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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois

4 février 2009

crises politiques de 1870 à 1940 - devoir à la maison (DM)

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février 1934


qu'est-ce qu'une "crise politique"

sous la IIIe République ?



 

Qu'entendons-nous par "crises politiques" ? (...) Ce sont les grandes perturbations qui ont mis en danger le système de gouvernement républicain. De ce fait, on a éliminé une série de tensions et de commotions politiques (séquence anarchiste des années 1891-1893, "Panama", mouvement social de 1919-1920, Front populaire, "Munich"...), dans la mesure où elles n'ont pas exercé une véritable menace sur l'organisation des pouvoirs.

Les crises retenues sont en rapport direct avec la forme gouvernementale du pays remise par elles en question. Il s'agit :
1) de la Commune de Paris, dont une des causes est le danger de restauration monarchique ;
2) du 16 mai 1877, dont l'enjeu est la prééminence disputée entre l'exécutif et le législatif ;
3) du boulangisme, protestation contre la prépotence de la Chambre au préjudice du suffrage universel ;
4) de l'affaire Dreyfus, nouvelle offensive contre la souveraineté parlementaire sous les couleurs nouvelles du nationalisme ;
5) du 6 février 1934, qui traduit le ralliement d'une partie des classes moyennes aux solutions d'autorité contre le système parlementaire ;
6) du 10 juillet 1940, qui clôt, à la faveur de la défaite, la IIIe République.

Michel Winock, La fièvre hexagonale.
Les grandes crises politiques, 1871-1968
,
Points-Seuil, 1987, p. 10-11
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Devoir à la maison

Exposez, pour chacune de ces crises : a) le contexte politique (la situation générale, les rapport des forces, qui gouverne...), économique et sociale (crise ou pas crise...) ; b) les protagonistes des événements (qui affronte qui..., les positions et programmes des uns et des autres...) ; c) les principaux épisodes et le dénouement de chaque conflit.

 

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Base documentaire

Plusieurs documents évoquent les mêmes faits, ou une partie des mêmes faits, mais ne proposent pas toujours une interprétation identique. Ils doivent être comparés. Et sont à utiliser partiellement ; il ne faut pas les recopier, même en extraits...

 

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barricade parisienne, 18 mars 1871

1) une chronologie des années 1870 et 1871

 

1870
4 septembre : Chute du Second Empire. Proclamation de la République.
5 septembre : Formation de comités de Salut public en Province.
6 septembre : Étienne Arago est nommé maire de Paris par le gouvernement.
7 septembre : Le gouvernement annonce qu'il ne cédera pas face à la Prusse.
12 septembre : Soulèvement à Lyon.
15 septembre : Échec de l'entrevue de Ferrière entre Bismarck et le gouvernement.
19 septembre : Les troupes prussiennes assiègent Paris.
21 septembre : Rejets des conditions exigées par Bismarck pour un armistice.
27 septembre : Capitulation de Strasbourg à Koenigshoffen.
28 septembre : Insurrection lyonnaise sous l'impulsion de Bakounine.
2 octobre  : Gambetta s'échappe de Paris en ballon.

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le légendaire départ de Gambetta en ballon

5 octobre : Guillaume II s'installe à Versailles.
7 octobre : Garibaldi arrive à Marseille pour apporter son soutien contre la Prusse.
8 octobre : Les Prussiens entrent dans Orléans.
9 octobre : Arrivée de Gambetta à Tours.
9 octobre : Gambetta propose à Garibaldi, le commandement des corps francs.
13 octobre : Arrivée de Garibaldi à Dôle, où il installe son quartier général.
21 octobre : Entrevue entre Gambetta et Thiers à Tours.
26 octobre : Échec d'une offensive prussienne contre les troupes de Garibaldi à Lantenay.
27 octobre : Bazaine capitule à Metz.
30 octobre : Les troupes du général Fauconnet repoussent l'attaque prussienne sur Dijon.
31 octobre : Insurrection à Paris.
31 octobre : Capitulation de Dijon ; les armées prussiennes sentrent dans la ville.
3 novembre : Forte abstention des Parisiens appelés à un plébiscite.
7 novembre : Reprise d'Orléans par les troupes françaises.
8 novembre : Giuseppe Garibaldi à la tête de l'armée des Vosges s'intalle à Autun.

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19 novembre : Attaque de la IVe Brigade de Riciotti Garibaldi contre les Prussiens à Châtillon-sur-Seine.
26 novembre : Échec d'une offensive des troupes garibaldiennes sur Dijon.
1 décembre : Échec de l'offensive prussienne contre Garibaldi à Autun.
2 décembre : Échec de l'offensive française à Patay.
8-9 décembre : Transfert du gouvernement à Bordeaux.
13 décembre : Les Prussiens s'emparent de Tours.
18 décembre : Échec de l'offensive prussienne sur Nuits-Saint-Georges.
27 décembre : Les armées prussiennes évacuent Dijon.

1871
5 janvier : Bombardement de Paris par les armées prussiennes.
6-12 janvier : Bataille du Mans.
7 janvier : Garibaldi s'installe avec l'armée des Vosges à Dijon.
9 janvier : Défaite françaises à Villersexel.
10 janvier : Échec d'une tentative de sortie des armées parisiennes.
18 janvier : Guillaume Ier, roi de Prusse est couronné empereur d'Allemagne dans la galerie des glaces de Versailles.
21 janvier : Attaque de armées prussiennes contre Dijon repoussée par les combattants garibaldiens.
22 janvier : Manifestations devant l'hôtel de ville à Paris.
22 janvier : Négociations à Versailles entre Bismarck et le gouvernement.
22 janvier : Nouvel échec d'une offensive prussienne sur Dijon.
23 janvier : Nouvel échec des troupes prussiennes sur Dijon ; capture du drapeau du 8e Poméranien par la IVe brigade Riciotti Garibaldi.
28 janvier : Armistice franco-allemand (21 jours), capitulation de Paris.
29 janvier : Les forts parisiens passent sous contrôle des armées prussiennes.
6 février : Gambetta opposé à l'armistice démissionne.
8 février : Élection de l'assemblée nationale.
13 février : Première réunion de l'assemblée nationale à Bordeaux.
15 février : La garde nationale de Paris s'oppose à la paix.
17 février : Thiers devient chef du gouvernement.
26 février : Signature des préliminaires de paix entre la Prusse et la France.
26 février : Transfert des canons achetés par souscription nationale à Montmartre.
1 mars : Les Prussiens entrent dans Paris.
1 mars : L'assemblée nationale accepte les conditions de paix de Bismarck.
2 mars : Les armées prussiennes défilent sur les Champs-Elysées.
3 mars : Constitution de la Fédération républicaine de la garde nationale.
10 mars : Pacte de Bordeaux suspendant toute décision sur la nature du régime.
16 mars : Retour du gouvernement à Paris.
17 mars : Arrestation de Blanqui.
18 mars : Échec de la tentative gouvernementale de s'emparer des canons de Montmartre.
20 mars : Thiers et l'assemblée nationale s'installe à Versailles.
22 mars : Manifestation parisienne place Vendôme.
22 mars : Soulèvement de la Guillotière et instauration de la commune à Lyon.
23 mars : Instauration de la Commune de Marseille.
24 mars : Soulèvement à Narbonne, Saint-Étienne et Toulouse.

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26 mars : Élections de la Commune de Paris.
26 mars : Reddition de la ville de Bitche.
27 mars : Fin de la Commune de Toulouse.
28 mars : Proclamation de la Commune à l'hôtel de ville.
28 mars : Fin de la Commune de Saint-Étienne.
31 mars : Fin de la Commune de Narbonne.
2 avril : La Commune de Paris proclame la séparation de l'élise et de l'état.
2 avril : Attaque des troupes gouvernementales au pont de Neuilly.
3 avril : Échec d'une tentative de sortie contre les troupes gouvernemantales à Versailles.
4 avril : Capture et exécution de Duval chef des troupes communardes.
5 avril : Cluseret prend la tête des armées communardes.
5 avril : Arrestation de 74 otages par les Communards.
1 mai : Création d'un comité de Salut Public à Paris.
1 mai : Cluseret est évincé au profit de Rossel.
5 mai : La commune de Paris interdit sept journaux pro-gouvernementaux.
9 mai : Prise du fort d'Issy par les armées versaillaises.
10 mai : Rossel (démissionnaire) est remplacé par Delescluze.
10 mai : Traité de Francfort instituant la paix avec l'Allemagne en contrepartie de l'Alsace, la Lorraine et d'indemnités.
13 mai : Prise du fort de Vanves par les troupes versaillaises.
16 mai : Les Communards mettent à bas la statue de Napoléon place Vendôme.
18 mai : Ratification du traité de Francfort par l'assemblée nationale.
21 mai : L'armée de Versailles entre dans Paris, début de la semaine sanglante.
23-24 mai : Incendie du palais des Tuileries par les Communards.
24 mai : Exécution de 6 otages par les insurgés.
24-26 mai : Exécution des Fédérés par les Versaillais (424†).
25 mai : Mort de Delescluze, chef des troupes communardes.
26 mai : Exécution de 52 otages par les Communards.
28 mai : Chute du dernier bastion communard.
8 juillet Victoire des républicains aux élections.
31 août : Thiers est élu président de la République et l'assemblée nationale devient constituante.

1872
novembre  : A. Thiers se prononce pour la République.

 

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Communards fusillés

 


2) le programme de la Commune

Élu le 26 mars 1871, le conseil municipal de Paris, dominé par des républicains radicalisés et des socialistes, s'est proclamé Commune de Paris. Ce gouvernement insurrectionnel expose son programme.

" Dans le conflit douloureux et terrible qui menace encore Paris des horreurs du siège et du bombardement, (...) la Commune de Paris a le devoir (...) de préciser le caractère du mouvement du 18 mars, incompris, inconnu et calomnié par les hommes politiques qui siègent à Versailles.
[Paris demande]
- La reconnaissance et la consolidation de la République, seule forme de gouvernement compatible avec les droits du Peuple.
- L'autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France et assurant à chacune l'intégralité de ses droits.
- Les droits inhérents à la Commune sont : le vote du budget communal, recettes et dépenses;  la fixation et la répartition de l'impôt ; (...) l'organisation de sa magistrature, de la police intérieure et de l'enseignement;  l'administration des biens appartenant à la Commune.
- Le choix par l'élection ou le concours, avec la responsabilité et le droit permanent de contrôle et de révocation des magistrats ou fonctionnaires communaux de tous ordres. La garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté de conscience et de la liberté de travail (...).
- L'intervention permanente des citoyens dans les affaires communales par la libre manifestation de leurs idées. (...)
- L'unité, telle qu'elle nous a été imposée jusqu'à ce jour par l'Empire, la monarchie et le parlementarisme, n'est que la centralisation despotique, inintelligente, arbitraire et onéreuse. L'unité politique telle que la veut Paris, c'est l'association volontaire de toutes les initiatives locales. (...)
La Révolution communale, commencée par l'initiative populaire du 18 mars (...) c'est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l'exploitation, de l'agiotage, des monopoles, des privilèges auxquels le Prolétariat doit son servage, la Patrie ses malheurs et ses désastres."

extrait de l'Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars 1871

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3) Victor Hugo et la crise du 16 mai 1877

Aux élections de 1876, les électeurs ont désigné une majorité républicaine, alors que le Président de la République, la maréchal de Mac-Mahon, espérait le retour d’une majorité monarchiste. Il décide le 16 mai 1877 de dissoudre la Chambre des députés pour tenter d’obtenir une majorité conforme à ses attentes.

Victor Hugo s’oppose à cette manœuvre qu’il considère comme attentatoire à la volonté des électeurs.

Finalement, Mac-Mahon échoue : la majorité républicaine est confirmée par les électeurs. Le Président Mac-Mahon doit se soumettre, puis se démettre. Il présentera en effet sa démission en janvier 1879.

Les institutions de la IIIe République exigeaient l’accord du Sénat avant toute dissolution de la Chambre des députés par le Président de la République. Victor Hugo, sénateur, refuse la dissolution de la Chambre des députés lors de la crise du 16 mai :

"Oui, à cette heure, l’esprit de gouvernement est dans l’opposition, et l’esprit de révolution est dans le gouvernement. […] Oui, soyez le gouvernement. Arrêtez net cette étrange insurrection du 16 mai. […] Le Sénat, en rejetant la dissolution, rassure la patrie et prouve qu’il est nécessaire."

Discours contre la dissolution, Sénat, 12 juin 1877

 

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Mac Mahon, Président de la République française
du 24 mai 1873 au 30 janvier 1879

4) présentation de la crise du 16 mai 1877

En 1877 la République instituée par les lois constitutionnelles de février et juillet 1875 n'est pas à l'abri d'un retour offensif des monarchistes.

Le 16 mai, Mac Mahon, président de la République depuis mai 1873 et partisan de la monarchie renvoie le président du Conseil, Jules Simon, qu'il estime responsable devant lui autant que devant la Chambre des députés. Celle-ci est dissoute le 25 juin, avec l'avis conforme du Sénat qu'exigeait la loi du 25 février 1875 (art. 5). Mac Mahon ouvre ainsi une crise politique majeure.

Gambetta prévient : «Quand le pays aura parlé, il faudra se soumettre ou se démettre» (discours prononcé le 15 août 1877 à Lille).

Pendant la campagne électorale, Gambetta déclare voir dans le suffrage universel une loi fondamentale de la démocratie (discours au Cirque du Château d'Eau à Paris le 9-octobre 1877).

Le 20 mai, 363 députés républicains conduits par Léon Gambetta avaient contracté alliance et publié un manifeste invitant les électeurs à combattre «une politique de réaction et d'aventure». 318 d'entre eux furent réélus aux élections législatives des 14 et 28 octobre 1877 (contre 208 conservateurs). La participation fut élevée : 80,6 % des suffrages exprimés. 98 % des sièges sont pourvus dès le 1er tour.

La crise du 16 mai résolue par la victoire du camp républicain puis, quelque temps après, par la démission de Mac-Mahon, a frappé les trois coups de la IIIe République.

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élections de 1877 à Paris : le boulevard des Italiens, soirée du 14 octobre

 

5) dossier chronologique sur la crise du 16 mai 1877

1. chronologie de la crise du 16 mai 1877

20 février et 5 mars 1876 : Élection à la Chambre des députés. Les Républicains remportent 393 sièges sur 533.

23 février au 9 mars 1876 et 9 mars au 2 décembre 1976 : Gouvernements Jules Dufaure III et IV.

12 décembre 1876 : Mac-Mahon nomme Jules Simon président du Conseil (c'est-à-dire 1er ministre).

2. les causes

16 mai 1877 : Le Président de la République, Mac-Mahon, exige la démission du Président du Conseil Jules Simon. Il considère que le Président du Conseil est à la fois responsable devant le Président et le Parlement, dans la lignée de la monarchie Orléaniste ou du régime parlementaire dualiste. Il reproche au Président du Conseil l’abrogation de la loi de 1875 sur la Presse et son manque de fermeté face à la Chambre des députés lors des débats sur les mouvements anticléricaux en Italie.

3. le déroulement

19 mai 1877 : Mac-Mahon nomme Du Broglie (prononcer "Breuille") Président du Conseil.

20 mai 1877 : 363 députés signent un manifeste pour faire savoir qu’ils contestent la démission de Jules Simon et qu’ils n’entreront pas en contact avec le gouvernement De Broglie.

16 juin 1877 : Mac-Mahon sollicité l’avis conforme du Sénat pour prononcer la dissolution de la Chambre des Députés, conformément à l’art. 5 de la loi Constitutionnelle du 25 février 1875.

17 juin 1877 : Le Sénat, encore majoritairement conservateur, approuve le Président à raison de 150 voix contre 130.

25 juin 1877 : Le Décret prononçant la dissolution de la Chambre des Députés est publié. La dissolution est effective. Les élections sont fixées au 14 octobre 1877.

15 août 1877 : Discours de Lille prononcé par Gambetta dans lequel il prévient que "Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre"

14 et 28 octobre 1877 : Les élections à la Chambre des Députés sont favorables aux Républicains qui remportent 323 sièges contre 208. Avec une participation estimée à 80,6%, 98 % des sièges sont attribués dès le premier tour.

Mac-Mahon songe à une seconde dissolution, mais le Président du Sénat l’en dissuade.

19 novembre 1877 : Le Gouvernement de Broglie démissionne. Il est remplacé par le Gouvernement de Gaëtan de Rochebouët, proche du Président de la République.

24 novembre 1877 : La Chambre des députés refuse à 325 voix contre 208 de reconnaître ce gouvernement qui est pour elle "la négation des droits de la Nation et des droits parlementaires".

13 décembre 1877 : Mac-Mahon rappelle Jules Dufaure pour former un gouvernement.

 

4. sortie de crise

14 décembre 1877 : Dans un message aux assemblées, il capitule et reconnait que la dissolution n’est pas une règle de gouvernement, contrairement à l’indépendance du gouvernement vis-à-vis du Président et sa responsabilité devant le Parlement. Il se désavoue en revenant de lui-même sur les motifs qui avaient conduit à la démission du Gouvernement de Jules Simon le 16 mai 1877. [battu politiquement, Mac Mahon conserve son poste en 1878, année de la troisième Exposition universelle de Paris, du 1er mai au 31 octobre]

5 janvier 1879 : Renouvellement du 1er tiers du Sénat. Les sénateurs sortant sont principalement conservateurs et son remplacés, suite aux élections, par des Républicains. Le Sénat devient donc Républicain.

janvier 1879 : Le Parlement mène une politique d’épuration dans l’armée et l’administration afin que les fonctionnaires d’Etat nommés par Mac-Mahon ou trop conservateurs soient remplacés par des républicains. Mac Mahon refuse de signer les décrets en question.

30 janvier 1879 :  Sans soutiens, Mac-Mahon est contraint à la démission. Jules Grévy est élu Président de la République.

 

5. la fin de la crise

6 février 1879 :  Jules Grévy, ennemi déclaré du pouvoir personnel, opposé à l’élection du Président au Suffrage Universel Direct, déclare : «Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels.»

source

 

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Jules Grévy, Président de la République du 30 janvier 1879 à 1885
et de décembre 1885 au 2 décembre 1887


- biographie de Jules Grévy sur le site de l'Assemblée nationale

 



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caricature de Gambetta, 2 décembre 1877


6) Discours de Gambetta à Lille, 15 août 1877


La République sortira triomphante de cette dernière épreuve, et le plus clair bénéfice du 16 mai sera, pour l’histoire, d’avoir abrégé de trois ans, de dix ans, la période d’incertitude et de tâtonnements à laquelle nous condamnaient les dernières combinaisons de l’Assemblée nationale élue dans un jour de malheur.

Messieurs, telle est la situation. Et j’ose dire que les espérances du Parti républicain sont sûres ; j’ose dire que votre fermeté, votre union, que votre activité sont les garants de ce triomphe. Pourquoi ne le dirais-je pas, au milieu de ces admirables populations du département du Nord, qui, à elles seules, payent le huitième des contributions de la France, dans ce département qui tient une des plus grandes places dans notre industrie nationale, aussi bien au point de vue mécanique qu’agricole ? N’est-il pas vrai que, dans ce pays, vous avez commencé aussi à faire justice des factions qui s’opposaient à l’établissement de la République et que vous n’attendez que l’heure du scrutin pour que tous vos élus forment une députation unanime ?

Vous le pouvez si vous le voulez, et vous savez bien ce qui vous manque : ce ne sont pas les populations disposées à voter pour des candidats républicains ; ce sont des candidats qui consentent à sortir définitivement d’une résistance dictée par des intérêts privés et comprennent qu’il s’agit aujourd’hui d’un service public et d’élections d’où dépendent les destinées de la France. Il faut que ces hommes fassent violence à leurs intérêts domestiques pour aborder la plate-forme électorale.

À ce point de vue, des adhésions significatives ont déjà été obtenues et vous avez su trouver des candidats qui vous mèneront à la victoire. Je devais plus particulièrement le dire ici, dans ce département qui, parmi les autres, tient la tête dans les questions d’affaires et de politique. Je devais le dire ici pour vous mettre en garde contre certains bruits qui ont été répandus et dont on alimente la basse presse, à savoir que si le suffrage universel dans sa souveraineté, je ne dirai pas dans la liberté de ses votes, puisqu’on fera tout pour restreindre cette liberté, mais dans sa volonté plénière, renomme une majorité républicaine, on n’en tiendra aucun compte.

Ah! tenez, Messieurs, on a beau dire ces choses ou plutôt les donner à entendre, avec l’espoir de ranimer par là le courage défaillant de ses auxiliaires et de remporter ainsi la victoire : ce sont là de ces choses qu’on ne dit que lorsqu’on va à la bataille ; mais, quand on en revient et que le destin a prononcé, c’est différent ! Que dis-je, le destin ?

Quand la seule autorité devant laquelle il faut que tous s’inclinent aura prononcé, ne croyez pas que personne soit de taille à lui tenir tête. Ne croyez pas que quand ces millions de Français, paysans, ouvriers, bourgeois, électeurs de la libre terre française, auront fait leur choix, et précisément dans les termes où la question est posée ; ne croyez pas que quand ils auront indiqué leur préférence et fait connaître leur volonté, ne croyez pas que lorsque tant de millions de Français auront parlé, il y ait personne, à quelque degré de l’échelle politique ou administrative qu’il soit placé, qui puisse résister.

Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, croyez-le bien, Messieurs, il faudra se soumettre ou se démettre.

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Gambetta



7) résumé de la crise du 16 mai 1877

Crise du 16 mai 1877 : crise politique française survenue sous la IIIe République, opposant le président de la République, Mac-Mahon, conservateur, au chef du gouvernement, le républicain Jules Simon, et qui a entraîné la démission de ce dernier.

Porté à la présidence de la République le 24 mai 1873, le maréchal de Mac-Mahon pratique une politique de rétablissement de «l’ordre moral». Légitimiste et conservateur, il accepte néanmoins la formation d’un gouvernement d’opposition lorsque celle-ci gagne les élections de février 1876. Un premier gouvernement est dirigé par Jules Dufaure ; en décembre 1876, celui-ci est remplacé par Jules Simon. Républicain et anticlérical, Jules Simon procède à une épuration de l’administration et refuse d’intervenir contre le gouvernement italien qui s’oppose au pape.        

Ne pouvant tolérer la politique du gouvernement, Mac-Mahon prend pour prétexte le vote d’une loi sur les délits de presse et adresse à Jules Simon, le 16 mai 1877, une lettre ouverte, dans laquelle il remet en cause son autorité. La lettre est publiée et Jules Simon démissionne sur-le-champ.

Un gouvernement d’«ordre moral» est immédiatement nommé avec, à sa tête, le duc de Broglie. Le 22 juin, les 363 députés républicains votent un ordre du jour de protestation et l’Assemblée est dissoute le 25 juin. Les élections qui suivent cette dissolution apportent une nouvelle majorité républicaine et Mac-Mahon finit par démissionner en janvier 1879.

source : encarta

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cliquer sur l'image pour l'agrandir
 

 

 

8) autre résumé de la crise du 16 mai 1877

Le 16 mai 1877, le maréchal de Mac-Mahon prend prétexte d'un désaccord à propos de la loi sur les délits de presse pour renvoyer Jules Simon et nommer un gouvernement dit de «l'ordre moral» dirigé par le duc de Broglie, en totale opposition avec la majorité républicaine de la Chambre. Le 19 juin 1877, les 363 députés du «Bloc des gauches» votent la défiance. Le maréchal demande l'accord du Sénat pour dissoudre la Chambre des députés. Malgré l'opposition de parlementaires influents tels Victor Hugo et Victor Schoelcher, le président de la République obtient l'autorisation de dissoudre le 22 juin 1877.

source : senat.fr

 

 

9) Mac-Mahon reconnaît sa défaite, décembre 1877

Message de Mac-Mahon aux chambres du 15 décembre 1877 par lequel le Président de la République reconnaît sa défaite électorale et confirme la lecture des institutions que préconisaient les républicains (primauté du législatif sur l'exécutif).

Messieurs les Sénateurs, Messieurs les députes,
Les élections du 14 octobre ont affirmé, une fois de plus, la confiance du pays dans les institutions républicaines. Pour obéir aux règles parlementaires, j’ai formé un cabinet choisi dans les deux chambres, composé d’hommes résolus à défendre et à maintenir ces institutions par la pratique sincère des lois constitutionnelles.
L’intérêt du pays exige que la crise que nous traversons soit apaisée : il exige avec non moins de force qu’elle ne se re­nouvelle pas.
L’exercice du droit de dissolution n’est, en effet, qu’un mode de consultation suprême auprès d’un juge sans appel, et ne saurait être érigé en système de gouvernement. J’ai cru de­voir user de ce droit et je me con­forme à la réponse du pays.
La Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire en établissant mon irresponsabilité, tandis qu’elle a institue la responsabilité solidaire et individuelle des ministres.
Ainsi sont déterminés nos devoirs et nos droits respectifs. L’indépendance des ministres est la condition de leur responsabilité. Ces principes, tirés de la Constitution, sont ceux de mon gouvernement.



10) Thiers proclamé "le libérateur du territoire", 16 juin 1877

 

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tableau de Jules Garnier

La scène décrite par ce tableau a lieu au cœur de la crise politique dont l'issue a enraciné la IIIe République. Le 16 juin 1877, quelques heures avant que la dissolution de la Chambre des Députés ne soit décidée par le maréchal Mac Mahon, président de la République, le ministre de l'Intérieur Fourtou remercie la Chambre d'être l'auteur de la libération du territoire après la guerre de 1870. La gauche républicaine rectifie et fait une ovation à Thiers, son chef de file dans le combat qui s'engage : «le véritable libérateur du Territoire, le voici» s'écrient-ils en désignant Thiers. Jules Garnier, contrairement à l'exactitude historique a fait de Gambetta l'auteur de cette phrase célèbre.

source de ce commentaire

 



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11) origines et explication de la la crise boulangiste

En 1885, ont eu lieu des élections, marquées par le passage du scrutin d'arrondissement au scrutin de liste départemental. Contrairement à 1881, la droite participe activement au scrutin et parvient à doubler ses effectifs à la Chambre, tout en restant fortement minoritaire. La gauche républicaine s'est présentée divisée au premier tour et, malgré les alliances du second tour, elle ne parvient pas à constituer une majorité de gouvernement, les radicaux faisant désormais jeu égal avec les opportunistes.

C'est le début d'une instabilité gouvernementale accrue, les ministères se formant tantôt grâce à l'appui des radicaux, tantôt grâce à l'abstention bienveillante de la droite. Clemenceau, leader des radicaux y gagne sa réputation de "tombeur de ministères", mais la République parlementaire y perd son autorité. Le jeu parlementaire échappe de plus en plus dans sa complexité à la compréhension des électeurs, qui n'ont aucune prise sur la nomination du Gouvernement.

C'est dans le contexte d'un antiparlementarisme naissant qu'a commencé l'aventure de Boulanger. Le général, qui proclame son attachement à la légitimité républicaine, rallie d'abord autour de lui une partie des radicaux, les uns par amitié, comme Clemenceau, les autres parce qu'ils voient en lui l'homme capable de mettre fin à cette République opportuniste personnifiée par Ferry qu'ils haïssent ; de plus, comme l'a rappelé l'historien A. Dansette, le radicalisme est indissociable d'un penchant pour l'autorité, que pouvait satisfaire le "général Revanche". L'historien Jean-Marie Mayeur, à la suite de Zeev Sternhell, note que les radicaux ne sont les seuls hommes de gauche à soutenir Boulanger et que celui-ci a eu jusqu'au bout, parmi ses partisans des socialistes comme Lafargue. Selon Zeev Sternhell, l'appui des blanquistes aux candidats boulangistes dans la capitale en 1889 a ét éconsidérable.

On peut être sceptique lorsque cet historien, après avoir qualifié l'idéologie boulangiste de "socialisante, populiste et nationaliste", en fait l'un des prodromes du fascisme à la française, en s'appuyant sur le fait que son implantation correspond aux zones prochaines de diffusion du socialisme ; il n'en demeure pas moins vrai que, comme il le souligne, le boulangisme réussit, par exemple, très bien dans les villes minières du Nord. C'est qu'il bénéficie d'une conjoncture économique défavorable, dont la République opportuniste est rendue responsable. On retrouve ici les dangers d'un régime incapable de dissocier le gouvernement des institutions.

DuchesseCheval
la duchesse d'Uzès finança Boulanger en faveur
du comte de Paris, le prétendant au trône

Quant à la droite, elle voit, tardivement, en Boulanger l'homme qui peut restaurer l'autorité de l'État, dans la tradition plébiscitaire à laquelle le comte de Paris s'est rallié dans un manifeste de septembre 1887. La duchesse d'Uzès finit par mettre son immense fortune au service d'un général, dont certains milieux royalistes espèrent qu'il jouera au profit des Orléans le rôle d'un connétable restaurateur de la monarchie. Philippe Levillain a montré que le général a su utiliser ces appuis sans jamais s'engager, mais au contraire en maintenant son attachement à la République.

Quoi qu'il en soit, l'épisode marque l'aveuglement d'une droite, qui pense saisir l'occasion de reprendre l'initiative politique en rompant avec la tradition électorale et parlementaire qui était la sienne, pour abattre le régime qui l'en écarte sans être consciente de l'évolution de l'opinion publique, qui recherche, comme l'analyse électorale du scrutin de 1885 menée par Odile Rudelle le révèle de manière lumineuse, en dépit de la progression des extrêmes conservateurs et radicaux, l'apaisement politique. D'ailleurs tous les conservateurs ne devaient pas suivre Boulanger ; en juillet 1888, celui-ci est nettement battu dans l'Ardèche par suite de l'abstention des royalistes.

Cependant, un mois plus tard, Boulanger l'emporte dans trois départements, le nord, la Somme et la Charente-Inférieure, où sa candidature prend sa véritable signification : dans ces trois départements, pour des raisons diverses, dans le Nord, l'insatisfaction à l'égard d'une République socialement trop conservatrice, en Charente-Inférieure, le vieil attachement au bonapartisme déçu par le ralliement à une République modérée où le pouvoir semble se dissoudre dans les arcanes parlementaires, le vote Boulanger correspond à une sanction de la pratique institutionnelle développées par les "opportunistes".

Poussant plus loin l'analyse, Odile Rudelle insiste sur les succès obtenus par Boulanger dans des départements "mixtes", c'est-à-dire qui avaient élu en 1885 une députation de droite et de gauche, marquant à la fois leur désaccord avec la République opportuniste, mais aussi leur volonté de permettre l'apaisement politique en renforçant les positions de la droite, de façon à lui permettre de retrouver une chance de participer à l'alternance. (...)

La défaite finale du boulangisme est la victoire de la République parlementaire. Longtemps considérée par les républicains comme antinomiques, les deux termes s'associent désormais comme synonymes de démocratie. Les élections de septembre-octobre 1889 se font sur ce thème et consacrent le ralliement des radicaux aux opportunistes pour défendre cette conception de la République.

Mais en même temps, l'échec du boulangisme entraîne celui de ses partisans, qui n'ont d'autre solution, s'ils veulent participer à cette République qui sort renforcée de l'aventure, de s'y rallier. C'est la victoire de la "République absolue" (Odile Rudelle), où l'alternance est confisquée par l'association républicains modérés-radicaux. Une partie des royalistes tentèrent purtant de créer les conditions d'une alternance dans le cadre du "Ralliement" préconisée à partir de 1892 par Léon XIII. Mais, solés, ils allaient mesurer les limites de leur tentative à l'occasion de l'Affaire Dreyfus.

Patrick Lagoueyte, La vie politique en France au XIXe siècle,
éd. Ophrys, 1990, p. 41-43.

Lagoueyte

 

 

 

 

 

 

 

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12) la crise boulangiste, 1886-1889

La menace qu’a fait peser le général Boulanger sur la République a été brève. Tout commence quand le général Boulanger, l’un des rares militaires à afficher des convictions républicaines, est nommé ministre de la Guerre en janvier 1886, sur la recommandation de Clemenceau.
Lors de la revue du 14 juillet 1886 à Longchamp, Boulanger, qui a amélioré l’ordinaire et l’organisation de l’armée, déclenche l’enthousiasme de la foule. Au printemps 1887, l’affaire Schnaebelé (1) oppose la France à Bismarck. Resté ferme dans un contexte de tension avec l’Allemagne, Boulanger profite du feu nationaliste attisé par Déroulède ou Barrès.
Inquiets de cette nouvelle menace sur le fragile équilibre républicain, les «opportunistes», Ferry en tête, décident d’écarter Boulanger… Rochefort n’hésite pas à appeler à la révolte autour du « général Revanche » dans L’Intransigeant. La scène d’hystérie collective provoquée par le départ forcé de Boulanger pour Clermont, le 8 juillet 1887, oblige Clemenceau à prendre ses distances : «La popularité du général Boulanger est venue trop tôt à quelqu’un qui aimait trop le bruit».
C’est alors que, poussé par Georges Thiébaud, Boulanger se présente en avril 1888 à une élection partielle en Dordogne, puis démissionne et entame un «steeple-chase électoral» (Barrès) à travers la France, qui le conduit au triomphe à Paris, le 27 janvier 1889. Refusant de marcher sur l’Elysée, menacé par la justice, Boulanger fuit à Bruxelles le 1er avril 1889. Il se suicide deux ans plus tard.

source

(1) incident diplomatique entre l’Allemagne et la France en 1887.
Le 20 avril 1887, Guillaume Schnaebelé, commissaire de police d’origine alsacienne qui a pris le parti de la France après la guerre de 1870, tombe dans un guet-apens tendu par les Allemands. Accusé d’espionnage au profit de la France, Schnaebelé est immédiatement arrêté de manière irrégulière par les Allemands. L’affaire est dénoncée par les milieux nationalistes français, sous l’impulsion de Paul Déroulède, Henri Rochefort et surtout du ministre de la Guerre, Georges Boulanger. La presse s’empare du scandale alors que le président de la République Jules Grévy cherche à apaiser la crise politique qui en découle. Le 30 avril 1887, le prince Otto von Bismarck fait libérer Schnaebelé après avoir obtenu, dans son pays, le vote d’une loi militaire.
L’affaire Schnaebelé met en lumière la personnalité du général Boulanger, nationaliste intransigeant. Au lendemain de la libération du fonctionnaire français, le ministre de la Guerre est devenu «celui qui a fait reculer Bismarck», le «général Revanche». Dangereux pour la diplomatie française, il est écarté du gouvernement lors du vote du budget (mai 1887). L’affaire lance l’aventure boulangiste.

source : encycloépdie encarta.fr

 

 

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Jean-Eugène Buland, Scène de propagande boulangiste, 1889

13) analyse d'une image boulangiste, 1889


voies et voix de la popularité de Boulanger

Jean Eugène Buland (1852-1926) a vraisemblablement peint son tableau juste après le dénouement de la crise boulangiste. Cette scène de genre traitée dans un style hyperréaliste, quasi photographique, met aux prises un colporteur d’imprimés et une famille paysanne, comme en témoignent les sabots du chef de maison, au premier plan.
L’étranger, debout et ventru, la main tendue, s’impose aux six personnages assis, les mains croisées ou les poings fermés. De la caisse du colporteur ont jailli trois portraits du général Boulanger : en buste, en plan américain et à cheval.
Les tons sombres des costumes font ressortir les couleurs bien plus claires de l’aîné (vieillard) et de la benjamine (petite fille). Si tous les regards sont concentrés sur le visage du colporteur, le portrait de Boulanger qu’il tient dans sa main gauche regarde bien ces deux personnages. Ce tableau dans le tableau met en abyme le rôle de l’image dans la soudaine popularité de Boulanger.

interprétation : la naissance de l'opinion publique dans la France du suffrage universel et de la liberté de la presse


Si la scène peinte par Buland est une scène de propagande, ni parole ni écrit n’y sont mis en avant. L’artiste soumet trois générations d’hommes et de femmes à la diffusion de l’image de Boulanger, avec un souci exemplaire du détail. Ainsi, à la cocarde tricolore du colporteur répondent le foulard rouge de l’homme mûr et le ruban bleu roi de la petite fille : Boulanger, homme providentiel presque malgré lui, a fédéré sur sa personne et surtout sur son nom et son image des tendances politiques opposées, qui se rejoignaient dans une critique de l’«opportunisme» des républicains modérés, comme Ferry. Cela dit, seuls deux des personnages sont en mesure de voter : quelle peut être l’influence du reste de la famille, et en particulier des femmes, sur ces participants à la démocratie ?

En 1881, par la loi du 29 juillet, furent instaurées des règles de presse et de réunion qui sont toujours en vigueur aujourd’hui. La multiplication des titres de presse et des imprimés en tout genre participe de la constitution d’une opinion publique naissante. Il est difficile de savoir si la chanson de Villemer, plutôt complexe, a vraiment été chantée au cours des manifestations de soutien à Boulanger. Mais nombre d’autres refrains et slogans sont restés et attestent de l’influence de ce mode de diffusion populaire. La mise en image, en mots et en musique de la popularité de Boulanger est de ce point de vue exemplaire. Elle préfigure le déluge d’information et de «propagandes» qui se déchaînera lors de l’Affaire Dreyfus, quelques années plus tard.

source

 

14) socialisme et boulangisme, fin des années 1880

En fait durant cette période de genèse du socialisme, tout opposant politique intellectuel à la République bourgeoise et opportuniste, des années 1880-1890, revendique l’étiquette socialiste... C’est ainsi que Maurice Barrès – principal théoricien des nationalistes français – s’affiche alors socialiste, mais pour un Socialisme “national”, en rupture avec le développement de la société industrielle.

La crise économique, qui sévit à la fin des années 1880, amplifie les revendications populistes et antiparlementaires ; le rejet de la République bourgeoise par les classes populaires urbaines va trouver un évident débouché politique dans la montée du grand Parti National qui se constitue derrière le Général Boulanger. Et si, comme ce le fut démontré rapidement, les milieux monarchistes apportent les fonds nécessaires à la campagne boulangiste, c’est bel et bien à l’extrême gauche et chez les prolétaires parisiens que la "Boulange" recrute ces cadres, ces militants et ces électeurs.

Le boulangisme est un grand mouvement populaire, appuyé à la fois par des organisations de masse et des groupes révolutionnaires. La Ligue des Patriotes de Déroulède – dont certaines sections parisiennes s’intitulent "Comité républicain socialiste national" –, les principaux dirigeants du Comité Révolutionnaire Central (Roche, Granger, Rochefort...), des “socialistes nationaux” comme Barrès, des Radicaux comme Naquet (député du Vaucluse en 1887) se mettent au service du général, dont les discours développent un programme de justice sociale...Longtemps les marxistes français ne sauront que faire ; Lafargue écrivait en 1888 «les socialistes [...] entrevoient toute l’importance du mouvement boulangiste, qui est un véritable mouvement populaire pouvant revêtir une forme socialiste si on le laisse se développer librement.» Brousse et Allemane sont fréquemment mis en difficulté lorsqu’ils essaient de s’opposer aux grèves ouvrières boulangistes...

Et aux municipales, comme aux législatives, ce sont les arrondissements et les communes populaires qui fourniront les contingents boulangistes au détriment des socialistes. Guesde et Vaillant eux-mêmes se laissent tenter quelques temps, préférant jouer sur l’effondrement de la république bourgeoise quel qu’en soit les conséquences plutôt que sur l’éducation politique du prolétariat. Ce n’est que lorsque leur survie politique sera en jeu, que le programme boulangiste fera peu à peu disparaître la justice sociale au profit d’un socialisme national – c’est-à-dire pas de socialisme du tout –, que les collusions avec les réactionnaires seront reconnues, que Vaillant et Guesde se rallieront à l’avis de la Fédération des Travailleurs Socialistes “possibiliste”. Henri Rochefort, d’Ernest Roche et Ernest Granger fondent le Comité Révolutionnaire Socialiste Central, et poursuivent leur dérive antisémite et nationaliste. Guesde et Lafargue reprennent fermement en main tous leurs militants, et Edouard Vaillant avec les derniers Blanquistes rétablit le C.R.C. La rupture est désormais entamée entre la vieille garde communarde, populiste et nationale, et les socialistes…

source

 

lien

- sur ce blog : crise de la République (1889) et général Boulanger

- "le général Boulanger et la République", article de Francis Choisel, Revue de la cavalerie Blindée, n° 128, décembre 1984

 

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dessin de Alfred Le Petit, «Souvenir du 14 juillet», La Charge,
14/7/1888 (Général Boulanger et Jules Ferry)

 

15) proclamation du général Boulanger aux électeurs de la Somme, élection législative partielle du 19 août 1888

 

L'ancien ministre de la Guerre, populaire et donc encombrant, est mis à la retraite d’office, le 26 mars 1888. Rendu à la vie civile, il peut se consacrer à une carrière politique grâce à l'appui d'un véritable syndicat des mécontents de la Troisième République. Lors de deux élections partielles, le 8 avril 1889 en Dordogne puis le 15 avril dans le Nord, le "brave général" est élu avec une très forte majorité.

Le 19 août et grâce au système des candidatures multiples, il se présente de nouveau en Charente-Inférieure, dans ls départements du Nord et de la Somme. Dans cette proclamation, le général Boulanger dénonce la politique coloniale du gouvernement Ferry et des opportunistes, qui éloigne l'armée française de ce qui devrait être l'objectif essentiel, la "ligne bleue des Vosges". Le boulangisme prône également la révision de la constitution.

source : Marc Nadaux

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cliquer sur l'image pour l'agrandir

       

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Le 30 septembre 1891, le général Georges Boulanger se suicide sur la tombe de sa maîtresse, près de Bruxelles.

 

Un fringant militaire
Cinq ans plus tôt, en 1886, le leader du parti radical Georges Clemenceau avait fait de cet officier à la belle prestance un ministre de la Guerre. Le héros est applaudi à la revue du 14 juillet et chacun y va de sa chansonnette.
Par des mesures peu coûteuses et d'un bel effet, comme de faire peindre les guérites en tricolore, Boulanger ravive les espérances des ennemis de la République, des citoyens déçus par le régime des partis et de tous ceux qui rêvent d'une revanche militaire sur l'Allemagne, victorieuse en 1870.
Mais les qualités morales et le sens politique de Boulanger ne sont pas à la hauteur de sa popularité comme il ne tarde pas à le démontrer.
Le chancelier allemand Bismarck ayant fait arrêter un commissaire de police français à la frontière, le ministre tombe dans le piège de la provocation. Il en appelle à une mobilisation partielle. Le président de la République Jules Grévy, inquiet de la tournure des événements, se défait du gouvernement et démet Boulanger de ses fonctions ministérielles le 18 mai 1887.

Popularité au zénith
Le général Boulanger (chromo de l'époque, ci-dessus) Le général Georges Boulanger n'en devient que plus populaire. On ne l'appelle plus que «brave général» ou «général Revanche».
Ses partisans forment une troupe hétéroclite de mécontents, de la gauche radicale à la droite bonapartiste ou monarchiste.
La crise économique dans laquelle est plongé le pays depuis les années 1880 contribue à la popularité du général et au rejet de la gauche dite «opportuniste» qui gouverne la France sans se soucier de réformes sociales. La mise à jour du scandale des décorations, par lequel le gendre de Jules Grévy aurait fait attribuer la Légion d'honneur à ses affidés, aggrave le discrédit des institutions républicaines.
Le poète Paul Déroulède, fondateur de la Ligue des Patriotes, et le journaliste Henri Rochefort, marquis de Rochefort-Luçay, figurent parmi les plus chauds soutiens de Georges Boulanger.
Dans une tentative de se défaire du trop séduisant général, le gouvernement l'expédie à Clermont-Ferrand. Le 8 juillet 1887, à la gare de Lyon où ses admirateurs en délire tentent de le retenir, Boulanger doit monter à la sauvette sur la locomotive.
Il est enfin mis à la retraite des cadres de l'armée, ce qui lui permet de se faire élire dans plusieurs départements dont Paris, le 27 janvier 1889, avec l'appui financier de la duchesse d'Uzès, monarchiste et surtout héritière des champagnes de la Veuve Clicquot.

La fin du boulangisme
Les dirigeants de la IIIe République prennent la menace au sérieux... et ne veulent pas gâcher les fêtes du centenaire de la Révolution, qui doivent consacrer le triomphe de la République avec l'Exposition universelle et la Tour Eiffel.
Le gouvernement fait courir le bruit d'une arrestation imminente du général. Celui-ci, prenant son courage à deux mains, s'enfuit à Londres puis à Bruxelles, où il va rejoindre sa chère maîtresse, Mme Marguerite de Bonnemains, malade de la phtisie. Là s'achève son destin tandis que les leaders barbus de la IIIe République poursuivent leurs petites affaires : scandale des décorations, conquêtes coloniales, escroquerie de Panama, condamnation de Dreyfus,...
À l'annonce de la mort de Boulanger, Clemenceau dira de lui qu'«il est mort comme il a vécu, en sous-lieutenant».

Joseph Savès - source : herodote.net


 

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13 janvier 1898


16) dimensions et conséquences politiques de l'Affaire Dreyfus

 

Nous porterons notre attention sur les reclassements politiques auxquels l'Affaire a donné lieu, principalement à droite, et la façon dont elle a accéléré son exclusion du jeu institutionnel.
C'est la publication de l'éditorial de Zola, "J'accuse", qui favorise la politisation de ce qui n'était jusque-là qu'un drame personnel, en mettant en cause les autorités de l'État.

Avant cela, en effet, elle ne constitue pas un clivage entre la droite et la gauche, pour la bonne raison que la quasi-unanimité des parlementaires, de la droite monarchiste à la gauche socialiste, n'ont aucun doute sur la culpabilité du capitaine et ne se posent guère de questions. même si l'article de Zola provoque quelques reclassements, notamment à gauche, où Jaurès adhère au dreyfusisme, la Chambre des députés n'est pas immédiatement mobilisée. Jusqu'à ce que la menace nationaliste se précise, elle apparaît antidreyfusiste, plus par souci du respect dû à la chose jugée et à l'armée que par conviction profonde. Michel Winock parle à son propos d'un "antidreyfusisme institutionnel" qu'il oppose à un "antidreyfusisme de coup d'État".

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le livre antisémite de Drumont, La France juive

C'ets ce dernier qui nous intéresse ici. À la base, jouant le rôle de dénominateur commun à ses différentes composantes, on trouve l'antisémitisme, en plein essor en France, comme le révèle le succès de La France juive [1886] de Drumont, élu d'ailleurs député au moment où éclate l'Affaire, en 1898. La haine du juif associe les nationalistes héritiers de 1789, comme Déroulède ou Barrès, à ceux héritiers de la contre-révolution comme Maurras, et fait passer définitivement le nationalisme à droite : la sauvegarde de la nation passe par le respect de l'armée nécessaire à sa défense, mais aussi par l'instauration d'un pouvoir fort, seul capable de surmonter les divisions qui affaiblissent le pays. Mais c'est aussi parce qu'il se teinte d'antisémitisme que ce nationalisme reçoit le renfort de la très grande majorité des catholiques et des monarchistes, à l'imitation du duc d'orléans, qui retrouvent le moyen de reprendre le combat contre la République, interrompu par l'échec du boulangisme. Tout contribue donc à faire de ce nationalisme antidreyfusard la "droite révolutionnaire", nationaliste, antisémite et activiste dont Zeev Sternhell s'est fait l'historien.

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dessin de Caran d’Ache publié par Le Figaro le 14 février 1899

La première moitié de l'année 1899 est marquée par une agitation constante des nationalistes, qui tentent à plusieurs reprises de renverser par la force les institutions républicaines, sans d'ailleurs que leurs objectifs soient clairement précisés quant à la forme du gouvernement de substitution. Cette atmosphère de coup d'État finit par déclencher un réflexe de Défense républicaine, alors que Waldeck-Rousseau devient président du Conseil. Celui-ci décide d'accélérer la "républicanisation" du pays, à la fois en remplaçant les cadres militaires les plus compromis dans les aventures nationalistes et en relançant la question religieuse, par le vote de la loi de 1901 sur les associations, dont le titre III soumet à autorisation les congrégations religieuses. Le point d'aboutissement de cette politique fut la séparation de l'Église et de l'État [en 1905].

 

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Pierre Waldeck-Rousseau en 1899

Ainsi, parce qu'ils n'avaient pas pu saisir l'opportunité de Ralliement, parce qu'ils s'étaient encore une fois associés à l'occasion de l'Affaire Dreyfus à la droite la plus extrémiste, celle qui se donnait pour but de renverser la République, les catholiques avaient pris la responsabilité de leur maintien à l'écart des devants de la scène parlementaire.

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Jean Jaurès, 1859-1914

Pour la raison inverse, sous l'impulsion personnelle il est vrai de Jaurès, alors que Jules Guesde traînait les pieds, lui qui s'obstinait à voir dans l'Affaire une querelle entre bourgeois et que le syndicalisme révolutionnaire refuse de le suivre sur cette voie, le socialisme se retrouve dans le camp des défenseurs de la République, trente ans après la Commune.

La gauche n'avait cependant pas encore assez d'atouts pour prétendre à l'alternance, alors que la droite, en finissant par accepter le jeu républicain, comme le relève le succès grandissant de partis comme l'Alliance démocratique, n'avait pas encore renoncé à détenir un jour à nouveau a direction de l'État. C'est finalement un événement extérieur, l'éclatement de la guerre mondiale, qui devait permettre, par les bouleversements et les reclassements qu'il allait entraîner, la pratique d'une véritable alternance, entre une droite nationaliste ralliée et la gauche radicale et socialiste.

 

 

Patrick Lagoueyte, La vie politique en France au XIXe siècle,
éd. Ophrys, 1990, p. 43-45.



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30 janvier 2009

génocide arménien de 1915 : pétition d'intellectuels turcs

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Özür diliyorum,

«Nous leur demandons pardon»



Une pétition lancée par des intellectuels Turcs relance un vieux débat douloureux sur le génocide arménien de 1915.

Le 15 décembre 2008, une pétition hors du commun a été mise en ligne sur un site internet turc. ÖzürDiliyoruz.com [ce site est désormais inaccessible, seule une page "cache" est visible] abrite en effet un texte écrit par quatre intellectuels turcs (Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu, Ahmet İnsel et Baskın Oran) : «Ma conscience ne peut accepter que l’on reste indifférent à la Grande catastrophe que les Arméniens ottomans ont subie en 1915 et qu’on la nie. Je regrette cette injustice, et pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes frères et sœurs arméniens et je leur demande pardon.»

Le génocide arménien est un des sujets les plus polémiques et sensibles des relations internationales. Le terme «génocide» est en lui-même déclencheur d’âpres débats entre négationnistes convaincus et défenseurs de la cabezas_e_armenioscause arménienne. La Turquie refuse catégoriquement de reconnaître la moindre responsabilité dans les massacres perpétrés contre les Arméniens en 1915.

Pour l’État turc, il n’y a pas eu de génocide. Mais pour mieux comprendre, il faut revenir cent ans en arrière. En 1909, ceux qu’on appelle les «Jeunes-Turcs  veulent coûte que coûte moderniser l’empire Ottoman qui est constitué de nombreuses ethnies et religions. À la fin du XIXème siècle, on compte deux millions d’Arméniens, de confession chrétienne. Les discours des Jeunes-Turcs sont emprunts d’un nationalisme exacerbé. Pour construire un nouvel État, il est nécessaire selon eux de «purifier» la «race» turque. C’est ainsi que commence le génocide des Arméniens d’Asie Mineure. Dans un premier temps, les Jeunes-Turcs font déplacer les populations arméniennes. Les marches se déroulent dans des conditions épouvantables et sont la cause de nombreux morts.

En Occident, ces événements émeuvent l’opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires. On est en effet en pleine Première Guerre mondiale. C’est pourquoi, encore aujourd’hui, la plupart des Turcs se refusent à parler d’un génocide. Comme l’explique Özge, jeune istanbuliote : «Pour les gens, les morts sont le résultat du déplacement, et non pas d’un génocide. D’ailleurs l’argument est souvent de dire qu’il y a eu des morts chez les Turcs aussi ! Mon mari m’a même demandé : Les Arméniens ont-ils fait une lettre d’excuse, eux ?» Pourtant, les deux tiers de la population arménienne disparaissent pendant l’été 1915.

Les Arméniens n’ont jamais oublié les massacres et se battent depuis lors pour la reconnaissance de ce génocide. Dans l’actualité récente, ce sont les négociations européennes pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne qui ont relancé le débat. En effet, l’UE avait envisagé la reconnaissance du génocide comme une condition pour l’intégration de la Turquie. Pour les Turcs, c’est une condition hypocrite : «Les Européens se servent de cette condition comme excuse pour ne pas accepter la Turquie dans l’Europe. Ils savent très bien que le gouvernement turc ne reconnaîtra jamais le soi-disant génocide.» S’exclame Bahar,  Française d’origine turque.

Question brûlante : pourquoi la Turquie s’obstine t-elle à nier le génocide, alors que des historiens et des rescapés ont pu prouver catégoriquement son existence ? Tout d’abord, si l’État turc reconnaissait le génocide, il serait contraint de verser des «dommages et intérêts» aux Arméniens (comme l’Allemagne après la Shoah), ce qui représenterait un coût très lourd pour le pays. Ensuite, et c’est plus grave, le pays serait sans doute amené à restituer des territoires à l’Arménie, territoires qui avaient été promis aux Arméniens avant le génocide. Enfin, la négation de ce génocide est un moyen de garder intacte «l’identité nationale  turque, déjà malmenée ces derniers temps par le conflit entre laïcs acharnés et islamistes convaincus.

Le génocide arménien reste donc un sujet plus que tabou pour la Turquie ainsi que pour les puissances internationales. Celles-ci hésitent encore à reconnaître officiellement le génocide, de peur de froisser leurs relations avec l’État turc. A noter qu’Israël a toujours refusé de reconnaître le génocide afin de conserver les relations privilégiées qu’elle entretient avec cet État, dont la population est majoritairement musulmane.

Cette pétition est donc une première pour la Turquie. Première qui ne semble pas bien vécue par la majorité des Turcs. La classe politique estime qu’une telle initiative sabote la paix nationale. Malgré tout, il semble que l’impact de cette pétition soit moindre sur la population. Özge le confirme : «Je ne pense pas que la pétition va faire bouger les choses, il faudrait plutôt former un groupe de réflexion, composé de personnes des deux côtés. Ici, les gens s’en fichent plutôt, ce n’est pas vraiment d’actualité.» Selon le site Internet d’Europe 1, la pétition a tout de même recueilli 27 000 signatures à ce jour. Rappelons que la Turquie ne fait pas figure d’exception. D’autres génocides n’ont malheureusement jamais été reconnus par les États fautifs.

Elsa Ray, journaliste, source
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Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu, Ahmet İnsel et Baskın Oran
les quatre intellectuels qui ont lancé la pétition


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pendaison à Constantinople d'un Arménien
du parti Hentchak le 2 juin 1915



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29 janvier 2009

«la pauvreté n’est pas une cause de l’immigration»

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décembre 2007* : au large du Sénégal 


Aperçu sur les  migrations sénégalaises

Tierno DIALLO

Le Sénégal compte une forte population d’émigrés en Europe. La plupart de ces personnes reviennent au pays, selon une étude partielle du programme Migration Afrique-Europe (Mafe) sur les migrations sénégalaises qui a aussi dressé le profil de l’émigré sénégalais qui n’est pas toujours celui du clandestin adepte des pirogues de la mort.

par Tierno Diallo

ImageAprès un an d’enquête, l’équipe du programme Migration Afrique-Europe (Mafe) a tenu sa première séance de restitution, la semaine dernière à Paris. Il s’agit de «résultats préliminaires», indique Chris Beauchemin, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), qui montrent que les émigrés sénégalais «retournent» de plus en plus dans leur pays. «On nous parle beaucoup d’immigration en Europe comme s’il n’y avait jamais de sortie d’Europe. En réalité, il y a très peu de pays qui ont des données statistiques sur les sorties de leur territoire. Il y a une proportion importante de gens qui ont quitté le Sénégal et qui reviennent dans un temps relativement court. Dix ans après leur départ, il y a quand même un quart des personnes qui revient, ce qui n’est pas mal», soutient le chercheur.

Aussi, il ressort de l’étude que «la pauvreté n’est pas une cause de l’immigration». Car, pour le chercheur, «n’importe qui ne peut pas décider de partir, il faut pouvoir payer les frais de voyage. Elle n’est donc pas donnée à n’importe qui, aux pauvres en particulier. La plupart des recherches partout dans le monde montre que les migrations internationales n’affectent pas du tout les plus pauvres, mais au contraire ceux qui ont déjà un certain niveau de richesse». Autre élément de l’enquête en cours : les retours au pays seraient motivés par des «raisons familiales», telles que les décès, la polygamie, le divorce. Il y a aussi la féminisation de l’émigration, même si sur trois migrants on ne note qu’une seule femme. En outre, la destination de l’argent des émigrés a attiré la curiosité des enquêteurs, selon qui, le souci premier des expatriés est «l’immobilier».

Par ailleurs, lors des débats, les intervenants ont relevé des «failles» dans le travail présenté par les chercheurs. D’après le député Amadou Ciré Sall, «l’étude n’est pas complète parce que certaines questions n’ont pas été prises en compte, comme les migrations du Sénégal en Afrique». «Je me suis demandé pourquoi ils ont choisi Dakar, alors que les régions périphériques sont des régions d’émigration. On aurait pu fouiller dans ces régions pour permettre de comprendre le phénomène de l’émigration aujourd’hui, et surtout son utilité», poursuit M. Sall.
Le sociologue des migrations, Mamadou Dème, fustige, quant à lui, le fait de réduire l’ambition des expatriés au seul investissement dans l’immobilier. «Comme si avoir un toit était une raison essentielle d’émigrer, alors que le toit reste un élément de l’ensemble. Ce n’est pas une immigration de construction d’habitats, c’est ça qui n’apparaît pas dans leur travail. Ils ont cherché à voir en quoi l’influence de l’immigration, en matière d’apport financier, était susceptible d’apporter un impact important dans le processus d’habitat au Sénégal.»

L’équipe de Mafe a pris acte de ces critiques relevées ça et là. Peut-être qu’eIle en prendra compte pour la suite de leur enquête qui vise à produire des «données et des statistiques fiables sur les migrations entre le Sénégal et l’Europe». Elle rassemble l’Ong Enda Tiers-monde, des instituts de recherche au Sénégal et en Europe et des associations de ressortissants, tel le comité de Suivi du Symposium des Sénégalais de l’Extérieur. Le but étant de donner «un regard plus juste sur les migrations sénégalaises».
D’après Annelaure Wittmann, coordinatrice d’Enda Europe, ces études «doivent permettre aux politiques de mettre en lumière des aspects mal connus ou mal présentés, à la fois par les médias et par les politiques. Des migrations sénégalaises dont on présente essentiellement le côté migration clandestine». Et de préciser : «Nous voulons montrer le côté circulaire des migrations, c’est-à-dire les allers et les retours.
C’est important donc de produire des statistiques pour remettre les idées à leur place et qui permettent de dire qu’il n’y a pas que les pirogues. C’est donc un peu pour démêler tous ces amalgames qu’on a lancé le programme Mafe.» Selon Mme Wittmann, la particularité de cette enquête est «d’interroger principalement des ménages à Dakar (afin) de pouvoir faire une comparaison entre les ménages qui ont des migrants, les ménages qui n’en ont pas, les migrants de retour, les gens qui n’ont jamais migré, etc.».

correspondant, 29 janvier 2009
source

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source : BBC news


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* 40 clandestins sénégalais morts en mer. L'embarcation était partie de l'île de Diogué, en Casamance, au sud du Sénégal avec 90 personnes à son bord. Pour une raison encore inconnue, le bateau de fortune a échoué, samedi, à Yoff, au nord de Dakar, après une dizaine de jours en mer. 70 personnes ont pris la fuite avant l'arrivée de la police et 20 autres ont été hospitalisées dans différents centres de soins de la capitale sénégalaise. Le porte parole de la police sénégalaise a affirmé qu'une quarantaine de personnes étaient mortes en mer et avaient été jeté par-dessus bord de la pirogue. Le Sénégal est devenue en quelques années la base arrière de tous les migrants clandestins qui veulent tenter la douloureuse aventure vers l'Europe.

(source)


- lien : l'impact local des revenus migratoires dans le département de Louga (Sénégal) : approche géographique, par Papa Issa Ndiaye (2007)

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une villa d'émigré à Djelerlou Syll (Sénégal) - source

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16 janvier 2009

le prénom Aloïs

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le prénom Aloïs


message

Bonjour, Félicitations pour votre site vivant et documenté. Je vous écris pour une raison plutôt inhabituelle : J'attends un garçon que je souhaiterais prénommer AloYs, prénom médiéval, fréquent en Allemagne où il est orthographié Alois, porté par des personnalités illustres (politique, neurologue...) Je crains malheureusement qu'en France l'unique Alois connu ne soit le nazi tristement célèbre. Mais à quel point est-il connu ? Avant de commettre une bourde, je souhaiterais savoir si la personne d'Alois Brunner est évoquée au lycée dans le cadre des cours d'histoire. Par avance merci ! Candice
16/01/09 - 16:41


réponse

Rassurez-vous. Le nom d'Aloïs Brunner n'est qu'exceptionnellement évoqué dans les cours d'histoire au lycée.
Un professeur d'histoire vous encouragera dans le choix d'Aloïs dont la forme allemande dès le haut Moyen Âge fut répandue avec Chlodoweg qui donna Clovis puis Louis. Aloïs est donc à la naissance de la monarchie française...!

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On pourrait aussi mobiliser en l'honneur du prénom Aloïs : le poète Aloysius Bertrand (1807-1841) ; l'orientaliste tchèque Aloïs Musil (1868-1944) ; le grand théoricien et historien de l'économie, Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950) ; le peintre tchèque Aloïs Bilek (1887-1960).

Michel Renard


Aloysius Bertrand, 1807-1841

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Aloïs Musil, 1868-1944

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Aloïs Musil à l'âge de trente ans

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Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950)

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à gauche, l'économiste Joseph Aloïs Schumpeter

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Aloïs Bilek, 1887-1960

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4 janvier 2009

cartes du Proche et du Moyen-Orient

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plan de partage de la Palestine en deux États, Onu, 1947

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en vert, territoire attribué aux Arabes ; en orange, territoire
attribué aux Juifs
(toutes les colonies juives ne sont pas en territoire juif)


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topographie de la Palestine (source)





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21 décembre 2008

cartes du département de la Loire

Pilat La Valla 21 août 2014
dans le Pilat : au fond, la commune de La Valla-en-Gier (21 août 2014)

 

 

le département de la Loire (42), cartes




1) un département sur le territoire de la métropole

 

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la Loire sur une carte des départements français de métropole

 

Le département de la Loire est situé dans le quart sud-est du territoire national.

 

France en 4

 

 

 

2) le département de la Loire : vues générales

 

carte générale 42
département de la Loire, relief, villes et réseau routier

 

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réseau (auto)-routier, étagement du relief plus précis et la limite des bassins versants Loire/Rhône

 

 

3) le relief du département de la Loire

 

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relief du département de la Loire

 

Le relief du département de la Loire est ordonné, le long d'un axe sud-nord (vallée du cours de la Loire) par un étagement des hauteurs vers l'est (monts du Lyonnais) et vers l'ouest (monts du Forez et de la Madeleine). Dans sa partie sud, il faut noter le massif du Pilat formant barrière avec l'Ardèche et la Haute-Loire.

 

 

4) les divisions administratives du département de la Loire


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limites des arrondissements et des parlers du département de la Loire

Le département de la Loire, dans sa frange sud-ouest, est une limite entre les parlers oïls (nord) et occitans.

 

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les trois arondissemnts et les trois sous-préfectures de la la Loire (source)

 

Le département de la Loire est découpé administrativement en 3 arrondissements. Du sud vers le nord : Saint-Étienne, Montbrison et Roanne, qui sont les trois sous-préfectures. La Loire compte 40 cantons et 327 communes.

 

5) la population du département de la Loire 

 

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la variation de la population entre 2006 et 2011 dans le département de la Loire

 

 

 

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18 décembre 2008

la condition ouvrière au XIXe siècle

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la condition ouvrière au XIXe siècle

documents et conseils pour une dissertation


 

sujet et consigne

sujet de dissertation : la condition ouvrière au XIXe siècle en France. La base de votre information doit être tirée du bloc documentaire ci-dessous.

 

 

 

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Fernand Cormon, Une forge, 1893, huile sur toile, musée d'Orsay (source)

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Qu'est-ce qu'une dissertation ?

1- Une dissertation est une démonstration, une explication sollicitée par l'intitulé du sujet. Il s'agit d'utiliser des connaissances pour répondre au sujet en construisant une problématique. Celle-ci ne peut surgir du vide ni d'une "méthode" a priori. La problématique dépend de l'interprétation que vous faites du sujet... et de l'étendue de vos connaissances, bien sûr. Sans connaissances, on ne peut faire une dissertation.

2 - Quant à l'aspect formel, vous pouvez choisir un plan en trois parties comportant chacune deux ou trois sous-parties (au lycée, deux sous-parties, ce n'est pas mal...), ou bien un plan en deux parties comportant chacun trois ou quatre sous-parties. On ne numérote ni ces parties ni ces sous-parties, mais on peut leur attribuer un titre. On saute deux lignes entre chaque grande partie. Ce dispositif principal de la dissertation est encadré par une introduction et une conclusion.

3 - La valeur d'une dissertation procède de a) l'intelligence de votre réflexion, b) de la richesse des connaissances et c) du style ; sur ce denier point, veillez à la correction de la langue, à la diversité du vocabulaire, à la clarté de l'expression... N'écrivez pas ce que vous ne comprenez pas vous-même ou ne seriez pas capable d'expliquer à l'oral.

4 - Ci-dessous, vous disposez de plusieurs sources d'informations dans le bloc documentaire. Il faut d'abord les lire en réfléchissant au plan que vous allez retenir. Une fois le plan adopté, vous mobilisez pour votre développement les références choisies parmi ces documents.

N'oubliez pas ! Réussir une dissertation est avant tout une question de culture et secondairement une question de technique.

 

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forge des années 1830-1840

 

 

 

 

 

 

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Bloc documentaire

 

1) Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, L. R. Villermé (1840)

2) Carte de l'Europe industrielle au XIXe siècle

3) Logements insalubres en Alsace

4) L'alimentation ouvrière et populaire

5) Le prolétariat des années 1830-1840

6) Les ouvriers du Creusot sous le Second Empire

7) Les assises économiques et sociales de la République : les ouvriers

8) Dossier : le travail des enfants dans l'industrie (1874)

9) Le livret ouvrier

10) Le prolétariat n'est pas une classe homogène

11) L'hétérogénéité du monde du travail

12) Dossier iconographique

    a) formes du travail ouvrier

    b) usines et ouvriers

    c) accidents du travail

    d) logement ouvrier

    e) culture ouvrière

    f) vie quotidienne

 

 

 

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1) Tableau de l’état physique et moral des ouvriers

L. R. Villermé (1840)

Des ouvriers de l'industrie cotonnière dans le département du Haut-Rhin
I. De ces ouvriers en général, et en particulier de ceux de la fabrique de Mulhouse et de la plaine d'Alsace.

La durée journalière du travail varie selon l'espèce de manufactures et même un peu selon les localités. À Mulhouse, à Dornach, etc., les filatures et les tissages mécaniques s'ouvrent généralement le matin à cinq heures, et se ferment le soir à huit, quelquefois à neuf. En hiver, l'entrée en est fréquemment retardée jusqu'au jour, mais les ouvriers n'y gagnent pas pour cela une minute. Ainsi, leur journée est au moins de quinze heures. Sur ce temps, ils ont une demi-heure pour le déjeuner et une heure pour le dîner ; c'est là tout le repos qu'on leur accorde. Par conséquent, ils ne fournissent jamais moins de treize heures et demie de travail par jour.
À Thann, à Wesserling, etc., la journée est aussi longue ; mais dans ce dernier endroit les ouvriers disposent chaque jour de deux heures entières. À Guebwiller, dans la belle filature de MM. Nicolas Schlumberger et Compagnie, elle est de treize heures au lieu de quinze, et la durée de travail effectif de douze au lieu de treize et demi (1).

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filature Schlumberger à Guebwiller (Haut-Rhin)

D'un autre côté, à Bitschwiller, village rempli de filatures et de tissages mécaniques, situé entre Thann et Saint-Amarin, la journée, si l'on m'y a dit vrai, serait toujours de seize heures, car elle commence à cinq heures du matin et le soir elle finit à neuf.
Enfin, tous les samedis, elle est communément plus courte, ainsi que la durée de travail effectif, dans les établissements où les ouvriers sont à la pièce ou à la tâche ; elle l'est aussi tous les jours pour les ouvriers employés à construire ou à raccommoder les métiers et les machines. La durée du travail est la même dans les filatures : et dans les tissages mécaniques.

filature
métier à filer du type «Self Fartin» comme il en existait deux
dans l’usine Zeller à Oberbruck (Haut-Rhin) en 1859

Quant aux ateliers où l'on tisse à la main, comme les métiers où l'on tisse à la main, comme les métiers y marchent sans le secours d'un moteur général et que les salaires s'y paient constamment à la pièce ou à l'aune, la sortie et l'entrée y sont plus libres que dans les autres. Néanmoins, la durée du travail journalier y est presque toujours fort longue ; elle l'est surtout pour beaucoup de tisserands qui emportent chez eux des fils qu'ils tissent en famille sur leurs propres, métiers. Pour ces derniers, la journée commence souvent avec le jour, quelquefois plus tôt, et elle se prolonge très avant dans la nuit, jusqu'à dix ou onze heures.

Mais elle est ordinairement moins longue pour les ouvriers des campagnes, qui ne fabriquent des toiles que dans les moments où ils ne sont pas occupés à l'agriculture. Le travail dans les manufactures d'indiennes, du moins le travail soigné, ne peut se faire que pendant le jour. Voilà pourquoi, sans doute, il n'a lieu que depuis six heures du matin jusqu'à six heures du soir en été, et, en hiver, depuis 7 heures et demie, 8 heures du matin jusqu'à l'approche de la nuit. Il est interrompu une heure par un seul repas.

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filature en 1835 : cardage à gauche et filage à droite

Dans les manufactures, où communément tout se paie à la tâche, les heures d'entrée et de sortie sont moins sévèrement observées que dans les filatures. On suit, dans les ateliers d'apprêts, la règle des fabriques dont ils font partie.
Enfin, on exige souvent des ouvriers qu'ils prolongent leur travail au-delà de l'heure où les ateliers restent ordinairement ouverts ; mais alors cet excédent de travail leur est payé à part. Il est bien entendu que toutes les durées indiquées ici peuvent être et sont très souvent diminuées dans les temps de stagnation des affaires ou de crise commerciale.
La cherté des loyers ne permet pas à ceux des ouvriers en coton du département du Haut-Rhin, qui gagnent les plus faibles salaires ou qui ont les plus fortes charges, de se loger toujours après de leurs ateliers. Cela s'observe surtout à Mulhouse. Cette ville s'accroît très vite ; mais les manufactures s'y développant plus rapidement encore, elle ne peut recevoir tous ceux qu'attire sans cesse dans ses murs le besoin de travail. De là, la nécessité pour les plus pauvres, qui ne pourraient d'ailleurs payer les loyers au taux élevé où ils sont, d'aller se loger loin de la ville, à une lieue, une lieue et demie, ou même plus loin, et d'en faire par conséquent chaque jour deux ou trois, pour se rendre le matin à la manufacture, et rentrer le soir chez eux.

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Wesserling (Haut-Rhin) au début du XXe siècle

Les seuls ateliers de Mulhouse comptaient, en 1835, plus de 5 000 ouvriers logés ainsi dans les villages environnants. Ces ouvriers sont les moins bien rétribués. Ils se composent principalement de pauvres familles chargées d'enfants en bas âge, et venues de tous côtés, quand l'industrie n'était pas en souffrance, s'établir en Alsace, pour y louer leurs bras aux manufactures.
Il faut les voir arriver chaque matin en ville et en partir chaque soir. Il y a, parmi eux, une multitude de femmes pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue, et qui, faute de parapluie, portent renversé sur la tête, lorsqu'il pleut, leur tablier ou leur jupon de dessus, pour se préserver la figure et le cou, et un nombre encore plus considérable de jeunes enfants non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons tout gras de l'huile des métiers, tombée sur eux pendant qu'ils travaillent. Ces derniers, mieux préservés de la pluie par l'imperméabilité de leurs vêtements, n'ont pas même au bras, comme les femmes dont on vient de parler, un panier où sont les provisions pour la journée ; mais ils portent à la main ou cachent sous leur veste, ou comme ils le peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu'à l'heure de leur rentrée à la maison.
Ainsi à la fatigue d'une journée déjà démesurément longue, puisqu'elle est au moins de 15 heures, vient se joindre pour ces malheureux, celle de ces allées et retours si fréquents, si pénibles. Il en résulte que le soir ils arrivent chez eux accablés par le besoin de dormir, et que le lendemain ils en sortent avant d'être complètement reposés, pour se trouver dans l'atelier à l'heure de l'ouverture. On conçoit que, pour éviter de parcourir deux fois chaque jour un chemin aussi long, ils s'entassent, si l'on peut parler ainsi, dans des chambres ou pièces petites, malsaines, mais situées à proximité de leur travail.

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Dornach au début du XXe siècle

J'ai vu à Mulhouse, à Dornach et dans des maisons voisines, de ces misérables logements, où deux familles couchaient chacune dans un coin, sur de la paille jetée sur le carreau et retenue par deux planches. Des lambeaux de couverture et souvent une espèce de matelas de plumes d'une saleté dégoûtante, voilà tout ce qui recouvrait cette paille.
Du reste, un mauvais et unique grabat pour toute la famille, un petit poêle qui sert à la cuisine comme au chauffage, une caisse ou grande boîte en guise d'armoire, une table, deux ou trois chaises, un banc, quelques poteries, composent communément tout le mobilier qui garnit la chambre des ouvriers employés dans les filatures et les tissages de la même ville.
Cette chambre, que je suppose à feu et de 10 à 12 pieds en tous sens, coûte ordinairement à chaque ménage, qui veut en avoir une entière, dans Mulhouse ou à proximité de Mulhouse, de 6 à 8 F. et même 9 F. par mois, que l'on exige en deux termes, c'est-à-dire de 15 en 15 jours, aux époques où les locataires reçoivent leur paie-: c'est depuis 72 jusqu'à 96, et quelquefois 108 F. par an. Un prix aussi exorbitant tente les spéculateurs ; aussi font-ils bâtir, chaque année, de nouvelles maisons pour les ouvriers de la fabrique, et ces maisons sont à peine élevées que la misère les remplit d'habitants.
Et cette misère, dans laquelle vivent les derniers ouvriers de l'industrie du coton, est si profonde qu'elle produit ce triste résultat que tandis que dans les familles de fabricants, négociants, drapiers, directeurs d'usines, la moitié des enfants atteint la 29e année, cette même moitié cesse d'exister avant l’âge de 2 ans accomplis dans les familles de tisserands et d'ouvriers des filatures de coton. Quel manque de soins, quel abandon de la part des parents, quelles privations, quelles souffrances cela ne fait-il supposer pour ces derniers ?

L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers… (1840)

Louis-René Villermé (1782-1867) fut d'abrd chirurgien dans les armées napoléoniennes avant d'être licencié après l'abdication de l'Empereur. Il abandonne le médecine en 1818 pour se consacrer à la rédaction d'une série de mémoires sur la famine et la guerre, le régime des prisons et la mortalité à Paris qui permirent de faire voter la loi de 1841 règlementant le travail des enfants.

(1) La journée y commence en été à 5 heures du matin pour finir le soir à 6 heures et demie, en hiver à 7 heures pour finir le soir à 8 heures et demie, et l'on y accorde, comme à Mulhouse, etc., une heure et demie pour les repas et le repos.

 

2) Carte de l'Europe industrielle au XIXe siècle

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3) Logements insalubres en Alsace

De quoi a-t-on peur ? De l’immoralité, mais aussi et c’est une nouveauté, des maladies contagieuses dont les pauvres et leur habitat seraient les foyers privilégiés.
En effet, le développement fulgurant du choléra en 1832 cause un choc dans l’opinion publique. C’est sans doute l’épidémie qui a le plus marqué les esprits au XIXe siècle, par sa rapidité, le nombre élevé de victimes, mais aussi et surtout par un sentiment d’impuissance et de fatalité. Or les classes aisées pensent que la maladie se transmet par les pauvres, ces derniers étant les plus touchés.

Les médecins et les hygiénistes font d’ailleurs le rapprochement entre l’insalubrité des logements des indigents et des ouvriers et l’intensité de la maladie. Selon eux, la propreté et une bonne hygiène seraient donc une question de santé et de moralité publique. Du coup, les autorités se préoccupent des logements. Sous le Second Empire, Napoléon III, auteur de la brochure L’extinction du paupérisme (1844) s’intéresse aux questions sociales, et pense que l’État a son rôle à jouer. Une partie de sa «politique sociale» passe par la question des logements. Il encourage notamment la construction de logements populaires.
C’est en Angleterre qu’ont lieu les premières réflexions et les premières expériences en matière de logement ouvrier. Sa première loi sur la santé, le “Public Health Act” adoptée le 31 août 1848 sert de modèle pour les autres pays industrialisés en matière de législation sanitaire.

La loi du 13 avril 1850 sur les logements insalubres Les différentes familles du «christianisme social» se sont elles aussi préoccupées de la question du logement ouvrier. De fait, la loi sur les logements insalubres a été votée sur l’initiative des frères Armand et Anatole de Melun, prosélytes du catholicisme social. Le problème des logements est abordé dans un article paru dans les Annales dès 1845. Pour ses auteurs la charité des riches ne suffit pas à régler le problème de l’insalubrité. L’État doit intervenir par une législation adéquate. La loi est mesurée : Melun se défend de toucher au droit de propriété, mais tient à dénoncer les excès du libéralisme.
La loi du 13 avril 1850 encourage la création de commissions chargées d’inspecter les habitations insalubres. Cette loi est assez novatrice. Enfin des experts (médecins, architectes) s’occupent concrètement de l’insalubrité des logements de la classe pauvre. Mais la loi a ses limites car la création de commissions n’est pas obligatoire et dépend de l’appréciation du conseil municipal. Or celui-ci se compose majoritairement de propriétaires qui n’ont pas forcément intérêt à son application. Par ailleurs, on peut reprocher à cette loi de ne pas s’intéresser au sort des locataires expulsés des logements insalubres qui ne sont ni relogés, ni indemnisés.

les logements insalubres à Colmar
Analyse de l’espace urbain
À Colmar, on constate tout d’abord l’insalubrité des rues. Cela peut parfois causer ou aggraver l’insalubrité des logements. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Colmar possède plusieurs cours d’eau, notamment le canal du Logelbach qui traverse la ville, dans une direction NO-SE, pour aller rejoindre la Lauch située au sud. Les cours d’eau posent problème lors des inondations mais aussi dans la vie courante car ils font régner une grande humidité ambiante et s’infiltrent souvent dans les caves proches de leurs lits. Par ailleurs, ces cours d’eau sont sales car ils servent d’égouts, et on y déverse des déchets aussi bien ménagers qu’industriels, les cadavres d’animaux et le contenu des pots de chambre. Les eaux stagnantes sont également l’une des premières causes de l’insalubrité des rues avec les dépôts d’ordures.

Cela est dû en partie au manque de rigoles, à un mauvais nivellement de la rue et un mauvais pavage. On reproche aussi à ces rues d’être étroites, sombres et mal aérées pour la plupart, la ville ayant en effet gardé en grande partie son bâti du Moyen Âge. Par ailleurs, sous le Second Empire, Colmar est encore à dominante agricole. Ce sont surtout les bêtes qui causent problème, elles abîment et souillent les rues lors de leurs passages fréquents. Leurs étables sont une cause d’insalubrité pour les logements par leur odeur, par la présence d’éventuels parasites et insectes (puces). Les agriculteurs conservent précieusement le fumier de leurs animaux car il constitue un engrais de qualité et peu cher. Ils l’entassent dans les cours ou même dans les caves et dans les corridors (1) .

Certains quartiers sont plus insalubres que d’autres et apparaissent plus souvent dans les sources. L’influence de l’environnement explique en partie la situation de ces quartiers. La partie Est de la ville correspond au quartier des laboureurs. L’insalubrité y est grande du fait des pratiques des agriculteurs. Il y a de nombreux fumiers dans les cours, les étables posent problème ainsi que les attelages qui abîment les pavés.
La partie sud-est correspond au quartier des maraîchers, jardiniers, vignerons. Ils s’y sont établis car c’est l’endroit le plus bas et le plus humide de la ville. Ils y trouvent de l’eau en abondance pour leurs cultures, la Lauch leur offre même des facilités de transport. Mais cette humidité est préjudiciable à la santé. Les environs de la rue du Chantier et de la rue de la Hart correspondent à des quartiers d’ouvriers. Les maisons sont construites à la va-vite dans les faubourgs.

Sandra CARVALHO
"Les logements insalubres à Colmar sous le Second Empire", Chantiers historiques en Alsace, n° 5, 2002, Presses universitaires de Strasbourg
www-umb.u-strasbg.fr/tele/pdf/Chantiers5.pdf

(1) Archives Municipales de Colmar, 5J 2, 3b rapport de la visite du 1er au 4 août 1854

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le vieux Colmar, quartier de la petite Venise



4) L'alimentation ouvrière et populaire


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rations alimentaires journalières dans les hospices
de Limoges au XIXe siècle ;
(source : Corbin)
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)


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source des rations alimentaires : Alain Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, 1845-1880, 1975), éd. Presses universitaires de Limoges, 1998.




5) Le prolétariat des années 1830-1840

Le nouveau prolétariat

Si la découverte du prolétariat d'usine par les "observateurs sociaux" des années 1830-1840 est le grand motif d'inquiétude de la société des notables, le poids de cette nouvelle classe ouvrière constituée progressivement depuis la fin du XVIIIe siècle reste très limitée. Dans les années 1840, 1,2 million d'ouvriers travailleraient dans les manufactures sur un total de 4,4 millions, et 60% d'entre eux dans le textile (coton, laine et soie), le reste étant surtout réparti dans la métallurgie et la mine.

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usine de teinturerie, filature, tissage et usine d'apprêt des étoffes,
fabrique Victor Grandin
à Elbeuf (Seine-Maritime), tableau peinture, 1840 (source)

Dans les régions où elles se sont implantées, les manufactures ont mobilisé une main d'œuvre  le plus souvent sous-employée, aux frontières de l'indigence et située dans les campagnes surpeuplées. Mais le recrutement de ce nouveau prolétariat en France reste difficile. Beaucoup de ces ouvriers possèdent encore un lopin de terre et associent, comme les ouvriers métallurgistes de Saint-Étienne, le travail à l'usine et celui des champs. La pluriactivité freine beaucoup plus qu'en Angleterre le passage de la campagne à la ville, et c'est souvent sur place que s'opère le passage de la paysannerie à la condition ouvrière.

Mais dans la filature, à Rouen, à Lille ou Mulhouse, s'impose un profil de prolétaire qui n'a que ses bras à louer. La présence de machines, l'utilisation de moulins hydrauliques ou de la vapeur qui limitent l'utilisation de la force physique, ont permis de recruter largement des femmes et des enfants, ce qui a déqualifié le travail des hommes. Les femmes représentent plus du tiers des effectifs de la nouvelle industrie textile. Elles sont deux fois moins payées qu'un homme ; les enfants, employés dans des tâches annexes, souvent dès l'âge de 6 ou 7 ans, deux fois moins payés qu'une femme.
Dans les manufactures, le travail est plus long (14 à 15 heures par jour) et plus intense, parce que dans les années 1840 se généralise le travail aux pièces, qui fixe la rémunération selon le rendement. Le travail est d'autant plus pénible qu'il ajoute aux courbatures permanentes des affections pulmonaires graves liées à la poussière du coton, à l'humidité, à la chaleur accablante…

La main d'œuvre, encore attachée aux rythmes de vie de la société rurale, a été progressivement "dressée" à la discipline de l'usine. La fabrique est surmontée de sa cloche "pour l'appel des ouvriers", des règlements d'entreprise assortis d'amende redoutées rythment le travail. Mais la marge de manœuvre peut être encore importante dans certaines manufactures où l'on est embauché par familles entières, où les ouvriers mangent, boivent, se disputent, font des lectures collectives et parfois dorment. Contestée au niveau individuel, l'usine n'est pas encore rejetée collectivement par la main d'œuvre, et le patron peut, à l'occasion d'une fête ou d'une remise de prix, incarner encore la communauté de travail.
Un logement sordide reste aux yeux des enquêteurs philanthropes la marque la plus visible du malheur ouvrier. À Lille, où des ouvriers vivent dans des caves, les deux tiers des adultes n'atteignent pas l'âge de 40 ans. À l'exception de la tradition maintenue de la procession – celle de la Saint-Éloi pour les métallurgistes de Vierzon, accompagnée d'un banquet et d'un bal très apprécié -, la pratique religieuse est faible.

À Rouen, l'absence à la messe est justifiée par les ouvriers, auprès de l'économiste Adolphe Blanqui, par le fait que le dimanche, on lave le seul vêtement qu'on possède. Si la famille ouvrière parvient à survivre dans les périodes de prospérité, elle est très vulnérable aux aléas de la conjoncture, d'autant que le licenciement ne rencontre aucun obstacle. Une maladie, le simple déclin des forces avec l'âge, entraînent la chute du revenu, le basculement dans l'indigence. Pour fixer la main d'œuvre, quelques patrons accordent des soins médicaux gratuits, un logement à prix réduit, des subventions à une société d'entraide… Un premier paternalisme tente de reproduire, sur le modèle rural, une communauté fondée sur les liens de fidélité du patronage.

Les ouvriers de métier

Le vrai prolétariat reste très minoritaire dans un monde du travail dominée par des formes d'activité moins contraignantes et beaucoup plus complexes. L'idée même d'un destin de "prolétaire" reste encore assez étrangère au monde du travail. Le journalier, souvent embauché le matin et licencié le soir – c'est le cas pour les deux tiers des travailleurs utilisés par le gros mécanicien de la rive gauche de Paris, Cail -, peut avoir ce sentiment. Mais il est flottant, passe d'un métier à l'autre et ne s'enracine guère dans un destin collectif.

Le vrai prolétariat reste très minoritaire dans un monde du travail dominée par des formes d'activité moins contraignantes et beaucoup plus complexes. L'idée même d'un destin de "prolétaire" reste encore assez étrangère au monde du travail. Le journalier, souvent embauché le matin et licencié le soir – c'est le cas pour les deux tiers des travailleurs utilisés par le gros mécanicien de la rive gauche de Paris, Cail -, peut avoir ce sentiment. Mais il est flottant, passe d'un métier à l'autre et ne s'enracine guère dans un destin collectif.

Pour beaucoup de travailleurs, on est ouvrier une partie de sa vie et, après avoir été apprenti, compagnon dans une petite entreprise qui domine largement le monde du travail, on s'installe à son compte et on se marie. Dans les mauvaises périodes, on peut, comme Martin Nadaud, maçon creusois devenu petit patron, redevenir ouvrier, puis créer, avec quelques compagnons, une association qui fonctionne comme un patronat collectif proche de la condition ouvrière. L'artisan, qui travaille seul ou en famille avec un compagnon, reste le travailleur type. Cette absence de frontière nette entre le petit patronat et l'ouvrier de métier est la base sociale de la solidarité politique souvent manifestée à Paris ou à Lyon par le monde du travail.

Le monde des métiers reste très varié. Si le revenu du cordonnier, du tailleur, du maçon, est très bas, proche de celui du prolétaire d'usine, tout comme celui du tisserand de village, soumis à la pression de la concurrence des mécaniques, le revenu de l'ouvrier des industries de luxe et de demi-luxe de la fabrique parisienne – les bijoutiers, ébénistes, ouvriers du bronze… - est beaucoup plus élevé, comme celui des ouvriers mécaniciens, dont le nombre progresse vite.
À Paris, le salaire peut varier dans le monde ouvrier de 2,50 F pour le manœuvre, à 6 à 8 F par jour pour l'ouvrier de métier. Mais les chômages sont nombreux, et les intermédiaires du "marchandage", haïs par les ouvriers, durcissent l'exploitation ouvrière par leur prélèvement sur le salaire.
Les conditions de vie sont tout aussi contrastées. Les maçons creusois, migrants temporaires, arrivés à Paris s'entassent dans les "garnis", ces greniers transformés en dortoirs dans le centre de Paris, vivent pauvrement et économisent pour retourner au pays, mais l'ouvrier de métier vit souvent décemment "dans ses meubles" à côté de son atelier. Le monde des métiers se distingue par son niveau culturel et son savoir-faire. Plus des quatre cinquièmes des ouvriers de métier savent lire à Paris ou à Lyon, alors que 80% des mineurs du Nord sont analphabètes.
Le parcours de ces travailleurs passe par toutes les étapes d'un véritable cursus ponctué de rites d'initiation et l'acquisition progressive chez un patron d'un "tour de main", d'un savoir de métier.
L'ouvrier qui a un vrai savoir professionnel se déplace, change de ville, de patron, et ce "nomadisme des savoir-faire" est orienté par un réseau d'amis, de cousinage, de gens du pays, qui peut s'étendre à toute la France. Il lui permet de peser ainsi sur les salaires offerts par les maîtres, et de répondre aux périodes alternées de "coups de feu" et de morte-saison. La carrière des verriers s'inscrit dans des itinéraires qui les mènent parfois jusqu'en Asturies ou en Vénétie. La sociabilité de ces ouvriers d'élite est ancrée dans de nombreuses sociétés d'entraide, sociétés d'agrément, sociétés chantantes, sociétés à boire, qui organisent des fêtes et soudent la communauté autour d'un saint patron.

Francis Démier, La France du XIXe siècle, 1814-1914, p. 181-184



6) Les ouvriers du Creusot sous le Second Empire

Le Second Empire est l'époque des progrès gigantesques de l'usine du Creusot qui se hisse au premier rang en Europe occidentale. Le système paternaliste qui doit empêcher pour toujours le retour des révoltes ouvrières, avec au besoin la protection du sabre bonapartiste atteint sa perfection. Car Eugène Schneider joue à fond la carte "impériale", comme il avait joué la carte Louis-Philippe ; la République devient trop facilement "démocratique et sociale", l'Empire, c'est la paix... au Creusot ! En fait, pendant dix-huit ans, l'Ordre règne dans les ateliers et dans la ville, tandis que les profits montent.

L'usine ne cesse de s'agrandir à partir de 1852. La guerre de Crimée (1854-56) réintroduit au Creusot les fabrications de guerre qui lui évitent de ressentir la crise économique en cours (machines pour vaisseaux de guerre et blindages). Les profits ainsi réalisés permettent, avec les spéculations financières de M. Schneider [Régent de la Banque de France, président du Conseil d'administration de la "Société Générale" créée en 1864], les transformations et modernisations nécessaires dans la période suivante pour résister à la concurrence anglaise ; une nouvelle forge, moderne et colossale, est créée en 1861 ; la production de rails, locomotives, bateaux à vapeur, etc... s'intensifie. En 1867, nouvelle étape : la fabrication de l'acier apparaît au Creusot-; la Société achète de nouvelles mines de fer et de charbon (Montchanin, La Machine) dans la région. Le nombre des ouvriers est passé de 1 700 en 1836 à 10 000 en 1869, le chiffre d'affaires de 10,3 millions en 1847 à 35 millions en 1865.

tuilerie___Montchanin_les_Mines
ouvriers sortant de la tuilerie de Montchanin-les-Mines (Saône-et-Loire)

En même temps, la ville croît rapidement, passant de 2 700 habitants en 1836, se haussant ainsi au premier rang des villes de Saône-et-Loire. La natalité y est énorme (59 naissances par 1 000 habitants en 1863 !) mais l'accroissement se fait surtout par l'immigration des jeunes paysans du Morvan et de toute la Haute-Bourgogne. Parallèlement s'est formée une petite bourgeoisie de commerçants, d'artisans, professions libérales, qui supporte de plus en plus mal sa subordination à la Société et la mainmise totale de celle-ci sur l'administration municipale. Son mécontentement va rejoindre celui des ouvriers, dont les conditions de vie n'ont cessé de se détériorer pendant que les profits patronaux grandissaient.

Le niveau de vie des ouvriers creusotins a baissé en effet de façon sensible de 1851 à 1869 : ils ont subi une paupérisation relative et absolue. C'est ce qui ressort d'une étude comparée de l'évolution des salaires, des prix et de la durée du travail. La baisse du salaire réel de 10% environ n'est pas compensée par le progrès des "avantages sociaux", ces institutions patronales - caisse de prévoyance (alimentée par une retenue de 2,5% sur les salaires), bureau de bienfaisance, logements ouvriers, etc... - qui caractérisent le paternalisme modèle de la Société et dont les maigres avantages pour une minorité sont contrebalancés par la dépendance absolue qu'ils imposent à l'ouvrier.

villedieu
Groupant 80 maisons, construites en 1865, l’ensemble (qui a été agrandi en 1872
de 25 unités) s’étend sur un plan orthogonal. Cette cité, la deuxième édifiée par Schneider,
tend vers le modèle conforme à l’idéologie du paternalisme social et elle fut perçue
comme telle (rapport de Simonin sur sa visite de l’Exposition universelle de 1867).
Ce sont des maisons individuelles de deux pièces sur un seul niveau
avec cuisine en appentis ; toutes sont rigoureusement identiques avec la même position
dans des parcelles d’égale superficie. (source : ecomusee-creusot-montceau.fr)

Ainsi la consommation de viande et de vin par habitant est-elle moindre au Creusot qu'à Paris, les conscrits de la commune se distinguent par leur petite taille au conseil de révision, et l'âge moyen de la vie n'est que de 24 ans au lieu de 33 à Paris vers 1867. C'est d'ailleurs très consciemment que les salaires sont calculés au plus juste, ni trop bas ni trop haut, comme l'explique A. P. Deseilligny, directeur de l'usine jusqu'en 1866 et gendre de E. Schneider :

"En France depuis trente ans des salaires plus élevés ont permis aux ouvriers de mieux se nourrir ; dans beaucoup de professions, il est arrivé que de supplément de dépenses n'a pas été inutile (sic) et que l'homme fortifié par une nourriture substantielle a pu produire davantage... Mais s'il est utile... d'avoir des salaires suffisants, il est fort dangereux d'avoir des salaires exagérés. Or avec une population immorale, il faut payer finalement non seulement la dépense du nécessaire, mais celle du superflu. Le budget du vice vient s'ajouter à celui de la famille, et c'est presque toujours alors qu'arrivent, comme de tristes conséquences, les mécontentements et les grèves" (A.-P. Deseilligny, De l'influence de l'éducation sur la moralité et le bien-être des classes laborieuses, 1869).

Autrement dit : enseignons la morale et payons au juste prix pour encourager la productivité tout en évitant les grèves !

ouvriers_mineurs_le_Creusot
ouvriers mineurs au Creusot, 1887

Les conditions mêmes du travail à l'usine et à la mine ont empiré. L'ancien travail semi-artisanal, avec des heures de labeur "poreuses", coupé de repos, ou de séjours à la campagne, pour les travaux agricoles, a fait place au travail industriel moderne (pour l'époque : on fait encore mieux de nos jours !). Un enquêteur plein de partialité en faveur de Schneider nous décrit ainsi le travail des puddleurs :

"Cet ouvrier dont on exige tant d'habileté et de sang-froid, est placé à la bouche d'un four, l'oeil fixé sur une sole enflammée d'où s'exhale une chaleur de 1 500°, celle du blanc soudant. Qu'il éprouve un moment de vertige, que son regard se trouble à suivre le métal en fusion et il en résultera un dommage dont il aura à supporter sa part s'il travaille à la tâche. Cette tâche il ne la remplit pourtant qu'inondé de sueur et dévoré d'une soif ardente, et, ce qui est le plus triste à dire, en abrégeant la durée de sa vie. L'ouvrier en a la conscience et il persiste : l'industrie est pleine de ces héroïsmes obscurs" (L. Reybaud, Rapport sur la condition des ouvriers en fer : Le Creusot, 1867.

Quant aux mineurs, c'est pire encore, d'après le tableau que nous trace J.-B. Dumay du travail dans les mines de fer de Mazenay, près du Creusot, appartenant à la Société :

"Les galeries ont de 7 à 8 m de large sur 50 à 50 cm de haut. Deux mineurs côte à côte dans cet enfer travaillent couchés sur un côté opposé, pour ne pas se gêner mutuellement. On imagine facilement qu'une pareille situation pendant 10 heures par jour, souvent 12, est un véritable supplice... surtout lorsqu'il y a, comme c'est souvent le cas, 2 ou 3 cm d'eau. Ce travail est d'autant plus meurtrier qu'en raison de l'humidité qui règne dans la galerie, les ouvriers ne peuvent se reposer quelques minutes sans ressentir des frissons, il faut recommencer de frapper plus fort pour s'échauffer... les déblayeurs sont aussi obligés de se mouvoir dans toutes les positions pour charger leurs petits wagonnets" (J.-B. Dumay, Un fief capitaliste, Le Creusot, 1882).

Ainsi se forme parallèlement aux transformations de l'industrie un prolétariat nouveau, lié corps et âme à l'usine géante qui l'exploite, mais qui ne va pas tarder à prendre conscience de sa force.

Pierre Ponsot, Les grèves de 1870 et la Commune de 1871 au Creusot,
éditions Sociales, 1957, p. 12-16




Seveux_sortie_des_ouvriers
Seveux, dans le département de la Haute-Saône

 

7) Les assises économiques et sociales de la République

Les ouvriers, des villes aux banlieues
L'atelier et l'usine


La représentation qu'on donne de la "classe ouvrière" dans la République fait de celle-ci, face à la bourgeoisie, une autre "avant-garde", guidée elle aussi par un messianisme de progrès, mais animée du désir de bouleverser la société plutôt que de la changer au rythme mesurée des réformes républicaines. L'image se heurte à une première réalité.

À la veille de la guerre, il reste difficile, en France, d'identifier clairement les contours du prolétariat moderne, d'une "classe ouvrière" au sens d'agrégat social, douée d'une "conscience de classe" et destinée par le courant marxiste à changer la société. Nous l'avons dit, la France est encore très largement dominée par l'atelier, et le travail est rarement décomposé en tâches parcellaires dans la grande usine. Le travail ouvrier reste proche de l'artisanat, dans une société où l'on a en moyenne 1 patron pour 4,3 ouvriers.

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ouvriers de la Compagnie industrielle des pétroles, Rouen

 

Les ouvriers à domicile, commandés par un lointain donneur d'ordres, représentent encore 26,3% des ouvriers en 1906. Les véritables usines qui dépassent 100 salariés ne regroupent que 24,3% des ouvriers, et en revanche les entreprises de moins de 10 salariés occupent près de la moitié de la main d'oeuvre. La population ouvrière, du reste, est loin d'augmenter au rythme qu'elle connaît en Allemagne. Le nombre des ouvriers n'a crû que de 17% entre 1866 et 1906. En outre, la répartition de la main  d'oeuvre a peu évolué. Les deux tiers des ouvriers sont encore dans les industries traditionnelles : textile, bâtiment, alimentation..., et seulement 12% se trouvent dans les secteurs de pointe de la deuxième industrialisation : métallurgie, mines, chimie...

On ne saurait pourtant en conclure à une inertie de l'ouvrier. Être ouvrier n'était dans le premier XIXe siècle qu'une étape dans un cursus professionnel qui pouvait mener à s'établir à son compte. Désormais, le processus s'est enrayé, et la vie ouvrière s'impose comme un destin. L'ouvrier était souvent un migrant temporaire, un ouvrier paysan, un travailleur qui pouvait se replier sur le monde rural. La perspective recule, et l'ouvrier se fixe dans l'horizon de la ville ou, phénomène nouveau, dans sa banlieue.

En dépit de la dispersion des travailleurs, de grandes concentrations ouvrières sont apparues. L'empire Schneider, au Creusot, est passé en quarante ans de 9 000 à 20 000 ouvriers. Le nombre des mineurs a bondi de 33 000 en 1851 à 150 000 en 1913, dont 135 000 concentrées dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais. Les nouveaux industriels sont vite passés à une vitesse supérieure. Renault a 4 000 ouvriers à Billancourt, la Compagnie générale d'électricité, 3 5000 à Ivry.

Autre obstacle à l'unité prolétarienne, la "classe ouvrière" est restée fortement stratifiée, par les compétences, les qualifications, les salaires, mais la hiérarchie a sensiblement changé de nature. En haut de l'échelle, on a toujours un ensemble d'ouvriers qualifiés, avec des salaires assez élevés, supérieurs souvent à ceux des fonctionnaires et des employés. Ce sont des travailleurs capables d'utiliser des machines polyvalentes, ou détenteurs d'un savoir technique complexe, d'un tour de main acquis au fil d'un long cursus de l'atelier.

Cette "aristocratie ouvrière" échappe mieux aux périodes de chômage, résiste au processus de déqualification imposé par les premières tentatives de taylorisation, et change aussi de profil. L'ouvrier qualifié n'est plus tant l'ébéniste ou le bronzier parisien que le mécanicien ou le cheminot. Mieux syndiqués, ils cherchent à faire reconnaître désormais une nouvelle professionnalisation, acquise dans les nouvelles écoles techniques, comme l'école Diderot fondée en 1872, et revendiquent dans des grèves d'un nouveau type une règlementation de l'avancement (les cheminots en 1910).

Une plèbe d'ouvriers déqualifiés, moins payés, embauchés de façon précaire, constitue encore le gros de la main d'oeuvre. Mais cette masse ouvrière a changé. Il existe toujours un grand nombre de journaliers, de manoeuvres, indispensables dans les usines où les tâches de manutention sont importantes parce que l'intégration du processus de travail n'y existe guère. Mais une nouvelle catégorie, les ouvriers spécialisés (OS), se développe rapidement au début du siècle. Sans qualification précise, ils sont utilisés sur des machines-outils de plus en plus perfectionnées et selon des rythmes de travail qui leur échappent.

De 1870 à 1906, le travail des femmes, toujours payé deux fois moins que celui des hommes, a augmenté de plus de 30%. Employées dans la confection, elles forment aussi la main-d'oeuvre favorite du sweating-system ["travail à la sueur", surexploitation] des grandes villes. Elles sont aussi recrutées massivement dans les nouvelles industries, dangereuses et polluantes, comme la chimie de la banlieue parisienne, ou encore dans les tâches très parcellisées des usines de matériel électrique. Une autre main-d'oeuvre déqualifiée est celle des travailleurs étrangers, hommes jeunes et célibataires, déracinés de leur milieu rural et employés dans les travaux pénibles de la mine et de la métallurgie.

Dans les usines, le travail s'est stabilisé autour d'une durée de onze heures par jour. On respecte, en général, le repos hedomadaire, et certains travailleurs commencent à goûter à la semaine anglaise. Mais la diminution d'un temps de travail qui demeure extrêmement pénible dans des usines surchauffées, polluées, encombrées d'un fouillis de courroies et d'engrenages dangereux, reste une des grandes priorités, dont l'importance apparaît dans la campagne des "trois huit" menée par la CGT.

 

Une lente amélioration de la condition ouvrière

La condition ouvrière s'est améliorée parce que le salaire, en moyenne, a augmenté. Le mouvement amorcé sous le Second Empire a évolué irrégulièrement, il peut être différent d'une catégorie à l'autre, il est souvent contrarié par l'existence fréquente de périodes de chômage aux effets ravageurs, il constitue cependant une tendance de fond.

Cette nouvelle conquête d'un mieux être ne modifie pas l'insécurité ouvrière, phénomène essentiel qui creuse la différence entre l'ouvrier et le reste de la société. Confronté à un avoir dérisoire, à des chômages fréquents, à la perte du salaire à l'occasion d'une maladie ou d'accidents du travail très nombreux, l'ouvrier ne peut guère faire d'épargne, tout au moins à un niveau qui lui permette d'échapper à la hantise du lendemain. Les caisses de secours patronales qui versent des indemnités en cas de maladie, les caisses de retraite qui sont apparues dans les sociétés minières ou les compagnies de chemin de fer, représentent certes un recours, mais ne protègent qu'une partie très limitée de la classe ouvrière.

Dans le budget ouvrier, augmenté de nouveaux gains acquis au fil des luttes, la dépense essentielle reste la nourriture, dont la part varie de 60 à 70%. Le pain, qui est toujours la base de la nourriture, recule dans les dépenses au profit du vin et de la viande. À la Belle Époque, le sucre, le café, le lait, des légumes plus facilement accessibles pour ceux qui possèdent un "jardin ouvrier", améliorent l'ordinaire. Pour soulager les difficultés quotidiennes, des coopératives ouvrières répondent aux économats patronaux. Limitées au départ à la création de boulangeries ou d'épiceries, elles sont développées sous l'influence socialiste et offrent de nombreux services.

Avec une alimentation meilleure, la santé ouvrière a progressé surtout à Paris. On écartait encore du recrutement militaire, en 1869, 17,9% des hommes du XIe arrondissement parce qu'ils n'atteignaient pas la taille de 1,60 m. Ils ne sont plus que 3,3% en 1903. Le réseau des dispensaires (24 à Paris) a amélioré les soins dans la capitale, en particulier pour les femmes en couches, et les bains publics (c'est un effort des municipalités radicales et socialistes) ont fait progresser l'hygiène. Mais la tuberculose, la typhoïde, la diphtérie, la scarlatine, la rougeole, font encore des ravages à Paris, et surtout dans sa banlieue, où l'eau courante est rare et celle des puits polluée. À la veille de la guerre, à Paris, au moins un couple sur trois a perdu un enfant en bas âge.

Dans leur budget, les ouvriers dépensent sensiblement plus pour se vêtir. L'importance nouvelle de la confection, des grands magasins, banalise le vêtement, fait reculer les manières provinciales et disparaître la blouse chez un travailleur qui, hors de son travail, tend à s'habiller en "bourgeois". Un des signes le plus pénibles de la condition ouvrière reste le logement, qui distingue nettement l'ouvrier du reste de la société. Ce logement, mal éclairé, sans hygiène et assorti d'un nombre dérisoire de meubles, est exigu (le quart des ouvriers parisiens vit dans une seule pièce) et mal équipé, ce qui contraint encore souvent à réchauffer ses aliments à la gargote.

Et pourtant ces logements sordides sont chers (plus de 20% de hausse à Paris entre 1900 et 1913), car il existe une véritable crise du logement populaire. Cette cherté du loyer explique l'instabilité de l'ouvrier dans la ville, ses déménagements fréquents, faits parfois à la "cloche de bois" quand on ne peut plus payer le loyer. L'haussmannisation a assuré à la bourgeoisie des conditions de logements très confortables mais oublié la construction de logements pour les ouvriers, peu rentables. Ces derniers se sont accrochés au vieux tissu urbain, tant que leur travail était lié à la fabrique parisienne, imbriqué dans les rues du centre.

Mais, au tournant du XXe siècle, la crise des vieilles industries parisiennes, l'industrialisation rapide de la banlieue, provoquent un déplacement progressif de la population vers la périphérie de Paris et des grandes villes. Le phénomène est encouragé par l'apparition de nouveaux transports en commun, en particulier les trains de banlieue, les tramways, mais dans un premier temps ceux-ci restent chers et la décongestion des quartiers ouvriers de Paris très lente. Les nouveaux transports sont surtout accessibles aux employés, qui tout en travaillant à Paris décident d'habiter la banlieue proche, plus agréable que les vieux quartiers de la capitale.

La banlieue, dont la population progresse trois fois plus vite que celle de la capitale, reste très contrastée. À Saint-Denis, la population ouvrière représente 80% de la population totale, et accueille de véritables colonies de Bretons partis par villages entiers de Bretagne sous la conduite de leur recteur et habitant des "casernes ouvrières" dans un environnement délabré. À l'ouest, dans d'autres villes, Colombes ou Suresnes, la population ouvrière, venue de la province ou parfois de Paris, coexiste avec une population de petits bourgeois, voire de paysans qui continuent à cultiver pour Paris. C'est seulement en 1894, avec la loi Siegfried qui crée les habitations à bon marché, que l'État commence par des encouragements fiscaux à intervenir dans le logement social. Mais elles restent gérées par le privé, et il faut attendre 1912 pour que les municipalités encouragent la construction locative et que soient mis en place les offices publics d'HBM.

Pour une autre grande partie de la classe ouvrière, celle qui habite les cités ouvrières des "villes-usines", l'horizon est différent. Les grandes compagnies minières et métallurgiques construisent des cités dans lesquelles le patronat aide les ouvriers à devenir progressivement propriétaire d'une maisonnette et d'un bout de jardin. Cet enracinement progressif est voulu par les entreprises pour fixer une main d'oeuvre volatile. L'acquisition lente d'une maison participe de toute une politique de contrôle social paternaliste qui prend en charge l'ouvrier, lui "offre" une école et une église, des moyens de promotion interne (le fils d'un ouvrier Schneider peut devenir ingénieur Schneider grâce aux seules écoles Schneider), subventionne les associations sportives et culturelles, et un système de retraites lié à une caisse d'entreprise gérée par le patronat. Si l'ouvrier quitte ce cadre, il perd tout. C'est pourquoi cet encadrement protecteur apparaît de plus en plus pesant et se trouve contesté.

Une culture ouvrière

À défaut de conscience de classe claire et d'unité sociologique, c'est probablement une culture ouvrière de la ville qui soude le mieux le monde ouvrier. Cette culture ouvrière a été longtemps une culture de métier, elle est aussi une culture de quartier. Les ouvriers y sont immergés dans un tissu populaire diversifié qui offre des possibilités de relations humaines variées. Cette vie de relations extérieures au foyer est souvent la conséquence de l'aspect répulsif du logement, qui fait de la rue, du café, du cabaret, l'espace de sociabilité des ouvriers (on compte alors à Saint-Ouen 1 café pour 80 habitants). Au cabaret, on lit le journal et ses feuilletons, on commente les nouvelles, on fume, on boit, et on fait la fête, parfois entre ouvriers venus d'une même région. Des banquets rythment la vie associative, banquets de militants, de fête corporative chez les mineurs, de carnaval ou de paroisse.

Avec un modeste recul du temps de travail, les formes de loisir évoluent. Si l'ouvrier a été chassé des théâtres du centre ville, trop chers, il se retrouve au café-concert, qui reprend les chansons à la mode. À Saint-Denis, les ouvriers peuvent se retrouver dans 20 bals et 4 cabarets. Boulogne, Puteaux, Saint-Denis... ouvrent des théâtres pour le peuple, où l'on joue Cyrano de Bergerac, mais aussi Germinal. L'engouement pour la bicyclette gagne une classe ouvrière qui découvre les nouveaux clubs sportifs.

Les bourses du travail se dotent de bibliothèques, une contre-culture ouvrière, encore timide, progresse et se nourrit des universités populaires, des idées des sociétés de libre-pensée, qui participent à la bataille contre le retour en force des oeuvres et des patronages catholiques. La ville est donc le creuset d'une culture ouvrière qui est à la fois une culture républicaine, imprégnée des souvenirs de la geste révolutionnaire, mais aussi une contre-culture de classe qui affirme la spécificité des travailleurs dans la "citoyenneté républicaine".

Francis Démier, La France du XIXe siècle, 1814-1914, p. 426-432





8) Dossier : le travail des enfants dans l'industrie

Loi sur le travail des enfants et des filles mineures dans l'industrie (1874)


Présentation par Christian Chevandier
© Association des Amis du Maitron 2003

L'indispensable

La loi du 19 mai 1874 " sur le travail des enfants et filles mineures dans l'industrie " fut votée au début de la IIIe République. Elle interdisait ou limitait leur emploi dans certaines conditions, mais comportait aussi des mesures de prévention sanitaire. Son application ne fut pas satisfaisante et a nécessité le vote d'un nouveau texte moins de vingt ans plus tard.

Le document

SECTION 1ère - Age d'admission. Durée du travail
Art. 2 - Les enfants ne pourront être employés par des patrons ni être admis dans les manufactures, usines, ateliers ou chantiers avant l'âge de douze ans révolus. Ils pourront être toutefois employés à l'âge de dix ans révolus dans les industries spécialement déterminées par un règlement d'administration publique rendu sur l'avis conforme de la commission supérieure ci-dessous instituée.
Art. 3 - Les enfants, jusqu'à l'âge de douze ans révolus, ne pourront être assujettis à une durée de travail de plus de six heures par jour, divisées par des repos. À partir de douze ans, ils ne pourront être employés plus de douze heures par jour, divisées par des repos.

SECTION II - Travail de nuit, des dimanches et jours fériés
Art. 4 - Les enfants ne pourront être employés à aucun travail de nuit jusqu'à l'âge de seize ans révolus. La même interdiction est appliquée à l'emploi des filles mineures de seize à vingt et un ans mais seulement dans les usines et manufactures. Tout travail entre neuf heures du soir et cinq heures du matin est considéré comme travail de nuit. Toutefois, en cas de chômage résultant d'une interruption accidentelle et de force majeure, l'interdiction ci-dessus pourra être temporairement levée, et pour un délai déterminé, par la commission locale ou l'inspecteur ci-dessous institués, sans que l'on puisse employer au travail de nuit des enfants de moins de douze ans.
Art. 5 - Les enfants âgés de moins de seize ans et les filles âgées de moins de vingt et un ans ne pourront être employés à aucun travail, par leurs patrons, les dimanches et fêtes reconnues par la loi, même pour rangement de l'atelier.
Art. 6 - Néanmoins dans les usines à feu continu, les enfants pourront être employés la nuit ou les dimanches et jours fériés aux travaux indispensables. Les travaux tolérés et le laps de temps pendant lequel ils devront être exécutés seront déterminés par des règlements d'administration publique. Ces travaux ne seront, dans aucun cas, autorisés que pour des enfants âgés de douze ans au moins. On devra, en outre, leur assurer le temps et la liberté nécessaires pour l'accomplissement des devoirs religieux.

SECTION III - Travaux souterrains
Art. 7 - Aucun enfant ne peut être admis dans les travaux souterrains des mines, minières et carrières avant l'âge de douze ans révolus. Les filles et femmes ne peuvent être admises dans ces travaux. Les conditions spéciales du travail des enfants de douze à seize ans dans les galeries souterraines, seront déterminées par des règlements d'administration publique.

SECTION IV - Instruction primaire
Art. 8 - Nul enfant, ayant moins de douze ans révolus, ne peut être employé par un patron qu'autant que ses parents ou tuteurs justifient qu'il fréquente actuellement une école publique ou privée. Tout enfant admis avant douze ans dans un atelier devra, jusqu'à cet âge, suivre les classes d'une école pendant le temps libre du travail. Il devra recevoir l'instruction pendant deux heures au moins, si une école spéciale est attachée à l'établissement industriel. La fréquentation de l'école sera constatée au moyen d'une feuille de présence dressée par l'instituteur et remise chaque semaine au patron.
Art. 9 - Aucun enfant ne pourra, avant l'âge de quinze ans accomplis, être admis à travailler plus de six heures chaque jour, s'il ne justifie, par la production d'un certificat de l'instituteur et de l'inspecteur primaire, visé par le maire, qu'il a acquis l'instruction primaire élémentaire. Ce certificat sera délivré sur papier libre et gratuitement.

SECTION V- Surveillance des enfants - Police des ateliers
Art. 10 - Les maires sont tenus de délivrer aux père, mère ou tuteur un livret sur lequel sont portés les nom et prénoms de l'enfant, la date et le lieu de sa naissance, son domicile, le temps pendant lequel il a suivi l'école. Les chefs d'industrie ou patrons inscriront sur le livret la date de l'entrée dans l'atelier ou établissement, et celle de la sortie. Il devront également tenir un registre sur lequel seront mentionnées toutes les indications insérées au présent article.

(...) il est interdit d'employer les enfants âgés de moins de seize ans :
1° Dans les ateliers où l'on manipule des matières explosibles et dans ceux où l'on fabrique des mélanges détonants, tels que poudre, fulminantes, etc., ou tous autres éclatant par le choc ou par le contact d'un corps enflammé.
2° Dans les ateliers destinés à la préparation, à la distillation ou à la manipulation de substances corrosives, vénéneuses et de celles qui dégagent des gaz délétères ou explosibles. La même interdiction s'applique aux travaux dangereux, ou malsains, tels que : l'aiguisage ou le polissage à sec des objets en métal et des verres ou cristaux ; le battage ou le grattage à sec des plombs carbonatés, dans les fabriques de céruse ; le grattage à sec d'émaux à base d'oxyde de plomb dans les fabriques de verres dits de mousseline ; l'étamage au mercure des glaces ; la dorure au mercure.

SECTION VI - Inspection
Art. 16 - Pour assurer l'exécution de la présente loi, il sera nommé quinze inspecteurs divisionnaires. La nomination des inspecteurs sera faite par le gouvernement, sur une liste de présentation dressée par la commission supérieure ci-dessous instituée, et portant trois candidats pour chaque emploi disponible. Ces inspecteurs seront rétribués par l'État. Chaque inspecteur divisionnaire résidera et exercera sa surveillance dans l'une des quinze circonscriptions territoriales déterminées par un règlement d'administration publique.
Art. 17 - Seront admissibles aux fonctions d'inspecteur les candidats qui justifieront du titre d'ingénieur de l'État ou d'un diplôme d'ingénieur civil, ainsi que les élèves diplômés de l'École centrale des arts et manufactures et des écoles des mines. Seront également admissibles ceux qui auront déjà rempli, pendant trois ans au moins, les fonctions d'inspecteur du travail des enfants ou qui justifieront avoir dirigé ou surveillé pendant cinq années des établissements industriels occupant cent ouvriers au moins.
Art. 18 - Les inspecteurs ont entrée dans tous les établissements manufacturiers, ateliers et chantiers. Ils visitent les enfants ; ils peuvent se faire représenter le registre prescrit par l'art. 10, les livrets, les feuilles de présence aux écoles, les règlements intérieurs. Les contraventions seront constatées par les procès-verbaux des inspecteurs, qui feront foi jusqu'à preuve contraire. Lorsqu'il s'agira de travaux souterrains, les contraventions seront constatées concurremment par les inspecteurs ou par les gardes-mines. Les procès-verbaux seront dressés en double exemplaire, dont l'un sera envoyé au préfet du département et l'autre déposé au parquet. Toutefois, lorsque les inspecteurs auront reconnu qu'il existe, dans un établissement ou atelier, une cause de danger ou d'insalubrité, ils prendront l'avis de la commission locale ci-dessous instituée, sur l'état de danger ou d'insalubrité, et ils contresigneront cet avis dans un procès-verbal. Les dispositions ci-dessus ne dérogent point aux règles du droit commun quant à la constatation et à la poursuite des infractions commises à la présente loi.
Art. 19 - Les inspecteurs devront chaque année adresser des rapports à la commission supérieure ci-dessous instituée.

SECTION IX - Pénalités
Art. 25 - Les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels qui auront contrevenu aux prescriptions de la présente loi et des règlements d'administration publique relatifs à son exécution seront poursuivis devant le tribunal correctionnel et punis d'une amende de 16 à 50 francs. L'amende sera appliquée autant de fois qu'il y aura eu de personnes employées dans les conditions contraires à la loi, sans que son chiffre total puisse excéder 500 francs. Toutefois, la peine ne sera pas applicable si les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels et les patrons établissent que l'infraction à la loi a été le résultat d'une erreur provenant de la production d'actes de naissance, livrets ou certificats contenant de fausses énonciations ou délivrés par une autre personne. Les dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 22 juin 1854, sur les livrets d'ouvriers, seront, dans ce cas, applicables aux auteurs des falsifications. Les chefs d'industrie sont civilement responsables des condamnations prononcées contre leurs directeurs ou gérants.
Art. 26 - S'il y a récidive, les manufacturiers, directeurs ou gérants d'établissements industriels et les patrons seront condamnés à une amende de 50 à 200 francs. La totalité des amendes réunies ne pourra toutefois excéder 1 000 francs. Il y a récidive quand le contrevenant a été frappé, dans les douze mois qui ont précédé le fait qui est l'objet de la poursuite, d'un premier jugement pour infraction à la présente loi ou règlements d'administration publique relatifs à son exécution.
Art. 28 - Seront punis d'une amende de 10 à 100 francs les propriétaires d'établissements industriels et les patrons qui auront mis obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur, des membres des commissions, ou des médecins, ingénieurs et experts délégués pour une visite ou une constatation.

 

Pour en savoir plus

Le travail des enfants
Habituel dans l'agriculture et dans une moindre mesure dans l'artisanat, l'emploi des enfants dès l'âge de 6 ans s'est développé dans les usines à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Le travail des enfants, mal rémunéré, fut un élément indispensable de l'industrialisation. Ils œuvraient souvent dans le même atelier que leurs parents, auxquels ils remettaient leur salaire (entre le quart et la moitié de celui d'un adulte). Ce travail était considéré comme formateur et, dans les verreries par exemple, un poste de "gamin" était la première étape d'un cursus professionnel.

Le contexte politique
L'Assemblée nationale, qui discute et vote cette loi en novembre 1872, en février 1873 et en mai 1874, a été élue en février 1871, au lendemain de la défaite. Composée en majorité de monarchistes, elle siège à Versailles d'où elle a animé le combat contre la Commune de Paris en mars, avril et mai 1871. Il s'agit alors de la seule assemblée parlementaire du pays, dans un contexte de transition politique que s'éternise. Elle est surtout préoccupée par la perspective d'une nouvelle Constitution, pour laquelle elle a désigné en novembre 1873 une commission de 30 membres chargée de la préparer. C'est un monarchiste de centre droit, Ambroise Joubert, député du Maine et Loire et manufacturier, qui présenta la proposition de loi lors de la séance du 19 juin 1871, moins d'un mois après la Semaine sanglante. En s'attaquant aux abus les plus rebutants de l'économie libérale, mais aussi en d'autres aspects, cette loi relève de l'Ordre moral de la majorité monarchiste de l'Assemblée. Ainsi, le travail du dimanche est limité et, lorsqu'il a néanmoins lieu, "on devra […] assurer le temps et la liberté nécessaire pour l'accomplissement des devoirs religieux", tandis que "les patrons […] doivent […] veiller au maintien des bonnes mœurs et à l'observation de la décence publique dans leurs ateliers". Une proposition prévoyant une limitation du travail féminin a été repoussée.

La loi
Votée aux lendemains de la défaite, cette loi s'inscrit dans le questionnement de la nation sur les origines de ce désastre. Parmi les causes, la supposée faiblesse des conscrits français face aux Prussiens étaient mise en avant. En limitant le travail des enfants, le pays leur permettrait une saine croissance et les soldats n'en seraient que plus vigoureux. Comme toutes les réformes, celle-ci est à situer dans une histoire plus longue. Ainsi, la proposition déposée par Ambroise Joubert reprend dans ses grands traits un projet de loi déjà examiné par le Sénat du Second Empire avant la défaite. Le caractère relativement serein des débats qui ont précédé l'adoption de la loi est significatif, d'une part de sa portée limitée, en second lieu du fait qu'elle ne rencontrait pas véritablement d'opposition. En cette courte période de reprise économique, la bourgeoisie industrielle, bien que moins influente dans l'Assemblée que les notables ruraux et une bourgeoisie plus traditionnelle, mena largement ces débats en faisant valoir ses intérêts. Ce serait un contresens de voir dans cette loi la satisfaction donnée à une revendication ouvrière. Le mouvement ouvrier français était sorti considérablement affaibli après la répression sanglante de la Commune de Paris et n'était pas en mesure d'imposer une réforme. D'autre part, nombre de travailleurs n'étaient pas hostiles au travail des enfants qui apportait un complément de ressources aux familles ouvrières, qui constituait un mode de garde et permettait d'acquérir une formation professionnelle.

Réglementer
Bien que proscrivant globalement l'emploi d'enfants de moins de douze ans dans les établissements industriels, la loi le permet dès l'âge de dix ans dans certains cas qui restent à déterminer. Avant douze ans, la durée maximale de travail quotidien est de six heures, de douze au-delà. Dans les mines et carrières, il n'y a pas de dérogation d'âge et le travail féminin est prohibé. Le travail de nuit (définit par la loi entre 21 heures et 5 heures) et celui des jours fériés et des dimanches est interdit avant l'âge de seize ans, de vingt et un ans pour les filles dans les usines et manufactures. Aucune restriction n'est envisagée hors du secteur industriel.
La loi conditionne l'emploi d'enfants de moins de douze ans à la fréquentation d'une école. Les mineurs de moins de quinze ans peuvent travailler plus de six heures s'ils justifient par un certificat de l'acquisition d'une instruction élémentaire. Associant une formation scolaire et un travail perçu comme formateur, les législateurs tentent de restaurer l'esprit de l'apprentissage. Une telle formule permettrait au patronat de disposer plus tard d'une main d'œuvre mieux instruite, donc plus efficace. Ce texte présente des aspects préventifs, qui renvoient à la volonté de "régénération" de la population française après la guerre franco-prussienne. Ainsi, les charges à porter sont limitées, l'exposition aux produits risquant d'exploser ou d'empoisonner (notamment en causant le saturnisme) est esquivée, et les risques d'accidents mécaniques sont pris en compte. C'est la première fois que de telles dispositions se trouvent dans une loi.

Surveiller
Des commissions, locales et supérieure, dont les membres ne sont pas rémunérés, sont instituées. La commission supérieure est surtout un lieu de réflexion. Elle a aussi pour fonction de veiller à l'application de loi, de contrôler les inspecteurs et d'effectuer un premier tri parmi les candidats. Les commissions locales, dont le pouvoir de contrôle n'est pas négligeable, sont largement dépendantes des conseils généraux. Un des éléments fondamentaux de cette loi est la création d'un corps relativement hétérogène d'inspecteurs rémunérés par le département ou l'État.

Une inspection salariée par l'État existait déjà en Angleterre et en Prusse, mais c'est en France une innovation pouvant laisser présager une certaine indépendance, donc une possible efficacité. Les inspecteurs divisionnaires sont nommés par le gouvernement sur proposition de la commission supérieure et sous condition de diplôme ou d'exercice professionnel dans l'encadrement du travail industriel. Sous leur direction peuvent exercer des inspecteurs départementaux nommés par le Conseil général. Ils peuvent (et doivent) visiter les établissements industriels. Leur autorité s'exerce sur une partie du territoire, une des quinze circonscriptions pour les inspecteurs divisionnaires ou un département pour leurs subordonnés. Certains prendront à cœur leur mission de contrôle et de prévention et tenteront d'outrepasser leurs faibles pouvoirs. L'institution d'un livret individuel pour ces enfants se situe dans la continuité du livret ouvrier, instauré au début du siècle et qui ne sera supprimé qu'en 1890. Des registres doivent préciser l'emploi de ces enfants, et les historiens qui aujourd'hui les utilisent les trouveraient encore plus précieux si leur tenue, en dissimulant les pratiques illégales, n'avait été avant tout formelle.

La loi multiplie les dérogations. Ainsi, en cas de "force majeure", non définie dans la loi, l'âge minimal pour le travail de nuit est ramené à douze ans, comme pour le travail du dimanche et des jours fériés dans les usines à feu continu. Des règlements ultérieurs devaient déterminer les conditions d'application de la loi, qui n'entre en vigueur qu'une année après sa promulgation. Elle prévoit des sanctions pécuniaires après condamnation par un tribunal correctionnel, mais le plafonnement des amendes, les conditions émises, les dérogations possibles et les réticences des magistrats en limiteront grandement la portée.

La deuxième parmi trois lois
Une première loi limitant le travail des enfants avait été votée en 1841. Il s'agissait de la première incursion sérieuse de l'État dans les relations professionnelles après une période de libéralisme intense. Son application peu satisfaisante, parce que l'inspection était assurée par des bénévoles peu motivés, avait rendu nécessaire celle du 19 mai 1874, complétée la même année par les lois du 7 octobre et du 7 -20 décembre. Mais celle-ci était encore trop imprécise pour être exécutée rigoureusement et les trop nombreuses exemptions et limitations comme le fait que les inspecteurs dépendaient en ce cas des notables des conseils généraux, au sein desquels les industriels exerçaient une indéniable influence, en avaient limité la portée. Ne satisfaisant personne, cette loi fut mise en cause cinq ans plus tard et les longs travaux pour sa révision aboutirent en 1892 à la loi "sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels". La loi votée en 1892, alors que le régime républicain était bien consolidé, interdisait le travail industriel avant l'âge de douze ans et apporta de nombreuses restrictions aux travail des mineurs de moins de dix-huit ans. Elle fut plus efficace car le contrôle de son exécution fut confié à un corps d'inspecteurs indépendants des autorités locales. Elle était complémentaire des lois votées au début de la décennie précédente sur l'obligation de scolarité. Au début du XXe siècle, le travail des enfants dans l'industrie était en très forte régression.

© Association des Amis du Maitron 2003




ouvrier_pr_sentant_son_livret

9) Le livret ouvrier

La Révolution française avait peu fait pour le travailleur. Il avait acquis le droit d'exercer le métier de son choix - les corporations étaient abolies - mais ce droit était assujetti à d'importantes et humiliantes restrictions. L'ouvrier devait posséder un livret - certificat comportant son nom, son signalement et son lieu de travail. Il n'avait pas le droit de changer d'emploi tant que son patron ne certifiait pas qu'il était libre de toute dette et obligation envers lui.
Comme il était très courant pour les travailleurs de recevoir de leurs employeurs des avances dans les temps difficiles, des maîtres sans scrupules pouvaient effectivement les empêcher de changer d'emploi. Si l'employeur était d'accord pour le laisser partir, il pouvait porter le montant de la dette sur le livret et l'employeur suivant était tenu de lui rembourser cette somme en plusieurs versements, en retenant une partie du salaire de l'employé.
La possession de ce livret était imposée aux ouvriers d'industrie seulement, non aux artisans indépendants ou aux paysans ; elle était donc doublement discriminatoire. Ses origines remontaient à l'Ancien régime qui avait eu recours à quelque chose d'analogue, comme l'énonçait le décret de 1781 "pour garantir la docilité des ouvriers dans les régions industrielles".
Napoléon avait exigé que tout ouvrier sur le point de quitter son emploi fasse signer son livret par l'employeur et aussi par le maire qui y porterait le nom de la ville où le travailleurs déclarait se rendre. Il faisait donc office d'une sorte de passeport ; un ouvrier s'apercevait que, faute de ce document, il était passible d'emprisonnement pour vagabondage. Mais Napoléon négligea d'assortir ces sanctions prévues pour les travailleurs récalcitrants de pénalités pour les employeurs qui ignoraient la loi et en pratique, beaucoup d'employeurs ne s'en souciaient pas.
Certains d'entre eux par contre prenaient sur eux d'inscrire dans le livret des observations sur le travailleur qui pouvait l'handicaper dans sa recherche d'un nouvel emploi.

En 1845, un projet de loi fut proposé pour imposer des sanctions et les rendre effectives, et en 1854 une loi fut finalement votée pour revigorer l'institution. Les employeurs reçurent l'ordre d'exiger les livrets ; tous les ouvriers de l'industrie, travaillant en usine ou à domicile pour un patron, et pour la première fois les femmes aussi, furent tenus de l'avoir. À Paris, une ordonnance de police exigeait en outre des employeurs de faire apposer dans un délai de vingt-quatre heures un visa de la police sur le livret de tout ouvrier embauché? Néanmoins, une fois de plus la loi ne fut qu'en partie respectée - principalement dans les grandes usines employant une main d'oeuvre itinérante - mais les travailleurs politiquement conscients protestèrent contre cette loi d'exception.

Le député franc-maçon Nadaud disait qu'ils étaient enchaînés par un pied à la police et par l'autre au capitaliste. L'empire libéral proposa en 1870 l'abolition de tout le système mais il tomba avant de pouvoir mettre ce projet à exécution. Ce n'est qu'en 1890 que la loi cessa enfin de considérer l'ouvrier d'industrie comme une personne dangereuse, devant faire l'objet d'une étroite surveillance.

Theodore Zeldin, Histoire des passions françaises, 1848-1945,
I. Ambition et amour, éd. Points/Seuil, 1980, p. 235-237

livret_d_ouvrier_loi_du_22_juin_1854
livret ouvrier, loi du 22 juin 1854

livret_d_ouvrier_1853
livret ouvrier du Second Empire, 1855




10) Le prolétariat n'est pas une classe homogène

Combien il y avait de prolétaires en France, on n'en savait trop rien avec certitude, et le doute demeure. Le secteur industriel employait entre un quart et un tiers de la population active. Si l'on exclut de ces totaux les employeurs, on arrive à ces chiffres : 2 700 000 ouvriers sous Napoléon III, 3 millions en 1876 et 1886, 3 300  000 en 1891, une pointe à 4 800 000 en 1931 mais seulement 3 700 000 en 1936. On pourrait peut-être ajouter à ces chiffres un quart de million d'employés dans l'industrie durant le dix-neuvième siècle et un demi-million après la guerre.

Bien entendu tous les ouvriers n'étaient de sexe masculin, et tous les salariés ne travaillaient pas dans l'industrie. En 1906, lorsque la population active globale était de 20 millions, 11 700 000 étaient classés comme salariés, dont 4 100 000 femmes. Mais 2 090 000 travailleurs de ce soi-disant prolétariat étaient en réalité des artisans travaillant à leur compte – et non des salariés à proprement parler – que l'on pouvait difficilement distinguer des 2 080 000 autres artisans classés comme petits patrons, sans avoir pour autant aucun employé.

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dans l'atelier de voilerie, 1890, Peter Henry Emerson (1856-1936), Musée d'Orsay

En 1906, 742 000 personnes seulement travaillaient dans des firmes industrielles de plus de 500 salariés. Les statistiques doivent être considérées comme approximatives : une étude plus poussée les contredit fréquemment. Ainsi, sous le Second Empire, en dépit de tout ce qu'on peut lire sur la rapidité de l'industrialisation, il n'est nullement certain que le nombre des ouvriers se soit accru : ce qui a pu se produire, c'est un accroissement du nombre des ouvriers d'usine aux dépens des artisans, mais l'accroissement peut s'illustrer par ces chiffres de 1872 :

          mines : 14 000 employeurs et 164 000 ouvriers ;
          usines : 183 000 employeurs et 1 112 000 ouvriers ;
          petite industrie : 596 000 employeurs et 1 060 000 ouvriers.

À cette époque, la population industrielle était encore presque également répartie entre les petits ateliers et les usines, et ce n'est que dans les années 1890 que la prédominance des secondes devint marquée. La transformation s'opéra à des rythmes très différents. La concentration dans le textile et la métallurgie fut rapide sous le Second Empire, mais en 1914, l'industrie du bâtiment (qui venait au troisième rang pour l'importance de la main d'œuvre) était encore presque entièrement artisanale.

La concentration ne se produisit que dans quelques régions. Une grande partie du pays n'en ressentait les effets qu'indirectement. Dans les années 1920, une nouvelle complication s'ajouta  du fait de l'existence des usines produisant en série, qui engendrèrent toute une classe d'ouvriers semi-qualifiés se distinguant nettement du personnel des entreprises plus traditionnelles.

Il est par conséquent impossible de parler du prolétariat comme d'une classe homogène, parce qu'elle était en perpétuel changement et parce que les variations en en sein étaient considérables.
Sous le Second Empire, certains ouvriers gagnaient de cinq à sept fois plus que d'autres. Les porcelainiers de Limoges par exemple, ou les souffleurs de verre de la Loire, avec un salaire quotidien d'environ 10 francs, étaient de véritables aristocrates par rapport aux manœuvres de leurs ateliers, et ils avaient encore moins en commun avec les tisserands de Mulhouse, par exemple, qui ne gagnaient qu'1 franc 65. Le métallurgiste moyen gagnait 3 francs 50 à 4 francs par jour, mais certains travailleurs en équipe du Creusot se faisaient de 10 à 11 francs alors que des employés subalternes dans le même corps de métier n'avaient que 1,50 ou 2 francs.

ouvriers_du_Creusot_1870
ouvriers du Creusot en 1870

De nombreux artisans n'étaient pas seulement des travailleurs manuels mais aussi des commerçants qui vendaient leurs propres produits et qui étaient propriétaires de leurs outils et de leurs boutiques. Il est impossible de les répertorier comme étant nécessairement des adversaires de l'ordre bourgeois. L'enquête de 1872 sur la condition ouvrière [cf. Georges Duveau, La vie ouvrière en France sous le Second Empire (1946)] révéla que 80% des employeurs étaient d'anciens ouvriers et que sur les 20% restants, 15% étaient fils d'ouvriers.

Les divisions internes étaient encore plus profondes parmi les ouvriers qu'au sein de la bourgeoisie. Les ouvriers n'avaient rien à envier aux classes dominantes pour la fragmentation en d'innombrables groupes atomisés par l'individualisme. Cette tradition est l'une des causes essentielles de la lenteur du développement du syndicalisme avant la Première Guerre mondiale.

Theodore Zeldin, Histoire des passions françaises, 1848-1945.
1 – Ambition et amour
, éd. Points-Seuil, 1980, p. 248-251




11) Le monde ouvrier est hétérogène

Le monde ouvrier frappe d'emblée par son hétérogénéité. Au début du XXe siècle, coexistent en effet toutes les formes historiques de production industrielle – travail à domicile, artisanat, fabrique. D'après les recensements, le nombre d'emplois dans l'industrie (ouvriers et employés) a évolué de la façon suivante :

                    1856 : 3 800 000
                    1891 : 4 500 000
                    1911 : 6 200 000

Pierre Sorlin, dans La société française (tome 1, 1840-1914), donne 3 millions d'ouvriers industriels en France en 1870 et 4,5 millions en 1914, soit un peu plus du tiers de la population active française.

Cette progression numérique s'accompagne d'une évolution dans la répartition entre les différents secteurs de l'industrie :
                                                                   1856                      1911
                    textile                     49,3%             41,7%
                    métallurgie               8,9%             15,2%
                    bâtiment                 13,3%             13,6%
                    mines                       5,1%               5,6%
                    autres                     23,4%             23,9%

Il s'agit d'une évolution lente. Les ouvriers qui travaillent dans la petite entreprise et l'artisanat restent majoritaires. La moitié des ouvriers sont employés, en 1906, dans des entreprises ne comptant que de 1 à 5 salariés, alors que ceux qui travaillent dans les usines de plus de 500 ouvriers ne représentent que 10% de la population ouvrière. Autre chiffre de la même année : 60% des salariés travaillent dans des établissements comptant moins de 100 personnes. En moyenne, on compte à peine 4,3 ouvriers par employeur.

Artisans en majorité, ces petits patrons qui sont au nombre de 800 000 ont un niveau de vie guère supérieur à celui de leurs employés. Le développement de la grande entreprise est en cours, mais il faudra attendre la guerre de 1914 et les années 1920 pour connaître une véritable accélération.

Cela n'empêche pas l'existence de fortes concentrations ouvrières dans la métallurgie notamment : à Joeuf, en Lorraine, les entreprises de Wendel comptent 4 000 ouvriers en 1906 ; à Longwy, les aciéries emploient quelque 6 500 personnes ; au Creusot, 20 000 ouvriers travaillent dans les usines Schneider, etc. L'industrie métallurgique est tirée par l'essor d'autres industries, notamment l'automobile. Rappelons que Renault, qui employait 110 personnes en 1900, compte 4 400 salariés en 1914. L'ère de la concentration industrielle commence ; c'est avec elle que se forme une classe ouvrière industrielle moderne.

Rolande Trempé a étudié cette évolution sur le cas particulier des mineurs de Carmaux. jusqu'à la grande dépression des années 1880, les mineurs restent en partie des paysans ancrés dans un univers rural. Par la suite, ils connaissent une "ouvriérisation", qui s'achève dans les années 1890. La société minière se stabilise et se structure. Mais cette stabilisation s'accompagne, sur l'ensemble du territoire, d'une grande mobilité. À Decazeville, on observe ainsi que 65% des ouvriers quittent l'usine l'année de leur embauche. La pénurie de main d'œuvre est à la fois la cause et la conséquence de cette noria.

À cette époque de grandes mutations structurelles, beaucoup d'ouvriers passent d'un établissement à l'autre dans l'espoir d'améliorer leur sort. Pour parer à cette pénurie, il est fréquent d'avoir recours à la main d'œuvre féminine, ou à la mécanisation ; ce sont les débuts de l'organisation scientifique du travail élaborée par Taylor dont l'ouvrage Shop Management connaît six éditions françaises entre 1903 et 1913.

Michel Winock, La Belle Époque, éd. Perrin, 2003, p. 136-138




12) Dossier iconographique

a) formes du travail ouvrier

 

ouvriers_armuriers_1855
ouvriers armuriers de Besançon, 1855


ouvriers_ganterie_1855
ouvriers gantiers, La France illustrée, 1855

ouvriers_tonneliers
ouvriers tonneliers de Mâcon (Saône-et-Loire), La France illustrée, 1881


ouvriers_en_soie
ouvriers en soie de la ville de Lyon, La France illustrée, 1881


ouvriers_sandaliers
ouvrières et ouvriers sandaliers, fin du XIXe-debut du XXe siècle

ateliers___Aubusson
ateliers des tapisseries d'Aubusson (Creuse)


ouvri_res_m_tier_haute_lisse
Aubusson, travail sur un métier de basse-lisse


manufacteure_nat_Beauvais
ouvriers de la manufacture nationale de Beauvais

ouvriers___Saint_Chamond
ouvriers à Saint-Chamond, début XXe siècle


ouvriers__gaz_
ouvriers de Nicolas Mohr, "gaz", boulevard Soult à Paris

ouvriers_tunnel_funiculaire_Morlaix
Morlaix, ouvriers à la construction du tunnel du funiculaire en 1905
(projet abandonné faute de moyens financiers)


ouvriers__1_
1898, hommes, femmes, enfants dans un atelier de travail du bois ; les enfants
sont  chaussés de sabots ; 
ouvrier avec scie circulaire, gabarit, enclume et marteau
de forgeron
(établissement Ch. Woerner à Sainte-Marie-aux-Mines dans le Haut-Rhin,
trentième anniversaire)



ouvriers__2_
ouvriers et ouvrière posant devant une boutique


ouvriers_granvant_sur_l_airain
ouvriers gravant sur l'airan, à Saint-Émilion près Libourne (Gironde)

ouvriers___Tr_laz_
ouvriers des carrières d'ardoises à Trélazé (Maine-et-Loire)

À Fumel, dans le Lot-et-Garonne, la machine soufflante dite "machine de Watt" est installée dans la fonderie en 1870. Elle est destinée à fournir l'air nécessaire à la combustion du minerai dans les hauts fourneaux de la Société Métallurgique du Périgord. Cette entreprise produit, à l'origine, du matériel ferroviaire puis des tuyaux d'adduction d'eau, des becs de gaz pour l'équipement des villes et des bâtis de machines-outils. Ci-dessous, quatre opérations en fonderie :

fonderie___Fumel__1_
1) les ouvriers
vont chercher la fonte à la grande fonderie

fonderie___Fumel__2_
2) les ouvriers attendent que la poche soit pleine pour la remplacer par une autre

fonderie___Fumel__3_
3) les ouvriers emportent la poche pleine pour couler leur moule

fonderie___Fumel__4_
4) les ouvriers coulent la fonte dans des moules

 

charbon_dans_le_bas_Meudon
ouvriers chargeant du charbon dans le bas-Meudon (ancien département de la Seine)

ouvriers___St_Nazaire
"activité des ouvriers prise sur le vif" à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique)

ouvriers__3_
terrassiers ?



b) usines et ouvriers

 

ouvriers_sortie_Aci_ries_Firminy
Firminy dans la Loire : sortie des ouvriers des Aciéries et Forges


filature_Pouru_Saint_R_my
entrée de la filature à Pouru-Saint-Rémy dans les Ardennes


Lens_descente_des_ouvriers
Lens, la descente des ouvriers dans le puits

remonte_des_ouvriers_Bruay
la "remonte" des ouvriers de la fosse n° 4 à la mine de Bruay (Pas-de-Calais)


sortie_usine___Bernay
sortie de l'usine Masselin Frères à Bernay (Eure)


sortie_usines_Montlu_on
sortie des usines Saint-Jacques à Montluçon (Allier)

sortie_d_usine___Troyes
sortie d'usine à Troyes (Aube)


Saint__tienne_sortie_Manufacture
ouvriers sortant de la Manufacture d'armes de Saint-Étienne

sortie_ouvriers_Bourges
sortie des ouvriers de la fonderie à Bourges (Indre), avant 1907



c) accidents du travail

 

catastrophe_Graissessac_1877
un coup de grisou au puits Sainte-Barbe à Graissessac
dans l'Hérault occasionne la mort de plusieurs mineurs

catastrophe_ferroviaire_1910
catastrophe ferroviaire, 1910

accident_dans_une_marni_re
à Berville-en-Caux (Seine-Maritime), en mars 1911, des ouvriers restent ensevelis
dans une marnière pendant 120 heures sans vivres ni vêtements chauds ;
une manière est une galerie creusée sous terre pour retirer une roche calcaire
(la marne) servant d'engrais  à cette époque

 

 

 

d) logement ouvrier

 

casernes_des_ouvriers_Haute_Loire
Arrest (Somme) : les "casernes" des ouvriers

image_expo_musee_orsay
une exception aux images précédentes, toutes françaises :
celle-ci, montrant un taudis à Glasgow (Écosse) entre 1868 et 1871
(photo de Thomas Annan)


int_rieur_ouvrier_Belgique
intérieur ouvrier en Belgique au début du XXe siècle




e) culture ouvrière

 

honneur_au_travail
à Gonneville-sur-Scie en Seine-Maritime

jardins_ouvriers_dans_l_Aube
les jardins ouvriers à proximité de la Verrerie de Bayel (Aube)

ouvriers_de_la_kermesse_1912
l'image des ouvriers, dans une kermesse en 1912 ; à noter, trois ecclésiastiques


boucherie_coop_rative
boucherie coopérative


 

f) vie quotidienne

trieuse_de_charbon_en_costume_de_travail
"trieuse de charbon en costume de travail"

 

vin_chaud_et_pain_grill_
vin chaud et pain grillé servis aux nouveaux époux à minuit

 

 

chorale_des_enfants_du_peuple
Dijon, chorale des enfants du peuple, début XXe siècle

 

luce_maximilien_05
Maximilien Luce (1858-1941), La toilette (1887),
Genève, musée du Petit Palais

_________________________________

 

Question!!

Commentaire :
Vos connaissances ont l'air vraiment très complètes sur les ouvriers et je recherche l'évolution du nombre d'ouvriers de 1800 à aujourd'hui. Je pense sincèrement que vous pourrez m'aider à ce sujet, alors merci pour ce que j'ai déjà appris mais aussi je pense, pour ce que je vais encore apprendre.

Auteur : Quentin

réponse

Il n'existe pas de statistiques très sûres relatives à la population ouvrière. D'abord parce qu'il faudrait s'entendre sur ce qu'on désigne : il y a les ouvriers salariés mais aussi des artisans n'ayant aucun employé et pouvant effectuer un travail "ouvrier"… Voir notamment le document 10 de ce dossier et aussi le document 11 qui fournit des chiffres différents…

1840 4 millions (?)

1856 : 3,8 millions (ouvriers et employés d'usine)

1876 et 1886 : 2,7 millions

1891 : 3,3 millions

1891 : 4,5 (ouvriers et employés d'usine)

1906 : 11 millions, mais y compris plus de 4 millions d'artisans divers

1911 : 6,2 millions (ouvriers et employés d'usine)

1931 : 4,8 millions

1936 : 3,7 millions

1960 : 7 millions

2009 : 6 millions

Les statitsiques sont, étrangements, difficiles à trouver...

Michel Renard
professeur d'histoire

 

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2 décembre 2008

vote au lycée

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Les opérations de vote pour désigner les représentants aux commissions paritaires (CAP) nationales et locales ont eu lieu ce mardi 2 décembre 2008. Ces élections déterminent la représentativité des organisations syndicales.

_lections_com_paritaires_2_d_c__2_
Les professions de foi, les enveloppes, l'isoloir, les urnes...


- retour à l'accueil

23 novembre 2008

Professeurs d'Histoire

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le cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois à Saint-Chamond



Professeurs d'Histoire

 

accès direct aux pages des professeurs

- Mme Goy

- Mme Thomas-Coutru

- Mme Reynaud

- Mme Bouligaud

- M. Bouderlique

- M. DegraixFran_oise_Bouligaud_prof

- M. Renard 
             

 

Val_rie_Goy



Mme BOULIGAUD Françoise - ses pages

Mme GOY Valérie - ses pages

 

 

Laurence_Reynaud

Mme REYNAUD Laurence - ses pages

 

 

Mme THOMAS-COUTRU Chantal - ses pagesPierre_Luc_2

 

 

 

M. BOUDERLIQUE Pierre-Luc
ses pages

M. DEGRAIX Jean-Luc - ses pages

Jean_Luc_Degraix_4_d_c

MR___Port_Cros___copie






M. RENARD Michel
1) ses pages pédagogiques

2) ses pages personnelles

 

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vendredi 21 novembre 2008 : Mme Goy et M. Degraix

 

___________________________________________________

 

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cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois, juin 2008

 

Cabinet_Histoire_2
cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois, juin 2008

 

Cabinet_Histoire_3
cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois, juin 2008

 

Cabinet_Histoire_5
cabinet d'Histoire du lycée Claude Lebois, juin 2008

 

 

___________________________________________________________________________

 

nos prédécesseurs dans la carrière...

 

 

couv4635g
un célèbre professeur d'Histoire...
Michelet (1798-1874)

 

biblio
bibliothèque des professeurs du lycée Louis Le Grand à Paris

 

che_20_clg_1936_professeurs
professeurs du lycée Geoffroy-Saint-Hilaire à Étampes en 1936

 

reunion
salle des professeurs du lycée Loritz à Nancy en 1911



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20 novembre 2008

Bel Ami, un roman et un film

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Bel Ami, un roman de Maupassant, un film


résumé : Un cabaret parisien à la fin du XIXe siècle. On chante, on danse, et Georges Durois se désespère. Ancien militaire fraîchement débarqué, il n'a plus un sou et ne connaît personne dans cette grande ville intimidante et mystérieuse. Une rencontre va bouleverser sa vie. Charles Forestier, ancien compagnon d'armes en Algérie, l'engage comme rédacteur à La Vie Française, un journal d'opinion.
En changeant de monde, Georges va changer d'horizon. Fasciné, il découvre la politique et les salons, les calculs et les sourires. Il apprend vite. Il plaît. Sa séduction lui ouvrira toutes les portes croit-il. C'est effectivement par le cœur, l'esprit et le talent des femmes qu'il va se faire une place dans ce monde et à mesure qu'il en comprendra les usages gravir les degrés qui mènent au pouvoir et à la désillusion...
Bel ami, d'après l'œuvre de Guy de Maupassant est l'histoire d'une ascension sociale dans le Paris des années 1880, celle de Georges Duroy interprété par Sagamore Stévenin (Michel Vaillant) opportuniste, ambitieux et séducteur vaniteux.

(dos de la jaquette du film en dvd)

Bel_amiTriboitscene
Rachel et Georges au début du récit


un film de Philippe Triboit (2005)

personages du roman et comédiens du film : Sagamore Stévenin (Georges Duroy), Claire Borotra (Clotilde de Marelle), Florence Pernel (Madeleine), Laurent Bateau (Charles Forestier), Milan Knazko (Walter), Caroline Sihol (Virgine Walter), Caroline Baehr (Rachel), Jean-Pierre Malo (Bardin), Audrey Lunati (Suzanne), Karel Hábl (Laroche Mathieu), Jan Vagner (Jacques Rival)


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Rachel


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"Je ne suis pas un minable", lance Georges à Rachel


146060_1
Charles Forestier, à gauche, l'ancien compagnon d'armes de Duroy, occupe
une place importante dans le journal La Vie française, dirigé par Walter, à droite ;
entre les deux, Virginie, l'épouse de Walter


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Madelaine, l'épouse de Charles Forestier


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Clotilde de Marelle, cousine de Madeleine Forestier

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la première rencontre de Georges et de Clotilde


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la Vie française, le journal


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l'assassin et maître-chanteur ; ce n'est pas un personnage du roman

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Georges Duroy à la merci de son créancier


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Georges et son ami Forestier (à droite)

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le journal


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Madeleine réécrivant le premier article de Georges Duroy


Bel_Ami__26_
"signez votre premier article, M. Duroy"


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le duel


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l'angoisse de Clotilde


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le duel


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les deux protagonistes s'effondrent


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Georges à Clotilde : "es-tu prête à divorcer pour m'épouser ?"


Bel_Ami_film__10_
"ma réponse est non"

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visite de Bel Ami à Virginie Walter, l'épouse du propriétaire de La Vie Française


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Bel Ami courtise Virginie Walter

Bel_Ami_film__13_
le constat d'adultère de Madeleine

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Walter, propriétaire de La Vie Française, dans son bureau

Bel_Ami_film__15_
Walter, imperturbable, s'adapte aux succès ou revers des uns et des autres

Bel_Ami_film__16_
j'irai loin, patron


Bel_Ami_film__17_
le désespoir de Virgine Waler quand elle apprend que Bel Ami veut épouser sa fille

__________________________________________________




documentation

extrait du dossier Bel Ami de Maupassant publié sur le site alalettre.com

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affiche du film de Philippe Triboit (2005)


Résumé de Bel-Ami

Première Partie

Juin 1880. Georges Duroy, sous-officier rendu à la vie civile, est un beau jeune homme peu scrupuleux. Nouvellement employé aux chemins de fer du nord, il déambule sur les boulevards parisiens, en quête de fortune et de réussite. Il rencontre un ancien camarade de régiment, Forestier, qui va le recommander au directeur de son journal, la Vie française. Grâce à l'appui de son ami, Georges est embauché comme reporter ce qui lui permet de doubler son salaire.

Le jeune homme découvre les salles de rédaction et les coulisses de a vie parisienne. Il plaît aux femmes et est bien décidé à en profiter pour "arriver" . Mme Forestier, la femme de son ami lui donne des conseils et l'aide à rédiger ses premiers articles. Puis Georges fait la connaissance de Clotilde de Marelle, une sympathique bourgeoise bohème, qui lui délivre une éducation sentimentale très libre. La très jeune fille de Mme de Marelle, Laurine, donne à notre héros le surnom de Bel-Ami.

Offensé par son ami Forestier, Georges décide de séduire sa femme. Dès le lendemain, il déclare son amour à Mme Forestier. Mais celle-ci le tient à distance et lui explique que si elle est disposée à être son amie, jamais elle ne sera sa maîtresse. Sensible pourtant à l'admiration que lui porte le jeune homme, elle lui conseille de rendre visite à la femme de son directeur, Mme Walter, qui "l'apprécie beaucoup". Duroy s'exécute. Il se rend chez elle et la séduit par son esprit. Elle le fait nommer chef des Echos. Cet avancement lui vaut une augmentation. En l'absence de son ami Forestier, malade, Georges Duroy signe plusieurs articles de fond.

Suite à l'un de ces articles il est diffamé par le rédacteur d'un petit journal en mal de publicité. L'honneur de son journal étant en jeu, Walter, son directeur, le pousse à provoquer l'offenseur en duel. Angoissé à l'idée de mourir, Duroy ne ferme pas l'œil de la nuit. Le lendemain, à l'aube, il se rend au bois du Vésinet pour le duel. Les deux adversaires font feu l'un sur l'autre, mais se manquent. Cet épisode, dont lis ressortent tous les deux indemnes, leur vaut une belle publicité. Cet acte de courage permet à Georges de gagner l'estime de son directeur qui lui offre une nouvelle promotion. En plus de son poste de chef des Echos, il devient chroniqueur. Duroy obtient aussi de sa maîtresse, Clotilde de Marelle, qu'elle le loge dans l'appartement de la rue de Constantinople. Elle l'invite également à dîner chez elle tous les jeudis, son mari, M. de Marelle l'appréciant beaucoup...

En février, Georges reçoit une lettre de Madeleine Forestier qui lui demande de venir la rejoindre à Cannes, Charles, son mari étant au plus mal. Il se rend au chevet de Forestier, agonisant. Charles meurt quelques jours après. Pendant la veillée funèbre, Georges Duroy propose à Madeleine de se remarier avec lui. Elle réserve sa réponse. Après l'enterrement de Charles, elle l'accompagne à la gare. De retour vers Paris, Duroy nourrit beaucoup d'espoir.

Bel_Ami__22_


Deuxième Partie

Madeleine accepte quelques mois après, d'épouser Bel-Ami. Rêvant de noblesse, elle convainc Georges de signer ses articles "du Roy" ou "Du Roy de Cantel". Georges est devenu rédacteur politique et ils écrivent ensemble ses articles. Ils se fixent comme objectif d'aider le député Laroche-Mathieu à accéder au pouvoir. Mais Georges a du mal à oublier son ami Forestier. Avoir pris sa place ne lui suffit pas , il éprouve vis à vis du défunt une jalousie obsessionnelle .

Georges découvre alors que le député Laroche-Mathieu mène un cour très assidue auprès de sa femme. Il en éprouve une vive jalousie et décide de se venger. Il entreprend de séduire Virginie Walter, l'épouse de son directeur, et parvient à en faire sa maîtresse.

Virginie lui apprend que Laroche-Mathieu, qui est devenu ministre des Affaires Etrangères, et son mari, M. Walter, ont organisé une spéculation très lucrative au Maroc. Georges éprouve une violente haine de ne pas avoir été mis plus tôt dans la confidence. Il décide dès lors de n'œuvrer qu'à sa seule réussite.

Il fait chanter sa femme et parvient à lui extorquer la moitié de l'héritage que vient de lui léguer un vieil amant millionnaire, le Comte de Vaudrec. Puis il réussit à la surprendre en flagrant délit d’adultère et obtient le divorce .

Durant une réception organisée chez les Walter, Il se met à rêver d’épouser Suzanne Walter, leur fille ; non par amour mais par ambition.

Il parvient à séduire Suzanne et lui annonce qu’il va l’enlever afin d'obtenir l'accord de son père pour leur mariage. Ils se marient à la Madeleine en octobre 1883. Le Baron Du Roy de Cantel sort de l'église au bras de sa nouvelle épouse. Il est riche et sera bientôt député puis ministre.

 

Les personnages de Bel-Ami

  • - Georges Duroy, le personnage central du roman. Celui que l'on surnomme Bel-Ami est un arriviste absolu. Ce petit employé de 25 ans, monté à Paris pour réussir, va, grâce aux femmes qu'il a su séduire, Clotilde de Marelle, Madeleine Forestier et Virginie Walter, gravir tous les échelons d'un grand journal parisien et épouser la fille de son directeur.
  • - Charles Forestier, celui qui permet à Georges Duroy de se faire embaucher comme reporter. Il meurt au milieu du roman, ce qui permet à Duroy d'épouser sa femme.
  • - Madeleine Forestier, la femme de Forestier. C'est une journaliste ambitieuse prête à tout pour satisfaire sa passion de la politique. Après la mort de son mari, elle épousera Duroy. Celui-ci finira par divorcer après lui avoir extorqué sa fortune.
  • - Clotilde de Marelle, une jolie bourgeoise bohème. Ce sera la première maîtresse de Duroy.
  • - Mme Walter, la femme et la fille d'un banquier, c'est la troisième conquête de Duroy, elle est maladroite mais sincère.

    - M. Walter, directeur de La Vie française, financier puissant.

  • - Laroche-Mathieu, député, puis ministre des Affaires Étrangères. Amant de Madeleine Forestier, sa carrière sera brisée par Bel-Ami.

  • - Suzanne Walter, la fille de M. et Mme Walter. Elle s'ennuie dans sa famille bourgeoise. Elle se laissera séduire par Duroy qui parviendra à l'épouser.
  •  

    Maupassant répond aux critiques qui lui ont été adressées

    Bel-Ami fut publié en feuilleton dans Gil Blas entre le 6 avril et le 30 mai 1885. Les réactions des critiques furent vives et partagées. Maupassant, qui était en voyage en Italie lors de cette publication, en eut connaissance. Il adressa une réponse au rédacteur en chef de Gil Blas qui fut publiée dans le journal le 7 juin 1885. En voici quelques extraits :

    Mon cher rédacteur en chef,

    Au retour d'une très longue excursion qui m'a mis fort en retard avec le Gil Blas, Je trouve à Rome une quantité de journaux dont les appréciations sur mon roman Bel-Ami me surprennent autant qu'elles m'affligent (...).

    Donc, les journalistes, dont on peut dire comme on disait jadis des poètes : Irritabile genus, supposent que j'ai voulu peindre la Presse contemporaine tout entière, et généraliser de telle sorte que tous les journaux fussent fondus dans La Vie Française, et tous leurs rédacteurs dans les trois ou quatre personnages que j'ai mis en mouvement. Il me semble pourtant qu'il n'y avait pas moyen de se méprendre, en réfléchissant un peu. J'ai voulu simplement raconter la vie d'un aventurier pareil à tous ceux que nous coudoyons chaque jour dans Paris, et qu'on rencontre dans toutes les professions existantes.

    Est-il, en réalité, journaliste ? Non. Je le prends au moment où il va se faire écuyer dans un manège. Ce n'est donc pas la vocation qui l'a poussé. J'ai soin de dire qu'il ne sait rien, qu'il est simplement affamé d'argent et privé de conscience. Je montre dès les premières lignes qu'on a devant soi une graine de gredin, qui va pousser dans le terrain où elle tombera. Ce terrain est un journal. Pourquoi ce choix, dira-t-on ?

    Pourquoi ? Parce que ce milieu m'était plus favorable que tout autre pour montrer nettement les étapes de mon personnage ; et aussi parce que le journal mène à tout comme on l'a souvent répété. Mais j'arrive à un autre reproche. On semble croire que j'ai voulu dans le journal que j'ai inventé, La Vie Française, faire la critique ou plutôt le procès de toute la presse parisienne.   

    Si j'avais choisi pour cadre un grand journal, un vrai journal, ceux qui se fâchent auraient absolument raison contre moi ; mais j'ai eu soin, au contraire, de prendre une de ces feuilles interlopes, sorte d'agence d'une bande de tripoteurs politiques et d'écumeurs de bourses, comme il en existe quelques-unes, malheureusement. J'ai eu soin de la qualifier à tout moment, de n'y placer en réalité que deux journalistes, Norbert de Varenne et Jacques Rival, qui apportent simplement leur copie, et demeurent en dehors de toutes les spéculations de la maison.   

    Voulant analyser une crapule, je l'ai développée dans un milieu digne d'elle, afin de donner plus de relief à ce personnage. J'avais ce droit absolu comme j'aurais eu celui de prendre le plus honorable des journaux pour y montrer la vie laborieuse et calme d'un brave homme (...).

    Guy de Maupassant

    Bel_Ami__21_

    Quelques jugements sur Bel-Ami

    - "Bel-Ami...est...ce que M. de Maupassant, pour parler le langage du jour, a écrit de plus fort et je ne craindrai pas d'ajouter : ce que le roman naturaliste, le roman strictement et vraiment naturaliste a produit de plus remarquable... J'entends par là que rarement on a de plus près imité le réel, et rarement la main d'un artiste a moins déformé ce que percevait son œil. Tout est ici, d'une fidélité, d'une clarté, d'une netteté d'exécution singulière." Ferdinand Brunetier, Revue des deux mondes, 1 juillet 1885

    - "Nous avons beaucoup à apprendre de Maupassant sous le rapport de la briéveté et aussi de la compassion humaine. Sa grivoiserie cache un grand écrivain et peut-être un homme d'une grande bonté". Julien Green , Journal, 1971

    - Bel-Ami est né au plus beau moment de la première grande période de spéculation qui ait marqué l'histoire de la troisième République et mérite d'êter considéré comme le chef d'oeuvre qu'ait inspiré les événements de cette période. André Vial, Guy de Maupassant et l'art du roman, 1954


    Source bibliographique

    Anne-Marie Cléret et Brigitte Réauté, Bel Ami de Maupassant (Hachette Education)
    Jacques Vassevière, Bel Ami de Maupassant (Nathan)
    Kléber Haedens  Une Histoire de la Littérature française, Grasset 1970
    Le Robert des Grands Ecrivains de langue française


    Bel_Ami__30_   

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