour prendre la succession de son frère, sous le nom d'Henri III. Quant à Margot, elle ne peut sauver son amant, que l'on accuse de la mort du roi, et doit fuir sur les terres de son époux, qu'elle n'a jamais cessé de soutenir.

Analyse Dumas s'est plongé avec bonheur dans cette période trouble, restituant avec talent le vieux Louvre et ses fêtes incroyables, où les protagonistes se perdent, se croisent et s'épient dans le labyrinthe des passages secrets. Tout le monde intrigue, complote, mais sans jamais oublier son propre plaisir, ce qui nous vaut un roman à la fois sanglant, où dominent les massacres, les poignards et les empoisonnements, et voluptueux, notamment grâce à Margot dont la beauté était sans pareille et les amants innombrables. Roman un rien pervers aussi : Margot entretient des rapports troubles avec ses frères, tandis que Charles IX, contradictoire et ambigu, aime à se repaître du spectacle de la violence...

Les personnages principaux, La Mole, Coconnas, Henri de Navarre et quelques autres, ont d'ailleurs cette faculté de courir au massacre avec rage et haine (les hommes s'étripent, s'égorgent sans hésitations ni regrets) puis de regagner avec autant de plaisir la couche de leurs belles maîtresses. Comme toujours chez Dumas, le cadre historique fournit autant de prétextes à mêler intrigues amoureuses et faits d'armes comme il les affectionnait. Si l'on ne retrouve point ici de héros à la mesure des Mousquetaires, ou de figure solitaire à la Bussy d'Amboise (dans La dame de Monsoreau), Dumas introduit tout de même une attachante histoire d'amitié entre un catholique et un protestant, Coconnas et La Mole, seul sentiment désintéressé de toute cette épopée, où plane l'ombre inquiétante de la redoutable Catherine de Médicis.

Signalons enfin que ce roman a donné lieu à une adaptation cinématographique remarquée, celle réalisée par Patrice Chéreau en 1994, avec Isabelle Adjani dans le rôle titre.

Sylvie Cardona
source

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Personnages du film

 

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personnages du film La reine Margot : la famille royale (© Michel Renard)

 

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personnages du film La reine Margot : protestants et autres personnages (© Michel Renard)

 

 

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Résumé

 

1572. La France des guerres de religion est devenue le champ clos des grands seigneurs et des prétendants au trône. À Paris, le jeune roi protestant de Navarre, le futur Henri IV, vient d'épouser Marguerite de Valois, dite Margot ; mariage politique qui n'empêche pas les Guise et le roi Charles IX de fomenter les horreurs de la Saint-Barthélemy.

Sur les pas du jeune comte de La Mole, dont s'éprend éperdument la belle Margot, et de son compagnon, le tonitruant Annibal de Coconnas, nous entrons dans ce labyrinthe d'intrigues, d'alliances, de trahisons. Les poignards luisent sous les pourpoints. René le Florentin fournit les poisons à l'implacable Catherine de Médicis. Le vieux Louvre avec ses fêtes brillantes, ses passages secrets, son peuple de soldats et de jolies femmes, est le théâtre où se déploient en mille péripéties les jeux de l'amour, de la politique, de la haine.

Mon commentaire

Lire La reine Margot en format poche, c'est assurément se casser les yeux sur une édition en très petits caractères, d'autant plus que la mienne était très mal imprimée. C'est aussi se buter contre un style d'écriture et de longues phrases alambiquées, auxquelles on doit s'habituer. Ça augure bien mal. Et pourtant... La reine Margot est un roman que j'ai apprécié pour deux raisons : le roman est particulièrement bien écrit et l'histoire est passionnante. L'humour côtoie les scènes sanglantes, il y a plusieurs revirements de situations surprenantes et on plonge dans ce roman comme dans un feuilleton. La reine Margot est d'ailleurs paru en feuilleton à l'époque. Le style s'y prête bien.
Dumas écrit très bien. Certaines phrases ou expressions sont savoureuses. On peut d'ailleurs lire en page 210 :

"...la fameuse balafre qui lui avait jadis donné tant de tracas par ses rapports prismatiques avec l'arc-en-ciel, avait disparu..."

ou alors

"...par une belle journée d'automne comme Paris en offre parfois à ses habitants étonnés, qui ont déjà fait provision de résignation pour l'hiver..."

C'est plutôt une belle façon de dire les choses !
Dumas excelle dans l'art d'accrocher le lecteur et de lui raconter une histoire. Il s'inspire d'anecdotes qui ont réellement eu lieues et revisite certains événements historiques en combinant réel et imaginaire. Des notes en fin de volume (pour mon édition) nous font état de très nombreux anachronismes. La postface d'Eliane Viennot est d'ailleurs très éclairante à ce sujet et à l'imagination de l'auteur versus les faits réels.
Toutefois, le roman est difficile d'approche au départ, du moins il l'a été pour moi. Ayant une connaissance approximative des rois et reines de France et étant tout à fait étrangère à toute cette période de l'histoire française, j'ai eu du mal à m'y retrouver. Je trouve également que près de 700 pages, c'est beaucoup. Le roman souffre de certaines lourdeurs, surtout vers la fin. J'ai cru lire quelque part que les écrivains étaient payés à la page à l'époque ? Est-ce le cas de Dumas ? Ceci expliquant peut-être cela.
Néanmoins, je crois qu'il faut lire La reine Margot. Pour l'écriture très maîtrisée. Pour les histoires dans l'histoire. Pour la présence des rois, des reines, des bourreaux, des conspirateurs, des empoisonneurs, des cachots, des complots.
On oublie (presque) les longueurs qui parsèment le récit...


source

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images du film de Patrice Chéreau (1994)

 

 

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l'amiral de Coligny

 

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le mariage présidé par le cardinal de Bourbon

 

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la scène du mariage, avec le long silence de Margot

 

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le soir du mariage, Henri et Margot se promettent
une fidélité politique ; mais Margot est gênée parce que
son amant, le duc de Guise, est caché derrière une cloison
et entend la conversation

 

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Margot à la recherche d'une aventure, le soir de sa nuit de noces
(ce n'est pas dans le roman de Dumas) ; c'est là qu'elle rencontre La Molle

 

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Margot s'adressant à La Molle qui ignore encore qui elle est
(le costume est totalement anachronique)

 

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les fêtes au lendemain du mariage : Margot et Henriette, la duchesse de Nevers

 

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Margot et Henriette identifiant les chefs protestants

 

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après le mariage, Henri de Navarre entouré
de ses fidèles, dont Coligny

 

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fêtes après le mariage : la foule assiste à un corps-à-corps entre Anjou et Guise

 

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après l'attentat contre Coligny, Margot vient prévénir les protestants qu'ils
sont menacés et devraient quitter Paris tout de suite ; mais il ne l'écoutent pas

 

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Charles IX vient d'apprendre que c'est sa mère qui a organisé l'attentat
contre Coligny ; les catholiques décident d'éliminer les chefs protestants ;
Henri (Anjou) soutient son frère ; dans le roman, c'est Charles qui décide l'attentat,
mais en vérité, ce ne sont ni Charles ni Catherine... peut-être les Guise, mais l'incertitude demeure

 

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le massacre de la Saint-Barthélémy dans le palais du Louvre

 

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Hannibal de Coconnas,
tueur impitoyable pendant la nuit
de la Saint-Barthélémy

 

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le duel acharné entre La Molle et Coconnas la nuit de la Saint-Barthélémy

 

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les protestants massacrés

 

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Margot convainc son frère, le roi,
d'assister au conseil qui doit décider du sort
d'Henri de Navarre le soir de la Saint-Barthélémy

 

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l'abjuration d'Henri de Navarre

 

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Henri, forcé pour survivre, renonce au protestantisme pour le catholicisme

 

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Margot, "prisonnière" au Louvre

 

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Henri de Navarre vient de terrasser le sanglier qui s'acharnait sur Charles IX
tombé de son cheval et coincé, alors que personne ne venait à son secours

 

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Charles IX, sauvé par Henri de Navarre au cours de la chasse,
s'adresse à son frère cadet, Anjou, et lui dit : "tu vois, tu n'es pas encore roi..."

 

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Charles IX entraîne Henri afin qu'il ne tombe pas dans le piège tendu par
Catherine de Médicis pour l'assassiner (puisqu'Henri vient de lui sauver la vie à la chasse)

 

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Charles, en compagnie d'Henri de Navarre, lui fait découvrir sa maîtresse,
Marie Touchet dont il a un fils

 

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la relation (brève) entre La Môle et Margot n'a eu lieu qu'en 1574

 

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Catherine de Médicis

 

7
La Môle soigné par le bourreau qui l'a recueilli


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la reine Margot



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Cathérine de Médicis et Charlotte de Sauve (maîtresse d'Henri de Navarre)

 

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La Môle et Coconnas, venus chercher Margot, tombent dans un guet-apens,
sont blessés et faits prisonniers

 

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Margot demandant à son frère Charles,
qui est à l'agonie, la grâce de La Môle :
"Charles... il n'a fait que m'aimer"

 

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Margot et Henriette devant les cadavres décapités de leurs amants respectifs

 

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la reine Margot fuyant en Navarre

 

 

extraits du film La Reine Margot (1994)

- http://www.youtube.com/watch?v=yUN62okdADo

- http://www.youtube.com/watch?v=PtWw2Ha2naE

- http://www.youtube.com/watch?v=sKKvehvmZAU

- http://www.youtube.com/watch?v=rozaeQPJITQ

- la fabuleuse scène (un peu raccourcie) du mariage, avec la vraie musique :
http://www.youtube.com/watch?v=0MYnqDIzHGI

- le voilà René le Florentin... : http://www.youtube.com/watch?v=HGPjGt9OE9U

- et encore le mariage... et quelques scènes du film (avec une autre musique... débile...) :
http://www.youtube.com/watch?v=cVzLN9lGToE

- des extraits du film... mais avec une autre musique... (pas mal : un Kyrie eleison) :
http://www.youtube.com/watch?v=zQtrUHqkv1c

- la Saint-Barthélémy dans le film "La Reine Margot" (1994)... et on comprendra le prix que la France attache à l'éloignement du religieux et du politique, autrement dit à la laïcité...!
http://www.youtube.com/watch?v=-GwUKrBgRb0&feature=related

-

 

 

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différences entre le film, le roman et l'histoire réelle

Michel RENARD

 

Le réalisateur, homme de théâtre Patrice Chéreau, est l'auteur du film La Reine Margot (1994).

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Quelques différences entre le roman de Dumas et le scénario du film de Chéreau

- la première nuit de noces de Margot : dans le roman, elle ne sort pas, alors que dans le film elle cherche l'aventure et rencontre Le Môle.

- la première nuit passée à l'auberge où se rencontrent La Molle et Coconnas - l'annonce de l'attentat contre Coligny (l'aubergiste dans le roman ; René le Florentin qui achète le livre de La Molle).

- la décision d'assassiner Coligny est imputée à Charles IX dans le roman (p. 46-51) et à Catherine de Médicis dans le film. Les meurtres attribués à Maurevert ne sont pas les mêmes (le film parle de Leyrac de La Môle). Historiquement, l'incertitude demeure. On penche plutôt pour les Guise. Pour Crouzet, cela ne peut être ni le roi ni Catherine. Rôle d'Anjou. Affaires des deux déclarations contradictoires.

- dans le roman, La Môle va prévenir Coligny, alors que dans le film il apprend l'attentat par René le Florentin.

- dans le roman, la scène entre Margot et La Môle poursuivi et sauvé par elle est moins glorieuse que dans le film : dans le roman, Margot crie et est soutenu par Alençon, son frère ; alors que dans le film, elle affronte Coconnas par la menace du Jugement Dernier.

- la scène de rue où Coconnas rencontre la duchesse de Nevers est un raccourci du roman qui décrit l'affrontement avec de Mouy le chef protestant et Mercanton, le créancier de Coconnas.

- dans le roman, la tentative d'arrestation/assassinat de Navarre après la chasse se retourne contre de Mouy qui parvient à s'échapper, alors que dans le film, c'est Armagnac qui meurt.

- dans le film, aucune allusion n'est faite aux intrigues entre Navarre et d'Alençon (qui sont d'ailleurs anachroniques).

- dans le film, fusion des deux scènes de chasse avec tentative de fuite.

- Charlotte de Sauve ne meurt pas empoisonnée mais de la main de son mari dans le roman (en réalité, elle a vécu longtemps après…).

- disparition de l'arrestation et de l'emprisonnement de La Môle et de Coconnas dans le film, ils sont arrêtés et presque immédiatement exécutés…

- alors que le roman se déroule tout à Paris, le film imagine un voyage de La Môle aux Pays-Bas protestants, un retour d'Henri en Navarre…

Michel Renard
professeur d'Histoire (Loire)

 

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La Saint Barthélemy

Nos disciplines sont souvent vécues comme trop abstraites et trop encyclopédiques. L’observation de nombreuses leçons (fiches ; accumulation de notions, de dates, de lieux…) conduit à infléchir notre façon d’enseigner l’histoire et la géographie. La réflexion porte aujourd’hui essentiellement sur trois axes, même si il y en a bien d’autres notamment sur la question des gestes professionnels, des langages, du lien entre l’oral et l’écrit etc.

La question du sens :

Il y a le sens didactique attribué à un objet d’étude par le professeur en tenant compte à la fois de la recherche scientifique et des IO des programmes. Le sens n’est pas la problématique mais l’orientation d’un sujet. Il est l’expression d’un choix qui va ensuite déterminer des problématiques didactiques. Un exemple : la Révolution française. Si j’envisage d’aborder la Révolution française sous l’angle non pas d’une histoire politique traditionnelle, donc chronologique, mais par la revisitation de celle-ci par l’histoire culturelle, je vais insister sur la rupture dans les imaginaires, de l’identité royale : le mythe du droit divin s’effondre. Il y a le sens pédagogique, car c’est le sujet, ici l’élève qui construit le sens [charabia pédagogiste, M.R.].

C’est au professeur à anticiper le gouffre éventuel entre le premier et le second pour élaborer un projet qui puisse motiver l’élève et le conduire à la découverte du sens didactique. Il n’y a donc pas de leçon, en histoire ou géographie, sans réflexion sur le sens, ce qui conduit à renverser l’élaboration d’une séance. Je ne vais pas empiler des savoirs sur telle ou telle question, mais me poser la question simple : qu’est-ce qui me parait pertinent pour des élèves de cet âge, en fonction de l’élaboration du programme, de la classe, de l’école… qu’ils retiennent.

Cette réflexion, qui nécessite souvent du recul sur la période ou l’espace étudié, conduit à rejeter l’encyclopédisme. Pour qu’il y ait sens, il faut qu’il y ait un enjeu, une intrigue, une argumentation. La question de l’étude de cas : Pour éviter d’empiler des connaissances et d’être dans une trop grande conceptualisation on peut utiliser ce que l’on appelle l’étude de cas. Entrer dans le singulier pour comprendre un phénomène plus global est bien connu des historiens. Duby en son temps l’a démontré avec le Dimanche de Bouvines, ou Guillaume le Maréchal.

Il s’agit de centrer son attention sur une famille, un événement, un homme, un espace particulier etc…pour faire comprendre des phénomènes plus larges donc plus complexes. La place de la Comédie à Montpellier peut nous permettre de mieux saisir l’influence de l’haussmanisation sur la restructuration des villes. Pourquoi ne pas partir de la création de la gare à Montpellier pour étudier la RI ? Pourquoi ne pas étudier la place du Peyrou pour évoquer l’absolutisme ? Pourquoi ne pas partir de la Pompadour et de son fameux portrait pour parler des Lumières ? La question du récit : Il est désormais essentiel de retrouver le bonheur de raconter des histoires (en géographie aussi) aux élèves et de faire raconter. L’histoire dit Paul Veyne est un roman, mais un roman vrai.

Sans se lancer, nous enseignants, sur une réflexion épistémologique (confère H White, P. Ricœur) sur l’écriture de l’histoire, le récit permet de faire vivre les objets étudiés. Il n’est pas difficile à mettre en œuvre et peut être objet de formation pour faire comprendre aux collègues quelle est la rhétorique du récit. Les enfants aiment les histoires. Racontant aux enfants des histoires pour qu’il puisse aimer l’Histoire.

L’étude de la Saint Barthélemy s’inscrit dans le cadre de cette réflexion : il ne s’agit pas de revenir à une histoire politique événementielle qui perdrait très vite les élèves. Mais bien de faire comprendre par l’étude d’un événement précis, ici violent, la Saint Barthélemy, l’univers mental des hommes du XVIe siècle. Nous sommes bien dans le cadre du sujet : l’autre un ennemi. Mais la revisisation de cet événement par la recherche historique, notamment par Joël Cornette et Denis Crouzet, en introduisant d’autres axes de recherches comme l’histoire des imaginaires, l’histoire de la paix et l’histoire de la violence.

Ces historiens aujourd’hui regardent la renaissance aussi comme un temps de peur et de violence. On se place dans le cadre de la fin du programme de 5e .

Renaissance, Humanisme, Réformes et la France au XVIe siècle. La problématique de «l’autre, un ennemi» convient tout à fait à cet événement. Et elle est bien liée à des imaginaires notamment dans la façon de tuer l’autre ici les protestants. On pourrait élargir la problématique ou le propos à d’autres thèmes d’étude comme l’émergence du sentiment national avec la Guerre de Cent ans… Prendre l’exemple aussi de la captivité de Roi François 1er /Charles Quint après la défaite de Pavie. L’idée d’honneur. J’ai le souvenir de deux chevaliers de France venant trouver le Roi Charles Quint pour se plaindre qu’il ne venait plus leur faire la guerre. Il les reçoit, les comble de présents et leur promet de revenir faire la guerre… On peut aussi se limiter à l’étude des michelades à Nîmes en 1567.

Depuis 1562 trois guerres de religion ont déjà eu lieu (printemps à printemps 1562-1563 ; sept 1567-mars 1568 ; été 1568-été 1570). Chacune est sanctionnée par des victoires du camp catholique mais des traités plutôt favorable aux protestants. L’édit de Saint-Germain en 1570 mécontente les catholiques. La tension est donc assez vive. Un événement étranger vient l’accroître : la relance de la révolte des huguenots des Pays-Bas contre Philippe II.

À Paris, dans les milieux de la Cour, deux positions antagonistes se font face sur la question de l’aide éventuelle à apporter aux insurgés. Gaspard de Coligny souhaite une intervention. Catherine de Médicis et surtout les Guise sont hostiles à toute intervention, lutter contre Philippe II signifiait engager la France dans le camp protestant et s’attirer l’hostilité du Pape. Pour tenter de souder la paix, Catherine de Médicis organise un mariage entre sa fille, Marguerite de Valois, et Henri de Bourbon, le fils d’Antoine de Bourbon et de Jeanne d’Albret. Le mariage est célébré le 18 août 1572 à Paris.

Le 22 août, au matin, un attentat est perpétré contre l’amiral de Coligny, certainement par un fidèle des Guise, Catherine de Médicis, n’ayant certainement pas de responsabilité en cette affaire. Un coup d’arquebuse blesse légèrement l’amiral. Cet événement déchaîne les passions. L’attentat provoque l’inquiétude des protestants. Mais aussi la crainte de la famille royale. Le bruit d’une conjuration huguenote enfle.

L’atmosphère était déjà très tendue : fortes chaleurs, cherté du pain renforcée par la venue de nombreuses personnes du fait du mariage, sermons violents anti-protestants dans les églises dénonçant l’accouplement exécrable entre Marguerite de Valois et Henri de Navarre, des pamphlets annonçant la colère de Dieu, des bruits et des rumeurs disant que le roi lui-même voulait devenir huguenot.

Tout cela surchauffe les esprits. Paris est en état d’émeute dès le 23.

La décision du massacre des grands chefs protestants est prise en Conseil sous la pression semble-t-il des Guise et pas seulement sous la seule autorité du Roi Charles IX ou de Catherine. Dans la nuit du 23 au 24 août la décision est mise en application. Mais ce que n’avaient pas prévu les ordonnateurs du massacre politique c’est qu’une autre Saint Barthélemy verrait le jour, beaucoup plus violente.

Tous les contemporains ont témoigné de la «fureur incroyable» de cette événement, qui semblait ne pas pouvoir être contrôlé. Après avoir entendu le son du tocsin, à l’aube du 24, la rumeur se répand que le roi avait permis d’égorger les huguenots. De nombreux témoignages ont rapporté l’acharnement particulier sur les corps : dénudés, traînés dans la boue par des enfants, décapités, éventrés, émasculés.

Le traitement infligé au corps de l’amiral de Coligny est particulièrement significatif : il s’agit d’un véritable massacre purificateur. Traîné par les rues d’un carrefour à l’autre, il est châtré et décapité, puis brûlé. Ses restes son exhibés à la foule. Seins de femmes arrachés, page de bible mises dans la bouche de cadavres huguenots, sexe des hommes arrachés et enfoncés dans leur bouche, visages défigurés pour rendre manifeste la «laideur» intérieure et diabolique : la violence extrême des catholiques a pour but de détruire, dans l’apparence extérieure des huguenots, l’image même du pêché et du Diable, de réaliser, en quelque sorte, sur la terre, ici et maintenant, le Jugement dernier.

L’ex-prévôt des marchands, Claude Marcel qui venait d’être remplacé, guisard convaincu, ne fut pas étranger à ce «dérapage», et la milice bourgeoise forte de 5000 hommes ne fit rien pour calmer les ardeurs. Les assassins zélés ne se recrutèrent pas seulement dans la «populace» mais aussi dans les rangs de la bonne bourgeoisie parisienne.

Le mardi 26 août, devant le Parlement de Paris, lors d’un solennel lit de justice le Roi décide d’endosser la responsabilité de l’événement. Notons que des massacres eurent lieu aussi en Province : Orléans, le 26, Meaux, Bourges, Saumur, Angers, Lyon le 31 etc… On compte entre 5000 et 10000 morts. L’événement est suivi d’une vague de reconversions, et marque un reflux du protestantisme.

 

Ce que nous apprend la Saint Barthélemy :

L’historiographie s’est longtemps focalisée sur le seul problème des responsabilités : qui donna l’ordre du massacre ? Catherine de Médicis, Charles IX , les Guise ? Des études récentes permettent au contraire de mettre en avant ce qui fut en jeu dans le ou les massacres.

Denis Crouzet insiste sur une dimension plus générale : l’angoisse du châtiment divin. Dans le ciel et sur la terre apparaissent des signes qui disent l’imminence du jugement. Voici le temps des guerriers de Dieu : d’une violence d’abord intérieure surgit la force conquérante d’un prophétisme panique qui ordonne la mise à mort des hérétiques.

S’opposant à la violence désacralisatrice des huguenots (rappelons cet incident : le 1er juin 1528, des inconnus lacèrent de coups de couteaux et décapitent une statue de la Vierge à l’enfant dans une église parisienne. Le scandale est immense. Le roi, dit-on, en pleure pendant deux jours durant), la violence mystique des catholiques culmine en août 1572. N’oublions pas qu’ un mouvement iconoclaste a parcouru tout le XVIe siècle : bris de statues, profanation des hosties, destruction des images).

La Ligue marqua l’ultime retour de l’angoisse prophétique, force agissante d’un long XVIe siècle, qui vise à unir le peuple au Christ de la Passion. Avec la Saint Barthélemy se brise le rêve de concorde, une des dernières utopies de la Renaissance. Pour Charles IX et Catherine de Médicis il s’agissait de réunir les catholiques et les protestants dans une œuvre magique de paix. Mais face à l’attentat dirigé contre Coligny, Catherine, prise entre deux factions violemment opposées, se résigne à un acte préventif. Mais cet acte est suivi d’une toute autre tragédie que Charles IX dut assumer.

Pour Denis Crouzet, la Saint Barthélemy fut paradoxalement, le crime d’amour d’une monarchie humaniste, le crime d’un rêve d’harmonie universelle. Elle fut comme la chronique d’un rêve perdu de la Renaissance. «La Saint Barthélemy est une grande geste mystique, qui prend sa source dans une hallucination collective de la présence de Dieu : une présence qui se détecte dans la croix que les violents portent rituellement, en eux, dans le cadavre de l’Amiral miraculeusement frappé, et surtout dans ce qui est le seul vrai point d’origine de la grande déferlante massacrante, l’aubépine qui refleurit au petit matin».

En effet à l’aube du 24 août, on vit fleurir une dans le cimetière des Saints-Innocents une aubépine qui n’avait pas fleuri depuis 4 ans. Les aubépines étant considéré comme une image de la couronne du Christ. Christ était donc parmi eux. La Saint Barthélemy s’inscrit dans un contexte d’une immense angoisse qui traverse toute la Renaissance pour reprendre un titre de Denis Crouzet dans la revue L’Histoire. Une profonde angoisse, une attente de la fin du monde, d’où le goût pour les prophéties et la prospérité de l’astrologie dans un climat d’inquiétude générale surtout chez les catholiques, car avec Calvin la foi des protestants est apaisée.

Pour Joël Cornette au delà de cet imaginaire la Saint Barthélemy est aussi le moment de l’affaiblissement du pouvoir royal. Il donnait force et vie à la théorie de la résistance contre l’État. Une résistance qui pouvait aller jusqu’au régicide. Dans le camp protestant les monarchomaques énonçaient la légitimité du renversement du mauvais roi.

En 1573, paraissait la Franco-Gallia, de François Hotman. L’auteur rappelait la situation de la Gaule, divisée en cités aristocratiques ou monarchiques. À cette époque, tous les ans, se tenait une diète générale pour l’ensemble du pays, et à cette occasion, tous les chefs locaux étaient choisis par le peuple assemblé. Le monarque était désigné par acclamation. En 1575, dans du Droit des magistrats, Théodore de Bèze, successeur de Calvin, développe l’idée que le peuple crée le souverain. Donc les sujets peuvent se rebeller contre leur prince.

Du Plessis Mornay et Hubert Languet en 1579 écrivent Le Vindiciae contra Tyrannos. Les ligueurs aussi s’emparèrent de ces théories régicides. On voit donc comment la Saint Barthélemy éclaire le siècle de la Renaissance et donne à voir les imaginaires des hommes de ce temps. Elle illustre comment l"’autre" peut devenir un ennemi dans un contexte de peur collective du salut. "L’autre" c’est celui qui a une autre conception du salut, du dogme, de la Révélation.

L’Église catholique considère qu’elle véhicule une vérité absolue. Dès lors, la question de l’interprétation des Écritures est cruciale. Il y va du monopole de l’Église comme seule médiatrice entre le monde d’ici-bas et le monde de l’au-delà, du salut de chacun mais aussi de la communauté toute entière. C’est cette vérité absolue que remet en cause radicalement la réforme. Alors on ne se bat pas pour un chef ou un prince mais bien pour le salut de son âme et pour la survie du groupe. À cela il faut ajouter la dimension politique de ces conflits. Une entité nouvelle s’est progressivement mis en place : l’État moderne. On se bat donc désormais aussi pour façonner l’État à son image. C’est ce que les différents traités montrent.

Enfin, pour reprendre les thèses de Denis Crouzet, la Saint Barthélemy permet de revisiter la problématique de la Renaissance en France. Pas seulement qu’elle fut aussi un temps d’angoisse mais en remettant en cause son concept même pour la France. Il propose plutôt de parler d’un mince verni plaqué sur une profonde situation collective d’inquiétude. Il existe pour lui un écart qui s’accentue entre une cour pétrie d’humanisme, et d’autre part des populations qui vivent dans l’inquiétude et donc dans la quête d’un Dieu exclusif les appelant de part et d’autre à combattre.

Dès les années 1520, des images de violence ont surgi, acquérant de plus en plus de puissance au fur et à mesure des années qui passent. Il existe bien un humanisme royal de François 1er à Henri III, y compris donc dans l’entourage de Catherine de Médicis (Michel de L’Hospital qui partage un imaginaire de concorde), mais une partie de ces humanistes se range du côté des massacreurs, comme Ronsard qui annonce vers 1562 que les faux prophètes seront châtiés. Après la Saint Barthélemy, un nommé Jean Touchard écrit à son ami Jacques Amyot, grand traducteur en français de Plutarque, qu’enfin la vie va pouvoir reprendre après l’extermination des malfaisants. C’est pour cela qu’il est difficile de dissocier l’humanisme de la violence pour Denis Crouzet.

source
site pédagogique Académie de Montpellier (auteur ?)

 

 

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