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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
15 mai 2016

la Chine depuis 1949 : tableaux chronologiques et histoire

Chine avec drapeau

 

 

la Chine depuis 1949

 

 

Diapositive1
grandes phases chronologiques de la Chine de 1949 à 2016

 

 

Diapositive2
à compléter avec le nom des dirigeants principaux et de deux périodes maoïstes désastreuses

 

 

- voir : la Chine et le monde depuis 1949 (Term S)

 

__________________

 

Les années Mao : révolution et tragédie

La Chine, 2000 ans d'empire - par Jean-Luc Domenach dans L'Histoire, mensuel n°300, daté juillet 2005 à la page 86.

Avec le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle, Mao a jeté la Chine dans une fuite en avant révolutionnaire. Les archives aujourd’hui disponibles permettent de mieux comprendre les ressorts de cette dictature totalitaire.

 

L’Histoire : L’histoire de la Chine communiste semble aujourd’hui moins difficile à reconstituer. De quelles sources dispose-t-on pour cela ?

Jean-Luc Domenach : Les sources ont été très insuffisantes jusqu’à une période récente : elles se limitaient aux publications autorisées et aux témoignages de réfugiés de Hongkong ou de Chinois de Taiwan. Malgré cette pénurie, l’histoire de la Chine avait pu être reconstituée d’une manière assez juste, en particulier par les spécialistes américains.

De nouveaux progrès sont aujourd’hui rendus possibles par une véritable révolution documentaire. Si les archives du comité central demeurent fermées aux chercheurs étrangers, celles du ministère des Affaires étrangères et de certaines provinces s’ouvrent progressivement et l’on peut de plus en plus souvent consulter les archives des localités.

Surtout, les biographies de dirigeants communistes se sont multipliées, y compris celles de personnages autrefois contestés, victimes de purges : par exemple, le patron de la Sécurité de Shanghai, éliminé en 1955. Certains journalistes se sont également mis à écrire : l’un d’entre eux a par exemple récolté les souvenirs des enfants des dirigeants centraux... Quelques historiens appartenant aux centres de recherches liés du PCC mènent des travaux de plus en plus précis sur les grands moments de la période communiste - et ces chercheurs ont le droit d’utiliser les archives d’État ou du parti.

Dernier apport, et certainement le plus intéressant, les journaux et livres de mémoires rédigés par des proches du pouvoir ou des témoins : anciens gardes du corps ou secrétaires, camarades de guérilla, ou écrivains, et ces épouses qui avaient combattu le fusil à la main, puis, nommées secrétaire ou directrice de cabinet, s’étaient effacées derrière leur mari.

Ces sources nouvelles fournissent quantité de détails concrets qui font mieux comprendre la mécanique humaine du pouvoir. Elles conduisent, suivant les cas, à confirmer, à préciser ou à reconsidérer la dynamique historique de la Chine populaire.

L’H. : Comment voit-on aujourd’hui l’arrivée au pouvoir des communistes, le 1er octobre 1949 ?

J.-L. D. : La vision qu’on avait jusqu’à présent et qui reste largement exacte est celle d’un parti communiste à la fois uni et sûr de ses moyens, de son idéologie et de ses talents politico-militaires : ces qualités l’ont beaucoup aidé contre le Guomindang*.

Les communistes n’ont pas seulement su se maintenir puis vaincre militairement, ils ont fait leurs classes dans les zones de guérilla, puis dans les zones libérées ; ils ont appris à établir leur pouvoir en s’appuyant sur les élites locales, avant de liquider celles-ci progressivement. Et les dirigeants, Mao en tête, se sont révélés d’une extrême lucidité stratégique et habileté tactique.

Excellent stratège, Mao s’est solidement installé à la tête du parti dans les années 1938-1945, à la faveur d’une manipulation cynique du pouvoir. Très tôt, par exemple, il prend le contrôle de la communication avec Staline. En 1942-1943, Mao a lancé à l’intérieur du parti un mouvement de rectification, conduit par Kang Sheng, chef du fameux « département social », l’équivalent du KGB. Une esquisse de ce que seront plus tard les grandes campagnes d’épuration. Mais cela ne l’empêche pas de s’entourer de gens de qualité qui ne lui avaient pas été toujours favorables, comme Zhou Enlai, ou qui ne lui ressemblaient pas, comme Liu Shaoqi.

En revanche, l’inexpérience économique des dirigeants communistes et leur absence de programme précis les contraignent à se tourner exclusivement vers le modèle soviétique. Ce qui rend les choses très dangereuses, c’est qu’ils arrivent au pouvoir portés par un enthousiasme populaire inimaginable. La majorité de la population va suivre les yeux fermés ce pouvoir qui ne sait pas très bien où il va...

L’H. : Dans un premier temps, donc, les communistes chinois suivent le modèle venu de Moscou.

J.-L. D. : Sur les relations sino-soviétiques, on dispose de quelques témoignages nouveaux qui confirment plutôt ce que l’on pensait. D’un côté, les méfiances forgées durant les premières années de la révolution viennent d’être confirmées depuis 1945 par le comportement des armées soviétiques en Mandchourie : elles violent, se soûlent et démantèlent les usines pour les envoyer en Sibérie.

Et pourtant les commu­nistes chinois ont une confiance absolue dans le modèle soviétique proprement dit, à la fois, si l’on peut dire, à cause de Staline et de Stalingrad. Une fois arrivés au pouvoir, ils vont l’appliquer avec une très surprenante conviction dans au moins deux domaines : l’industrialisation et l’ingénierie politique, c’est-à-dire le dispositif institutionnel et juridique. Pendant les premières années, le système chinois est bel et bien édifié sur le modèle soviétique, et cela de façon parfaitement voulue.

L’orientation est donnée très tôt. En février 1949, juste avant la victoire, le dirigeant soviétique Mikoyan fait une visite secrète auprès du Parti communiste chinois PCC. Liu Shaoqi part à Moscou quelques mois plus tard. Il y a, surtout, le voyage de Mao à Moscou fin 1949-début 1950. Le contact avec Staline est désastreux et la négociation difficile, mais un traité est signé, bien inégal il est vrai. Par la suite, des dizaines de milliers d’experts soviétiques se rendront en Chine, parmi lesquels beaucoup d’excellent niveau.

L’H. : Quelle est la marque soviétique dans le communisme chinois ?

J.-L. D. : Elle ne se fait pas sentir d’emblée. Au début, l’essentiel est le retour à l’ordre. C’est la première fois depuis plus d’un siècle que les gens peuvent travailler et se nourrir à peu près normalement. En trois années 1949-1952, la production agricole retrouve son meilleur niveau d’avant-guerre. Dans les vieilles usines, souvent en mauvais état, les gens se remettent au travail. Et puis, c’est la fin d’une des plus épouvantables inflations que le siècle ait connues.

C’est à partir de 1952-1953 que l’aide des conseillers soviétiques porte tous ses fruits. Ils inspirent un système économique dans lequel la priorité est accordée à l’industrie. Pendant le premier plan quinquennal 1953-1957, 7 % seulement des investissements vont à l’agriculture dans un pays qui compte plus de 90 % de ruraux ! L’imitation frise parfois le ridicule, par exemple pour le trop grand barrage de Sanmen, sur le fleuve Jaune, qui causera une inondation !

Mais le principal est que les ingénieurs soviétiques mettent en place les bases de l’économie chinoise moderne. Ils rénovent notamment les quelques lignes de chemins de fer qui existent comme la grande ligne Pékin-Canton et font construire, en plus, l’essentiel des voies ferrées que la Chine possédera jusqu’à la fin des années 1970... Les grandes usines sidérurgiques, métallurgiques, chimiques et textiles du pays ont été installées par les spécialistes soviétiques dans les années 1950.

Dans ce modèle, la paysannerie n’a que deux fonctions majeures : nourrir le pays et financer son développement par un système de prix qui la défavorise. Elle est immédiatement enrégimentée sous le prétexte d’être libérée, fixée au sol et compartimentée.

L’H. : Rien à voir, donc, avec ce que l’on a pu décrire : un communisme qui marcherait « sur les deux jambes », l’industrie et l’agriculture.

J.-L. D. : C’est ce qu’ont prétendu quelques idéologues occidentaux dans les années 1960 et 1970. Cependant, dans le rapport ville-campagne en Chine, rien ne vient soutenir ces assertions. Bien au contraire. La prise du pouvoir n’a pas été une révolution paysanne. C’est une armée-parti, venue des villes, qui mobilise les paysans et prend ensuite les villes cf. Lucien Bianco, p. 76 . Certes, on partage la terre entre les paysans, mais la réforme agraire, lancée en 1950, et bientôt suivie par un processus de collectivisation, a d’abord pour but le ­contrôle de la population et le financement de l’industrialisation.

L’H. : Si la différence entre communismes soviétique et chinois ne se trouve pas dans le système économique, où faut-il la chercher ?

J.-L. D. : La grande différence entre la Chine et l’Union soviétique se trouve certainement dans la capacité de mobilisation de la population. Le système qui se met en place en Chine est, d’emblée, purement totalitaire. Les communistes chinois ont vraiment cherché à appliquer leur idéologie de transformation de l’homme ; celle-ci n’était, en URSS, qu’une clause de style, vide de sens et confiée à la police.

La volonté de créer un homme nouveau passe d’abord par les camps de «réforme par le travail». Ceux-ci sont mis en place par les communistes chinois dès leur arrivée au pouvoir, en partie avec l’aide des Soviétiques - et sur le modèle du Goulag cf. page de droite . Mais, contrairement à ce qui s’est passé en URSS, les camps devaient aussi permettre de créer un monde d’automates, de réaliser l’idéal d’une population à la fois docile et enthousiaste. Une population qui se dirige d’elle-même dans la direction que le pouvoir lui indique.

Tous les prisonniers sont donc soumis à un lavage de cerveau sans équivalent dans l’histoire. C’est ce que raconte Jean Pasqualini, un métis franco-chinois qui a été jeté en prion en 1958 à cause de ses origines et de sa profession. Il a fait l’objet, pendant sa détention, d’un tel conditionnement qu’il s’exprimait encore, quand je l’ai connu au début des années 1970, avec les termes de la propagande. Il raconte dans son livre comment, ayant été entraîné à la dénonciation et à l’autocritique, il a révélé avoir vu un gardien qui urinait contre un mur - c’était formellement interdit. Quelques mois après, le gardien se trouvait dans la même cellule que lui1...

En dehors des camps, le système a également mis en place une série de procédures de contrôle de la population. D’une façon ou d’une autre, plusieurs dizaines de millions de Chinois, considérés comme peu sûrs, sont ainsi surveillés quotidiennement. Tout ce système d’encadrement dans les villages, dans les quartiers, chapeauté par le comité local du parti, c’est quelque chose que les Chinois ont réalisé sur une très large échelle.

Malgré sa tension sans cesse relancée vers la perfection, l’horreur s’est rapidement ébréchée. L’efficacité du système de répression, comme l’efficacité du système politique, atteint son maximum au milieu des années 1950. Ensuite elle déclinera, avec des à-coups.

L’H. : Comment peut-on surveiller une population de 600 millions d’habitants ?

J.-L. D. : Comme toujours dans les systèmes totalitaires, l’efficacité du pouvoir dépend beaucoup de l’enthousiasme de la population et de la conviction des cadres. Au moins au début. Puis progressivement l’enthousiasme laisse place à la routine et la mobilisation des esprits à une police des gestes. En effet, la population était en gros d’accord pour un régime fort, qui envoie en prison les petits voleurs et les prostituées, mais elle n’était pas prête pour le socialisme et encore moins pour le communisme. D’où un long malentendu.

L’H. : Dans cette organisation totalitaire, est-ce que Mao contrôle tout ?

J.-L. D. : Selon une image convenue, Mao était un poète, un rêveur qui ne s’occupait pas de pouvoir, et qui, installé dans sa piscine à Zhongnanhai la partie du Palais impérial, à Pékin, où vivaient les dirigeants, lisait des auteurs antiques, et faisait des vers... En fait, d’après les sources récentes, Mao est un bureaucrate qui abat un travail effrayant ! Il voit tout, il relit tout, il donne son avis sur tout, et fond sur le ministre qui a cru pouvoir en prendre à son aise : par exemple, dans les années 1950, le patron de la Sécurité qui ne le met pas en copie de tout.

Ce que nous montrent aussi les sources nouvelles, c’est que le balancement que l’on croyait plus tardif chez Mao entre radicalisme et modération ainsi que sa manipulation des conflits de palais pour éliminer les dirigeants trop puissants se manifestent en fait dès la fin des années 1940. C’est ainsi qu’il faut interpréter une affaire peu connue et qui éclate en 1953-1954 : l’affaire Gao Gang.

L’H. : Qui est Gao Gang ?

J.-L. D. : Ce bellâtre amateur de femmes, dynamique, brillant, est à la fois un ancien de la guérilla et une étoile montante du parti. A ses côtés, ou plutôt parallèlement, on trouve un autre dirigeant prometteur, Rao Shushi, lui aussi expérimenté, original et brillant. Tous deux sont ambitieux et s’impatientent du monopole de l’entourage de Mao, tenu d’une main de fer par l’indispensable Zhou Enlai.

Cet entourage commence à encombrer Mao, qui se demande alors s’il ne va pas accorder sa confiance à de nouveaux dirigeants brillants comme Gao Gang et Rao Shushi. Ces deux hommes sentent l’occasion et, pour séduire le président, se dépêchent d’incarner une ligne favorable à l’accélération du passage au socialisme. Mais Mao ne va pas au bout de ses

sympathies. Vaguement conscient que le régime est trop jeune pour un changement aussi brutal, il se laisse convaincre que Gao Gang et Rao Shushi sont d’ignobles ambitieux. En échange d’une augmentation de son contrôle sur le gouvernement et de l’accord de tous pour avancer à 1953 la transition vers le socialisme, il charge alors le Comité central de liquider le «complot» et file se reposer dans le Sud. L’affaire est vite réglée, avec l’aide de Deng Xiaoping, qui fait là ses premières armes. Le comité central ­confirme, Gao Gang se suicide et Rao Shushi est embastillé.

Cet épisode est essentiel selon moi. Car c’est alors qu’apparaît la première faille entre Mao et l’équipe dont il se débarrassera douze ans plus tard, au moment de la Révolution culturelle. L’affaire Gao Gang est un des signes avant-coureurs des tentations autocratiques, radicales et utopiques de Mao. Dans les années suivantes, il comprend que le modèle soviétique est pétrifié et en partie inadapté au pays. Il se persuade que le régime chinois ne survivra que s’il se lance en avant, s’il conserve le sens de la révolution. C’est alors qu’apparaît l’expression de «révolution continue».

Cette conviction se trouve renforcée par la déstalinisation, qui séduit des intellectuels mais ne plaît pas du tout à Mao et son entourage. Pourquoi ? Parce que la déstalinisation peut viser le Staline chinois.

L’H. : Ce mouvement de radicalisation, comment se manifeste-t-il ?

J.-L. D. : À l’été 1955, le pouvoir généralise les coopératives sur le modèle des kolkhozes, ces fermes collectives imposées en URSS à partir de 1929. Ce projet de collectivisation des terres, qui signait la fin de la propriété privée, devait être achevé en une douzaine d’années : il est en fait réalisé en quelques mois. La population est mobilisée de manière incroyable : les comités du parti parcourent la campagne et contraignent les gens à manifester leur enthousiasme et à offrir aux coopératives une partie de leurs outils de travail, etc. Des grands travaux sont lancés, de petites usines apparaissent dans les campagnes. C’est la fin du petit capitalisme rural à chacun son lopin de terre. Et c’est aussi, dans les plus vastes de ces coopératives, l’esquisse des innovations utopiques qui s’imposeront avec le Grand Bond en avant. L’imitation de l’URSS ouvre sur une utopie proprement chinoise.

La lune de miel entre le régime et la population rurale est désormais terminée. Jusqu’à ce que Deng Xiaoping privatise l’agriculture, au début des années 1980, les paysans chinois ne travailleront plus que le minimum pour éviter la colère des cadres et se nourrir. D’où de très médiocres résultats économiques. En 1956, pour la première fois, la production agricole stagne. Des poches de famine apparaissent. A ce marasme social s’ajoute le vent qui vient de Moscou : au moment où le droit est donné de critiquer Staline, voilà que le camarade Mao n’a pas été parfait. Une crise larvée se fait jour au sommet du PCC.

L’H. : Ce sont ces critiques qui vont donner lieu à ce qu’on appelle la campagne «des Cent Fleurs», lancée par le pouvoir en 1957 ?

J.-L. D. : En effet. Cette campagne est un épisode étrange. Fin avril 1957, Mao Zedong appelle les intellectuels à donner leurs idées, à critiquer le régime, suivant la formule : «Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent.» L’initiative rencontre un tel succès que les critiques s’échauffent.

On s’est longtemps demandé si Mao était sincère ou s’il s’agissait d’un piège. Les documents disponibles donnent à penser que la vérité est au milieu. Mao paraît avoir d’abord voulu tirer la leçon de ce qui se passe en URSS avec la déstalinisation, en Pologne où éclatent des émeutes, en Hongrie avec la révolution de 1956. Pour éviter de tels mouvements en Chine, il laisse la population exprimer ses problèmes ; il décidera ensuite s’il faut réprimer ou réformer.

Très vite, le torrent de contestations et de critiques est tel que Mao choisit la répression, mais, avec un machiavélisme impavide, tient le piège ouvert encore quelque temps. Le mouvement est brutalement interrompu au début juin : 550 000 intellectuels seront envoyés dans des camps de travail ; les autres termineront leur carrière terrorisés. Cet épisode, qui devait réconcilier l’intelligentsia avec le régime, l’a finalement détachée définitivement de lui.

Ces années 1955-1957 sont donc une période pivot. Pendant les vingt années suivantes, toute l’histoire politique, économique et sociale chinoise sera marquée par une série de coups de barre à gauche suivis de moments plus ou moins longs d’accalmie. Mais d’accalmies dont un président de plus en plus nerveux interrompt le cours très vite. Car Mao impose un pouvoir de plus en plus tyrannique à ses collègues. Il se montre si violent contre Zhou Enlai qui avait osé critiquer en 1956 la mobilisation de 1955 que désormais ceux-ci hésiteront à faire connaître leurs craintes, et plus encore à se consulter entre eux.

L’H. : Parmi ces grandes campagnes de radicalisation du régime, il y a, en 1958, le Grand Bond en avant... Comment expliquer ce qui va tourner en une catastrophe économique et humaine ?

J.-L. D. : Cet épisode ne recèle plus guère de mystères. Il s’explique très largement par la nature du régime.

En 1956-1957, dans les campagnes, le marasme est total ; les villes souffrent quant à elles des effets du modèle stalinien une industrialisation peu adaptée à la situation chinoise ; tandis que, sur le plan politique, un vrai malaise s’exprime au sommet du parti. Comme dans beaucoup de régimes communistes, quand la situation est difficile, on propose une nouvelle avancée révolutionnaire : c’est ce que fait Mao Zedong. A partir de l’automne 1957, il charge ses hommes de main et ses collaborateurs immédiats de lancer dans un certain nombre de provinces une mobilisation destinée à faire tache d’huile : c’est le Grand Bond en avant, qui est imposé à l’ensemble du pays en mai 1958.

Il s’agit d’abord d’un mouvement productiviste sans précédent. Le pouvoir pose des objectifs économiques rapidement hors de portée : la production céréalière doit augmenter de 10 %, puis le mot d’ordre est de la doubler ; le slogan devient finalement qu’en cinq ans la Chine rejoigne l’Angleterre et en dix ans les États-Unis ! C’est l’époque où l’on construit des automobiles en bois, où des petites aciéries sont implantées dans les collines - en dépit de tout bon sens -, où les paysans doivent dormir dans les champs pour travailler davantage...

Les coopératives sont remplacées par des communes populaires, une forme plus poussée de collectivisation sur une échelle beaucoup plus large. Celles-ci constituent un instrument de militarisation de la production, puisque aussi bien la Chine est en guerre contre la nature. La population chinoise est manoeuvrée comme une immense armée de travailleurs, hommes, femmes et enfants confondus.

La limite est atteinte lorsque l’ordre est donné de construire des cantines et des dortoirs séparés pour les hommes, les femmes et les enfants. Il sera vite abandonné. En Chine, on ne touche pas à la famille si on veut se maintenir au pouvoir.

L’H. : Quel est le bilan du Grand Bond en avant ?

J.-L. D. : C’est une catastrophe à la mesure de l’ambition du projet et de l’épuisement de la population. Dès 1958 commence une immense famine.

Le Grand Bond en avant a été une entreprise absurde de bout en bout. L’industrialisation des campagnes a ­conduit à des gaspillages énormes, notamment en matières premières. Seule une partie infime de l’acier produit dans les campagnes était utilisable, tant sa qualité était médiocre. Et la surproduction entraînait des embouteillages dans les transports : au confluent entre les deux grands axes ferroviaires nord-sud et est-ouest, il fallait un mois et demi pour que les trains passent ; les céréales pourrissaient sur place...

Le pire pour les paysans est que là où les productions n’augmentaient que de 4 à 5 % - ce qui n’était déjà pas si mal -, on annonçait des croissances de 100 %, voire 150 %. Or les achats forcés de produits agricoles par l’État étaient fixés en fonction des productions déclarées : la tragédie était dès lors programmée dans de nombreux villages.

Résultat : dès le courant de 1958, la disette s’étend, et parfois la famine. Des maladies comme l’hydropisie apparaissent, des épidémies se répandent. A tout cela s’ajoutent des inondations dans le Sud et une sécheresse épouvantable dans le Nord. Si bien que, jusqu’en 1962, la Chine se débat dans une misère effroyable cf. ci-dessus . Le cannibalisme et l’anthropophagie réapparaissent. Un Chinois d’outre-mer en visite en Chine découvre un ongle humain dans un petit pain à la vapeur... Les paysans mangent des racines pendant que, dans les villes, les ersatz sont généralisés.

L’H. : Comment la population a-t-elle réagi ?

J.-L. D. : Il y a eu de nombreuses révoltes, toutes parcellaires, mais en général dirigées ou autorisées par des cadres locaux qui défendaient leurs ouailles contre la mort : on connaît de nombreux cas de greniers dévalisés par des hordes de gueux épuisés accompagnées de leurs chefs. Atterrés, les responsables centraux et provinciaux réagissent souvent avec intelligence et souplesse, allouant des secours là où la situation est la plus difficile, fusillant parfois des boucs émissaires, et aidant les autorités locales à développer des solutions temporaires. Mais certaines autorités provinciales ont laissé mourir des villages entiers. La survie du régime s’est jouée dans ces moments où l’encadrement de base pliait sans se rompre.

L’H. : Comment sort-on d’une telle catastrophe ?

J.-L. D. : D’abord en attendant que le temps passe. En clair, la production céréalière diminue d’environ 20 %. La crise dans l’industrie est également très grave, d’autant que les Soviétiques, exaspérés par les critiques chinoises, retirent leur aide. La rupture avec l’URSS est définitive en 1960.

En 1961-1962, le pouvoir est obligé de faire à nouveau une place au marché privé, et d’autoriser les paysans à cultiver un lopin de terre, tandis que le commerce rural est relancé. Les cadres communistes les plus gauchistes sont écartés.

Après avoir tardé à comprendre ce qui se passait alors que des informations filtraient de partout, c’est un point que confirment les sources récentes, tous les dirigeants, en particulier Liu Shaoqi et Zhou Enlai, font une autocritique publique. Celle de Mao est incomplète et contrainte... De son côté, Deng Xiaoping, le secrétaire général du parti, mène désormais une activité plus que pragmatique, presque cynique : tout est bon pour relever l’économie. Sans s’opposer, il prend ses distances avec l’approche à la fois tyrannique et idéologique du patron.

De fait, le parti est épuisé. Quand Mao tente en 1962 de relancer la vapeur idéologique par le Mouvement d’éducation socialiste, l’appareil rechigne et ergote. Alors Mao s’énerve... Il supporte de plus en plus difficilement les dirigeants qui l’entourent, en particulier Liu Shaoqi, qui ont été les témoins de ses erreurs. Et il se décide progressivement à éliminer sa garde rapprochée.

L’H. : Cette volonté d’éliminer la vieille garde, c’est ce qui conduit Mao à lancer le pays dans la Révolution culturelle ?

J.-L. D. : Qu’est-ce qui décide Mao à déclencher la Révolution culturelle ? La question n’est pas tranchée, mais les sources montrent clairement l’agacement à la fois idéologique et personnel de Mao à l’égard de l’appareil central du parti.

Elles insistent aussi sur le complot ourdi par deux personnages : Jiang Qing, la femme de Mao, une actrice du Shanghai des années 1930, et son ancien protecteur, Kang Sheng, que ses excès durant les années 1940 avaient isolé. Pendant que le Mouvement d’éducation socialiste s’ensable dans des querelles obscures, avec l’aide de quelques affidés comme Chen Boda et Wang Li, ils montent une série d’escarmouches littéraires et philosophiques. Celles-ci finissent par convaincre le président qu’il est trahi par des bureaucrates révisionnistes : Peng Zhen, Liu Shaoqi, Deng Xiaoping - Zhou Enlai réussira à louvoyer entre modération et alliance avec l’extrême gauche maoïste.

À l’automne 1965 commence la grande «révélation» : diverses affaires font apparaître la trahison de la mairie de Pékin, puis des principaux départements centraux du PCC. Le concept de Révolution culturelle est mis en avant : il faut faire une révolution à partir du secteur de la culture. Mais, en fait, il s’agit d’une révolution de palais, d’une bataille pour le pouvoir dont désormais Mao veut jouir sans partage, et dont d’autres ­convoitent de plus en plus la succession.

L’H. : Mais la Révolution culturelle, c’est aussi une incroyable mobilisation de la population...

J.-L. D. : Cette mobilisation est l’instrument de l’offensive. Durant l’été 1966, les écoliers et étudiants deviennent les Gardes rouges. Encadrés par l’armée, ils sont lancés à l’assaut de tous les pouvoir établis, brûlent des livres, humilient les intellectuels. Les hommes en place sont brutalisés, sont contraints à des autocritiques, se suicident... Liu Shaoqi mourra dans un cachot en novembre 1969 ; Deng Xiaoping est exilé, son fils défenestré il restera infirme. Des familles entières sont emprisonnées. Les grandes villes sont paralysées par les grèves et les combats de rue.

Les pouvoirs en place sont remplacés à partir de l’été 1967 par les comités révolutionnaires. Dans cette nouvelle épine dorsale du régime, l’armée joue le rôle majeur. Au sommet, c’est la victoire de l’aile gauche du parti : Jiang Qing, le maréchal Lin Biao, désormais héritier présomptif et nouvel homme fort, et Chen Boda, l’ancien secrétaire de Mao.

C’est ainsi qu’on peut raconter l’histoire superficiellement. Mais ce que nous apprennent de nouveaux éléments, c’est qu’au moment même où le monde entier croit que le communisme chinois a trouvé son continuateur en la personne de Lin Biao, à qui Chen Boda se rallie, l’élimination politique du maréchal a déjà ­commencé. Jiang Qing et Zhou Enlai réussissent à mettre en évidence l’ambition de Lin Biao. Celui-ci a-t-il comploté ? Les dénonciations de la propagande ne sont pas convaincantes. En revanche, son fils a probablement imaginé de bombarder le train du président. Le 12 septembre 1971, Mao rentre en catastrophe à Pékin dans une telle fureur que la panique saisit Lin Biao.

Incroyable : ce maréchal qui a connu tous les dangers, qui a contribué à inventer la guérilla, est devenu un opiomane maniaque entouré d’une bande de lâches, d’une femme hystérique et d’enfants qui se disputent. Habilement taraudé par Zhou Enlai, il prend peur et fuit vers la frontière la plus proche, celle de l’Union soviétique. Tout se passe comme dans un film. Affolé, Lin Biao monte avec son entourage à bord d’un avion, revolver au point, et somme le pilote de décoller avant que le plein de kérosène soit achevé. Bientôt, les réservoirs sont vides, l’avion rate son atterrissage forcé et s’écrase en Mongolie... Cet épisode ouvre l’agonie de la Révolution culturelle et du règne de Mao.

L’H. : Quel est le bilan humain de la Révolution culturelle ?

J.-L. D. : On estime que la Révolution culturelle a causé entre 1 et 4 millions de morts. Mais on évalue à 100 millions le nombre de ceux qui ont été estropiés, martyrisés, maltraités, humiliés. Cela veut dire un Chinois sur huit, c’est-à-dire un adulte sur deux...

Et le régime a franchi la ligne blanche en s’en prenant aux familles : pendant la Révolution culturelle, beaucoup de couples ont été séparés, beaucoup d’enfants éloignés de leurs parents ; en tout, une bonne moitié de la population a été atteinte d’une façon ou d’une autre dans sa famille. Crime impardonnable dans ce vieux pays confucéen*...

De 1966 jusqu’à la mort de Mao, malgré quelques campagnes productivistes, le marasme s’installe, en partie aussi car la démographie explose. Le pays est juste assez riche pour nourrir à peu près sa population et pour construire des armes. Sur le plan politique, la conséquence de la Révolution culturelle est l’effondrement de l’idéal maoïste d’une révolution continuée, sans cesse relancée : car chacun peut voir que le résultat est : plus de répression et plus de privations.

On peut, pour résumer, dire que si l’échec du Grand Bond en avant a frappé le communisme au ventre, celui de la Révolution culturelle l’a frappé à la tête. Il l’a ridiculisé et a menacé sa légitimité.

L’H. : Comment ce maoïsme disparaît-il ?

J.-L. D. : Dans une atmosphère de complots permanents. La Révolution culturelle a compromis une bonne partie de ses animateurs initiaux. Ainsi s’ouvre un espace pour des personnalités plus modérées. Elles sont regroupées autour de Zhou Enlai. C’est un personnage incroyable : fils de famille devenu étudiant nationaliste à la fin des années 1910 ; puis cadre du petit PCC naissant, agitateur stalinien et l’homme des basses oeuvres à Shanghai ; guérillero antimaoïste des années 1934-1935, il n’a vraiment cessé de jouer contre Mao qu’au début des années 1940 pour devenir ensuite, avec quelques éclairs de courage, l’indispensable collaborateur, à la fois Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, chef de cabinet, simple courtisan et comploteur aux moments clés.

Après avoir réussi à survivre aux torrents de la Révolution culturelle, Zhou joue son va-tout en 1972. Il lance une critique de l’ultra-gauche, rationalise la politique économique et ouvre la Chine sur le monde. De fait, celle-ci entre à l’ONU en 1971. L’année suivante, le président américain Nixon se rend en Chine. Le pays renoue avec l’Occident.

Mais Zhou Enlai découvre qu’il est atteint d’un cancer. Jiang Qing et ses affidés l’apprennent et déclenchent une offensive à laquelle Mao se prête, jaloux des succès internationaux de son collaborateur. Zhou Enlai, que l’on empêche de se soigner, se trouve dans des difficultés politiques croissantes, d’autant qu’en 1973-1974 l’aile gauche tente de relancer la Révolution culturelle ; c’est la «critique de Lin Biao et Confucius».

Aussi, à la fin 1974, Zhou passe le flambeau à Deng Xiaoping, qui impose un programme de rationalisation. L’espoir renaît d’un retour à l’ordre et au réalisme. Mais, à la fin de 1975, Jiang Qing retrouve l’écoute de Mao et élimine Deng... Les neuf derniers mois avant la mort du Grand Timonier, en septembre 1976, et avant l’élimination de la Bande des quatre en octobre, voient une relance délirante de l’agitation dans un pays épuisé physiquement et psychologiquement.

L’H. : Peut-on conclure de tout cela que le maoïsme a constitué un des régimes les plus délirants que le XXe siècle ait produits ?

J.-L. D. : Probablement, oui. Et les Chinois ont souffert abominablement. Ils ont souffert de la faim et du froid. Ils ont souffert de leurs espoirs déçus - parce qu’ils ont beaucoup espéré dans les premières années. Ils ont souffert également d’humiliation - parce que le maoïsme n’a pas été seulement un pouvoir sur les corps mais également sur les esprits.

Pourtant, il y a eu des variations chronologiques et locales. Bien des cadres locaux ont cherché à soulager les populations, des habitudes aussi se sont prises. Bien souvent, l’horreur du totalitarisme a été quelque peu étouffée par le désir commun de survivre et de s’en sortir.

A mon avis, on ne comprend pas la violence avec laquelle cette société s’est jetée, après 1978, dans un développement brutal et inégal si on ne tient pas compte du sentiment, largement partagé, que l’on a trop longtemps souffert, qu’il faut créer l’irréversible. Au fond, l’idée d’une sorte de deuxième Grand Bond pour que les horreurs du temps de Mao ne soient plus possibles.

Propos recueillis par L’Histoire.

Par Jean-Luc Domenach

source

Jean-Luc Domenach
Jean-Luc Domenach, sinologue

 

 

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21 janvier 2017

métaphore et périphrase, Michel Audiard

film dialogues Audiard

 

 

métaphore et périphrase,

Michel Audiard

 

 

 

- Mais attention, hein... J'ai bon caractère mais j'ai le glaive vengeur et le bras séculier. L'aigle va fondre sur la vieille buse.

- C'est chouette comme métaphore, non ?

- C'est pas une métaphore, c'est une périphrase.

- Oh, fais pas chier !

- Ça, c'est une métaphore.

dialogues de Michel Audiard

 

 

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4 octobre 2017

les traites négrières européenne et arabo-musulmane

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les traites négrières européennes

et arabo-musulmanes

 

L'esclavage semble aussi ancien que les sociétés historiques. La captivité et le travail servile étaient le sort réservés aux prisonniers de guerre et aux vaincus. Il est très répandu dans l'Antiquité.

L'Afrique a connu trois types de traites : la traite intra-africaine (entre Africains), la traite arabo-musulmane qui a duré du VIIe au XXe siècle, et la traite européenne qui s'est manifestée de la fin du XVe au XVIIIe siècle.

Dans ce continent, c'est la colonisation européenne qui a mis un terme à l'esclavage, progressivement au cours du XIXe siècle. L'esclavage persiste dans certains pays musulmans comme la Mauritanie, et à l'égard des populations du Darfour (au sud du Soudan musulman).

La carte ci-dessous montre les régions de capture des esclaves et les itinéraires vers les lieux d'exploitation de la main d'œuvre servile : îles de la Caraïbe et continent américain pour la traite européenne (10 à 11 millions d'esclaves) et l'espace moyen-oriental pour la traite arabo-musulmane (17 millions d'esclaves).

Le transfert des esclaves s'est effectué par la voie trans-atlantique pour les négriers européens (les flèches indiquent les trajets français ; on n'a pas mentionné les itinéraires anglais, espagnols ni portugais), et par les voies trans-saharienne et orientale pour les négriers arabo-musulmans.

 

traites négrières européenne et arabo-musulmaneles traites négrières européenne et arabo-musulmane © Michel Renard

 

bibliographie

  • Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, essai d'histoire globale, 2005.
  • Tidiane N'Diaye, Le génocide voilé. Enquête historique, 2008.
  • Frédéric Régent, La France et ses esclaves. De la colonisation aux abolitions (1620-1848), Pluriel, 2012.

 

 

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26 octobre 2015

«Il est nécessaire de republier "Mein Kampf"»

Mein Kampf couv

 

 

«Il est nécessaire de republier Mein Kampf»

Christian INGRAO

 

 

Jean-Luc Mélanchon

Après le courrier de l'homme politique Jean-Luc Mélenchon demandant aux éditions Fayard de ne pas republier l'ouvrage d'Adolf Hitler,le journal Libération publie la réponse de Christian Ingrao, historien du nazisme et chercheur au CNRS.

_____________

 

Monsieur,

Je viens de prendre connaissance de votre courrier à l’éditrice de la maison Fayard, Sophie Hogg, lui demandant de renoncer à l’édition de Mein Kampf et en tant qu’historien du nazisme, je voudrais vous apporter quelques éléments de réflexion.

Votre description du livre d’Adolf Hitler m’a tout d’abord paru pour le moins problématique : «une condamnation de six millions de personnes à mort», vraiment ? Les cinquante dernières années de labeur acharné des historiens, illustrées par l’avènement de l’école fonctionnaliste opposée à cette école intentionnaliste que vous représentez ici involontairement, ont montré que le Troisième Reich ne fut pas la réalisation d’un programme écrit dans l’ennuyeux livre du futur dictateur, mais bien que le génocide constitua l’aboutissement de politiques incohérentes, obsessionnelles, portées à l’incandescence homicide par un mélange de considérations idéologiques, logistiques, économiques et guerrières.

Ni les usines de mort ni les groupes mobiles de tuerie ne sont annoncés dans Mein Kampf et il est tout simplement faux de penser accéder à la réalité du nazisme et du Génocide par la seule lecture du piètre pamphlet du prisonnier autrichien.

Vous me direz : «Raison de plus pour ne pas le publier !» et je n’en aurais pas disconvenu avant de vous lire. Mais votre argumentation m’a au fond convaincu du contraire.

 

ni psychopathe halluciné, ni magicien manipulant les foules

Il est nécessaire de re-publier ce livre, harnaché de ce discours historien dont vous faites peu de cas, pour pallier la pathologisation du dictateur et la surestimation de sa lourde prose. Il faut montrer en pleine lumière qu’Hitler fut le révélateur d’une immense crise politique non seulement allemande mais européenne. Ni psychopathe halluciné, ni magicien manipulant les foules, Hitler dicta un essai besogneux qu’il faut montrer comme tel. Il fut aussi et surtout le catalyseur d’un projet politique dont il faut montrer les évolutions, traquer les cohérences internes et, inexorablement, souligner la grande attractivité.

En d’autres termes, il faut s’adresser à des lecteurs comme vous, Monsieur, pour les conduire à cesser de rejeter Hitler et Mein Kampf dans le pathologique et la démonologie, pour les conduire à penser en termes historiens et politiques, simplement. Il faut arrêter de croire que Mein Kampf nazifierait les égarés qui tomberaient dessus par accident. C’est un livre qui ne peut convaincre que des convertis.

Vous me pardonnerez, je l’espère, de ne pas souscrire non plus à la formule choc «éditer c’est diffuser». Voilà bien le propos de quelqu’un qui n’a jamais tenté de trouver ce texte, et je vous comprends. Mais la recherche «Mein Kampf PDF» est la deuxième plus populaire quand on tape les premiers mots du titre dans Google, et il faut deux clics de souris pour y accéder. Allez-vous écrire une lettre aux fondateurs de Google ? J’imagine les nababs de Mountain View passablement occupés à imaginer le futur augmenté de notre planète et me demande bien comment ils recevraient votre courrier…

 

l'édition critique ne rendra pas le livre plus attractif

Regardons la réalité en face : le livre est immédiatement disponible à quiconque veut le trouver et l’édition que projette Fayard, en rendant la lecture du texte plus technique, ne me semble pas risquer de le rendre plus attractif. Garni de longues introductions, bardé de notes infra-paginales et de renvois d’index, le texte dont les historiens se seront saisis sera lisible pour ce qu’il est, mais aussi pour ce qui aura été créé. Et il sera enfin disponible pour les enseignants, étudiants, et lecteurs curieux qui veulent accéder au texte pour s’en faire une idée.

Vous faites ensuite appel à la mémoire de la maison Fayard et des précédentes éditions de Mein Kampf, caviardées et sorties avec l’aval d’Hitler. Je suis heureux de vous annoncer que cette fois-ci il n’en est rien et qu’il y eut aussi à l’époque une édition qui provoqua la fureur du dictateur et l’incita à ester en justice.

Mais anecdote que tout cela. Ce qui se dit dans votre propos, sur un monde sans mémoire, est bel et bien ce qui constitue mon désaccord suivant. Non, monsieur Mélenchon, le monde n’est pas sans mémoire : la guerre en Yougoslavie, par exemple, cette guerre monstrueuse, a bien surgi aussi d’un trop-plein de mémoire ; la dernière transgression de M. Nétanyahou n’est pas de l’ordre de l’amnésie, mais du calcul politique et de l’instrumentalisation d’une mémoire précisément encore si douloureusement omniprésente qu’elle est entourée du halo du tabou.

 

éditer Mein Kampf, c'est lui opposer le savoir historien

Éditer Mein Kampf, c’est précisément lutter contre cette mise en tabou, c’est refuser de sacraliser négativement ce texte si pataud. C’est lui opposer le savoir et l’éclairage historiens en muselant véritablement un texte dont on sent bien que son halo excède de très loin l’effet de sa lecture.

J’ai enfin, je l’avoue, beaucoup moins de prise et d’avis sur la question morale qui constitue le dernier axe de votre courrier. Vos propos sur l’ignominie et l’horreur que vous inspire le projet me semblent devoir être portés au crédit de la rhétorique de votre adresse car je vous avoue réserver pour ma part mes larmes et ma nausée aux charniers de Syrie et d’Irak, aux noyés de la Méditerranée, à l’incurie étatique de Calais, et certainement pas à ce texte.

Vous abordez cependant ensuite les aspects financiers de la question, et «la vertu, la brûlante exigence […] qui doivent commander à ceux qui ont l’honneur d’être les "pousse à penser" de leurs lecteurs». Décrites ainsi, la condition de l’éditeur et celle de l’historien sont bien lourdes à porter et très intimidantes.

Mais croyez-vous sérieusement que de ne pas éditer Mein Kampf va changer quelque chose à l’éventualité de la victoire de madame Le Pen aux élections régionales dans la région Nord-Pas-de-Calais ? Croyez-vous vraiment qu’éditeurs et historiens auraient quelqu’efficace à offrir leur abstention de publication tels des héros achéens leur poitrine pour empêcher des hordes brunes d’accéder à la représentativité ?

Ce n’est pas en empêchant un projet scientifique de venir à terme que ceux auxquels ces choses importent vont retrouver prise sur le réel de la politique. L’urgence, en politique, c’est de formuler enfin un projet fédérateur, une manière d’avenir que les hommes, les femmes et les enfants de France et d’Europe voudront vraiment vivre ensemble. Loin de moi l’idée de donner conseil à quiconque : j’ai trop travaillé sur des intellectuels militants nazis et génocidaires pour me permettre de sortir de mon rôle d’historien. Mais chacun son métier, sa fonction, ou son office, Monsieur : les historiens et les éditeurs sont là pour écrire des livres et parler du passé ; les hommes politiques pour parler d’avenir.

Je vous adresse mes sentiments les plus cordiaux.

 

Christian Ingrao chargé de recherches au CNRS
Libération, 25 octobre 2015

Christian Ingrao

 

Christian Ingrao a publié un ouvrage au sein de la maison d’édition Fayard.

 

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17 août 2016

André Gide, Les Faux-Monnayeurs (1925) : critiques, commentaires

Faux-Monnayeurs éd 1967

 

 

Les Faux-Monnayeurs,

André Gide (1925)

critiques, commentaires, iconographie

 

 

sommaire

I - quelques jugements sur le roman de Gide

II - Les propos de Gide sur l'écriture des Faux-Monnayeurs, selon Maria van Rysselberghe (Cahiers de la Petite Dame)

III - commentaires sur Les Faux-Monnayeurs

  • Paul Souday (1927)
  • Emmanuel Berl (1929)
  • Ramon Fernandez (1931)

III - couvertures des Faux-Monnayeurs

IV - couvertures du Journal des Faux-Monnayeurs

V - Les Faux-Monnayeurs, une psychobiographie de André Gide ?

VI - André Gide et l'homosexualité

VII - Les Faux-Monnayeurs au cinéma

VIII - liens

 

André Gide portrait rapproché
André Gide, 1869-1951

 

 

I - quelques jugements

 

  • "Inquiet dès sa plus tendre enfance, Gide n’aura de cesse ensuite d’inquiéter les autres, de les alerter, de les éclairer sur les faux-semblants qui drapent la vie sociale."
  • "Les Faux-Monnayeurs, le seul «roman» que Gide ait jugé digne de ce nom, constitue pour l’histoire de la littérature du XXe siècle un jalon essentiel, modèle de «mise en abyme» et de réflexion en actes sur le genre romanesque. Nul hasard si Les Faux-Monnayeurs est régulièrement inscrit au programme de licence ou de l’agrégation."
  • "... Les Faux-Monnayeurs, ce roman expérimental. Gide, on le sait, est l’inventeur de la «mise en abyme». Tout un pan de la littérature contemporaine, qui met au premier plan le travail de l’écrivain et la dimension réflexive de l’œuvre, procède en vérité de Gide, autant que de Proust ou de Joyce."

Franck Lestringant, "Gide, révolutionnaire malgré lui", site Le Salon littéraire, 2012.

 

 

II - Les propos de Gide sur l'écriture des Faux-Monnayeurs, selon Maria van Rysselberghe (Cahiers de la Petite Dame)

 

Maria van Rysselberghe couv

 

* en italique le texte de Maria van Rysselberghe, pour le distinguer des propos de Gide lui-même.

 

Les Faux-Monnayeurs – Gestation des Faux-Monnayeurs

Je me sens en pleine gestation, je sens se former les organes de mon embryon ; tantôt l’un, tantôt l’autre prend des proportions débordantes. Ah ! arriver à faire de tout cela un être viable ! Au fond, je crois que tout cela n’est pas mûr. Je crois qu’il me faudra baratter tous ces éléments dans mon esprit encore longtemps. Il n’y a pas un centre à mon roman, il y en a deux comme dans une ellipse : les faits d’une part, et leur réaction dans «Édouard» ; lequel prendra le pas sur l’autre ? Je crois que le journal du roman va entrer dans le roman lui-même ; parfois je me dis que si cela n’avance pas mieux, c’est que je fais fausse route, que je m’acharne sur des données impossibles. D’ordinaire, le personnage qui tient les ficelles, le personnage ciment est forcément de second plan ; moi, j’entends en faire l’intérêt principal, mais pas au détriment de l’action, de la vie, ce qui chez moi est un penchant trop naturel.

D’habitude, quand on fait un roman, ou bien on part des caractères et on invente des faits pour les mettre en valeur, ou bien on part des faits et on crée les caractères dans la mesure où ils les peuvent expliquer. Mais «Édouard», qui tient toutes les ficelles psychologiques d’une série d’êtres, dont il est le confident, au lieu d’écrire un roman, rêve de faire agir ces êtres dans la réalité et il n’arrive pas à faire la preuve des caractères par les faits.

Ces êtres lui donnent des événements, dont il ne peut rien faire ! et cela devient une partie du sujet. Ce roman peut devenir aussi la critique du roman, du roman en général […].

Je viens de commencer mon livre ; si je le réussis, il sera ahurissant ; il ne ressemblera à quoi que ce soit ; et, en même temps, j’écris le journal de ce livre, comme on ferait pour un enfant. Ça m’aide beaucoup pour son développement, ça me paraît d’un difficile ! Le roman me semble, du reste, le genre le plus factice ; je suis toujours tenté de parler à la première personne.

Je crois que je n’attendrai pas qu’il soit tout à fait en moi pour l’écrire. Je voudrais que le lecteur ait le sentiment qu’il se fait devant lui ; je voudrais supprimer les parties mortes du roman.

Que tout cela est donc compliqué à expliquer !

Il me lit quelques passages, pour me donner une idée du ton : un dialogue entre «Lafcadio» et «Édouard», mais ces personnages resteront-ils seulement ? Je modifie toujours mes débuts.

Puis, quelques jours plus tard : Je commence à être harcelé par mon livre. Je fais un livre comme on fait une maladie ; c’est un travail de dépersonnalisation, comme un insecte qui change de forme.

1919, p. 101-102 

 

Lecture des Faux-Monnayeurs

Le soir après le dîner ; il nous lit ce qu’il a écrit de son roman : des passages qui ne se suivent pas. Il en est tout désillusionné. Quelques phrases seulement le contentent. Rien de tout cela ne restera sans doute, dit-il ; peut-être ferai-je de tout cela deux livres ? L’un à la manière des Paludes, tout à fait critique et déconcertant, l’autre, un roman de vie ?

1919, p. 103 

 

Les Faux-Monnayeurs

[Gide dit] Quand je songe à mon roman, ce mythique roman, j’ai parfois la peur de tomber dans le roman à idées, le pire des genres ! Puis je me dis : pourquoi penser ainsi ? Il n’y a pas de mauvais genres ; pourquoi pas, après tout, un roman à idées, carrément, en le montrant, en faisant nettement sentir à certains moments que les idées sont plus importantes que les personnages… ? Certaines parties commencent tout de même à se durcir, à force d’y songer ; du début dont je vous ai parlé, rien ne restera, je crois ; le dialogue entre Édouard et celui que pour simplifier, nous continuerons à appeler Lafcadio doit aussi être refait. Les réalités auxquelles je songe (rapports de parents à enfants chez mon oncle Charles Gide et chez Allégret), pour ce début, sont si riches que j’ai bien peur de rester très en-dessous.

Il esquisse en quelques mots ce début : fuite de l’enfant, rencontre d’Édouard déposant sa valise à la consigne, le billet de consigne qu’il perd, vole, puis inspection de la valise…

1921, p. 129-130

 

 

Les Faux-Monnayeurs

À travers tout ce que dit Gide, quel que soit l’auteur dont il parle, on sent qu’il pense à son roman, pour le comparer, pour l’opposer.

1922, p. 154

 

Les Faux-Monnayeurs

Notre impatience est grande de lui entendre lire quelque chose de son livre ; cela le met dans un état de malaise nerveux : il hésite, il soupire, il prend un temps exagéré pour s’installer. Enfin, il commence et nous lit le premier chapitre, dont il n’est pas content du tout (sauf de la lettre laissée par le petit Bernard), puis d’autres dont il aime assez le ton (l’arrivée de Bernard chez Olivier), où l’ont voit d’abord Robert de Passavant, Lady Griffith , puis enfin le journal d’Édouard.

Il a, dit-il de telles antennes quand il lit à haute voix qu’il sent exactement ce qui nous plaît le plus, ce que nous aimons le moins ; nous de même, du reste, au seul ton dont il lit.

Il pense supprimer presque entièrement le premier chapitre : Il doit, il devrait être comme le meilleur.

Ce matin en s’éveillant, il a trouvé le titre du dernier livre de son personnage Robert de Passavant (qui est un peu Cocteau) : La Barre fixe, ou peut-être bien La Grande Ourse.

1923, p. 170

 

 

Les Faux-Monnayeurs

Ai-je dit que le Home américain de la rue Chevreuse, où j’ai si souvent été voir mes amies Jane Harrison et Hope Mirrlees rencontrées à Pontigny, était précisément le local de la pension Azïs des Faux–Monnayeurs (pension que Gide fréquentait authentiquement dans son enfance) ?

 

Home américain rue de Chevreuse

 

Il demande à Andrée de le conduire dans ce qui est maintenant la salle à manger et qui était autrefois une classe, celle-là même où il situe, dans le roman, le suicide du petit Boris.

Il travaille beaucoup, avec le secret désir d’avoir terminé son roman avant de partir. Il a commencé par nous lire, en plusieurs fois, ce que nous ne connaissions pas encore.

À propos de la scène entre Molinier et Édouard, je crois (l’exactitude ici n’a du reste pas grande importance), il me raconte que Martin du Gard ne la trouve pas vraie, et dit cette chose curieuse : Tant pis, je trouve mon dialogue excellent ; s’il le faut, je changerai plutôt le caractère du personnage. Du reste, c’est toujours ainsi que je procède ; je fais parler mes personnages ; c’est ainsi qu’ils naissent, qu’ils se dessinent. Que de choses on affirme au nom de la psychologie ! Je crois qu’on peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui ; c’est la manière qui importe.

Je me souviens que j’avais été très choquée du développement inattendu qu’il avait donné au caractère de Sarah. Il me dit : C’est fort juste ; vous avez raison, et je vais revenir à la première version. J’ai voulu brusquement enrichir mon livre du problème de la maternité et je n’ai fait que l’alourdir ; ce n’est pas dans le cadre.

Je revois encore ceci : à la lecture de l’incident du mouchoir taché de sang, Élisabeth sursaute ; ça lui paraît faux, outré. Il dit : Martin du Gard aussi veut me faire supprimer ça ; il prétend que c’est une faute de psychologie, que jamais un être jeune ne fera ça et que le dégoût l’emportera. Mais il tient à cet incident ; il trouve précisément que ce côté cyniquement d’accord, de mauvais goût, grinçant, est bien dans le caractère d’Armand. […]

Il n’est plus très content de son travail ; ses personnages, dit-il commencent à l’ennuyer. Un matin, il apparaît avec une singulière figure, moitié riante et moitié penaude, excité d’avance par l’étonnement qu’il va causer : J’ai bien travaillé, dit-il, j’ai trouvé le joint ? J’ai fait intervenir un ange. Que va dire Martin du Gard ! Bernard n’avait plus de confident, il faut bien qu’il parle à quelqu’un !

Le soir, il nous lit l’entrée en scène de l’ange. Il est presque déconcerté de voir que je m’habitue vite à cette forme de la conscience de Bernard.

Lamennais couvLe lendemain, il est moins content de l’ange ; il s’est beaucoup battu avec lui pendant la nuit. Il prétend que ça n’est pas neuf, que ça fait penser aux Paroles d’un croyant de Lamennais, qu’il a beaucoup pratiqué autrefois, et à ne je sais plus quoi d’autre.

Il dit encore : Vous rappelez-vous (il emploie toujours cette forme courtoise, même quand il est certain qu’on ne se souvient pas) comme c’est beau, dans la Bible, beau comme les plus belles choses, ce dialogue de l’ange et de Jacob, quand Jacob lui dit : «Je ne te laisserai pas partir, que tu ne m’aies béni». C’est très mystérieux, cette emprise de l’homme sur l’ange !

Plus tard, il nous lit le passage dans la Bible.

 

Il me dit aussi : Comme c’est étrange, au commencement du livre, quand j’ai mis dans la bouche de Bronia ces propos, je n’avais pas la moindre idée que je ferais intervenir un ange dans mon roman, et maintenant je me dis que si je l’avais su, je n’aurais pas fait autrement ; cette conversation de Bronia a l’air de le faire pressentir.

1925, p. 201-203

 

Delacroix 1861
La lutte de Jacob avec l'Ange, Delacroix, 1861

 

 

Les Faux-Monnayeurs achevés

J’ai dû faire beaucoup de choses avec lui, des achats de toutes sortes, mais nous étions trop pressés pour y trouver beaucoup de plaisir. Je revois bien le dernier après-midi de ce séjour. C’était à la Villa. Il m’attendait en préparant le thé. Il voulait me lire la fin des Faux-Monnayeurs, qu’à son très grand soulagement, il venait de terminer.
Je me souviens qu’au moment où il a commencé, j’ai éprouvé ce genre de vertige, d’inexplicable malaise qui vous saisit quand on a le sentiment qu’on revit un instant qu’on a déjà vécu identique, jusque dans les moindres nuances de l’atmosphère ; c’était si violent que, d’abord, cela m’empêchait d’écouter ; j’étais tendue à l’excès. Mais la lecture est si poignante (c’est le suicide du petit Boris) qu’elle me tient haletante jusqu’au bout. Lui est très attentif au choc qu’il croit que je vais éprouver quand, se taisant, il me fera comprendre que c’est fini. Mais non, je ne suis point choquée
.

1925, p. 203-204

 

Les Faux-Monnayeurs se vendent mal. Ils sont bien peu à se rendre compte de la valeur de ce livre, mais ça viendra.

1926, p. 229 

 

 

 

III - commentaires sur Les Faux-Monnayeurs

 

Paul Souday portrait
Paul Souday, 1869-1929

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Paul Souday (9)

Paul Souday (10)

Paul Souday (11)

 

Paul Souday, André Gide, éd. Simon Kra, 1927, p. 95-105. Commentaire très négatif. source BnF Gallica

 

 

 

 

Emmanuel Berl jeune
Emmanuel Berl, 1892-1976

Emmanuel Berl sur les Faux-Monnayeurs 1929
Emmanuel Berl, revue Europe, 15 janvier 1929

 


 

Ramon Fernandez portrait
Ramon Fernandez, 1894-1944

Ramon Fernandez André Gide couv

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (1)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (2)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (3)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (4)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (5)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (6)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (7)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (8)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (9)

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Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (11)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (12)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (13)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (14)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (15)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (16)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (17)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (18)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (19)

Ramon Fernandez Gide Faux-Monnayeurs (20)
Ramon Fernandez, André Gide, 1931

 

 

 

III - couvertures des Faux-Monnayeurs

 

Faux-Monnayeurs couv (5)

 

Faux-Monnayeurs couv (3)

 

Faux-Monnayeurs couv (4)

 

Faux-Monnayeurs couv (1)

 

Faux-Monnayeurs couv (2)

 

 

 

 

IV - couvertures du Journal des Faux-Monnayeurs

 

 

Journal des Faux-Monnayeurs couv

 

 

 

V - Les Faux-Monnayeurs, une psychobiographie de Gide ?

 

Le roman (...) offre des éléments (de psychobiographie). Le petit Boris ressemble beaucoup au petit André : lui aussi s'est retrouvé prématurément orphelin de père, lui aussi a dû affronter un problème d'onanisme infantile, l'École alsacienne qu'il fréquentait ressemblait par certains aspects à la pension Vedel. L'amour sublimé que le jeune Gide a éprouvé pour sa cousine Madeleine à l'époque fervente de sa première communion n'est pas sans rappeler celui que Bernard déclare vouer à Laura.

L'aventure d'Édouard avec Olivier, que lui dispute Passavant, rappelle beaucoup celle de Gide avec Marc Allégret, que fascina un moment Cocteau, en 1917.

Les lettres du frère de La Pérouse brûlées par sa femme sont une transposition des lettres de Gide brûlées par Madeleine à la suite de son départ avec Marc pour l'Angleterre en 1918.

Madeleine Gide
Madeleine Gide

Et on peut considérer comme une transposition encore beaucoup plus complexe cet enfant encombrant, et pourtant pas absolument non désiré, qu'attend Laura, alors que Gide vient de faire une fille en 1923 à  Elisabeth Van Rysselberghe, la fille de sa meilleure amie.

Le substrat psychobiographique offert par Les Faux-Monnayeurs est donc d'une richesse incontestable. Il a d'ailleurs déjà été relevé et partiellement exploité dans deux ouvrages, ceux de Jean DELAY, La jeunesse d'André Gide (Gallimard, 2 vol., 1956-57), et de Pierre MASSON, Lire les Faux-Monnayeurs (PUL, 1990).

Jean-Yves Debreuille, "La psychanalyse en question dans Les Faux-Monnayeurs", Semen (en ligne le 22 mai 2007), 9, 1994.

 

 

 

VI - André Gide et l'homosexualité (Franck Lestringant)

 

- Vous abordez de front la question de l’homosexualité et notamment de la pédérastie d’André Gide. Comment se fait-il qu’il ait fallu attendre soixante ans pour en parler aussi ouvertement, et dans un contexte loin d’être favorable à ce type d’évocation ? Cet aspect qui a influencé sa vie a-t-il influencé l’œuvre ?

Franck Lestringant - C’est la question la plus délicate, et malheureusement la seule que le grand public retient aujourd’hui. Quand on prononce le nom de Gide, on pense tout de suite aux petits garçons. Or c’est une question sérieuse qui ne prête guère à rire. Il faut aller aux États-Unis, où fleurissent, comme on sait, les «Gender Studies» et les «Gay and Lesbian Studies», pour comprendre l’importance toujours actuelle de Gide à cet égard.

Si la communauté homosexuelle, dans les pays d’Occident tout au moins, peut aujourd’hui revendiquer des droits, c’est en grande partie à Gide qu’elle le doit.

Car la pédérastie, chez Gide, n’est ni un détail ni un accident. C’est une composante essentielle de sa vie et de son œuvre. Gide, à plusieurs reprises au cours de son existence, a déclaré qu’il avait deux passions : «La pédérastie et la religion.» Variante : «La pédérastie et la littérature.» Quel que soit le second terme, religion ou littérature, la religion comme inspiratrice de la littérature ou la littérature comme religion, il y a toujours, comme premier terme, la pédérastie. C’est une constante, et presque la constante de son action.

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C’est la pédérastie qui a poussé Gide à s’engager et même à envisager de sang-froid le martyre. Tel est le sens de Corydon, de tous ses livres celui auquel il tenait le plus, et qui sera sans cesse retravaillé, retouché et augmenté entre 1909 et 1924, date de sa diffusion publique. Entre tous les «motifs» de Gide, au sens que l’on a défini plus haut, la pédérastie a sans doute été le plus fort, le plus puissant, et jusqu’à son extrême vieillesse, le plus impérieux.

Mais qu’est-ce que Gide entendait par pédérastie ? C’est en vérité une espèce très particulière d’homosexualité. Gide, en effet, a toujours été soucieux de distinguer trois sortes d’homosexuels, confondus à tort selon lui, et qui dessinent une nette hiérarchie.

Dans ses «feuillets» de 1918, contemporains de la rédaction finale de Corydon, il précise ces trois définitions : «J’appelle pédéraste celui qui, comme le mot l’indique, s’éprend des jeunes garçons. J’appelle sodomite celui dont le désir s’adresse aux hommes faits. J’appelle inverti celui qui, dans la comédie de l’amour, assume le rôle d’une femme et désire être possédé» Se rattachent à cette dernière catégorie ceux que Gide appelle les «Lesbiens», des invertis honteux et souvent inconscients qui, «soit par timidité, soit par demi-impuissance, se comportent en face de l’autre sexe comme des femmes», dans une «conjugaison» en apparence «normale».

Certes Gide convient que «ces trois sortes d’homosexuels ne sont point toujours nettement tranchées» et qu’«il y a des glissements possibles de l’une à l’autre». Il reste qu’à ses yeux la différence l’emporte sur les similitudes, une différence «telle qu’ils éprouvent un profond dégoût les uns pour les autres ; dégoût accompagné d’une réprobation qui ne le cède parfois en rien à celle que vous (hétérosexuels) manifestez âprement pour les trois».

 

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André Gide (1869-1951) et Marc Allegret (1900-1973), en 1920

 

Gide se situe sans hésiter dans la première catégorie, l’espèce la plus rare, à laquelle les mœurs antiques, la poésie, l’art et la philosophie des Grecs ont depuis vingt-cinq siècles conféré ses lettres de noblesse. Les pédérastes représentent pour Gide l’élite de la société homosexuelle, une authentique noblesse d’élection.

Toutefois il respecte les sodomites, «beaucoup plus nombreux», qui constituent la masse. Il ne peut cacher en revanche son mépris, voire son dégoût, pour les invertis, qu’il dit, contre toute évidence, avoir «fort peu fréquentés», et qu’il rejette dans les bas-fonds. Ce sont les brebis galeuses du troupeau, qu’il convient de tenir à l’écart. Parmi ces invertis ou ces «tantes», il y a Oscar Wilde et Marcel Proust, à l’endroit desquels Gide ne peut cacher une instinctive répugnance, mêlée contradictoirement d’admiration.

 

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Gide et Marc Allegret en 1920

 

- On voit donc que le combat de Gide en faveur de l’homosexualité n’est dépourvu ni d’ambiguïté ni de réticences. Ce qu’il faut retenir toutefois, et qui est capital, c’est le renversement des valeurs auquel il procède. S’inspirant de Montaigne, Gide peut proclamer que «les lois de la conscience, que nous disons naître de la nature, naissent de la coutume».

Franck Lestringant - Le fameux «péché contre nature» n’est en vérité qu’un péché contre la coutume. L’homosexualité, le spectacle des chiens dans la rue le prouve chaque jour, n’est pas moins «naturelle» que l’hétérosexualité. Et, ajoute Gide, elle a été indispensable à l’éclosion des plus hautes formes de l’art et des plus grandes époques de la civilisation.

Le biographe de Gide ne saurait passer sous silence cette dimension de l’homme. Aucune curiosité malsaine à cet égard, mais le simple devoir de vérité, auquel Gide lui-même a sacrifié toute sa vie. Il a montré la voie, quelque gêne que l’on puisse éprouver parfois au détail de ses aventures.

Franck Lestringant, "Gide, révolutionnaire malgré lui", site Le Salon littéraire, 2012.

 

 

 

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VII - Les Faux-Monnayeurs au cinéma

 

Pourquoi Les Faux-monnayeurs ? Pourquoi à la télévision ?

Benoit Jacquot : Les Faux-monnayeurs est sans doute l’un des premiers films que j’ai voulu faire. J’ai lu le roman très jeune, à l’âge de ses jeunes protagonistes, au moment où je me suis mis en tête que je serais cinéaste et rien d’autre.

C’est même un désir qui m’a pris en le lisant, je crois. Bien que Gide, à ma connaissance, n’en ait jamais parlé, il y a quelque chose de feuilletonesque dans Les Faux-monnayeurs. Sur un mode extrêmement retors et complexe. Des rebondissements, des personnages qui se cherchent, qui se trouvent, qui se perdent…, qui constituent un monde en soi, vivant selon un temps qui est celui du roman.

 

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À certains égards, il y a quelque chose de balzacien. L’idée est restée en moi, à l’état latent, réapparaissant de temps à autres, et ce n’est finalement qu’il y a une dizaine d’années que j’ai commencé à penser sérieusement avec un ami producteur à monter ce projet pour le cinéma. Nous nous sommes vite rendu compte que nous aurions un mal de chien à le faire aboutir, pour diverses raisons liées au commerce cinématographique et dont la moindre n’était pas la question de la durée, puisque j’imaginais alors un film bien plus long qu’il ne l’est aujourd’hui. Ce n’est pas impossible au cinéma mais c’est rare parce que c’est risqué.

Mais, au fond, cette impasse m’a beaucoup servi en me permettant d’identifier ce qui pouvait être problématique dans cette… j’ai horreur du mot «adaptation», disons dans le fait de transformer ce roman en film. Plusieurs cinéastes en ont rêvé, certains sont même allés très loin, comme Luigi Comencini.

À la Gaumont, durant les «années Toscan», on y a beaucoup réfléchi. Généralement, cela provoque un grand enthousiasme avant de buter sur des écueils qui visiblement dégonflent tout.

 

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Enfin, il y a quelques années, une amie m’a montré les tapuscrits d’un projet d’adaptation des Faux-monnayeurs pour Marc Allégret, qui a été comme on sait à la fois un cinéaste renommé et l’intime de Gide. Lisant cela, qui avait beaucoup d’intérêt mais était totalement impraticable, j’ai senti la corde se tendre de nouveau. Ce qui s’est accompagné de deux décisions : proposer ce film à la télévision et m’attaquer seul au scénario.

«Attaquer» est le mot juste parce que j’y suis allé brutalement, c’est-à-dire que j’ai fait des gestes qui peuvent sembler discrets à présent mais qui, sur le moment, étaient violents.

J’ai «rechronologisé» le roman, laissé de côté des pans entiers de l’histoire, des situations, des personnages. J’ai tenté de «linéariser» sans perdre le feuilleté de l’écriture de Gide. La fameuse mise en abyme, qui retient beaucoup les commentateurs, j’ai essayé de ne pas la fétichiser, de ne pas la considérer comme incontournable, mais plutôt de donner un équivalent du monde des Faux-monnayeurs.

 

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Le «monde des Faux-monnayeurs», c’était cela, votre «hypothèse de cinéma» – pour reprendre une expression que vous avez employée récemment pour parler de votre dernier film, Au fond des bois –, davantage que l’aspect formel du roman ?

Benoit Jacquot : Ce n’est pas tant le geste littéraire que la mise en place très particulière, unique, singulière d’un univers qui m’a touché en tant que lecteur et qui pourra sans doute en toucher beaucoup d’autres, longtemps encore.

Ce qu’on appelle la modernité des Faux-monnayeurs est pour moi un peu une tarte à la crème, un lieu commun, un cliché académique. Ça s’enseigne dans les écoles et c’est sans doute très amusant mais je ne crois pas que ce soit ce qui fait la force et la pérennité de ce livre.

C’est plutôt, il me semble, cet aspect constamment paradoxal, notamment dans le fait que tout y est en même temps singulier et universel, et ce monde qui se constitue, à la fois naturel et concerté, qui est pour un cinéaste une gageure immédiate et un horizon de cinéma très favorable à la conception et à la fabrication d’un film.

Et puis, disons-le, il y a au fond pour moi un charme inaltérable, comme un parfum qui demeure, très capiteux, un peu vénéneux et en même temps parfaitement supportable, en tout cas propice à ce que j’aime montrer au cinéma.

 

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Ce monde, on peut l’entendre au sens social, voire géographique (avec des lieux, des déplacements, des détours…) mais aussi dans un sens affectif : il y a chez Gide l’utopie d’affinités et de configurations sentimentales qui viendraient non pas s’opposer frontalement mais perturber les agencements familiaux…

Benoit Jacquot : Les Faux-monnayeurs est le roman des perturbations familiales. D’autant plus efficaces qu’elles sont discrètes. Et qu’on a le sentiment que ce qu’on voit là, qui appartient au romanesque, existe, peut exister pour tout un chacun dans sa vie.

Qu’il y a à côté de l’ordre social institué – aimable ou détestable, mais souvent détestable – un autre ordre qui le redouble et qui, lui, est délicieux, séduisant et donc troublant. Nous ne cessons tous, hommes, femmes, jeunes, vieux, au cours de notre vie, de passer d’un ordre à l’autre. C’est très convaincant chez Gide et, j’espère, dans le film.

 

Ça l’est d’autant plus que cela rejoint une constante de votre cinéma, au fond moins préoccupé par les sentiments que par le désir…

Benoit Jacquot : Les sentiments m’intéressent, évidemment, ne serait-ce que parce que, comme tout un chacun, j’en éprouve. Mais ce que je cherche avant tout quand je fais un film, c’est à montrer au sens fort les différences entre ce qu’on pense et ce qu’on fait, entre ce qu’on fait et ce qu’on dit, entre ce qu’on désire et ce qu’on demande…, tous les écarts possibles de la vie mentale et désirante. Et à construire des situations objectivées – dans la mesure où cela passe par une caméra – selon ce mode-là, les écarts constants de soi-même à soi-même, de soi-même aux autres, et du coup les rapprochements possibles, inattendus, surprenants, vivants.

 

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Dès les premières minutes du film, la voix off d’Édouard met en garde : «Rien n’est plus difficile à observer que les êtres en formation. Il faudrait pouvoir ne les regarder que de biais». Et comment les filmer, alors ?

Benoit Jacquot : Cette «formation», qui est l’un des objets de ce roman, il me semble qu’elle est encore davantage, par nature, et même ontologiquement l’objet du cinéma. Le cinéma est pratiquement fait pour cela : saisir 24 fois par seconde ce qui est en train de se former. Et la jeunesse est par définition ce qui est en formation…

 

Le choix des jeunes comédiens était un enjeu important pour ce film…

Benoit Jacquot : Très important. Comme on fait couramment, j’ai chargé des assistantes de faire des recherches puisque, par définition, il s’agissait de visages peu connus. J’avais donné quelques caractéristiques assez vagues. Pour l’âge, entre 14 et 18 ans. J’ai donc vu pas mal de comédiens impétrants et il se trouve que ceux qui me semblaient les plus proches en terme de justesse par rapport à ce que je laissais deviner de leur rôle étaient les plus jeunes. C’est ainsi, je ne l’ai pas voulu.

 

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Mais cela m’a posé une question : quel effet de représentation cela allait-il produire que des personnages sensés avoir au minimum 15 ou 16 ans soient incarnés par des comédiens qui avaient à l’époque un an de moins – et, à cet âge, c’est considérable –, c’est-à-dire de faire interpréter des adolescents par des préadolescents ?

Assez vite, conforté par les avis que je demandais, il m’a semblé que ce côté «en formation» apparaîtrait avec toute sa force si les personnages étaient non pas des adultes à l’état adolescent mais bien des adolescents en voie de devenir adultes.

Là, pour le coup, l’effet était frontal, sans oblicité. Mais, après tout, j’ai passé mon bachot à 15 ans, alors pourquoi pas ? C’est après, comme il arrive souvent, que je me suis dit que ce parti pris induisait l’idée d’un seuil. La voix n’est pas encore posée, le corps n’est pas encore adulte, comme s’il y avait cette possibilité de revenir en arrière, à l’enfance. Et c’est quelque chose qui, pour Édouard – en vérité un double de Gide – est immédiatement un objet de pensées et de sentiments.

 

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La jeunesse, c’est ce qui érotise Gide…

Benoit Jacquot : C’est non seulement la jeunesse mais, au-delà – et je ne cherche pas à édulcorer les choses – la jeunesse du monde. Comment faire pour que le monde reste jeune, ou plutôt le devienne, alors qu’il est si vieux. Cela inverse et trouble l’ordre des choses.

Ce désir de jeunesse, il le cherchait certainement chez les autres mais aussi dans l’écriture. C’est très sensible dans Les Faux-monnayeurs, mais aussi dans L’Immoraliste : un homme déjà âgé, à l’occasion d’un voyage, découvre la jeunesse comme un trésor. Toujours caché et toujours à trouver. Cela me touche d’autant plus que, à mon sens, Gide s’est toute sa vie vécu en ancien.

J’ai séjourné il y a très longtemps à Taormina où un maître d’hôtel m’a raconté avoir vu Gide, à la fin de ses jours, passer des heures à regarder la mer en répétant : «Je suis au fond un vieux Grec». Il y a tout cela chez lui : d’une part l’ancienneté du monde, l’aspiration au classicisme ; d’autre part la jeunesse en devenir et le désir de troubler.

Maurice Sachs, qui l’a fréquenté, a très justement écrit dans Le Sabbat : «Heureux Gide dont le professeur parlera en classe et dont on cachera les livres sous le traversin». C’est ce que j’ai essayé de faire vivre et vibrer dans ce film. C’est risqué parce qu’on peut aussi bien tomber dans un académisme qui oublierait le trouble que dans un trouble qui manquerait de tenue.

Bon, il se trouve que, pour Gide, ce trouble est lié à ce qu’on appelait dans l’Antiquité la philia, l’amitié vraie, avec un caractère pédagogique fort, c’est-à-dire que cela se joue d’une génération à l’autre, le plus souvent entre personnes du même sexe, et plutôt entre hommes. Cela, c’est son affaire. Il me suffit que cela renvoie à une universalité du sentiment, du désir et de l’affinité en général.

 

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Les jeunes comédiens que vous avez dirigés, qu’avaient-ils à savoir de l’ambiguïté ?

Benoit Jacquot : Il ne fallait surtout pas qu’ils la connaissent. Qu’ils la ressentent, très bien, mais que cela reste un non-dit, comme quelque chose en plus dont on n’a pas à s’occuper. Il fallait qu’ils soient dans le même état d’esprit qu’Olivier et Bernard, qu’ils ne voient que le lien, le sentiment, la façon d’être, qu’ils n’aient pas sur eux-mêmes et sur leurs personnages un regard adulte, le regard de l’individu définitivement «encoquillé» dans sa carapace.

Qu’ils soient toujours dans cet état de porosité au monde et de vulnérabilité qui est le propre de ces garçons et qu’Édouard catalyse d’une façon que les «encoquillés» appelleraient de la perversion. Justement, cela n’en est pas. Aujourd’hui, on voit les ravages du discours psy. Pas un homme, pas une femme sortant du moule qui ne soient dits pervers et hystérique. Nous voilà bien lotis. Avec Gide, ça ne marche pas.

 

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Cela signifie que l’ambiguïté est moins dans ce que vous montrez que dans le regard du spectateur ?

Benoit Jacquot : Probablement. Mais ce n’est pas tout à fait ça, encore. D’après moi, à condition de montrer vraiment, on ne peut montrer que de l’ambigu. L’ambiguïté, c’est le monde même. Chaque chose sert à ci et à ça. Et on ne fait ci qu’en ne faisant pas ça. Il suffit de poser sa caméra devant le monde pour que l’ambigu rapplique au galop. À cet égard, je me sens proche de Gide.

Propos recueillis par Christophe Kechroud-Gibassier

source

 

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VIII - liens

 

 

dossier réalisé par
Michel Renard, professeur d'histoire

 

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31 octobre 2018

Joannès Bador

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

Joannès BADOR

mort pour la France

 

 

Bador Joannes fiche MPLF


Joannès Bador était le fils de Jean Marcelin Bador et de Marceline née Thoully. Ses parents étaient employés de commerce et lui était cafetier.

Il résidait à Izieux en 1902, lors de son recensement. Il est alors signalé comme "vélocipédiste". Le conseil de révision, en 1902, décide d'ajourner son incorporation dans l'armée pour cause de "faiblesse".

Lorsqu'il fut mobilisé, il était marié. À l'annonce du décès de son mari, son épouse a cherché à connaître les circonstances de sa mort (voir correspondance ci-dessous).

comment est-il mort à la guerre ?

Joannès Bador avait le grade de sergent. Son régiment était le 238e d'Infanterie qui participa, dans l'Aisne, aux combats autour de Fontenoy. Le 20 septembre, cette unité est épuisée après sept jours de bombardement. Elle est relevée et envoyée au repos, mais immédiatement rappelée car l'adversaire effectue une attaque générale sur cette ligne de front. Le 238e R.I. reste huit jours sous les bombardements, perdant énormément de soldats. Une histoire de ce régiment évoque ces moments :

"Résolus à défendre, contre tout retour offensif de l’ennemi, nos tranchées dans lesquelles gisaient les corps de ceux qui nous avaient relevés et les morts allemands, on travailla toute la nuit. On se compta, le dernier chef de bataillon ayant été appelé à prendre le commandement d’un régiment voisin, il ne nous restait plus que trois officiers, des compagnies étaient réduites à vingt-cinq hommes. Des renforts nous parvinrent alors qu’on amalgama sous le feu de l’ennemi ; presque tous les officiers et sous-officiers furent pris dans la troupe.
Pendant huit jours, l’ennemi harcelé sans cesse se contentait de nous canonner, nous faisant subir chaque jour de nouvelles pertes. La fatigue devenait extrême chez tous ceux qui, depuis près d’un mois, combattant ou poursuivant sans trêve l’ennemi, étaient exposés à toutes les intempéries, sans couverture, sans toiles de tente, couverts d’un seul vêtement. Mais notre consigne était : «Nul n’a le droit de se plaindre ici.»" - source

Le sergent Joannès Bador est mort dans ces circonstances, à l'âge de 32 ans.

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Fontenoy, à l'ouest de Soissons, dans le département de l'Aisne

 

la commune de Fontenoy pendant la guerre

soldats à Fontenoy 1914-1918
soldats français à Fontenoy pendant la guerre (sans date)

 

Fontenoy 1915 soldat en perm
un militaire en permission et un habitant de Fontenoy, en 1915

 

correspondance d'après décès

avis de décès Bador
avis de décès adressé par le Régiment de Joannès Bador à la mairie d'Izieux
(archives municipales de Saint-Chamond)

 

réponse à la mère de Bador (1)

réponse à la mère de Bador (2)
réponse de l'autorité militaire au maire d'Izieux au sujet des circonstances du décès de Joannès Bador
(archives municipales de Saint-Chamond)

 

transcription

Le 23 octobre 1914

Le lieutenant-colonel Maillard, commandant le 238e [Régiment] d'Infanterie
à Monsieur le Maire d'Izieux, Loire

J'ai bien reçu la lettre de Madame Veuve Bador du 13 octobre, et je m'empresse de vous communiquer tous les renseignements que j'ai pu obtenir. Ils ne sont pas aussi détaillés que je l'aurais voulu, mais malheureusement depuis un mois et demi le Régiment n'a pas cessé d'être en ligne de feu ou dans les tranchées, d'où l'impossibilité matérielle de faire préciser par les Compagnies où leurs hommes ont été tués, blessés et inhumés.
Pour le sergent Bador Joannès, j'ai pu savoir qu'il avait été inhumé à la lisière du bois vers le tournant de la route montant de Fontenoy. Une croix marque l'emplacement de la sépulture.
Le capotal Teyssier de la 20e Compagnie connaît l'endroit exact et pourra s'il est nécessaire fournir des renseignements complémentaires, mais j'espère que la description ci-haut permettra de retrouver l'emplacement.
Recevez, Monsieur le Maire, l'assurance de mes sentiments distingués.

P.O. [pour ordre], le lieutenant adjoint au Chef de Corps
[signature] Colcombet (?)

adresse du caporal Teyssier (dans le civil)
Teyssier Victor
Faubourg Lacroix
Maison Laffond, Saint-Étienne

lettre du 27 sept 1914
lettre du soldat Fagnet (orthographe et syntaxe incertaines)

transcription

Fontenoy, le 24 septembre 1914, Aisne
Monsieur Joannon, Maire d'Izieux

Par ordre de M. Le Commandant du 238e [Régiment d'Infanterie], Maillard, je vous p... de faire le nécessaire auprès de Mme Bador, cafetier au Creux d'Izieux, que sont [sic] mari vient d'être tué d'un éclat d'obus.
En qualité de camarade, j'.... tenu à lui faire cet honneur de l'enterrer avec le camarade Bonnet d'Izieux. Nous avons réserver [?] l'endroit du corps où l'un jour l'on voudrait le transporter.
M. Joannon, je vous remercie.
Fagnet, 8 rue Gambetta, Saint-Chamond ; actuellement 238e de ligne, 19e Compagnie.

le café de Joannès Bador (?), à Izieux...

cours d'Izieux (1)
le café de la famille Bador était situé Cours d'Izieux ; peut-être celui de gauche, sur la photo ...?

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le Cours d'Izieux, avant la guerre de 1914-1918

 

 

 

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28 octobre 2018

Laurent Champagnat

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

Laurent CHAMPAGNAT

mort pour la France

 

 

Champagnat fiche MPLF

Laurent Pierre Marius Champagnat était tourneur sur métaux. Il habitait au 39, rue Vignette, était célibataire.

Ses cheveux et ses yeux sont décrits de couleur chatain foncé. Il mesurait 1m53, ce qui l'exemptait de service militaire, la taille minimale requise étant de 1m54. Il est donc ajourné lors de son recensement, mais déclaré "bon" peu après.

Il était vélocipédiste.

Et son degré d'instruction mentionne qu'il sait "lire, écrire et compter". Son père, déjà mort quand Laurent est recensé, s'appelait Jean François ; et sa mère Pierrette née Genest.

comment est-il mort à la guerre ?

Champagnat a trouvé la mort lors des combats de contre-offensive en juin 1918, menée par le général Mangin, dans la région  des communes de Belloy et de Gournay-sur-Aronde (village de Saint-Maur) dans le département de l'Oise.

Voici le court récit de cet engagement qui fut fatal à Laurent Champagnat :

"Belloy - cote 117 (11 juin 1918 - 9 août 1918).
Le 10 juin, le 155e est alerté, subitement, emmené en camions et débarque à Angivillers et Lieuvillers à minuit. À 2 heures du matin, ordre d'attaquer : la 165e D.I. participe à l'attaque Mangin qui va briser l'offensive ennemie sur Compiègne.
Le 155e est en réserve. Le 11 juin, à 11 heures, il est sur ses emplacements de départ : voie ferrée Wacquemoulin - Menevillers. Cette région est une suite de larges plateaux à blé, séparés par de petits ravins. De loin en loin, de grosses fermes ou villages. Méry sur la gauche, plus loin Belloy, ferme de Bauchemont à droite avec en avant un piton nu : la cote 117 ; entre la cote 117 et Belloy, le bois de Belloy et de Genlis.
L'attaque, précédée de tanks, est menée par le 287e et le 154e ; les 1er et 2e bataillons sont, engagés l'un avec le 151e, le deuxième avec le 287e. En fin de journée, on a avancé, de 4 à 5 kilomètres, malgré une résistance acharnée de l'ennemi. La ligne passe devant Belloy et le bois de Belloy — cote 117.
Le 12 juin, le 2e/155 tente une attaque sur Lataule qui échoue. Puis le secteur se calme très rapidement, sauf une série de coups de main de part et d'autre, pour la possession d'un élément de la tranchée Napolitaine, avec usage de lance-flammes (19 - 22 juin). Cet élément de tranchées reste entre nos mains.
À part cela, le secteur devient secteur calme, avec relève régulière. Nous travaillons activement à l'établissement d'une ligne principale de résistance que nous occupons en demi-repos. À noter encore un fort coup de main fait par le 3e bataillon, le 26 juillet.
Le 6 août, le 155e est en réserve (Wacquemoulin, ligne principale de résistance)."

Historique du 155e Régiment d'Infanterie

Ce qui est étrange, c'est la date de sa mort. Car le 24 juin 1918, les combats sont remportés victorieusement depuis plus de dix jours...

Sur la carte ci-dessous, les localités de Gournay-sur-Aronde et de Saint-Maur (village) sont soulignés de bleu ; un peu à l'ouest, on voit Lataule et Belloy. Or, la ligne de front (trait rouge) est à plusieurs kilomètres au nord dès le 9 juin...

 

Gournay Saint-Maur 1918
les contre-offensives alliées dans cette région de l'Oise en juin 1918 ;
on voit bien la flèche rouge de la 165e Division à laquelle appartenant le régiment de Champagnat

 

des paysages que Laurent Champagnat a peut-être traversés...

 

Wacquemoulin
"le régiment de Champagnat est sur son emplacements de départ : la voie ferrée Wacquemoulin - Méneviller,
le 11 juin à 11 heures" ; la voie ferrée passait un peu à l'écart du village ci-dessus, montré peu avant 1914

 

Belloy en juin 1918 (1)
"La ligne passe devant Belloy et le bois de Belloy — cote 117"

 

Belloy en juin 1918 (2)
Belloy (Oise), église et cimetière après les combats de juin 1918

 

Lataule bombardé
"Le 12 juin, le 2e/155 tente une attaque sur Lataule qui échoue"

 

 

 

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27 octobre 2018

Pierre Chazet

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

Pierre CHAZET

mort pour la France

 

 

Chazet Pierre fiche MPLF

 

Le cas de Pierre Chazet présente plusieurs énigmes et particularités.

son origine et les raisons de sa présence à Saint-Chamond

Si l'orthographe de son patronyme, reproduite sur la plaque, est exacte, on ne trouve que la fiche ci-dessus, dans la liste des "morts pour la France" publiée par Mémoires des Hommes.

Un seul indice permettrait de rattacher les indications de cette fiche à un ancien élève de l'École Pratique de Saint-Chamond : la localité à laquelle est adressé l'acte de son décès, Charolles, sous-préfecture de Saône-et-Loire.

Pourquoi cette piste ?

 

Charolles Festival 1913
Charolles, à l'été 1913 ; Pierre Chazet est âlors âgé de 16 ans

Si Pierre Chazet est né à Paris, sa famille a ensuite résidé à Charolles, dans un département qui est aussi celui où se trouve, à Cluny, l'École nationale des Arts et métiers (appellation de 1901) que Claude Lebois avait fréquentée dans sa jeunesse avant de venir à Saint-Chamond fonder l'École Pratique d'industrie (1879).

Charolles est située à 40 km de Cluny. On peut imaginer plusieurs hypothèses... Pierre Chazet a peut-être tenté d'entrer à l'école de Cluny sans succès, et a pu être dirigé vers l'École Pratique de Saint-Chamond. Ou les écoles de Charolles ont pu aussi le renseigner...

Notons que Charolles est une sous-préfecture dotée de plusieurs institutions scolaires et, notamment, d'une école professionnelle destinée aux jeunes filles.

 

Charolles école prof filles
École professionnelle de jeunes filles à Charolles,
ville où résidait la famille de Pierre Chazet

La famille Chazet est absente des recensements de la ville de Charolles en 1901 et en 1906. Mais elle apparaît l'année 1911. On y apprend que Pierre avait un frère, Maurice, de quatre ans plus âgé que lui, né également à Paris. Ce qui est surprenant est l'indication "sans profession" notée pour son père et sa mère...

Son père, Louis Chazet, était né en 1863 à Jonquières dans le département du Vaucluse (précisément, le 11 septembre) d'un père et d'une mère cultivateurs, selon l'acte de naissance (archives départementales du Vaucluse).

Sa mère, (Marie Clémentine) Marguerite Laugier était née le 7 septembre 1868 à Nans dans le Var, d'un père âgé de 42 ans, Charles Joseph Laugier, instituteur, et de Félicité Florence Jourdan âgée de 28 ans (archives départementales du Var).

Le grand-père maternel de Pierre Chazet était donc instituteur. Mais a-t-il connu son petit-fils, né vingt-neuf ans plus tard ? A-t-il joué un rôle dans l'orientation scolaire de Pierre ?

 

famille Chazet en 1911 à Charolles
recensement de la ville de Charolles (Saône-et-Loire) en 1911

 

La famille Chazet n'est plus mentionnée dans le recensement de 1921 de la ville de Charolles. Le nom de Pierre Chazet figure en tout cas sur le monument aux morts de la commune (référence).

 

son statut militaire

La mention soldat de "2e classe" biffée et remplacée par "aspirant" semble assez improbable.

Chazet aspirant jaune

À son âge, et compte tenu du peu de temps passé dans l'armée, il n'a pu accéder au grade d'aspirant qui est le premier grade d'officier.

 

son régiment

L'unité portée sur la fiche le ferait appartenir au 4e Régiment de Zouaves.

 

Chazet 4e Zouaves entouré

 

Or, on ne trouve pas son nom dans l'Historique de ce régiment qui, pourtant, les publie tous. On peut toujours, certes, envisager un oubli...
Par ailleurs, le 4e Zouaves était un régiment d'infanterie d'Afrique. Comment Pierre Chazey s'y serait-il retrouvé ? Peut-être avait-il demandé à être incorporé dans cette unité lors de son engagement volontaire ?

En effet, Pierre Chazet est né en 1897 et appartient donc, théoriquement, à la classe d'âge 1917. Cette classe a été incorporée par anticipation dès janvier 1916.

Or, Pierre Chazet est mort le 23 avril 1915. Il avait donc été incorporé avant les jeunes gens de sa classe d'âge.
La raison est simple : il s'était engagé sans attendre l'incorporation officielle. Ce qu'indiquent les lettres "E.V.", pour "engagé volontaire", placées dans la rubrique "classe 1917".

 

Chazet EV rempli

Pierre Chazet a dix-huit ans le 25 février 1915 et disparaît, tout juste âgé de dix-huit ans et deux mois, le 23 avril suivant.

comment Pierre Chazet est-il mort ?

Le lieu et la date de son décès renvoient aux terribles combats du 23 avril 1915 dans la région d'Ypres en Belgique où furent utilisés, pour la première fois, par les Allemands, les gaz asphyxiants qui surprirent les troupes françaises.

Le problème est l'absence de mention de son nom et de son unité (4e Zouaves) dans les Journaux de Marche et d'Opérations (J.M.O.) des régiments impliqués dans cette zone.

Pierre Chazey a perdu la vie à Boesinghe, lieu d'une bataille sur laquelle, par contre, de nombreuses informations et des témoignages peuvent être produits.

carte Boesinghe entouré
carte du front à l'été 1917

schéma du secteur corrigé et fléché
schéma du secteur, J.M.O. du 2e bis Régiment de Zouaves à la date du 15 avril 1915

gros plan Boesinghe
secteur de Boesinghe, gros plan

extrait de l'Historique du 2e bis Régiment de Marche des Zouaves

"Le 21 avril 1915 le 1er Régiment de Tirailleurs et les 1re et 2e Cie du 2e bis régiment de Zouaves occupent les tranchées de 1re ligne et de soutien immédiat sous les ordres du Lieutenant-Colonel Bourgeois, commandant le Bataillon de tirailleurs ; les 3e et 4e Compagnies du Régiment sont chargés d'assurer la défense du pont de Boesinghe. Les autres unités du Régiment cantonnent à Westvleteren.

À 17 heures, brusquement le 22 avril, une violente attaque allemande se prononce. Pour la première fois de la guerre, l’ennemi emploie les «gaz asphyxiants» formant un nuage épais de chlore que le vent pousse sur nos lignes. Suffoquée, et en butte a un intense bombardement la première ligne est contrainte de se replier, après avoir subi de fortes pertes.

Les 1re et 2e Compagnies du 2e bis Régiment de Zouaves placés en réserve, essayent en vain d'arrêter ce mouvement de retraite ; immédiatement débordées et violemment prises à partie par l’artillerie lourde ennemie soumises d'ailleurs à l'action des gaz délétères, elles sont bientôt décimées et obligées de se retirer à leur tour : la deuxième à droite sur les Canadiens la première à gauche sur le canal.

L’ennemi s'avance rapidement en colonnes serrées dans le but de franchir le canal de l’Yser, qu’il passe en trois points : à Stennstraat et Het-Sas et à Boesinghe mais au delà l’ennemi est arrêté net par nos feux.

Dans la direction d'Ypres, vers le Sud, les Allemands semparent de Pilckem et de la ligne de crête, leurs patrouilles arrivent même jusqu'au canal, sans pouvoir le franchir

Les deux bataillons du 2e bis Régiment de Zouaves alertés arrivent à Elverdinghe à 19 heures 30. À 20 heures le 3e Bataillon est mis à la disposition du 7e Zouaves pour contre-attaquer sur la rive Est du canal dans la direction de Pilckem.

À 3 heures 30, le 23 avril, le 2e Bataillon (Commandant de Metz), franchit le canal en liaison à droite avec le 7e Zouaves qui contre-attaque les Allemands entre Boesinghe et Pilckem à gauche avec les canadiens."

 

Zouaves 24 avril 1915 Boesinghe
Zouaves sur la route de Lizerne à Boesinghe le 24 avril 1915 (Pierre Chazet est mort le 23 avril)

 

canal de l'Yser
le canal de l'Yser à hauteur de Boesinghe pendant la guerre

 

café de Lizerne
le café de Lizerne, secteur de Boesinghe

 

Boesinghe 1917 montage de bois
Boesinghe en 1917 (autochrome)

 

Boesinghe en 1917
Boesinghe en 1917 (autochrome)

 

 

 

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24 octobre 2018

Antoine Defaix

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France 

 

 

Antoine DEFAIX

mort pour la France

 

 

Marius Defaix fiche MPLF

Marius Antoine Defaix - que ses camarades d'école prénommaient sûrement Antoine, puisque c'est le prénom qui est gravé sur la plaque - est né le 12 décembre 1895 et exerçait la profession de mécanicien en lacets.

Il résidait 34, rue du Champ du Geai à Saint-Chamond.

Il avait les cheveux châtaints, les yeux châtains, le front moyen, le nez régulier, et mesurait 1m63.
Il avait pour père Louis Pierre, déjà décédé lors de son recensement, et pour mère Blaisine Claudine Tarinand (ou Larniand ?), également décédée. Il était donc orphelin de père et de mère.

Son dégré d'instruction était de 3, c'est-à-dire qu'il savait lire, écrire et compter.

son parcours militaire

Antoine Defaix a été incorporé et est arrivé à son corps, le 58e Régiment d'infanterie, le 17 décembre 1914. Ayant donc juste dix-neuf ans. Le 24 juin 1915, il est affecté au 173e Régiment d'infanterie, dans la 11e compagnie, et trouve la mort trois jours plus tard, le 27 juin à 23 heures. Il a donc effectué six mois de guerre.

 

où est-il mort ?

Antoine Defaix fut mortellement blessé à Braux Sainte-Cohière et est décédé à l'ambulance n° 3. Sa sépulture se trouve dans le cimetière de Sainte-Menehould (Marne), tombe n° 2823.

 

 

 

 

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23 septembre 2018

René Plénet

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

René PLÉNET

mort pour la France

 

 

René Plénet fiche MPLF

 

René Marc Plénet est né le 24 octobre 1894 à Annonay dans le département de l'Ardèche.

Il est mort le 21 août 1918 dans le secteur de Prosnes (Marne).

Son régiment, le 311 d'Infanterie "monte en ligne le 10 août et prend position dans le sous secteur des Mélèzes à l‘ouest de Prosnes à 7 km au N. de Mourmelon-le-Grand. Le régiment reste sur cette position jusqu’au 26 septembre et mène une vie de secteur très pénible", selon l'Historique du régiment.

 

Le J.M.O. enregistre son décès :

René Plénet entouré liste tués

 

tombe familiale à St-Chamond
tombe familiale de René Plénet, cimetière de Saint-Chamond
(photo 9 mars 2014)

 

tombe Plénet nom gravé
René Plénet (1894-1918), mort pour la France, dans la Marne

 

 

 

 

 

 

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21 octobre 2018

Claudius Dubreuil

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

Claudius DUBREUIL

mort pour la France

 

Dubreuil Claudius fiche MPLF

Claudius Antonin Dubreuil est né le 27 janvier 1891 à La Terrasse-en-Doizieu (Loire). Il est mort le 11 août 1917.

 

la tombe de Claudius Dubreuil à Saint-Martin-en-Coailleux

 

tombe St-Martin (1) 16 avril 2014
tombe de la famille Dubreuil au cimetière de Saint-Martin-en-Coailleux (16 avril 2014)

 

tombe St-Martin (2) 16 avril 2014
tombe de la famille Dubreuil au cimetière de Saint-Martin-en-Coailleux (16 avril 2014)

 

 

 

 

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19 octobre 2018

Marius Fara

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

Marius Fara, militaire

 

 

Marius FARA

mort pour la France

 

Fara Marius fiche MPLF

 

Marius Joannès Fara est né le 23 juin 1881 à Saint-Julien-en-Jarez. Son père se prénommait Antoine et sa mère avait pour nom Jenny Hélène Raymond. Il était marié, avait deux enfants. Sa profession était employé de banque et il résidait au 10, rue de la Corre, puis au 2, rue Pasteur.

recensement et service militaire avant 1914

Lors de son recensement, on le décrivit avec des cheveux et sourcils châtains clairs, des yeux bleus, un front rond, un nez moyen, une bouche moyenne, un menton rond, un visale ovale. Il mesurait 1m70.
À cette date, 1901, il avait été dispensé au titre d'enfant unique d'une mère veuve.

Marius Joannès Fara a tout de même effectué son service militaire entre le 14 novembre 1902 et le 20 septembre 1903. À cette date, il fut envoyé en congé avec un "certificat de bonne conduite". Il a, plus tard, effectué deux périodes d'exercices dans le 38e régiment d'Infanterie : entre le 24 août et le 20 septembre 1908 ; et entre le 29 mai et le 14 juin 1911.

Marius Fara, militaire
Marius Fara (1881-1914), à l'âge de 20 ou 21 ans

 

Marius Fara, mariage
le mariage de Marius Fara et de Anne-Marie Abel ("Jeanne"), le 13 juin 1906

 

Marius Joannès Fara en 1914

Le registre matricule mentionne qu'il fut rappelé à l'activité par l'ordre de mobilisation du 1er août 1914 (publié au J.O. le 2 août), qu'il est arrivé dans son régiment, le 38e d'Infanterie, le 12 août comme soldat de 2e classe.
En fait, son unité n'était pas le 38e mais le 238e R.I. : ce dernier est issu du premier et constituait un régiment de réserve.

Marius Joannès Fara appartenait à la 25e Compagnie du 238e régiment d'Infanterie. Il est mort le 25 septembre 1914 à Port Fontenoy dans l'Aisne. Un autre ancien élève, Joannès Bador, est mort, lui aussi, au même endroit deux jours plus tôt, le 23 septembre.

Un site internet propose des photos de soldats du 238e Régiment, antérieures à septembre 1915 (date de la mort du sergent Célestin Giraud dont la famille a conservé les clichés). Peut-être Marius Joannès Fara et Joannès Bador y figurent-ils, même si leur décès est précoce ?

 

les lieux de sa mort

Port-Fontenoy Maison Hauvette
Port-Fontenoy, Maison Hauvette

 

Le Port-Fontenoy
Le Port-Fontenoy dans le département de l'Aisne

 

Aisne dévastée
Fontenoy, le port et la passerelle : l'Aisne dévastée

 

Fontenoy campagne 1914-1915
Fontenoy, le Port ; écrit et signé : "Campagne 1914-1915"

 

le témoignage de sa petite-fille

Marius Fara avait épousé en 1906 Jeanne (Anne-Marie à l'état civil) Abel, fille de Jean Abel entrepreneur de charpenterie à Saint-Chamond.

Il était employé à la Banque Raverot.

Son père Antoine était, en 1870, employé aux "forges aciéries". Sa mère, Jenny Hélène Raymond, était issue d'une famille de maîtres passementiers saint-chamonais, métier abandonné par le père de celle-ci qui est en 1870 employé aux Forges d'Onzain.

Antoine Fara était décédé en 1899 et Marius vivait avec sa mère (il était leur unique enfant) au 11 rue de la Corre. Sans doute est-ce à cette adresse qu'elle exerçait depuis son veuvage l'activité de débitante de boissons. Jenny Hélène Raymond est morte en avril 1906, un mois avant le mariage de Marius.

 

St-Chamond Lavieu Fara
Saint-Chamond, coteau de Lavieu


Le jeune couple s'est installé Côte de Lavieu (Maison Fayard) où sont nés leurs deux enfants : Jean en septembre 1907 et Alice, ma mère, en novembre 1911.

Ma grand-mère m'a souvent raconté qu'en août 1914, sur le quai de la gare de Saint-Chamond, la petite Alice qui n'avait pas 3 ans s'accrochait à son père en disant "ne pars pas, mon Papa, ne pars pas". Elle ne l'a jamais revu.

Je peux expliquer pourquoi, quoique exempté, il a néanmoins accompli une année de service militaire. Le service militaire est alors régi par la loi Cissey (1872) complétée par la loi Freycinet (1889). La loi Cissey a supprimé la possibilité de remplacement tout en maintenant le tirage au sort. Les "bons numéros" devaient néanmoins accomplir une année de service. Cette loi prévoit aussi des cas de dispense, en particulier pour les soutiens de famille, et spécifiquement les fils uniques de veuves, ce qui était le cas de Marius Fara : ces "exemptés" devaient, comme les bons numéros, un an de service.

Nous n'avons jamais su où était enterré mon grand-père et son nom n'est pas dans le fichier des sépultures militaires, c'est un "soldat inconnu".

La date même de son décès n'est pas certaine comme on le voit sur sa fiche matricule, elle a officiellement été fixée par le jugement intervenu seulement en 1917. Jusque là il était "disparu", pour la plus grande angoisse de sa famille.
Quand elle l'a appris, ma grand-mère a dit "s'il a perdu ses lorgnons, il sera allé n'importe où", s'accrochant à cet espoir car il était très myope.

Vous remarquez qu'il est mort au même endroit et à peu près en même temps que Joannès Bador. J'ajoute qu'ils étaient peut-être cousins. Je me souviens en effet que, lorsque j'allais à Saint-Chamond avec ma grand-mère nous rendions visite à une cousine de mon grand-père nommée Jeanne Bador.

Notre famille fut durement éprouvée puisque le 14 novembre 1914, le beau-frère de ma grand-mère, Henri Abélard, était à son tour tué en Belgique : les deux soeurs étaient veuves, elles avaient 33 et 30 ans et étaient mères de famille.

On vivait à l'aise dans ces familles de petite bourgeoisie et les femmes ne travaillaient pas. Mais le salaire du mari était la seule ressource. Ces jeunes femmes qui n'avaient appris qu'à tenir une maison, recevoir et broder (magnifiquement) la lingerie durent chercher un emploi.

Les Forges et Aciéries de la Marine embauchaient : il fallait fournir l'armée alors qu'une bonne partie de leur personnel était au front. Nombre de ces veuves de guerre se retrouvèrent dans les ateliers à graisser les machines.

 

Aciéries ouvrières Fara
ouvrières aux Aciéries de la Marine à Saint-Chamond

Ma grand-mère, elle, avait jusqu'à son mariage (tardif, à 27 ans), assuré l'administration de l'entreprise de son père. Elle savait rédiger une correspondance commerciale, établir des factures et avait des notions de comptabilité, grâce à quoi elle fut prise dans les bureaux. Quand elle en parlait, elle disait "J'ai eu de la chance". Mais il lui a fallu élever seule ses enfants, et ce fut difficile.

Les veuves étaient si nombreuses que la pension qui leur était servie ne pouvait être très élevée. À la fin de sa vie ma grand-mère n'avait que cette pension et, si elle n'avait pas vécu avec nous, sa vie aurait été bien misérable (elle avait économisé sou à sou toute sa vie, réalisé ce qui lui est venu par héritage et, pour assurer ses vieux jours, placé le tout chez ce bon Monsieur Stavisky... elle a tout perdu).

Éliane Carouge
janvier 2015

 

 

 

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17 octobre 2018

Philippe Françon

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

Philippe FRANÇON

mort pour la France

 

SrvImg-17

 

Philippe Claude Marie Françon est né le 5 avril 1892. Il appartenait au 14e régiment de Dragons.

Il est mort le 2 novembre 1914 à Zonnebeke en Belgique.

 

son service militaire à Saint-Étienne dans les Dragons

caserne 14e Dragons St-Étienne (1)
bâtiment de la caserne du 14e Régiment de Dragons à Saint-Étienne, avant 1914

 

caserne 14e Dragons St-Étienne (2)
entrée de la caserne du 14e Régiment de Dragons à Saint-Étienne, avant 1914

 

caserne 14e Dragons St-Étienne (3)
bâtiment et piste de la caserne du 14e Régiment de Dragons à Saint-Étienne, avant 1914

 

 

où et comment Philippe Françon est-il mort ?

Philippe Françon participa, avec son régiment, à la première bataille d'Ypres à l'automne 1914.

 

Il trouva la mort, tué à l'ennemi, dans le secteur de Zonnebeke (Belgique), le 2 novembre 1914.

 

carte Ypres Zonnebeke
Zonnebeke est à moins de 10 km, au nord-est d'Ypres

 

carte terrain gagné par All nov 1914
en vert, le terrain conquis par les Allemands entre octobre et novembre 1914 ;
Philippe Françon est mort dans le "saillant" (salient)

 

carte situation nov 1914
la position autour du "saillant" de Zonnebeke, du 6 au 13 novembre 1914

 

 

Le J.M.O. du 14e Régiment de Dragons enregistre les pertes de la journée du 2 novembre 1914.

 

 

 

 

 

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15 octobre 2018

François Gachon

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

François GACHON

mort pour la France

 

 

François Aimé Gachon est né le 6 juillet 1894 à Saint-Chamond. Fils de Jean Denis Gachon, âgé de 42 ans, et de Marie Elisabeth Montabrun, âgée de 39 ans.

Son père était poêlier (fabrication de poêles en fonte et de cheminées ; ou : vendeur d'articles ménagers) et sa mère, ménagère. Ils habitaient au n° 7 de la rue Jeanne d'Arc.

acte naissance François Gachon
acte de naissance de François Gachon, le 6 juillet 1894 à Saint-Chamond

 

François était célibataire. Il avait les cheveux noirs, les yeux noirs, le front moyen, le nez moyen, et mesurait 1m63.

François Gachon exerçait la profession d'ajusteur.

Il est arrivé au 4e Régiment du Génie le 16 décembre 1914 comme sapeur-mineur de 2e classe.

4e Rgt Génie 1915
sapeurs-conducteurs du 4e Régiment du Génie, 13e bataillon, 14e Compagnie,
vers début 1915 (source)

 

Mais le 1er juillet 1915, il est détaché en usine travaillant pour la défense nationale

Le 26 mars 1917, François Gachon décède à l'hôpital civil de Saint-Laurent-du-Pont, de tuberculose pulmonaire.

 

Hôpital St-Laurent-du-Pont colorisé
l'hôpital de Saint-Laurent du Var (Isère) où est mort François Gachon, le 26 mars 1917

 

Hôpital St-Laurent
l'hôpital de Saint-Laurent du Var (Isère) où François Gachon est mort de tuberculose pulmonaire

 

 

 

 

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14 octobre 2018

Jean Gachon

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France 

 

 

 

Jean GACHON

mort pour la France

 

Gachon William Jean MPLF

 

William Jean Gachon est né le 21 avril 1892 à Saint-Chamond.

À son recensement, il avait les cheveux noirs, les yeux châtains, le front moyen, le nez rectiligne,le visage long et mesurait 1m69. Il savait lire, écrire et compter.

Fils de Jean Denis Gachon et de Marie Élisabeth Montabrun. Son père était poêlier (fabrication de poêles en fonte et de cheminées ; ou : vendeur d'articles ménagers) et sa mère, ménagère.

William Jean était le frère aîné de François Gachon, mort lui aussi à la guerre onze mois après Jean. Tous résidaient au 7, rue Jeanne d'Arc. La profession de William Jean était ajusteur.

acte naissance Gachon William 2
acte de naissance de William Jean Gachon, le 22 avril 1892 à Saint-Chamond

 

service militaire et mort dans la campagne contre l'Allemagne

Incorporé au 86e Régiment d'Infanterie à compter du 8 octobre 1913, il est nommé caporal le 17 février 1914, puis sergent le 3 août 1914.

Tué à l'ennemi à Baccarat, en Meurthe-et-Moselle, le 25 août 1914 (mais "disparu", selon sa fiche matricule en notant la date du 19 novembre 1914...?). Il fut inhumé à la cristallerie de Baccarat.
La fiche matricule note encore que cette inhumation fut effectuée "suivant l'avis de décès ministériel du 22 mars 1915".

Le 86e R.I. avait été engagé pour reprendre la ville de Baccarat que les Allemands avaient bombardée et occupée quelques jours plus tôt. Dans ce combat, le régiment perdit mille trois cents hommes sur les trois mille deux cents partis de Haute-Loire le 5 août 1914.

les lieux de la mort de Jean William Gachon

Baccarat rue des Ponts après 25 août
à Baccarat (Meurthe-et-Moselle) après la reprise française du 25 août 1914, rue des Ponts

 

cristallerie bombardée
la Cristallerie de Baccarat bombardée par les Allemands en août 1914

 

tombes des Cristalleries (3)
les tombes de 94 soldats français tombés dans la défense du Pont dans la cour de la Cristallerie

 

tombes Cristallerie (1)
les tombes françaises de 94 soldats tombés le 25 août 1914 à 4 h 30 du matin

tombes des Cristalleries
les tombes dans la cour de la Cristallerie

tombes des Cristalleries (2)
les tombes dans la cour de la Cristallerie (autre légende)

D'après son registre matricule, Jean Wiiliam Gachon a été inhumé dans cet enclos de la Cristallerie de Baccarat.

 

 

 

 

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2 novembre 2018

Placide Badoin

  Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

Placide BADOIN

mort pour la France

 

 

Baboin Placide fiche MPLF

 
Placide Baboin est né le 2 septembre 1895 à Izieux, où il résidait lors de son recensement en 1914. Il avait les yeux châtains, les yeux gris, le front moyen, le nez rectiligne, le visage moyen. Il mesurait 1m72. Il savait lire, écrire et compter. Et exerçait le métier de mécanicien.
Son père se prénommait Jean Joseph Marie, et sa mère s'appelait Jeanne Giraudet. Ils habitaient au 23, rue Gambetta à Izieux.

Il fut incorporé au "2e Régiment d'Aviation", dit sa fiche matricule, le 16 décembre 1914.


comment est-il mort à la guerre ?


Placide Baboin était soldat embarqué dans un Farman 42, avion biplan biplace. Il a trouvé la mort le 10 octobre 1916 au cours d'un accident sur le terrain de Coxyde en Belgique. L'appareil s'est écrasé et s'est embrasé. Le pilote était le sergent Delaquerière et Placide Baboin était mécanicien. Il s'agissait d'un avion d'observation.
On trouve des images de la tombe des deux hommes au cimetière de Coxyde en octobre 1916 :

036_Tombes_Delaquerriere
vue des tombes du sergent Delaquerière et du soldat Placide Baboin
au cimetière de Coxyde (Belgique) en 1916

036_Delaquerriere_coxyde
vue des tombes du sergent Delaquerière et du soldat Placide Baboin
au cimetière de Coxyde (Belgique) en 1916

036_Delaquerriere_deco
remise de décoration au sergent Henri Delaquerière (pilote) en
septembre-cotobre 1916 sur le terrain de la ferme Boogaerde, près de Coxyde
(Belgique) ; les soldats rendent les honneurs ;
peut-être Placide Baboin figure-t-il dans le groupe situé à gauche...?

 Mort à 21 ans.

- source des photos et des informations : http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrille036.htm

 

 

 

 

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12 octobre 2018

Pierre Gobert

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

Pierre GOBERT

mort pour la France

 

 

Pierre Gobert fiche MPLF

 

Pierre Gobert est né le 28 avril 1891 à Lorette (Loire). Il est le fils de Louis et de Marie Antoinette Cécile Fayolle.
Il mesurait 1m65, avait le teint pâle, les cheveux blond foncé, les yeux bleu clair, le visage plein, le front moyen, le nez rectiligne. Pierre Gobert exerçait la profession de tourneur sur métaux. Il habitait Rive-de-Gier.
Une anecdote est porté sur son registre matricule : le 5 février 1911, il est condamné à huit jours de prison pour "outrage à commissaire"...

son service militaire (1912-1914)

Pierre Gobert est incorporé le 8 octobre 1912 au 133e Régiment d'Infanterie à Belley dans le département de l'Ain. Au bout d'un an, le 1er octobre 1913, il est nommé caporal, puis caporal-fourrier le 1er août 1914 (le caporal-fourier n'est pas un grade d'épée mais de plume, c'est-à-dire qu'il désigne quelqu'un d'affecté aux écritures de la compagnie, tâche administrative).

 

caserne Belley (1)
la caserne du 133 Régiment d'Infanterie, au début du XXe siècle, à Belley dans l'Ain

 

caserne Belley (2)
caserne du 133e R.I., avant 1914

 

caserne Belley (3)
caserne du 133e R.I., avant 1914, à Belley (ce régiment a disparu en 1998)

 

caserne Belley (4)
la caserne Sibuet du 133e R.I.

 

caserne Belley (5)
la cour de la caserne du 133e Régiment d'Infanterie

 

une compagnie du 113e avant 1914
une compagnie du 133e R.I. avant 1914

 

la guerre de Pierre Gobert

Aucun document ne précise ni le Bataillon ni la Compagnie auxquels appartenait Pierre Gobert. Mais les lieux de son décès, "aux cols des Journaux et de Mandray", ne laissent aucun doute sur la bataille dans laquelle il laissa la vie.
Il s'agit des terribles combats, dans les Vosges, souvent mentionnés dans différentes sources. Les unités françaises engagées dans cet affrontement conquirent des positions, puis les perdirent et les reconquirent au prix de pertes énormes en hommes et sous-officiers comme en officiers.

couv Historique 133e
couverture de l'Historique du 133e Régiment d'Infanterie pendant la guerre

L'Historique du Régiment évoque ces moments. Le 133e y fut engagé dès le 30 août. D'abord pour le contrôle de la pointe la plus élevée, dominant les vallées de la Meurthe et de la Fave : la Tête de Béhouille. Puis pour le contrôle du col des Journaux. Plusieurs jours, les attaques ont permis de prendre le contrôle de positions stratégiques dans des conditions très éprouvantes : bombardements intenses, tirs de mitrailleuses, manque de munitions...

col des Journaux légendé
arte du secteur de combat où Pierre Gobert perdit la vie (source)

 

cols Journaux et Mandray perspective

 

la mort de Pierre Gobert

Il a perdu la vie le lundi 7 septembre 1914 dans les affrontements du col des Journaux, à l'âge de 23 ans.

carte topo Mandray Journaux souligné
carte topographique insérée dans le J.M.O. du 113e d'Infanterie à la date du 7 septembre 1914 (source)

 

Diapositive1
le décès de Pierre Gobert enregistré dans l'Historique du régiment :
il est écrit "cap-fr", c'est-à-dire "caporal-fourrier"

après guerre

Un secours de 150 francs fut accordé, le 22 juin 1915, à sa mère, Madame veuve Gobert, née Fayolle.

 

 

 

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30 octobre 2018

Jean Botte

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

Jean BOTTE

mort pour la France

 

 

Botte fiche MPLF

 

Jean Pierre Botte fut recensé en 1913. Il habitait au 3, rue de Plaisance, exerçait la profession de peintre, décorateur.

Il était le fils de Pierre Marie Botte et de Jeanne Claudine Pauline née Merlet. Il est célibataire, mesure 1m62, a les cheveux noirs et les yeux marrons. Il est vélocipédiste.
Son degré d'instruction est de niveau 3 : "sait lire, écrire et compter".

Jean Botte s'était engagé volontairement, pour trois ans, le 13 septembre 1913, et incorporé au 13e Bataillon de Chasseurs Alpins.

Il est à mort à 21 ans, dans les Vosges, au tout début du conflit.

enseigne Pétrus Botte
source : archives municipales de Saint-Chamond, 6 Fi 44

Jean Botte est enregistré comme "peintre, décorateur" lors de son recensement. Son père, prénommé Pierre, dans le recensement de population de 1911, est également noté comme peintre et plâtrier.
Il se trouve qu'une entreprise de ce genre existait à Saint-Chamond, dès la fin du XIXe siècle, au nom de Pétrus Botte, domiciliée 8, place Dorian. Il y a toutes les chances pour qu'elle soit l'entreprise du père de Jean Botte.
Pourquoi s'appelait-elle "Pétrus Botte" et nom "Pierre Botte" ? Peut-être le père de Jean Botte usait-il des deux prénoms simultanément ? Peut-être s'agissait-il du prénom du grand-père de Jean, l'entreprise familiale étant relativement ancienne ?

Botte recensement 1911
extrait du recensement de population de Saint-Chamond en 1911

Lors du recensement de 1991, la famille Botte apparaît parmi les résidents du numéro 3 de la rue de Plaisance. Le père est né en 1863, exerce la profession de patron plâtrier. La mère est née en 1864, travaille dans la même branche. Jean Botte a un frère d'un an plus jeune que lui, Jules né en 1894, et est apprenti.

 

l'engagement militaire de Jean Botte en septembre 1913

registre Engagements 1 Hsc 21
archives municipales de Saint-Chamond, 1 Hsc 21

 

acte d'engagement (1)
Jean Botte s'engage volontairement le 13 septembre 1913 dans l'armée (recto)

  

acte d'engagement (2)
Jean Botte s'engage volontairement le 13 septembre 1913 dans l'armé (verso)

 


une image de Jean Botte ?

Il se trouve qu'un autre combattant a probablement été le voisin de Jean Botte dans son régiment. Son nom est Jean Charlon (source).

Il est mort au même endroit que Jean Botte le lendemain, 3 septembre 1914 à Mandray dans les Vosges. Il appartenait à la même unité avant même le déclenchement de la guerre, et tous les deux ont suivi la formation pour devenir caporal.

Voici une photo de ces élèves-caporaux publiée par ce site :

JC08
élèves-caporaux de la classe 1913, du 13e Bataillon de Chasseurs Alpins

Il est tout à fait plausible que Jean Botte figure sur cette photo, puisqu'il était caporal ainsi que sa fiche l'indique. Mais où...? Quel est-il parmi cette trentaine d'élèves-caporaux ?

Si l'on suit la description de son visage dans l'acte d'engagement, "nez rectiligne", "visage allongé" et "menton rond", peut-être est-ce là le portrait de Jean Botte ?

visage Jean Botte      visage Jean Botte
visage de Jean Botte ?
sur la photo de groupe, 2e rang, accroupi,
premier à partir de la droite

 
comment est-il mort à la guerre ?

Il existe un récit des engagements du 13e Bataillon de Chasseurs Alpins durant toute la guerre. (source) Les combats de septembre 1914 dans les Vosges, et notamment à Mandray, sont évoqués (extraits) :

"La lutte reprend dès quatre heures du matin le 31 [août 1914]. Le 22e attaque la Tête de Béhouille de face, tandis que le 133e R.I. la déborde à l'est ; le 13e B.C.A., qui a récupéré toutes ses compagnies, appuie l'attaque à l'ouest. Le début de la progression est relativement facile, l'artillerie ennemie ne réagit pas. De l'ouest, au loin, vers Saint Dié, viennent les échos d'une bataille acharnée, au débouché de la route du Col de Sainte Marie aux Mines. À 7 heures, le bataillon occupe la Tête de Béhouille.
La progression continue, 13e et 22e alignés l'un sur l'autre, en direction du village de Fouchifol, qui est enlevé avant midi, sous le feu de l'artillerie allemande qui vient de se réveiller. Sous le bombardement, les chasseurs s'y maintiennent jusqu'au soir et s'y installent pour la nuit, se couvrant d'un réseau de petits postes.
Alors que son artillerie - de campagne et lourde - se déchaîne, l'infanterie allemande attaque de front, le 1er septembre au petit jour, débordant l'aile droite du 22e B.C.A., là où devrait se trouver le 133e d'Infanterie. Car celui-ci a abandonné ses positions au cours de la nuit... sans en avertir ses voisins.
La situation est tout de suite critique. Les hommes tombent par grappes. Le Capitaine Delalande, commandant la 3e Compagnie a le bras gauche arraché par un obus.
En bon ordre, par échelon, les compagnies décrochent en direction du Col des Journeaux, tandis que le 13e les épaule à l'ouest, avant de se replier à son tour sur le Col de Mandray.
Les deux bataillons s'arrêtent sur cette ligne et s'installent défensivement sur les positions déjà tenues le 27 août. L'ennemi n'a pas poursuivi, se contentant d'occuper les lisières du bois de la Béhouille et la cote 704.
Le Général Bataille, appelé au commandement de la 41ème D.I., est remplacé à la tête de la 81e Brigade par le Colonel Nudant.
Celui-ci réunit les chefs de corps au Col de Mandray le 2 septembre dans la matinée. Il leur annonce que l'attaque va reprendre dès l'après-midi, et qu'elle bénéficiera d'un énergique soutien d'artillerie... qui fera défaut, tout comme au cours des journées précédentes !
Côte à côte, le 22e et le 13e repartent à l'assaut de 704 et des bois de la Béhouille.
Après une progression sans trop de pertes, l'attaque est stoppée par la nuit à proximité de 704."

L'Historique du 13e Bataillon de Chasseurs Alpins, récit assez succinct publié dès 1920, note que le combat de la Tête de Behouille, du 2 au 4 septembre 1914, a causé la mort de 125 soldats (...!) et en a blessé 271.

JC12b
Carte des engagements du 13e Bataillon de Chasseurs Alpins,
fin août et début septembre 1914, dans les Vosges

On localise parfaitement l'endroit où Jean Botte a trouvé la mort le 2 septembre 1914, à Mandray, c'est-à-dire lors des combats pour le contrôle des bois appelés Tête de la Behouille.

Dans l'Historique du 13e Bataillon de Chasseurs Alpins, 1914-1918 (anonyme, Chambéry, imprimerie chambérienne, 1920), Jean Botte, caporal, est noté "disparu" à Mandray (p. 53).

 

Chasseurs Alpins que Jean Botte a peut-être croisés...

canon chasseurs Vosges
Chasseurs Alpins du 13e Bataillon

chasseurs alpuns maison forestière
Chasseurs Alpins du 13e Bataillon dans la Maison forestière d'Épinal, en 1914

artillerie Chasseurs alpins
artillerie des Chasseurs Alpins, dans les Vosges en 1914


lieux probablement traversés par Jean Botte

Après de premiers succès en Alsace, les troupes françaises, mises en échec en Lorraine, durent faire face à une offensive allemande dans les Vosges dont une partie fut occupée et souvent ravagée par les soldats ennemis (Raon-l'Étape, Saint-Dié...).
Au sud de Saint-Dié, Saint-Léonard et Mandray sont occupés par les Allemands le 27 août 1914. Contraint de les abandonner le 28, ils brûlent de nombreuses maisons. L'église de Mandray est aussi incendiée.
Le caporal Jean Botte fait partie des soldats qui repoussent l'ennemi et l'affrontent violemment dans les bois de Béhouille. Jean Botte meurt le 2 septembre dans ces combats pourtant victorieux mais qui coûtent cher aux Français.

 

ruines St-Léonard
scierie de Saint-Léonard (Vosges) détruite pes les Allemands en août 1914


ruines église Mandray
l'église de Saint-Mandray incendiée par les Allemands lors de leur retraite le 28 août 1914

 

bois de la Béhouille
en ligne d'horizon, les bois de la Béhouille, lieu de la mort de Jean Botte

deux kilomètres plus loin...

Le Chipal ruines

 

Le Chipal incendié

 

 

 

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9 octobre 2018

Joseph Guichard

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

Joseph GUICHARD

mort pour la France

 

 

Joseph Guichard fiche MPLF

 

Ancien élève de l'École Pratique, probablement à la fin du XIXe siècle (1897... début 1900...), Joseph Guichard avait 31 ans lorsque la guerre le rattrapa.
Il était devenu ouvrier "tourneur" (son père était forgeur) et habitait La Valette à Saint-Martin-en-Coailleux, aujourd'hui quartier de Saint-Chamond. Sa mère s'appelait Marie, née Chabrolles ; et son père Mathieu.
Il fut noté, lors de son recensement en 1903, comme sachant "lire, écrire et compter", mais il était pourvu d'autres compétences plus étendues compte tenu de sa scolarité.
Sa taille était de 1m67.

comment est-il mort à la guerre ?

Joseph Guichard a trouvé la mort le 16 septembre 1914 au hameau de La Carmoy, dans la commune de Cannectancourt, dans le département de l'Oise.

Il servait comme caporal et appartenait au 38e Régiment d'Infanterie basé à Saint-Étienne (Loire). L'Historique de ce régiment, rédigé en 1919, par le colonel Charpentier, commandant alors cette unité, évoque les principaux engagements de ses hommes.

Après plusieurs semaines éprouvantes passées en Alsace, le régiment de Joseph Guichard (élément du 13e Corps d'Armée) est transporté dans l'Oise, dans le cadre du mouvement entamé par les Allemands et appelé la "Course à la Mer" :

- "Débarqué le 13 septembre dans la région de Creil, le Régiment marche immédiatement dans la direction du nord de Compiègne. Le 16 a lieu, au près de l’Ecouvillon, un sérieux  engagement resté présent à toutes les mémoires, moins par lui-même que par un épisode qui l’a suivi et dont fut le héros le sergent Giacomini, de la 6e Compagnie. Le soir du 16 [septembre], un de nos petits postes commandé par Giacomini se laisse surprendre et est enlevé par une patrouille ennemie.
Un officier allemand ordonne à Giacomini de le guider, lui et sa patrouille, vers la grand’garde française. Le sergent obéit : il arrive, suivi des Allemands, à proximité de la grand’garde. Mais lorsque les sentinelles françaises, mises en éveil, crient «Halte-là. Qui vive ?», Giacomini répond : «Tirez, ce sont des Allemands». Alertée, la grand’garde disperse rapidement par ses feux les Allemands qui s’enfuient en laissant une trentaine d’hommes sur le terrain. Le sergent Giacomini qui put rejoindre les nôtres, avait magnifiquement racheté sa surprise."

Ce jour-là, Joseph Guichard perdit la vie. Fut-ce lors de ces épisodes ? Possible.

Le récit de Paulin Bert  fournit des chiffres de tués très élevés en août et septembre 1914. À la date du 28 août, il note dans son carnet de guerre : "Cette journée a été une véritable hécatombe. Cent dix hommes sur les deux cents de ma compagnie manquent à l'appel. Neuf cents au régiment"...! (...)
[Dans l'Oise] - Le 15 septembre, on prend contact avec l'ennemi. Ça cogne dur. [Joseph Guichard meurt le 16]. Ma compagnie est engagée le 17 à Machemont [à trois ou quatre kilomètres, au sud de la Ferme de la Carmoy]. On pousse trois fois la charge à la baïonnette. On se bat de maison en maison, on se fusille à bout portant. C'est sinistre : les rues sont pleines de cadavres humains et d'un grand nombre de chevaux abattus. (...)". (source)

 

caserne 38e RI
la caserne du 38e Régiment d'Infanterie à Saint-Étienne avant 1914

élèves caporaux 38e RI
Joseph Guichard était caporal. Peut-être a-t-il suivi sa formation avec ces élèves caporaux ?
Mais la date précise de la photo est inconnue...

 

ferme Carmoy ruines
la ferme de la Carmoy, dans la commune de Cannectancourt, bombardée par les Allemands
au début de la guerre
. C'est là que Joseph Guichard fut tué le 16 septembre 1914

 ferme La Carmoy bombardée
destructions de la ferme de La Carmoy au début de la guerre

Diapositive1
après un premier repli, au cours duquel les Allemands incendièrent les lieux, ils revinrent
et occupèrent la zone jusqu'en 1917

 

Carmoy 1915 observatoire boche
observatoire allemand installé dans la ferme de La Carmoye en 1915

 

Lassigny 1917
retour des armées françaises dans la proche région, en 1917

 

Paulin Bert 38e RI
le soldat, marqué de bleu, n'est pas Joseph Guichard ; il s'appelle Paulin Bert et appartenait, lui aussi,
au 38e Régiment d'Infanterie ; il a laissé un carnet de guerre dont le début évoque
les combats d'août et de septembre 1914
(source)

 

soldats du 38e RI
soldats du 38e R.I. durant la Première Guerre, sans date... Joseph Guichard devrait leur ressembler

 

 

 

 

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29 octobre 2018

Jacques Bunard

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

Jacques BUNARD

mort pour la France

 

Bunard fiche MPLF

 

carte Méry Oise 1918
Méry, cerclé de rouge, où est mort Jacques Bunard


comment est-il mort à la guerre ?

Jacques Bunard appartenait au 7e régiment d'Artillerie à pied. Il est mort à 31 ans dans l'Oise au cours des offensives allemandes du printemps 1918 (manoeuvre du général allemand Oskar von Hutier).

Ce 9 juin, peu après minuit, l'artillerie allemande entame un bombardement de fer et de gaz asphyxiants sur un front de 40 km.

C'est au cours d'affrontements très meurtriers pour les Allemands - mais efficaces - que le soldat Bunard est mortellement atteint dans la défense de Méry, petite localité perdue et reprise plusieurs fois dans les jours suivants par les troupes françaises. (La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes  Aristide Quillet, 1922, source internet).

- voir aussi : "Juin 1918, la relance des offensives allemandes", avec des photos de juin 1918.

- le fils d'un combattant français qui se trouvait à Méry, à la même époque, a raconté le parcours de son père, Fernand Nonet pendant la guerre. Il se trouvait à Méry le 10 juin 1918, lendemain de la mort de Jacques Bunard. lire ici

 

Méry ligne de front juin 1918
ligne de tranchée française sur le champ de bataille de Méry (Oise), mai-juin 1918 - source

 

Méry rue Bachemont juin 1918
Méry (Oise), la rue Bachemont après les combats de juin 1918

 

Méry rue capitaine Ringwald 1918
Méry (Oise), la rue du Capitaine Ringwald tué devant Méry le 13 juin 1918

 

Méry ruines école mairie juin 1918
Méry (Oise), ruine de l'école et de la mairie après les combats de juin 1918

 

Méry Grande Rue juin 1918
Méry (Oise), la Grande-Rue après le passage des Allemands en juin 1918

 

 

 

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5 octobre 2018

Jean Maisonnial

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France 

 

 

Jean MAISONNIAL

mort pour la France

 

 

Maisonnial fiche MPLF

 

Jean Maisonnial est né le 25 juillet 1894 dans un petit village de la Loire, Fraisses.

Fraisses le bourg
le bourg de Fraisses (Loire) où naquit Jean Maisonnial en 1894

 

Fraisses Périvaure
hameau de la Périvaure, dans le village de Fraisses (Loire)

 

Ajusteur de profession, Jean Maisonnial, âge dé 19 ans, s'était marié le 24 septembre 1913 avec Claudia Joannez. De cette union naquit un garçon, Jean Marie, le 29 juillet 1914.

Appartenant à la classe 1914, il fut théoriquement appelé sous les drapeaux en septembre de la même année. Nous ignorons, pour l'instant, la date précise à laquelle il fut envoyé au front. En tout cas, il fut soldat durant quatre années, jusqu'à sa mort le 5 octobre 1918.

Son unité était, au moment de son décès, le 414e Régiment d'Infanterie.

 

comment Jean Maisonnial est-il mort ?

L'Historique du 414e Régiment d'Infanterie (1915-1918), rédigé anonymement juste après guerre, évoque la période au cours de laquelle Jean Maisonnial perdit la vie :

"Le 18 septembre [1918], par voie ferrée, le régiment est transporté à Epernay, de là il se rend au camp de Chalons par étapes, puis, de nuit, il va s'installer dans un camp au Sud de Jonchery-sur-Suippe.

Le 26 septembre la division se porte à l'attaque, elle a pour mission d'enlever toutes les défenses allemandes, jusqu'à la Py.

Le 414e est d'abord en réserve, mais le 26, à 11 heures, il combat en première ligne. Un combat sanglant s'engage sur la ligne principale de résistance ennemie. Les boches combattent âprement, ils sont admirablement bien servis par des nuées de mitrailleuses. Ce n'est qu'après de longues heures de combat que l'on parvient à prendre pied dans la tranchée de Magdebourg.

Le 4 octobre, l'ennemi cède et se replie vers le Nord, la poursuite commence et durera sans arrêt jour et nuit, jusqu'au 12 octobre. L'ennemi essaye en vain de s'accrocher au terrain. Les mitrailleuses font un mal énorme à nos colonnes d'attaque. Les traversées de rivières donnent lieu à de sanglants combats. Celle de l'Arne, à Hauviné notamment, est rendue très pénible par un déluge d'obus toxiques. Enfin le 12, le régiment est placé en réserve et le 23, il gagne par étapes les environs de Châlons-sur- Marne pour se reposer." (source)

 

Diapositive1

 

Diapositive1
plaque apposée sur le monument aux morts au cimetière de Saint-Chamond

 

Maisonnial info 1920

 

 

 

 

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4 octobre 2018

Jean Mallet

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

Jean MALLET

mort pour la France

 

 

fiche Mémoire des hommes

 

Jean Mallet est né le 6 mai 1897 à Saint-Martin-en-Coailleux.

Lors de son recensement, en 1917, Jean Mallet était célibataire, ses cheveux châtains et ses yeux gris. Il mesurait 1m69. On note qu'il sait "lire, écrire et compter", monter à cheval, conduire et soigner les chevaux, et enfin, conduire les voitures [hippotractées].
Sa profession était chaudronnier, il habitait Saint-Martin-en-Coailleux. Ses parents se prénommaient Hippolyte Philibert et Antoinette née Dimier. Le registre de rencensement le fait naître le 9 mai et non le 6...

comment est-il mort à la guerre ?

La fiche "mort pour la France" de Jean Mallet indique qu'il est décédé à l'ambulance 13/8 à Sermoise dans l'Aisne, des "suites de ses blessures".
Il faut savoir que ce qui est désigné comme "ambulance" avec ce numéro ne correspond pas à un véhicule mais à une infirmerie plus ou moins équipée sur laquelle étaient dirigés les blessés avant leur envoi éventuel dans un hôpital proprement dit, beaucoup plus à l'abri à "l'arrière".

 

 

 

 

 

 

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25 octobre 2018

Marius Clavel

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

Marius CLAVEL

mort pour la France

 

Clavel Marius fiche MPLF

Marius Claude Clavel appartenait à la 6e Batterie du 4e Régiment d'Artillerie de Campagne (R.A.C.). Il était 2e cannonier servant et a trouvé la mort dans les Vosges le 3 septembre 1914.

Son nom figure dans l'Historique de cette unité. Le lieu de son décès est Anould, commune des Vosges.

Anould vue générale
la tombe aux six sapins (remarque de Dominique Marchal que je remercie)

 

Anould La Hardall
ce n'est pas un artilleur... mais un chasseur alpin au premier rang

 

carte Vosges Haute-Meuse 2
carte de la région ; la ligne pointillée trace la limite entre le département des Vosges, à l'ouest,
et celui du Haut-Rin, à l'est

 

Anould papeteries
la commune d'Anould

 

comment est-il mort à la guerre ?

Selon le rapide Historique du 4e Régiment d'Artillerie de Campagne (publié en 1920) :

- "Durant la période ci-dessus [fin août – début septembre 1914], (le 4e Régiment d’Artillerie de Campagne) est complètement détaché de la Division d’Infanterie qui, elle, opère en liaison avec le 14e Corps, au nord de Gérardmer, où les 2 et 3e Groupes participent dans la vallée de la Meurthe aux combats d’Anould, du Col de Mandray, [du col] des Journaux et [du col] de la Planchette. Les Allemands, arrêtés au cours de ces combats meurtriers qui durèrent huit jours, refluent vers les frontières…".

Marius Clavel est donc décédé au cours de ces combats sans que, pour l'instant, nous n'ayons plus de précision.

 

Diapositive1

 

 

la tombe de Marius Clavel dans la nécropole de Saulcy-sur-Meurthe

100_5094
nécropole de Saulcy-sur-Meurthe (Vosges) - photo de Dominique Marchal

 

100_5103
nécropole de Saulcy-sur-Meurthe (Vosges) - photo de Dominique Marchal

 

tombe Marius Clavel à Saulcy
nécropole de Saulcy-sur-Meurthe (Vosges) tombe de Marius Clavel (n° 1233)
photo de Dominique Marchal


À propos du décès de Marius Clavel, Dominique Marchal m'a communiqué l'information suivante (mars 2014) : "Sept artilleurs du 4e RAC sont décédés en même temps. La tradition orale veut qu'un obus allemand soit tombé dans une caisse d'obus de la 6e batterie.
Sur les photos d'Anould que vous montrez sur votre site (ci-dessus), il en est une où une tombe est entourée de six sapins, on voit d'autres tombes plus loin. C'est à cet endroit que sont morts les artilleurs. Ce lieu est baptisé depuis "les six sapins". Ils ont été abattus (car pourris) il y a une vingtaine d'années.
Un projet pour la célébration du centenaire est de replanter six sapins et d"ériger au centre un petit monument.
"

Merci pour ces précisions et pour les photos.

 

 

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22 octobre 2018

Jean Depouilly

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

Jean DEPOUILLY

mort pour la France

 

 

Depouilly Jean fiche MPLF

 

acte de naissance de Jean Depouilly (22 octobre 1897)

acte de naissance Jean Depouilly 1897

 

la mort de Jean Depouilly (15 juillet 1918)

pertes 15 juillet 1918 142e RI
extrait du J.M.O. du 142e Régiment d'Infanterie

 

Diapositive1
Jean Depouilly appartenait à la 2e Compagnie du 142e R.I.

 

Les J.M.O., Journaux de Marche et d'Opérations, sont rédigés par les différentes unités militaires. Les plus précis sont ceux des régiments. On y trouve consignés, les déplacements, les opérations de préparation et de d'engagement, les phases et résultats des combats, les pertes, les actes de bravoure... Les J.M.O. sont maintenant consultables en ligne sur le site Mémoire des Hommes. Voici celui du 142e Régiment d'Infanterie de novembre 1917 à mars 1919 (lien).

Jean Depouilly est mort lors du grand assaut allemand à l'est de Reims, le 15 juillet 1918. Sa fiche cite le secteur de Courmelois, lieu qui avait été fréquenté, trois plus tôt, par le soldat Guillaume Appolinaire...

 

le secteur de Courmelois (Marne) où est mort Jean Depouilly

 

Courmelois église avec soldat à vélo 1914-1918
l'église de Courmelois (Marne) pendant la guerre de 1914-1918

 

Courmelois église 1914-1919
l'église de Courmelois frappée par les bombardements

 

Courmelois pont canal et port 1914-1919
le Pont de Canal et le Port, à Courmelois (Marne) avant ou pendant la guerre (?)

 

 

 

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21 septembre 2018

Marius Poyet

Les 51 anciens élèves de l'École pratique de Saint-Chamond, morts pour la France

 

 

 

Marius POYET

mort pour la France

 

 

Poyet Marius fiche MPLF

 

Marius Poyet est né le 9 juin 1886 à Izieux, commune limitrophe de Saint-Chamond. Il est le frère cadet de François.

Il est mort le 12 janvier 1915 en Meurthe-et-Moselle.

250px-Woëvre_localization

À la fin décembre, le 252e régiment d’Infanterie est en Lorraine, dans la plaine de la Woëvre. Cet endroit a été l’objet d’attaques allemandes dès septembre 1914. Leurs avancées accomplies, ils creusèrent des tranchées, le front se stabilisa et la guerre de position commença.
D’octobre 1914 à 1916, l’armée française déclencha de multiples assauts coûtant la vie à des dizaines de milliers de combattants.

Fin 1914, le 252e est envoyé dans le secteur du village de Seicheprey – bombardé et en grande partie détruit. Le Journal de marches et d’opérations (J.M.O.) du régiment consigne des combats et la disparition de Marius Poyet.
Son unité, constituée des 5e (dont la 19e compagnie de Marius Poyet) et 6e bataillons, arrive à Seicheprey le 27 décembre à 2 h30 du matin. Il y reste deux jours puis est relevé, et y revient les deux jours suivants, etc. Les soldats aménagent les tranchées et les fortifications.

Les 6 et 7 janvier, le 252e est en ligne à Seicheprey : «il a à souffrir beaucoup du mauvais temps et de l’état du terrain ; il doit poursuivre une lutte incessante contre l’eau qui envahit sans cesse les tranchées et boyaux, qui éboule les parapets. Rien de particulier à signaler en dehors de l’état déplorable du secteur, indiqué ci-dessus. Bombardements espacés de Seicheprey».

Le 8 janvier, relève. Les 9 et 10 janvier, cantonnement.

Le 11 janvier, le régiment de Marius Poyet part «aux avant-postes, le 5e bataillon en tête avec sa section de mitrailleuses, le 6e bataillon suit avec sa section de mitrailleuses également. La marche est retardée par le mauvais temps. Le régiment arrive à Seicheprey avec un léger retard».

Les 12 et 13 janvier, le 5e bataillon occupe le secteur de Remières : «À la relève, un incident à signaler : une escouade de la 19e Compagnie, trompée par l’obscurité, est allée jusqu’aux tranchées allemandes. Quatre hommes de cette escouade, les caporaux Magdinier et Poyet, les soldats Liogier et Labaume ont disparu, faits prisonniers suivant toute vraisemblance».

Ainsi, le J.M.O. évoque-t-il une disparition. Comme aucun signe de vie ne fut donné par Marius Poyet, on conclut à sa mort. Celle ci- fut localisée dans le secteur de Saint-Baussant, au nord-nord-est de Seicheprey, et datée du 12 janvier 1915.

 

 

 

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