Abraham Drucker, médecin-chef au camp de Drancy
tableau de Francine Mayran : www.fmayran.com
Abraham Drucker
arrêté par la Gestapo le 28 avril 1942
Abraham Drucker n’a pas été un collaborateur nazi comme certains irresponsables le prétendent (site d'Alain Soral...). D’abord, ce n’est effectivement pas dans le livre de Maurice Rajsfus (que j’ai bien connu il y a plusieurs années), Des juifs dans la collaboration, l’U.G.I.F., 1941-1944 (éd. EDI, 1980) qu’il est question d’Abraham Drucker mais dans un autre ouvrage du même auteur, Drancy. Un camp de concentration très ordinaire (éd. Le Cherche Midi, 1991 puis 1996 ; rééd en poche «J’ai lu», 2004, que j’utilise ici).
Il faut d’abord savoir qu’Abraham Drucker, médecin, travaillait à Vire (Calvados) au sanatorium de Saint-Sever. Il a été arrêté le 28 avril 1942 et envoyé au camp de Compiègne.
Dans le livre de Rajsfus, Abraham Drucker est d’abord signalé comme arrivant à Drancy le 26 mai 1943, en provenance de Compiègne, avec une quinzaine de prisonniers : «on pouvait compter parmi ces hommes cinq futurs cadres juifs du camp de Drancy à l’époque de Brunner : Abraham Drucker (médecin chef du camp de Compiègne et qui occupera les mêmes fonctions à Drancy)…» (p. 202).
Le chef nazi Brunner quitta quelques mois Drancy, dont la «productivité» baissait, pour Nice : septembre-décembre 1943.
Rajsfus note : «Après le retour de Brunner et de son équipe, une base SS devait rester à l’Excelsior [à Nice] mais les rafles avaient déjà vidé Nice d’une grande partie des Juifs qui s’y étaient réfugiés. Les arrestations n’y seront plus que ponctuelles mais se poursuivront jusqu’à l’été 1944.
l'hôtel Excelsior à Nice avant-guerre
l'hôtel Excelsior à Nice, années 1960
Dans leurs fourgons, les SS avaient emmené une partie du personnel interné à Drancy, dont le docteur Abraham Drucker, médecin-chef du camp. Un "physionomiste" faisait également partie de l’équipe. Quant au délateur, il devait être recruté sur place. Après la Libération, le docteur Drucker témoigna :
"…Pendant les trois mois que j’ai été détenu à l’Excelsior, j’ai été témoin et victime d’une terreur et d’atrocités effroyables. Cette équipe comprenait douze à quatorze tortionnaires sous le commandement de Brunner, procédait à des arrestations d’hommes, de femmes et d’enfants juifs, pour la plupart du temps effectuées la nuit, subissant tous des interrogatoires interminables sous la menace du revolver et souvent brutalement frappés afin d’avouer la qualité des Juifs et d’indiquer l’adresse des parents, maris, enfants, frères, etc."
Témoin des séances de torture, Abraham Drucker fournissait les noms des SS tortionnaires qui s’étaient trouvés à l’Excelsior sous le commandement de Brunner : Vogel, Bruckler, Ullmann, Billartz, Zitter, Gorbing. Au cours des nombreuses chasses à l’homme conduites dans les rues de Nice, en septembre et octobre 1943, les nazis se faisaient accompagner par des "spécialistes" (juifs) chargés de vérifier, sous les porches des immeubles, si les hommes interpellés étaient circoncis ou non.» (p. 230-231)
plaque commémorative dressée devant l'hôtel Excelsior en 2009 (source)
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médécin-chef du camp de Drancy
Plus loin dans le livre, Rajsfus mentionne encore Abraham Drucker : «On mourrait beaucoup à Drancy mais les informations précises font défaut pour connaître le chiffre exact de ceux qui y sont morts de maladies diverses, de désespoir, quand ce n’est pas par suicide. Les quelques certificats de décès rédigés par le médecin-chef du camp, Abraham Drucker, que nous avons pu consulter portent tous la mention "mort due à des causes naturelles". Cette cause naturelle n’était autre que la condition concentrationnaire, mal supportée et néfaste aux plus faibles.
"Je soussigné A. Drucker, médecin-chef du camp de Drancy, certifie que Melle Schnir Madeleine née le 20 novembre 1913 à Dijon, de nationalité française et actuellement domiciliée au camp de Drancy, a mis au monde à date du 16 juillet 1943 un enfant mort-né de sexe féminin, à 19 h 30. Je déclare que la mort est due à des causes naturelles".
gendarme français en faction devant une entrée du camp de Drancy
Le 23 décembre 1943, le docteur Drucker s’adresse au commandant Schmidt pour s’étonner d’une situation dramatique qui n’est pas forcément de la responsabilité des SS :
"J’ai l’honneur de vous rendre compte de ce que malgré les réclamations répétées des Autorités allemandes au sujet de l’installation de la radio au dispensaire, les services auxquels je me suis adressé à de multiples reprises (architecture, menuiserie, électricité) n’ont pas encore donné suite à leurs promesses. Hier encore, les A.A. [Autorités Allemandes] ont fait une réclamation à ce sujet. Ils exigent la mise en place de l’appareil dans un délai de huit jours maximum. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir faire le maximum immédiatement".
Le 17 avril 1944, un convoi quitte le camp mais comme de nombreux juifs sont raflés dans les jours suivants et internés à Drancy, un autre convoi de déportation se prépare pour le 29 avril. Le médecin-chef s’adresse au commandant du camp :
"J’ai l’honneur de vous rendre compte de ce que les internés des escaliers 8 et 9 (1er étage) couchent par terre et que l’état sanitaire des chambres est très mauvais : chaque jour on y constate des angines graves et des grippes fébriles. Il est indispensable de remédier à cet état de choses, soit en donnant un lit à chaque habitant, soit en décongestionnant les chambres".
Le médecin-chef parlait d’or car il savait qu’au bloc III, les "cadres" du camp vivaient au large…» (p. 287-288).
Maurice Rajsfus n’a jamais écrit que le médecin Abraham Drucker avait été un «collaborateur nazi». Il a été libéré du camp le 18 août 1944.
Michel Renard
professeur d’histoire
- lire aussi "Abraham Drucker" sur le site Mémoire vir(e)tuelle
Maurice Rajsfus,
avec les élèves de 3e du collège Tristan-Derème à Oloron-Sainre-Marie
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tableau de Francine Mayran : www.fmayran.com