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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
12 novembre 2011

1 000 milliards de dollars d'aide à l’Afrique... Pour quel résultat ?

 Dambisa-Moyo

 

 

l'aide à l'Afrique est un échec

 Dambisa MOYO

 

Dans L’aide fatale, dont la traduction française est parue le 16 septembre 2009 aux éditions J.C. Lattès, un livre provocateur et implacablement documenté, Dambisa Moyo développe l’idée que l’aide à l’Afrique est en partie responsable des problèmes de développement du continent.

Elle affirme que l’assistance financière a été et continue d’être pour une grande partie du monde en développement un total désastre sur le plan économique, politique et humanitaire. Entre 1970 et 1988, quand le flux de l’aide à l’Afrique était à son maximum, le taux de pauvreté des populations s’est accru de façon stupéfiante : il est passé de 11% à 66%. Pourquoi ?

Adressée directement aux gouvernements, l’aide est facile à subtiliser, elle encourage la corruption à grande échelle et fragilise le pouvoir, objet des plus vives convoitises. Plus grave encore, l’aide sape l’épargne, les investissements locaux, la mise en place d’un vrai système bancaire et l’esprit d’entreprise. Dambisa Moyo propose une série de mesures souvent assez radicales pour sortir de cette spirale. On comprend pourquoi son livre a suscité de si vives réactions et débats au Nord comme au Sud et au cœur des institutions financières nationales et internationales.

Dambisa Moyo, diplômée en économie de Harvard et d’Oxford, a travaillé à la Banque mondiale et chez Goldman Sachs. Le site "la tribune.fr" a interviewé cette scientifique d’origine zambienne classée par le magazine Time parmi les cent personnalités les plus influentes du monde en 2008. Nous reproduisons ici cet interview. [l'Observatoire du Sahara et du Sahel]

 

Dans votre livre, vous défendez l’idée que l'aide à l'Afrique est en partie responsable des problèmes de développement. Pourtant, le plan Marshall a été très efficace pour relever l’Europe de la Seconde guerre mondiale...

Le plan Marshall était différent de l’aide accordée depuis près de cinq décennies à l’Afrique. Ce plan de 100 milliards de dollars était très ciblé et portait sur une période de cinq ans. En Afrique, il n’est pas question de sortir de l’aide qui est perçue comme une ressource permanente par les Etats récipiendaires. Cela permet à de nombreux gouvernements africains d’abdiquer leurs responsabilités puisqu’ils savent que d’autres financeront l’éducation, la santé ou les infrastructures nécessaires au décollage économique de leur pays.

 

Pourquoi l’aide ne marche pas ?

Au cours des cinquante dernières années, les pays riches ont déversé 1 000 milliards de dollars d'aide à l’Afrique. Pour quel résultat ? La croissance est moins forte et la pauvreté n’a cessé de grimper. Aujourd’hui, plus des deux tiers des Africains vivent avec moins d’un dollar par jour. L’aide des grands bailleurs de fonds, qu’il s’agisse de la Banque mondiale, des agences de développement ou encore de l’aide bilatérale, nourrit la corruption, alimente l’inflation, mine les services publics.

Aux États-Unis, un slogan affirme qu’il ne peut pas y avoir d’impôts sans représentation. En Afrique, c’est l'inverse. Les populations ne sont pas représentées car elles ne payent pas d’impôt. Nicolas Sarkozy se soucie de savoir ce que les Français veulent car il sait que l’action de gouvernement dépend de sa capacité à lever l’impôt. Les pays africains dépendant de l’aide n’ont pas à s’inquiéter de ce que souhaite véritablement la population puisque leurs ressources dépendent d’impôts levés à l’étranger.

 

Selon vous, la démocratie n’est pas indispensable au décollage économique, un dictateur éclairé serait parfois préférable...

Les parcours de la Chine, de Singapour ou encore du Chili illustrent le fait que la démocratie n’est pas un préalable au développement économique. Pas question pour moi de faire l’apologie de la dictature ou des régimes autoritaires. Mais la démocratie est un régime politique qui ne peut que se développer qu’avec l'émergence d’une classe moyenne en position de demander des comptes au pouvoir. Les pays occidentaux ont d’ailleurs pris acte de l’échec de la démocratie dans de nombreux pays africains. Au Kenya ou au Zimbabwe, la communauté internationale s’est efforcée de rapprocher la majorité et l’opposition pour qu’ils exercent le pouvoir ensemble. Il n’y a plus aujourd'hui d’opposition au Zimbabwe.

 

Que faire ?

L’aide des pays riches n’a jamais permis de sortir un pays de la pauvreté. Elle est un obstacle au développement car elle constitue une rente au même titre que le pétrole ou d’autres matières premières. C’est une incitation à ne rien faire pour améliorer l’environnement économique. Regardez le rapport annuel de la Banque Mondiale, ‘‘Doing Busines’’. Année après année, il montre que c’est en Afrique que l’environnement des affaires est le plus compliqué. Aussi longtemps que ces pays recevront de l’aide, ils n’ont aucune incitation à mettre en œuvre les réformes nécessaires.

 

Ne peut-on pas expliquer les difficultés du continent par la période coloniale ?

Combien de temps faudra-t-il attendre pour ne plus recourir à cette explication ? Cent ans ? Cela n’a rien à voir. La Chine, l’Inde, l’Indonésie ont été colonisés. Cela ne les empêche pas de se développer rapidement aujourd’hui.

 

Si l’aide est un échec, pourquoi les pays riches continuent de déverser autant d’argent en Afrique ?

Il faut souligner le poids des valeurs religieuses imprégnant le champ politique. Il y a comme un impératif moral pour les pays riches à aider les pays pauvres. Or, c’est une erreur de penser que le seul moyen d’aider l’Afrique est de l’assister financièrement. Les économies africaines tireraient un bien meilleur avantage d’une ouverture du marché européen à ses produits, notamment agricoles. Mais pour cela, il faudrait revoir la politique agricole commune (Pac) ; ce qui aurait pour conséquence de mettre les agriculteurs dans la rue et un grand nombre d’entre eux au chômage.

 

Que proposez-vous ?

Nous disposons de trois siècles d’expérience en matière de développement économique. Nous savons désormais ce qui marche et ce qui ne marche pas. La question qui se pose aujourd’hui est comment pousser les gouvernements africains à mettre en place les bonnes politiques. Il faut donc les préparer à la fin de l’aide. Les pays riches pourraient leur proposer un doublement de l’aide pendant dix ans avant d’y mettre un terme. Cela serait plus efficace que la perspective d’une aide permanente.

 

La Chine est de plus en plus présente en Afrique. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

Elle n’est pas en Afrique par charité mais pour y faire des affaires. Les Chinois ne donnent pas leur argent sans retour. Ils y sont pour les ressources naturelles qu’il s'agisse du pétrole, du cuivre ou des terres arables. Mais les investissements chinois se diversifient très rapidement vers d’autres secteurs comme la banque. Les Africains ont besoin de travail. Est-ce que l’aide des pays riches a permis de créer les emplois dont les jeunes en particulier ont besoin ? La réponse est clairement non ! Les entreprises chinoises viennent parfois avec leurs propres salariés, mais elles ont contribué à créer de nombreux emplois. Une enquête réalisée par l’Institut Pew dans dix pays africains révèle que la Chine dispose d’une très bonne image en Afrique. Au Sénégal et au Kenya, par exemple, neuf personnes sur dix estiment qu’elle a une influence positive sur leur économie.

 

L’aide fatale, de Dambisa Moyo, éditions JC Lattès, Paris, septembre 2009, 280 pages.

Source : latribune.fr

http://www.oss-online.org/index.php?option=com_content&task=view&id=947&Itemid=664

 

9782709633604FS

 

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commentaires sur le livre

 

- http://www.unmondelibre.org/Vuillemey_Moyo_aide_FR_240909

- une critique politique de Dambisa Moyo : http://enjodi.blog.lemonde.fr/2009/08/24/aide-a-lafrique-moins-de-dambisa-plus-daminata/

 

 

 

- retour à l'accueil

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21 juillet 2011

La Reine Margot

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La Reine Margot

histoire, roman, film

 

La Reine Margot est un personnage historique, Marguerite de Valois (1553-1615), soeur de trois rois de France, première épouse de Henri de Navarre en 1572 (devenu Henri IV), objet du roman historique d'Alexandre Dumas (1845) et de plusieurs films dont celui de Patrice Chéreau (1994).

Ouvrage donné à lire aux anciens élèves de Seconde qui passent en Premère Littéraire, par leur professeur de Lettres pendant l'été 2011.

Je l'ai moi-même lu fin juillet 2011. Les distorsions avec la réalité historique sont évidemment gênantes pour un historien. Mais le souffle du roman l'emporte tout de même. Dumas a restitué une atmosphère assez proche de la réalité même s'il a mélangé les circonstances. Et chargé outre-mesure les Valois et notamment Catherine de Médicis.

 

histoire dynastique

Diapositive1
la dynastie des Valois à partir de François 1er. À partir de 1559, Catherine exerce
la réalité du pouvoir... (
©Michel Renard)

 

le roman d'Alexandre Dumas

Époque du récit 1572 à 1574

Résumé Catherine de Médicis règne, toute puissante, sur la France que gouverne tant bien que mal Charles IX, et sur ses enfants : ses fils, Charles évidemment, Henri duc d'Anjou, François duc d'Alençon, et sa fille Marguerite. Le roman s'ouvre sur le mariage de Marguerite de Valois, surnommée Margot, et Henri de Bourbon, roi de Navarre. Ce mariage entre une catholique et un protestant est destiné à ramener la paix dans le royaume. Mais Catherine et le roi Charles IX se préparent dans l'ombre à mater le parti protestant. Les frères de Charles complotent également pour prendre sa place et Henri de Navarre ne songe qu'à défendre sa vie.

Intrigues, alliances, complots, trahisons vont se succéder tandis que Margot entretient une tendre liaison avec un gentilhomme protestant, La Mole. Commence alors une lutte âpre et sans merci entre les deux camps, dont le point d'orgue sera le massacre de la Saint-Barthélémy. Charles IX, roi fantasque, d'une méfiance maladive, et perpétuellement sous l'influence de sa mère, finit par se prendre réellement d'amitié pour son beau-frère Henri (le futur Henri IV), au grand dam de Catherine de Médicis.

Après bien des évènements tragiques, Charles IX succombe à un mystérieux empoisonnement et meurt sans pouvoir assurer le trône à Henri de Navarre. C'est donc le duc d'Anjou, qui entre temps a été sacré roi de Pologne, qui revient en France pour prendre la succession de son frère, sous le nom d'Henri III. Quant à Margot, elle ne peut sauver son amant, que l'on accuse de la mort du roi, et doit fuir sur les terres de son époux, qu'elle n'a jamais cessé de soutenir.

Analyse Dumas s'est plongé avec bonheur dans cette période trouble, restituant avec talent le vieux Louvre et ses fêtes incroyables, où les protagonistes se perdent, se croisent et s'épient dans le labyrinthe des passages secrets. Tout le monde intrigue, complote, mais sans jamais oublier son propre plaisir, ce qui nous vaut un roman à la fois sanglant, où dominent les massacres, les poignards et les empoisonnements, et voluptueux, notamment grâce à Margot dont la beauté était sans pareille et les amants innombrables. Roman un rien pervers aussi : Margot entretient des rapports troubles avec ses frères, tandis que Charles IX, contradictoire et ambigu, aime à se repaître du spectacle de la violence...

Les personnages principaux, La Mole, Coconnas, Henri de Navarre et quelques autres, ont d'ailleurs cette faculté de courir au massacre avec rage et haine (les hommes s'étripent, s'égorgent sans hésitations ni regrets) puis de regagner avec autant de plaisir la couche de leurs belles maîtresses. Comme toujours chez Dumas, le cadre historique fournit autant de prétextes à mêler intrigues amoureuses et faits d'armes comme il les affectionnait. Si l'on ne retrouve point ici de héros à la mesure des Mousquetaires, ou de figure solitaire à la Bussy d'Amboise (dans La dame de Monsoreau), Dumas introduit tout de même une attachante histoire d'amitié entre un catholique et un protestant, Coconnas et La Mole, seul sentiment désintéressé de toute cette épopée, où plane l'ombre inquiétante de la redoutable Catherine de Médicis.

Signalons enfin que ce roman a donné lieu à une adaptation cinématographique remarquée, celle réalisée par Patrice Chéreau en 1994, avec Isabelle Adjani dans le rôle titre.

Sylvie Cardona
source

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Personnages du film

 

film Reine Margot famille royale
personnages du film La reine Margot : la famille royale (© Michel Renard)

 

personnages 2
personnages du film La reine Margot : protestants et autres personnages (© Michel Renard)

 

 

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Résumé

 

1572. La France des guerres de religion est devenue le champ clos des grands seigneurs et des prétendants au trône. À Paris, le jeune roi protestant de Navarre, le futur Henri IV, vient d'épouser Marguerite de Valois, dite Margot ; mariage politique qui n'empêche pas les Guise et le roi Charles IX de fomenter les horreurs de la Saint-Barthélemy.

Sur les pas du jeune comte de La Mole, dont s'éprend éperdument la belle Margot, et de son compagnon, le tonitruant Annibal de Coconnas, nous entrons dans ce labyrinthe d'intrigues, d'alliances, de trahisons. Les poignards luisent sous les pourpoints. René le Florentin fournit les poisons à l'implacable Catherine de Médicis. Le vieux Louvre avec ses fêtes brillantes, ses passages secrets, son peuple de soldats et de jolies femmes, est le théâtre où se déploient en mille péripéties les jeux de l'amour, de la politique, de la haine.

Mon commentaire

Lire La reine Margot en format poche, c'est assurément se casser les yeux sur une édition en très petits caractères, d'autant plus que la mienne était très mal imprimée. C'est aussi se buter contre un style d'écriture et de longues phrases alambiquées, auxquelles on doit s'habituer. Ça augure bien mal. Et pourtant... La reine Margot est un roman que j'ai apprécié pour deux raisons : le roman est particulièrement bien écrit et l'histoire est passionnante. L'humour côtoie les scènes sanglantes, il y a plusieurs revirements de situations surprenantes et on plonge dans ce roman comme dans un feuilleton. La reine Margot est d'ailleurs paru en feuilleton à l'époque. Le style s'y prête bien.
Dumas écrit très bien. Certaines phrases ou expressions sont savoureuses. On peut d'ailleurs lire en page 210 :

"...la fameuse balafre qui lui avait jadis donné tant de tracas par ses rapports prismatiques avec l'arc-en-ciel, avait disparu..."

ou alors

"...par une belle journée d'automne comme Paris en offre parfois à ses habitants étonnés, qui ont déjà fait provision de résignation pour l'hiver..."

C'est plutôt une belle façon de dire les choses !
Dumas excelle dans l'art d'accrocher le lecteur et de lui raconter une histoire. Il s'inspire d'anecdotes qui ont réellement eu lieues et revisite certains événements historiques en combinant réel et imaginaire. Des notes en fin de volume (pour mon édition) nous font état de très nombreux anachronismes. La postface d'Eliane Viennot est d'ailleurs très éclairante à ce sujet et à l'imagination de l'auteur versus les faits réels.
Toutefois, le roman est difficile d'approche au départ, du moins il l'a été pour moi. Ayant une connaissance approximative des rois et reines de France et étant tout à fait étrangère à toute cette période de l'histoire française, j'ai eu du mal à m'y retrouver. Je trouve également que près de 700 pages, c'est beaucoup. Le roman souffre de certaines lourdeurs, surtout vers la fin. J'ai cru lire quelque part que les écrivains étaient payés à la page à l'époque ? Est-ce le cas de Dumas ? Ceci expliquant peut-être cela.
Néanmoins, je crois qu'il faut lire La reine Margot. Pour l'écriture très maîtrisée. Pour les histoires dans l'histoire. Pour la présence des rois, des reines, des bourreaux, des conspirateurs, des empoisonneurs, des cachots, des complots.
On oublie (presque) les longueurs qui parsèment le récit...


source

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images du film de Patrice Chéreau (1994)

 

 

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l'amiral de Coligny

 

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le mariage présidé par le cardinal de Bourbon

 

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la scène du mariage, avec le long silence de Margot

 

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le soir du mariage, Henri et Margot se promettent
une fidélité politique ; mais Margot est gênée parce que
son amant, le duc de Guise, est caché derrière une cloison
et entend la conversation

 

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Margot à la recherche d'une aventure, le soir de sa nuit de noces
(ce n'est pas dans le roman de Dumas) ; c'est là qu'elle rencontre La Molle

 

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Margot s'adressant à La Molle qui ignore encore qui elle est
(le costume est totalement anachronique)

 

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les fêtes au lendemain du mariage : Margot et Henriette, la duchesse de Nevers

 

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Margot et Henriette identifiant les chefs protestants

 

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après le mariage, Henri de Navarre entouré
de ses fidèles, dont Coligny

 

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fêtes après le mariage : la foule assiste à un corps-à-corps entre Anjou et Guise

 

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après l'attentat contre Coligny, Margot vient prévénir les protestants qu'ils
sont menacés et devraient quitter Paris tout de suite ; mais il ne l'écoutent pas

 

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Charles IX vient d'apprendre que c'est sa mère qui a organisé l'attentat
contre Coligny ; les catholiques décident d'éliminer les chefs protestants ;
Henri (Anjou) soutient son frère ; dans le roman, c'est Charles qui décide l'attentat,
mais en vérité, ce ne sont ni Charles ni Catherine... peut-être les Guise, mais l'incertitude demeure

 

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le massacre de la Saint-Barthélémy dans le palais du Louvre

 

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Hannibal de Coconnas,
tueur impitoyable pendant la nuit
de la Saint-Barthélémy

 

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le duel acharné entre La Molle et Coconnas la nuit de la Saint-Barthélémy

 

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les protestants massacrés

 

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Margot convainc son frère, le roi,
d'assister au conseil qui doit décider du sort
d'Henri de Navarre le soir de la Saint-Barthélémy

 

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l'abjuration d'Henri de Navarre

 

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Henri, forcé pour survivre, renonce au protestantisme pour le catholicisme

 

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Margot, "prisonnière" au Louvre

 

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Henri de Navarre vient de terrasser le sanglier qui s'acharnait sur Charles IX
tombé de son cheval et coincé, alors que personne ne venait à son secours

 

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Charles IX, sauvé par Henri de Navarre au cours de la chasse,
s'adresse à son frère cadet, Anjou, et lui dit : "tu vois, tu n'es pas encore roi..."

 

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Charles IX entraîne Henri afin qu'il ne tombe pas dans le piège tendu par
Catherine de Médicis pour l'assassiner (puisqu'Henri vient de lui sauver la vie à la chasse)

 

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Charles, en compagnie d'Henri de Navarre, lui fait découvrir sa maîtresse,
Marie Touchet dont il a un fils

 

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la relation (brève) entre La Môle et Margot n'a eu lieu qu'en 1574

 

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Catherine de Médicis

 

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La Môle soigné par le bourreau qui l'a recueilli


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la reine Margot



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Cathérine de Médicis et Charlotte de Sauve (maîtresse d'Henri de Navarre)

 

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La Môle et Coconnas, venus chercher Margot, tombent dans un guet-apens,
sont blessés et faits prisonniers

 

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Margot demandant à son frère Charles,
qui est à l'agonie, la grâce de La Môle :
"Charles... il n'a fait que m'aimer"

 

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Margot et Henriette devant les cadavres décapités de leurs amants respectifs

 

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la reine Margot fuyant en Navarre

 

 

extraits du film La Reine Margot (1994)

- http://www.youtube.com/watch?v=yUN62okdADo

- http://www.youtube.com/watch?v=PtWw2Ha2naE

- http://www.youtube.com/watch?v=sKKvehvmZAU

- http://www.youtube.com/watch?v=rozaeQPJITQ

- la fabuleuse scène (un peu raccourcie) du mariage, avec la vraie musique :
http://www.youtube.com/watch?v=0MYnqDIzHGI

- le voilà René le Florentin... : http://www.youtube.com/watch?v=HGPjGt9OE9U

- et encore le mariage... et quelques scènes du film (avec une autre musique... débile...) :
http://www.youtube.com/watch?v=cVzLN9lGToE

- des extraits du film... mais avec une autre musique... (pas mal : un Kyrie eleison) :
http://www.youtube.com/watch?v=zQtrUHqkv1c

- la Saint-Barthélémy dans le film "La Reine Margot" (1994)... et on comprendra le prix que la France attache à l'éloignement du religieux et du politique, autrement dit à la laïcité...!
http://www.youtube.com/watch?v=-GwUKrBgRb0&feature=related

-

 

 

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différences entre le film, le roman et l'histoire réelle

Michel RENARD

 

Le réalisateur, homme de théâtre Patrice Chéreau, est l'auteur du film La Reine Margot (1994).

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Quelques différences entre le roman de Dumas et le scénario du film de Chéreau

- la première nuit de noces de Margot : dans le roman, elle ne sort pas, alors que dans le film elle cherche l'aventure et rencontre Le Môle.

- la première nuit passée à l'auberge où se rencontrent La Molle et Coconnas - l'annonce de l'attentat contre Coligny (l'aubergiste dans le roman ; René le Florentin qui achète le livre de La Molle).

- la décision d'assassiner Coligny est imputée à Charles IX dans le roman (p. 46-51) et à Catherine de Médicis dans le film. Les meurtres attribués à Maurevert ne sont pas les mêmes (le film parle de Leyrac de La Môle). Historiquement, l'incertitude demeure. On penche plutôt pour les Guise. Pour Crouzet, cela ne peut être ni le roi ni Catherine. Rôle d'Anjou. Affaires des deux déclarations contradictoires.

- dans le roman, La Môle va prévenir Coligny, alors que dans le film il apprend l'attentat par René le Florentin.

- dans le roman, la scène entre Margot et La Môle poursuivi et sauvé par elle est moins glorieuse que dans le film : dans le roman, Margot crie et est soutenu par Alençon, son frère ; alors que dans le film, elle affronte Coconnas par la menace du Jugement Dernier.

- la scène de rue où Coconnas rencontre la duchesse de Nevers est un raccourci du roman qui décrit l'affrontement avec de Mouy le chef protestant et Mercanton, le créancier de Coconnas.

- dans le roman, la tentative d'arrestation/assassinat de Navarre après la chasse se retourne contre de Mouy qui parvient à s'échapper, alors que dans le film, c'est Armagnac qui meurt.

- dans le film, aucune allusion n'est faite aux intrigues entre Navarre et d'Alençon (qui sont d'ailleurs anachroniques).

- dans le film, fusion des deux scènes de chasse avec tentative de fuite.

- Charlotte de Sauve ne meurt pas empoisonnée mais de la main de son mari dans le roman (en réalité, elle a vécu longtemps après…).

- disparition de l'arrestation et de l'emprisonnement de La Môle et de Coconnas dans le film, ils sont arrêtés et presque immédiatement exécutés…

- alors que le roman se déroule tout à Paris, le film imagine un voyage de La Môle aux Pays-Bas protestants, un retour d'Henri en Navarre…

Michel Renard
professeur d'Histoire (Loire)

 

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La Saint Barthélemy

Nos disciplines sont souvent vécues comme trop abstraites et trop encyclopédiques. L’observation de nombreuses leçons (fiches ; accumulation de notions, de dates, de lieux…) conduit à infléchir notre façon d’enseigner l’histoire et la géographie. La réflexion porte aujourd’hui essentiellement sur trois axes, même si il y en a bien d’autres notamment sur la question des gestes professionnels, des langages, du lien entre l’oral et l’écrit etc.

La question du sens :

Il y a le sens didactique attribué à un objet d’étude par le professeur en tenant compte à la fois de la recherche scientifique et des IO des programmes. Le sens n’est pas la problématique mais l’orientation d’un sujet. Il est l’expression d’un choix qui va ensuite déterminer des problématiques didactiques. Un exemple : la Révolution française. Si j’envisage d’aborder la Révolution française sous l’angle non pas d’une histoire politique traditionnelle, donc chronologique, mais par la revisitation de celle-ci par l’histoire culturelle, je vais insister sur la rupture dans les imaginaires, de l’identité royale : le mythe du droit divin s’effondre. Il y a le sens pédagogique, car c’est le sujet, ici l’élève qui construit le sens [charabia pédagogiste, M.R.].

C’est au professeur à anticiper le gouffre éventuel entre le premier et le second pour élaborer un projet qui puisse motiver l’élève et le conduire à la découverte du sens didactique. Il n’y a donc pas de leçon, en histoire ou géographie, sans réflexion sur le sens, ce qui conduit à renverser l’élaboration d’une séance. Je ne vais pas empiler des savoirs sur telle ou telle question, mais me poser la question simple : qu’est-ce qui me parait pertinent pour des élèves de cet âge, en fonction de l’élaboration du programme, de la classe, de l’école… qu’ils retiennent.

Cette réflexion, qui nécessite souvent du recul sur la période ou l’espace étudié, conduit à rejeter l’encyclopédisme. Pour qu’il y ait sens, il faut qu’il y ait un enjeu, une intrigue, une argumentation. La question de l’étude de cas : Pour éviter d’empiler des connaissances et d’être dans une trop grande conceptualisation on peut utiliser ce que l’on appelle l’étude de cas. Entrer dans le singulier pour comprendre un phénomène plus global est bien connu des historiens. Duby en son temps l’a démontré avec le Dimanche de Bouvines, ou Guillaume le Maréchal.

Il s’agit de centrer son attention sur une famille, un événement, un homme, un espace particulier etc…pour faire comprendre des phénomènes plus larges donc plus complexes. La place de la Comédie à Montpellier peut nous permettre de mieux saisir l’influence de l’haussmanisation sur la restructuration des villes. Pourquoi ne pas partir de la création de la gare à Montpellier pour étudier la RI ? Pourquoi ne pas étudier la place du Peyrou pour évoquer l’absolutisme ? Pourquoi ne pas partir de la Pompadour et de son fameux portrait pour parler des Lumières ? La question du récit : Il est désormais essentiel de retrouver le bonheur de raconter des histoires (en géographie aussi) aux élèves et de faire raconter. L’histoire dit Paul Veyne est un roman, mais un roman vrai.

Sans se lancer, nous enseignants, sur une réflexion épistémologique (confère H White, P. Ricœur) sur l’écriture de l’histoire, le récit permet de faire vivre les objets étudiés. Il n’est pas difficile à mettre en œuvre et peut être objet de formation pour faire comprendre aux collègues quelle est la rhétorique du récit. Les enfants aiment les histoires. Racontant aux enfants des histoires pour qu’il puisse aimer l’Histoire.

L’étude de la Saint Barthélemy s’inscrit dans le cadre de cette réflexion : il ne s’agit pas de revenir à une histoire politique événementielle qui perdrait très vite les élèves. Mais bien de faire comprendre par l’étude d’un événement précis, ici violent, la Saint Barthélemy, l’univers mental des hommes du XVIe siècle. Nous sommes bien dans le cadre du sujet : l’autre un ennemi. Mais la revisisation de cet événement par la recherche historique, notamment par Joël Cornette et Denis Crouzet, en introduisant d’autres axes de recherches comme l’histoire des imaginaires, l’histoire de la paix et l’histoire de la violence.

Ces historiens aujourd’hui regardent la renaissance aussi comme un temps de peur et de violence. On se place dans le cadre de la fin du programme de 5e .

Renaissance, Humanisme, Réformes et la France au XVIe siècle. La problématique de «l’autre, un ennemi» convient tout à fait à cet événement. Et elle est bien liée à des imaginaires notamment dans la façon de tuer l’autre ici les protestants. On pourrait élargir la problématique ou le propos à d’autres thèmes d’étude comme l’émergence du sentiment national avec la Guerre de Cent ans… Prendre l’exemple aussi de la captivité de Roi François 1er /Charles Quint après la défaite de Pavie. L’idée d’honneur. J’ai le souvenir de deux chevaliers de France venant trouver le Roi Charles Quint pour se plaindre qu’il ne venait plus leur faire la guerre. Il les reçoit, les comble de présents et leur promet de revenir faire la guerre… On peut aussi se limiter à l’étude des michelades à Nîmes en 1567.

Depuis 1562 trois guerres de religion ont déjà eu lieu (printemps à printemps 1562-1563 ; sept 1567-mars 1568 ; été 1568-été 1570). Chacune est sanctionnée par des victoires du camp catholique mais des traités plutôt favorable aux protestants. L’édit de Saint-Germain en 1570 mécontente les catholiques. La tension est donc assez vive. Un événement étranger vient l’accroître : la relance de la révolte des huguenots des Pays-Bas contre Philippe II.

À Paris, dans les milieux de la Cour, deux positions antagonistes se font face sur la question de l’aide éventuelle à apporter aux insurgés. Gaspard de Coligny souhaite une intervention. Catherine de Médicis et surtout les Guise sont hostiles à toute intervention, lutter contre Philippe II signifiait engager la France dans le camp protestant et s’attirer l’hostilité du Pape. Pour tenter de souder la paix, Catherine de Médicis organise un mariage entre sa fille, Marguerite de Valois, et Henri de Bourbon, le fils d’Antoine de Bourbon et de Jeanne d’Albret. Le mariage est célébré le 18 août 1572 à Paris.

Le 22 août, au matin, un attentat est perpétré contre l’amiral de Coligny, certainement par un fidèle des Guise, Catherine de Médicis, n’ayant certainement pas de responsabilité en cette affaire. Un coup d’arquebuse blesse légèrement l’amiral. Cet événement déchaîne les passions. L’attentat provoque l’inquiétude des protestants. Mais aussi la crainte de la famille royale. Le bruit d’une conjuration huguenote enfle.

L’atmosphère était déjà très tendue : fortes chaleurs, cherté du pain renforcée par la venue de nombreuses personnes du fait du mariage, sermons violents anti-protestants dans les églises dénonçant l’accouplement exécrable entre Marguerite de Valois et Henri de Navarre, des pamphlets annonçant la colère de Dieu, des bruits et des rumeurs disant que le roi lui-même voulait devenir huguenot.

Tout cela surchauffe les esprits. Paris est en état d’émeute dès le 23.

La décision du massacre des grands chefs protestants est prise en Conseil sous la pression semble-t-il des Guise et pas seulement sous la seule autorité du Roi Charles IX ou de Catherine. Dans la nuit du 23 au 24 août la décision est mise en application. Mais ce que n’avaient pas prévu les ordonnateurs du massacre politique c’est qu’une autre Saint Barthélemy verrait le jour, beaucoup plus violente.

Tous les contemporains ont témoigné de la «fureur incroyable» de cette événement, qui semblait ne pas pouvoir être contrôlé. Après avoir entendu le son du tocsin, à l’aube du 24, la rumeur se répand que le roi avait permis d’égorger les huguenots. De nombreux témoignages ont rapporté l’acharnement particulier sur les corps : dénudés, traînés dans la boue par des enfants, décapités, éventrés, émasculés.

Le traitement infligé au corps de l’amiral de Coligny est particulièrement significatif : il s’agit d’un véritable massacre purificateur. Traîné par les rues d’un carrefour à l’autre, il est châtré et décapité, puis brûlé. Ses restes son exhibés à la foule. Seins de femmes arrachés, page de bible mises dans la bouche de cadavres huguenots, sexe des hommes arrachés et enfoncés dans leur bouche, visages défigurés pour rendre manifeste la «laideur» intérieure et diabolique : la violence extrême des catholiques a pour but de détruire, dans l’apparence extérieure des huguenots, l’image même du pêché et du Diable, de réaliser, en quelque sorte, sur la terre, ici et maintenant, le Jugement dernier.

L’ex-prévôt des marchands, Claude Marcel qui venait d’être remplacé, guisard convaincu, ne fut pas étranger à ce «dérapage», et la milice bourgeoise forte de 5000 hommes ne fit rien pour calmer les ardeurs. Les assassins zélés ne se recrutèrent pas seulement dans la «populace» mais aussi dans les rangs de la bonne bourgeoisie parisienne.

Le mardi 26 août, devant le Parlement de Paris, lors d’un solennel lit de justice le Roi décide d’endosser la responsabilité de l’événement. Notons que des massacres eurent lieu aussi en Province : Orléans, le 26, Meaux, Bourges, Saumur, Angers, Lyon le 31 etc… On compte entre 5000 et 10000 morts. L’événement est suivi d’une vague de reconversions, et marque un reflux du protestantisme.

 

Ce que nous apprend la Saint Barthélemy :

L’historiographie s’est longtemps focalisée sur le seul problème des responsabilités : qui donna l’ordre du massacre ? Catherine de Médicis, Charles IX , les Guise ? Des études récentes permettent au contraire de mettre en avant ce qui fut en jeu dans le ou les massacres.

Denis Crouzet insiste sur une dimension plus générale : l’angoisse du châtiment divin. Dans le ciel et sur la terre apparaissent des signes qui disent l’imminence du jugement. Voici le temps des guerriers de Dieu : d’une violence d’abord intérieure surgit la force conquérante d’un prophétisme panique qui ordonne la mise à mort des hérétiques.

S’opposant à la violence désacralisatrice des huguenots (rappelons cet incident : le 1er juin 1528, des inconnus lacèrent de coups de couteaux et décapitent une statue de la Vierge à l’enfant dans une église parisienne. Le scandale est immense. Le roi, dit-on, en pleure pendant deux jours durant), la violence mystique des catholiques culmine en août 1572. N’oublions pas qu’ un mouvement iconoclaste a parcouru tout le XVIe siècle : bris de statues, profanation des hosties, destruction des images).

La Ligue marqua l’ultime retour de l’angoisse prophétique, force agissante d’un long XVIe siècle, qui vise à unir le peuple au Christ de la Passion. Avec la Saint Barthélemy se brise le rêve de concorde, une des dernières utopies de la Renaissance. Pour Charles IX et Catherine de Médicis il s’agissait de réunir les catholiques et les protestants dans une œuvre magique de paix. Mais face à l’attentat dirigé contre Coligny, Catherine, prise entre deux factions violemment opposées, se résigne à un acte préventif. Mais cet acte est suivi d’une toute autre tragédie que Charles IX dut assumer.

Pour Denis Crouzet, la Saint Barthélemy fut paradoxalement, le crime d’amour d’une monarchie humaniste, le crime d’un rêve d’harmonie universelle. Elle fut comme la chronique d’un rêve perdu de la Renaissance. «La Saint Barthélemy est une grande geste mystique, qui prend sa source dans une hallucination collective de la présence de Dieu : une présence qui se détecte dans la croix que les violents portent rituellement, en eux, dans le cadavre de l’Amiral miraculeusement frappé, et surtout dans ce qui est le seul vrai point d’origine de la grande déferlante massacrante, l’aubépine qui refleurit au petit matin».

En effet à l’aube du 24 août, on vit fleurir une dans le cimetière des Saints-Innocents une aubépine qui n’avait pas fleuri depuis 4 ans. Les aubépines étant considéré comme une image de la couronne du Christ. Christ était donc parmi eux. La Saint Barthélemy s’inscrit dans un contexte d’une immense angoisse qui traverse toute la Renaissance pour reprendre un titre de Denis Crouzet dans la revue L’Histoire. Une profonde angoisse, une attente de la fin du monde, d’où le goût pour les prophéties et la prospérité de l’astrologie dans un climat d’inquiétude générale surtout chez les catholiques, car avec Calvin la foi des protestants est apaisée.

Pour Joël Cornette au delà de cet imaginaire la Saint Barthélemy est aussi le moment de l’affaiblissement du pouvoir royal. Il donnait force et vie à la théorie de la résistance contre l’État. Une résistance qui pouvait aller jusqu’au régicide. Dans le camp protestant les monarchomaques énonçaient la légitimité du renversement du mauvais roi.

En 1573, paraissait la Franco-Gallia, de François Hotman. L’auteur rappelait la situation de la Gaule, divisée en cités aristocratiques ou monarchiques. À cette époque, tous les ans, se tenait une diète générale pour l’ensemble du pays, et à cette occasion, tous les chefs locaux étaient choisis par le peuple assemblé. Le monarque était désigné par acclamation. En 1575, dans du Droit des magistrats, Théodore de Bèze, successeur de Calvin, développe l’idée que le peuple crée le souverain. Donc les sujets peuvent se rebeller contre leur prince.

Du Plessis Mornay et Hubert Languet en 1579 écrivent Le Vindiciae contra Tyrannos. Les ligueurs aussi s’emparèrent de ces théories régicides. On voit donc comment la Saint Barthélemy éclaire le siècle de la Renaissance et donne à voir les imaginaires des hommes de ce temps. Elle illustre comment l"’autre" peut devenir un ennemi dans un contexte de peur collective du salut. "L’autre" c’est celui qui a une autre conception du salut, du dogme, de la Révélation.

L’Église catholique considère qu’elle véhicule une vérité absolue. Dès lors, la question de l’interprétation des Écritures est cruciale. Il y va du monopole de l’Église comme seule médiatrice entre le monde d’ici-bas et le monde de l’au-delà, du salut de chacun mais aussi de la communauté toute entière. C’est cette vérité absolue que remet en cause radicalement la réforme. Alors on ne se bat pas pour un chef ou un prince mais bien pour le salut de son âme et pour la survie du groupe. À cela il faut ajouter la dimension politique de ces conflits. Une entité nouvelle s’est progressivement mis en place : l’État moderne. On se bat donc désormais aussi pour façonner l’État à son image. C’est ce que les différents traités montrent.

Enfin, pour reprendre les thèses de Denis Crouzet, la Saint Barthélemy permet de revisiter la problématique de la Renaissance en France. Pas seulement qu’elle fut aussi un temps d’angoisse mais en remettant en cause son concept même pour la France. Il propose plutôt de parler d’un mince verni plaqué sur une profonde situation collective d’inquiétude. Il existe pour lui un écart qui s’accentue entre une cour pétrie d’humanisme, et d’autre part des populations qui vivent dans l’inquiétude et donc dans la quête d’un Dieu exclusif les appelant de part et d’autre à combattre.

Dès les années 1520, des images de violence ont surgi, acquérant de plus en plus de puissance au fur et à mesure des années qui passent. Il existe bien un humanisme royal de François 1er à Henri III, y compris donc dans l’entourage de Catherine de Médicis (Michel de L’Hospital qui partage un imaginaire de concorde), mais une partie de ces humanistes se range du côté des massacreurs, comme Ronsard qui annonce vers 1562 que les faux prophètes seront châtiés. Après la Saint Barthélemy, un nommé Jean Touchard écrit à son ami Jacques Amyot, grand traducteur en français de Plutarque, qu’enfin la vie va pouvoir reprendre après l’extermination des malfaisants. C’est pour cela qu’il est difficile de dissocier l’humanisme de la violence pour Denis Crouzet.

source
site pédagogique Académie de Montpellier (auteur ?)

 

 

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30 avril 2011

le Louvre et l'ignorance des "anti-illuminati"

Pyramide_Louvre 

 

Réponse à la vidéo

"Illuminati et le Louvre"

Michel Renard

 

Url :
http://www.youtube.com/watch?v=rPUmNrme85M&playnext=1&list=PL2878AC4B1FDBEFCB

- l'utilisateur a supprimé la vidéo à cette adresse... mais j'en avais retranscrit tout le texte. Et on la retrouve à cette nouvelle adresse :
http://www.youtube.com/watch?v=Za7W8jT_K2Q

Finalement, un élève de Seconde (sept. 2014) m'informe qu'il a retrouvé cette vidéo à l'adresse suivante :

https://www.youtube.com/watch?v=KeQoIqFwx2s&list=PLX7Wt7Utj6WWTNN-tk3hM6FG5B5OG2JdX&index=1vre

* les photos des sculptures extérieures du Louvre ne sont pas de moi. Elles proviennent du site : http://louvre.sculpturederue.fr/

 

1 - Une vidéo délirante sur les sculptures du Louvre

J'ai découvert cette vidéo avec amusement et effarement tout à la fois. Amusement devant l'ignorance du commentateur et son obsession d'une symbolique franc-maçonne en réalité absente de ce qu'il décrit. Effarement devant l'attrait que peut représenter cette indigence sous-culturelle pour des esprits non informés et a-critiques.

Le commentateur n'est pas haineux, il manifeste une espèce de naïveté sympathique. Mais son propos est frappé d'une inconsistance qui rend son "analyse" mystificatrice.

J'entreprends, ci-dessous, d'en démontrer l'inanité interprétative et de rétablir la signification historique de ces œuvres.

pyramide

 

vidéo - 0 mn 02 : "Aujourd'hui, nous allons étudier les Illuminati et la franc-maçonnerie, à l'intérieur même du musée du Louvre."

réponse – "Étudier"… quelle prétention…! Il aurait fallu commencer par définir ce que sont ces Illuminati et ce qu'est la franc-maçonnerie, et quel rapport ils pourraient éventuellement entretenir avec cet ancien palais royal qu'est le Louvre devenu musée. Non, rien de cela. Quelques photos avec des commentaires totalement infondés. Le tout, inscrit dans le délire anti-illuminati et anti-complot qui s'est emparé des esprits simples à travers la foire des vidéos postées sur Youtube.

Les théories du complot font des ravages sur internet. Elles ont pour avantage de paraître délivrer une "vérité" cachée au plus grand nombre. Celui qui accède à cette "vérité" se met à "croire" que l'ordre du monde, depuis des siècles, n'est que la mise en œuvre du programme de sociétés secrètes à la volonté toute-puissante. En ce moment, ces réseaux occultes seraient dominés par les Illuminati, nouveaux "Maîtres du monde" prônant le satanisme, le sionisme et le Nouvel ordre mondial.

Évidemment, on trouve toujours des bribes de déclarations, des formules, des signes, des rencontres privées, des initiatives tendant à "prouver" la réalité de ce complot permanent. On voit les Illuminati partout. Mais tout cela est sur-interprété et porté par une paranoïa puissante.

 

Les Illuminés de Bavière (1776-1784)

En réalité, les Illuminés de Bavière (Illuminaten, en allemand, et non "illuminati") ont été créés par Adam Weishaupt, un professeur de droit, en 1776 pour combattre l'intolérance religieuse et répandre les idées des Lumières.

Ils étaient égalitaristes, républicains, hostiles à l'Église et à la monarchie. Devant son peu de succès, Adam Weishaupt tenta de donner une forme maçonnique (avec initiation) à sa confrérie. Et parvint à infiltrer la franc-maçonnerie en Autriche, en Bohème et en Hongrie.

Les Illuminaten furent interdits en 1784 par le prince Charles Théodore, électeur de Bavière qui émit un édit ordonnant la dissolution de toute société secrète. Le dernier dirigeant de la société des Illuminaten, Christian Bode, se rendit en France en 1787 et rencontra une haute personnalité de la franc-maçonnerie française. Mais de là à démontrer que l'Illuminisme bavarois fut "exporté" et qu'il prit le contrôle en France, il y a toute la marge qui sépare le délire du fait historique avéré.

De toute façon, on ne voit pas le rapport avec le Louvre, édifice construit et décoré pendant plusieurs siècles par la monarchie française puis par différents pouvoirs jusqu'au Second Empire.

 

2 - La Navigation et la Mécanique

vidéo - 0 mn 23 : "Là, voilà deux personnages qui portent des symboles francs-maçons. C'est quand même relativement incontestable, qui indique bien que la franc-maçonnerie donne des signes. Nous avons le compas sur la main droite et un signe franc-maçon sur la main gauche. Ensuite, nous avons l'étoile au centre. Là, à nouveau sur le pied, le compas, on le reconnaît très très bien, et là l'ancre. Tout ça, ce sont des symboles francs-maçons."

PavillonColbert_PolletNavigationMecanique

 

réponse – Cette composition n'a rien de franc-maçonne. Il s'agit de "La Navigation commerciale et la Mécanique" réalisée par Joseph Michel Ange Pollet (1814-1870) en 1857. Elle est à gauche de la porte du pavillon Colbert entourant un oeil de boeuf du rez-de-chaussée, alors qu'à droite, on trouve deux autres allégories, "La Télégraphie et l’Imprimerie".

Le compas est l'instrument de mesure des navigateurs (pour calculer et reporter des distances sur des cartes) comme des architectes ou des "mécaniciens". C'est un symbole du savoir sur le monde matériel.

La main, à gauche, ne fait que reproduire l'image du compas. L'étoile à cinq branches (pentagramme) est un symbole très ancien à multiples significations, et notamment la manifestation de la lumière. Il n'a rien de spécifiquement franc-maçon. Il évoque aussi le monde terrestre par rapport au macrocosme qui nous dépasse. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'une étoile, repère des marins, figure dans une allusion à la Navigation.

Quant aux roues dentées et à l'engrenage, il s'agit d'un mécanisme connu dès l'Antiquité à l'époque d'Héron d'Alexandrie (Ier siècle de notre ère). Et les premières représentations d'ancre marine datent du VIe siècle av. notre ère, celles avec élargissement des bras en pattes apparurent au Ier siècle de notre ère. Il n'y a pas de compas sur cette évocation mécanique.

Par contre, une équerre est tenue dans la main gauche du personnage de droite – ce que n'a pas relevé notre commentateur vidéo. L'origine de cet instrument est disputée ; Théodore de Samos au VIe s. av. (le constructeur du temple d'Artémis à Éphèse), ou Dédale, personnage mythologique et célèbre architecte du labyrinthe où fut enfermé le Minautore. Autre instrument de mesure célèbre, l'équerre est aussi un puissant symbole de savoir.
Il n'y a donc rien "d'incontestablement" franc-maçon ici.

PavillonColbert_PolletTelegrapheImprimerie
le Télégraphe et l'Imprimerie,
autres statues du pavillon Colbert

 

3 - Saint Bernard

vidéo - 0 mn 51 : "Là, nous avons un saint qui est porteur de lumière. Saint Bernard, eh oui. C'est relativement symbolique".

AileColbert_JouffroyStBernard

réponse – Mais où va-t-il chercher que Saint Bernard est "porteur de lumière"…? Où…? C'est tout simplement saugrenu. Cette sculpture de François Jouffroy (1806-1882) date de 1857. Elle représente l'ecclésiastique Bernard de Clairvaux, moine cistercien (1090-1153) très influent dans les débats et les conflits de l'Église à l'époque. Il est surtout connu pour son prêche en faveur de la deuxième Croisade après la chute du comté chrétien d'Édesse en "Terre Sainte" (1144). Sa harangue prononcée le 31 mars 1146 à Vézelay entraîna les chevaliers à la Croisade. On le voit ici appeler son auditoire à se croiser. Il n'est pas question de "porteur de lumière"…!

 

4 - Un ange avec un sexe ?

vidéo - 1 mn 06 : "Nous avons un ange avec un sexe".

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réponse – Ce n'est pas un ange mais un génie. Tout simplement. Il y a en a des dizaines sur les couronnements de nombreuses ailes ou pavillons du Louvre. Celui-ci figure sur le couronnement de l’aile Colbert, à côté d'autres personnifiant la Paix, le Printemps, la Pêche…

Ce prétendu ange n'est qu'une allégorie de "l’Art romain" due à Ferdinand Taluet (1820-1904) et datant de 1857. Une "République française", conçue par le même auteur, en 1848, est visible au musée d'Angers ; c'était une figure de femme déjà vêtue à la romaine. Le modèle antique est l'une des règles de l'académisme au XIXe siècle.

Cet "art romain" est pourvu de plusieurs attributs, notamment :

- l'aigle, oiseau du dieu grec Zeus puis du romain Jupiter, fréquemment utilisé par d'autres peuples ; il est l'enseigne des légions romaines mais aussi, plus tard, de Napoléon 1er ;

- le glaive et la couronne de lauriers, symboles des succès militaires de Rome ;

- les baguettes ou faisceau des licteurs représentant la puissance de juger ;

- le rouleau tenu dans la main droite évoquant l'activité législatrice romaine.

Un génie n'est pas un ange. Qu'il soit montré comme un enfant sexué n'a rien d'étrange.

 

5 – Porteur de lumière. Symbolique de quoi ?

vidéo – 1 mn 11 : "Nous avons à nouveau un personnage porteur de lumière… très symbolique".

PavillonColbert_RobertScience

réponse – Symbolique de quoi ? J'aimerais le savoir…! En réalité, cette sculpture monumentale, appelée en architecture une "console d'amortissement", représente "La Science". Son auteur Louis Elias Robert (1821-1874) l'a réalisée en 1857. Les historiens spécialistes de la statuaire publique au XIXe siècle ont montré que c'étaient surtout les hommes de science et d'industrie qui, sous le Second Empire, avaient l'honneur de statues publiques.

Ici, c'est la science en tant que telle qui est personnifiée. Son symbole tient dans le flambeau exprimant la lumière de la raison et du génie. Dans de nombreuses traditions, la flamme symbolise la purification, l'esprit et le savoir. Que les écrivains, savants et philosophes du XVIIIe siècle affrontant l'obscurantisme pour faire triompher la connaissance rationnelle aient été qualifiés de "Lumières" s'inscrit dans ce symbolisme. Voltaire le dit clairement en désignant les concepteurs de l'Encyclopédie comme : "une société de savants remplis d'esprit et de lumières" (1751).

Que les francs-maçons revendiquent aussi la lumière ne saurait faire confusion. Ce sont moins les savoirs rationnels qui, sans être méprisés, sont recherchés, mais plutôt une lumière spirituelle. À la clôture des travaux d'une loge, le Vénérable dit : "Mes Frères, quand pour perfectionner votre travail vous chercherez la lumière qui vous est nécessaire, souvenez-vous qu'elle se tient à l'orient, et que c'est là seulement que vous pouvez la trouver." (Dictionnaire thématique illustré de la Franc-Maçonnerie, Jean Lhomme, Édouard Maisondieu, Jacob Tomaso, éd. Du Rocher, 1993, p. 404).

On ne peut donc assimiler toute référence à la lumière au symbolisme maçonnique.

 

6 - Encore du n'importe quoi…!

vidéo – 1 mn 18 : "Là, nous avons un flambeau avec des serpents autour, et au-dessus de ce flambeau – c'est très symbolique, un soleil ; donc le porteur de lumière. Le soleil peut… chacun peut interpréter ce qu'il veut ; ça peut être le roi-Soleil ou il peut représenter aussi Horus ; c'est fort possible puisque tout au long de notre ballade, il y a pas mal de symboles d'Horus. Et de chaque côté de ce flambeau, il y a des anges… est-ce [sic] des anges ou est-ce [re-sic] des démons ? Tout est possible".

PavillonColbert_VilainTerreEau

réponse – Encore du n'importe quoi…! Ici, le couronnement de la lucarne du pavillon Colbert représente "la Terre et l’Eau", œuvre de Nicolas Victor Vilain (1818-1899) réalisée en 1857.

D'abord, il n'y a pas de flambeau, mais un caducée, c'est-à-dire un bâton ou une baguette entourée de deux serpents dont les têtes se font face et surmonté de deux ailes déployées (symbole du dieu Hermès/Mercure).
La scène est une évocation des quatre éléments de la nature :

- à gauche, une allégorie de l'Eau avec quelques rangs de vagues à ses pieds, la coque d'un navire et ses bouches de canon ;

- à droite, l'allégorie de la Terre et des deux activités qu'en tirent les hommes : l'élevage (tête de bœuf dans la main gauche) et la culture (bêche dans la main droite) ;

- au centre, un ciel constellé (l'air) ;

- au sommet, le soleil (le feu) irradiant et personnifié ; à gauche, un monstre marin ; à droite, des animaux sauvages ; double image d'une nature peut-être anté-humaine.

Au milieu, le caducée, attribut de Mercure, messager des dieux de l'Antiquité grecque. Il pourrait être invoqué comme un équilibre entre les aspects maléfique et bénéfique des serpents maîtrisés par Mercure ; est-ce un message de stabilité, de sérénité dans la destinée humaine ?

On peut également envisager une interprétation politique (je n'ai trouvé aucun commentaire savant de cette composition ; je laisse donc aller une explication personnelle…). On aurait alors une image de la puissance du roi que l'effigie du Soleil permet d'identifier aisément. La culture des images depuis le XVIe siècle est basée sur la mythologie et l'allégorie. Aujourd'hui, nous avons perdu ces codes Mais le culte solaire du souverain s'enracine dans une longue tradition historique à laquelle la Rome impériale a sacrifié au IIIe siècle.

Louis XIV a adopté le soleil comme emblème. Dans ses Mémoires pour l'instruction du Dauphin, il écrit pour l'année 1662 : "On choisit pour corps le soleil qui, dans les règles de cet art, est le plus noble de tous, et qui, par la qualité d'unique, par l'éclat qui l'environne, par la lumière qu'il communique aux autres astres qui lui composent comme une espèce de cour, par le partage égal et juste qu'il fait de cette même lumière à tous les divers climats du monde, par le bien qu'il fait en tous lieux, produisant de tous côtés la vie, la joie et l'action, par son mouvement sans relâche, où il paraît néanmoins toujours tranquille, par cette course constante et invariable, dont il ne s'écarte et ne se détourne jamais, est assurément la plus vive et la plus belle image d'un grand monarque" (Louis XIV, Mémoires, éd. "Texto" Tallandier, 2007, p. 172).

Le Roi-Soleil présiderait alors à l'ordonnancement de la nature (Eau et Terre), comme il a su le montrer à Versailles. Louis XIV entend dominer la nature ("L'homme doit se rendre comme maître et possesseur de la nature", Descartes) comme illustration de sa puissance politique. S'il contrôle la nature, alors il contrôle le monde.

En tout cas, il n'est absolument pas question d'anges ni de démons ni d'Horus comme le prétend le commentaire de cette vidéo affligeante.

 

7 – Quels symboles ?

vidéo – 1 mn 54 : "Là, nous avons encore un personnage porteur d'un flambeau et derrière lui un aigle, un aigle ou un faucon, tout ça c'est très significatif… toujours l'oiseau qui est très représenté, et sous ses pieds il y a une bête… ça aussi, c'est très, très très symbolique… et après voilà… chacun… moi, c'est ma pensée, mon interprétation, je ne dis pas que j'ai la vérité…".

AileHenriIV_PreaultPaix

réponse – Mais "ton" interprétation, on s'en moque…! Sur quoi te bases-tu pour dire de telles choses…? Cela seul est intéressant. On peut discuter certes, mais à partir de bases sérieuses, pas à partir de rien.

Ici, la sculpture porte le titre : "la Paix". Elle est d'Antoine Auguste Préault (1809-1879) qui l'a composée en 1857, avec des motifs inspirés de la mythologie gréco-romaine.

La Paix est une allégorie féminine tenant un grand flambeau dans la main droite et vêtue d'un peplos. Au-dessus, un aigle déployé, symbolise la puissance victorieuse et protectrice. Deux séries de symboles accompagnent la Paix. À gauche, sur le dos d'un lion dompté mais vigilant, les images de la culture grecque : masques du théâtre tragique et comique, une phorminx (harpe) dont se sert l'aède quand il chante, et peut-être une corne d'abondance signifiant la richesse et l'abondance. À droite, le haut d'une colonne et les volutes de son chapiteau ionique, une sphère terrestre qu'une main semble gouverner paisiblement, puis un sac empli de céréales (?) et, enfin, la hampe et la pointe d'un étendard.

Voilà ce dont nous sommes redevables à la Paix : la culture et la prospérité. Cette évocation est à mettre en vis-à-vis d'une autre sculpture d'Antoine Auguste Préault : "la Guerre", de 1857 aussi. On y trouve le même recours à l'univers gréco-romain avec le célèbre Gorgonéion, tête de la Méduse tranchée par Persée qui l'offrit à Athéna dont la déesse fit un bouclier (l'égide).

Rien de franc-maçon dans tout ce descriptif.

 

8 - Satan ? est-ce sûr ?

vidéo – 2 mn 20 : "Là, par contre, c'est très explicite, très clair. Nous allons voir de chaque côté deux têtes de Satan, et l'âme de Satan, si on peut parler d'âme car au début il s'agit d'un ange déchu qui, après s'être opposé à Dieu a perdu son identité d'ange et est devenu l'ange rouge qu'est Satan. Représentation artistique montre réellement qui est Satan. C'est vraiment très clair. Et là, tout au-dessus, vous allez voir une couronne et une croix, une croix du Christ. Mais je vois plutôt une croix pas très claire...

Monogram_Pavillon_Sully_Louvre_2007_06_23

réponse – Quelle assurance qu'il s'agit de deux figures de Satan ? Les cornes ne l'indiquent pas a priori. Elles sont l'attribut des représentations de faunes ou de satyres dérivés du bouc ou du bélier mais ne sont pas forcément associées au diable.

L'image commentée est celle du monogramme de Napoléon III sur le pavillon Sully au Louvre. Je n'ai pas trouvé l'auteur de cette composition ni d'informations sur le sens qu'il a voulu donner à ce travail.

J'estime cependant qu'il y a un contresens à voir Satan dans les deux visages à la base de cet ensemble sculpté.

D'abord parce que tout visage doté de cornes ne renvoie pas à Satan mais à de multiples représentations zoo-anthropomorphiques remontant à l'Antiquité grecque et réinjectées dans l'art occidental depuis la Renaissance jusqu'à nos jours (le "Prélude à l'après-midi d'un faune" de Claude Debussy a été composé entre 1892 et 1894 et les dessins de faunes dus à Jean Cocteau datent de la fin des années 1950). Ensuite, parce qu'au XIXe siècle, la figure de Satan a été positivée. Elle n'a rien de commun avec les délires "satanistes", réels ou supposés, d'aujourd'hui.
Pour de nombreux écrivains, sans parler de Milton (1608-1674, "Le Paradis perdu"), de Vigny et Lamartine jusqu'à Hugo, elle signifie le potentiel de vie, de désir, de bonheur que l'Église avait comprimé pendant des siècles : "L'une des obsessions les plus constantes du XIXe siècle concerne en effet bizarrement le personnage de Satan. Pour la première fois avec une telle ampleur, une telle énergie collective, des écrivains, des romanciers, des philosophes ou des poètes entreprirent ce qu'il faut bien appeler la révision en profondeur du procès du démon et sa réhabilitation" (Philippe Muray, Le XIXe siècle à travers les âges, 1994; éd. Tel-Gallimard, 1999, p. 644).

Il est toujours difficile de distinguer s'il s'agit de cornes de bouc (caprin) ou de bélier (ovin). Dans le cas d'un bélier, l'image renvoie au premier signe du zodiaque représentant "l'énergie régénératrice du cosmos et la renaissance printanière du Soleil sortant des ténèbres hivernales" (Matilde Battistini, Astrologie, magie et alchimie, éd. Hazan, 2005).

Je citerai ici, une explication que m'a fournie directement Guillaume Fontelle, historien du Louvre (par exemple sur ce site) : "Les têtes grotesques qui ornent les clefs des fenêtres sont un motif très courant de l’architecture du XVIe au XVIIIe siècle que Lefuel, l’architecte de Napoléon III a maintenu pour des raisons d’homogénéité stylistique. Quant à la tête de lion, c’est aussi un élément classique du répertoire des «cuirs bellifontains» (la forme chantournée sur laquelle se détache le monogramme). Il ne faut donc pas leur donner accorder une signification particulière."

Le monogramme de Napoléon III est porté par un écrin qui est une métaphore de la Nature, avec les deux têtes de faune, image d'énergie créatrice, de fécondité, et non pas image de Satan ; avec des Putti mi-végétaux mi-hommes ; avec des guirlandes de fruits. C'est la nature créatrice et féconde qui est célébrée et non le diabolisme de Satan. La couronne impériale, dont les fleurons alternent les aigles de puissance et des motifs végétaux, est surmontée d'une croix tout à fait normale pour Napoléon III protecteur du Pape et du Vatican.

 

9 - Moïse non reconnu…!

vidéo - 3 mn 04 : "Là, il y a un écrit qui parle d'Égypte (…) On parle d'Égypte et de Dieu… enfin d'un Dieu, parce que ça a plutôt rapport avec Horus."

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réponse – comment ne pas reconnaître ici Moïse ? La sculpture date de 1806 et a pour auteur Jean Moitte (1746-1810) ; elle est sur l'aile Lemercier dans la cour Carrée. Moïse tenant les Tables de la Loi, reçues sur le Sinaï, n'est ni Dieu ni Horus. Il n'y a là aucun mystère, aucune allusion franc-maçonne ni "illuminati".

Le texte (cf. Ancien Testament, Exode, 20) est partiellement lisible : "Je suis (…) Seigneur, votre Dieu, qui vous a tiré de la terre d'Égypte, de la maison de servitude Vous n'aurez point d'autre Dieu (…)", etc.

Il existe d'autres évocations de Moïse dans la statuaire extérieure du Louvre, comme celle-ci due à Mme Bertaux et datant de 1878, sur l'aile de Marsan, cour du Carrousel.

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10 – 1806, et alors…?

vidéo - 3 mn 32 : "Là, il y a un texte difficile à décrypter et par-dessus il y a écrit 1806, c'est quand même relativement étrange."

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réponse – Cette inscription se trouve sur la sculpture de Jean Moitte (1806) intitulée "La Loi. Thucydide et d’Hérodote". L'allégorie de la Loi écrit : "Napoléon le Grand" mais cette formule a été effacée en 1815 et le geste iconoclaste a gravé "1806", date de réalisation de l'œuvre. Aucune étrangeté, là encore.

 

11 - Femme d'Horus…?

vidéo - 3 mn 48 : "Là, il y a la femme d'Horus qui porte la lumière, et à côté il y a deux symboles très très clairs."

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réponse – Et en quoi ces symboles sont-ils clairs…? En réalité, ce personnage est la représentation d'Isis, due à Jean Moitte en 1806. Elle est placée dans une série de législateurs : Moïse, Manco Capac (empire inca) et Numa (pour Rome). Isis, dans le mythe égyptien (ennéade osirienne), est la sœur et l'épouse d'Osiris qu'elle réussit à ressusciter et dont elle enfante d'un fils, Horus.
Ses attributs sont nombreux et diversifiés. Ici, elle porte sur sa tête le disque solaire et les cornes de la déesse Hathor (vache nourricière), surmonté d'une fleur de lotus (allusion aux marais du Delta où elle cache son nouveau-né). Dans sa main droite, elle tient un sistre, instrument sacré utilisé lors des cérémonies rituelles et pour se protéger des crues du Nil. Sur son épaule gauche, un faucon évoquant évidemment Horus, son fils. Dans sa main gauche, encore une fleur de lotus. Les seins nus (Isis lactans) renvoient à sa fonction maternelle allaitant Horus enfant.

Isis législatrice ? Le rapport avec la mythologie de l'ancienne Égypte n'est pas évident. D'ailleurs, avant de sculpter Isis sur cette lignée de législateurs, il avait été question d'y placer un pharaon.

Le thème d'Isis législatrice apparaît tardivement dans l'Antiquité ("tu as donné des lois"), à l'époque grecque puis romaine. Isis est alors pourvue de multiples pouvoirs "elle est déesse souveraine, solaire, démiurge, maîtresse des éléments, législatrice, inventrice de bienfaits nombreux pour les hommes (écriture, langues, temples, mystères), déesse des femmes et incarnation de la fonction maternelle, protectrice des naissances, des récoltes, maîtresse du destin" (cf. article de Laurent Bricault, "La diffusion isiaque : une esquisse" (Stuttgart, 2004).

Il est vrai que les francs-maçons, aussi, considèrent Isis comme la "Mère universelle législatrice et rédemptrice", mais ils ne sont pas les seuls…!

 

12 - Qui est Manco Capac…?

vidéo - 3 mn 56 : "Là, nous avons Horus qui, lui aussi, porte la lumière, et main gauche (de son côté), il porte un ange… étrange hein, avec un symbole maçonnique."

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réponse – Il suffit simplement de chercher le titre de la sculpture pour s'apercevoir que le commentateur de la vidéo accumule ignorance sur contre-sens. Ici, il s'agit d'un personnage de l'univers inca : "Manco Capac", œuvre de Jean Moitte, en 1806.

Historique ou mythique ? L'existence de Manco Capac est incertaine. Il apparaît comme le fils du Soleil, fondateur de l'empire inca à Cuzco au Pérou et dispensateur des connaissances en matière d'agriculture et d'artisanat. D'où sa présence dans ce choix de "législateurs". L'astre rayonnant sur la tête de Manco Capac n'a rien de surprenant pour ce peuple adorateur du soleil. L'oiseau porté dans la main droite peut être un condor, vénéré chez les Incas. La figure humaine ailée reposant sur piédestal et supportée par la main gauche, est assez difficile à identifier. Mais on ne voit pas en quoi, ce serait un symbole maçonnique…

 

13 - Le Génie de la France

vidéo - 4 mn 11 : "Là, nous avons un ange, un ange en théorie n'a pas de sexe, mais là il a un sexe d'homme ; et tout autour de lui, il a sa cours. Normalement, le seul devant qui on doit se mettre à genoux, ce n’est pas un ange mais Dieu… en théorie, mais après cela regarde chacun. Moi, je vous donne mon interprétation."

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réponse - Interprétation fantaisiste, là encore. Il n'est pas question d'ange sur ce bas-relief mais d'une œuvre intitulée : "Le Génie de la France sous les traits de Napoléon, évoquant Minerve et les divinités de la Paix et de la Législation pour qu’elles succèdent à Mars et à l'appareil guerrier que la Victoire a rendu inutile". Son auteur est Claude Ramey et la sculpture date de 1811, en plein règne et à l'apogée de l'empire napoléonien.

L'empereur est représenté sous la forme d'un athlète grec, dans une nudité héroïque et classique. Mais ce n'est pas un ange. Les ailes n'évoquent que sa dimension allégorique (le "Génie de la France"). Donc, rien à voir avec un Dieu ni rien d'ésotérisme. Du symbolisme simplement.

 

14 - Armoiries royales et coq gaulois

vidéo - 4 mn 37 : "Là, nous avons un faucon ou un aigle, et tout autour un serpent. C'est très clair. Derrière, nous avons la lumière, toujours significative du porteur de lumière et non de la lumière elle-même. Et de chaque côté, il y a des anges. Je trouve cela étrange qu'il y ait ce serpent autour… Normalement, aucune représentation de Dieu ne doit être faite sur Terre car nul ne sait qui est Dieu, nul ne l'a vu. Voilà, c'est une représentation artistique."

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réponse - Propos totalement décousu qui n'explique rien du tout. Il n'est absolument pas question de représenter Dieu ici.

En réalité, ce fronton porte le titre suivant : "Un coq, entouré d’un serpent qui se mord la queue, est soutenu par des génies". Il est dû, au départ, à Guillaume II Coustou et date de 1759. Guillaume Coustou, fils (1716-1777), possédait un grand atelier de l'autre côté de la Colonnade du Louvre.
Il avait initialement sculpté les armoiries royales au centre du grand fronton du pavillon de Saint Germain-l’Auxerrois, côté cour carrée, comme on peut le vérifier dans le "Carnet d’attachement pour la sculpture de la Cour Carrée, 1757-1758" (plume, encre noire et encre rouge, Paris, Centre historique des Archives nationales). Les armoiries royales ceinturées des rayons du soleil étaient supportées par deux anges tenant une guirlande et portés par des nuages.

Mais le symbole central fut détruit à la Révolution et remplacé par un coq gaulois et les anges transformés en génies. Le serpent qui se mord la queue (ouroboros, en grec), est une très ancienne image du monde, du cycle perpétuel de la nature renaissante. Dans le Moyen Âge chrétien, le cercle renvoie au céleste, à la perfection. Il peut être figuré par un serpent arrondi et formant un anneau (cf. Marie-Madeleine Davy, Initiation à la symbolique romane, XIIe siècle, éd. 1977).

Le serpent offre évidemment de multiples significations selon les registres mythologiques. En tout cas, il n'est pas réductible à un ésotérisme illuminati.

 

15 - Le compas

vidéo - 5 mn 13 : "Là, nous avons un personnage qui a un compas dans la main. J'aimerais savoir réellement ce que représente un compas pour la franc-maçonnerie… Il y a en ce moment une publicité qui passe avec un gros compas, énorme, qui fait peur… Voilà, tout ça est quand même très étrange, très mystérieux."

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réponse - C'est mystérieux seulement pour celui qui se contente de préjugés et ne cherche pas à se renseigner sérieusement.

Le titre de cette composition est : "Minerve accompagnée des Sciences et des Arts". Elle est due à Jacques Lesueur et date de 1811. Le compas n'est pas réservé au symbolisme maçonnique. Il est l'un des instruments d'Uranie, muse de la mythologie grecque de l'astronomie, grâce auquel elle mesure le globe terrestre. Elle est presque toujours représentée avec ces deux attributs.
Le compas est utilisé par les mathématiciens grecs de l'Antiquité. Son invention était attribuée à Talos, neveu de Dédale. L'architecte romain Vitruve, au Ier siècle avant notre ère, emploie trente fois le terme "circinus" avec le sens très précis de compas dans son "De architectura". Au Moyen Âge, le compas est l'instrument du maître de chantier. À l'époque de la Renaissance, le compas est mis en valeur par la réception des "Éléments" d'Euclide. Une recherche plus précise permet de multiplier les allusions multiples au compas comme signe de savoir.

Dans la franc-maçonnerie, le compas est la plupart du temps associé à l'équerre, ce qui n'est pas le cas sur ce fronton du Louvre qui n'a donc rien d'étrange.

 

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16 - Un palais n'est pas une église ni une mosquée

vidéo - 5 mn 42 [discours sans aucun rapport avec les images montrées] : "Les catholiques, c'est clair. Vous pouvez aller à la messe, vous pouvez voir les choses, c'est clair. Il n'y a rien de secret, rien de caché. Vous allez dans une mosquée, c'est ouvert, pareil, rien n'est caché, tout est clair. Il n'y a pas de choses étranges, de trucs mystiques. Pareil, chez les juifs, c'est la même chose, rien de caché, pas de secret. À côté de ça, la franc-maçonnerie, c'est tout un tas de petites choses cachées, étranges, bizarres. J'aimerais qu'un franc-maçon m'explique sa vision du monde et pourquoi ils rendent tout mystérieux, ils veulent pas dire la vérité. Qu'est-ce qu'ils ont à cacher, hormis le fait qu'il y a une part d'élite, les 33e degrés qui font des choses un peu étranges. Ça fait pas très sain, ça fait peur. C'est peut-être voulu après tout."

réponse - Mais quel rapport entre le Louvre et une église ou une mosquée…? Aucun. Le Louvre est une ancienne demeure royale, du Moyen Âge jusqu'au XVIIe siècle. Il n'a pas de fonction religieuse. La richesse de sa décoration est l'expression de l'apparat dont s'entoure le monarque qui montre sa magnificence et sa puissance, son goût pour les arts également. La statuaire extérieure, pour l'essentiel, date des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Elle porte donc la marque des conceptions artistiques de l'époque. Notamment l'empreinte de la mythologie et de l'art grec de l'Antiquité. Il faut apprendre à connaître ces oeuvres, à les décrypter. Et ne pas leur attribuer, arbitrairement, des significations qu'elles n'ont pas.

La franc-maçonnerie appartient aux "sociétés" fondées sur une initiation à un ésotérisme, c'est-à-dire une vision du monde réservée à des individus qui ont accompli un cheminement spirituel.

Chez, les chrétiens on appelle ça l'hermétisme ou la théosophie, chez les musulmans on parle du soufisme (tasawûf), chez les juifs on évoque la Kabbale. Cela existe donc déjà dans les religions. En islam, on dirait que Dieu se manifeste par le zâhir (l'exotérique) et par le bâtin (l'ésotérisme). L'ésotérisme est une explication du monde au second degré, souvent difficile d'accès pour les exotériques. C'est la distinction entre la sharî‘a (voie large) et la tarîqa (voie étroite). La voie soufie rassemble l'élite spirituelle (al-khâssa) qui se distingue des autres croyants (al-‘âmma). Ces derniers ne connaîtront Dieu que dans l'Au-delà alors que les soufis cherchent à connaître Dieu dans ce monde.

Les francs-maçons ne "rendent pas tout mystérieux". La réalité (al-haqq, en arabe) est en partie mystérieuse et les symboles sont un langage qui permet d'accéder à cette réalité.

L'ordre symbolique est aussi étudié par l'anthropologie, par exemple chez Lévi-Strauss.

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17 - La main de Justice et Napoléon III, au pavillon Denon

vidéo - 6 mn 50 [reprise du discours sur les sculptures] : "Là, vous avez la symbolique. La base, c'est nous, l'humanité en bas, au centre vous avez une fenêtre. Et tout au-dessus, vous avez l'élite, avec toujours le porteur de lumière, du côté gauche, et au centre un personnage qui porte un flambeau avec un main, et cette main elle fait un signe, un signe très probablement franc-maçon. Je ne donnerai pas mon analyse sur ce signe là car je ne suis pas de la franc-maçonnerie ; mais peut-être qu'un franc-maçon pourrait me dire : trois doigts levés et la main fermée. Expliquez-moi ce que ça veut dire. Là, nous avons un flambeau avec des serpents. Là aussi, j'aimerais avoir des explications, hormis le fait qu'on connaît un peu l'histoire, l'origine de la Bible, du Coran. On connaît un peu cette histoire avec le serpent de la Genèse. Moi j'aimerais avoir des explications. Trois doigts levés et le reste fermé, les deux doigts. Qu'est-ce que ça veut dire ce signe ? Il y a tellement de signes dans la franc-maçonnerie. C'est vraiment obscur, étrange".

 

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le pavillon Denon

réponse – Une fois encore, le commentaire de ces sculptures prouve l'ignorance du commentateur. Quand il dit qu'il y a l'humanité en bas et l'élite au-dessus, il montre qu'il ne connaît strictement rien à l'histoire de l'architecture. Le motif des cariatides, qu'il assimile à "l'humanité", sont des statues de femmes soutenant un entablement et un fronton en lieu et place de colonnes. C'est très ancien. Les plus célèbres sont celles de l'Érechtion sur l'Acropole à Athènes, sur lesquelles le sculpteur du Louvre, Jean Goujon a pris exemple. Elles ne représentent pas "l'humanité" en général, ou alors celle-ci aurait exclut les hommes…! Par ailleurs, sur les quatre couples de cariatides, deux ne soutiennent que l'entablement, sans aucune scène figurée au-dessus…

 

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La scène est intitulée par son auteur, le sculpteur Pierre Simart (1806-1857), "Napoléon III entouré de la paix et des arts" et date de 1857. Nous sommes alors sous le Second Empire. Simart avait déjà reçu plusieurs commandes publiques, c'est lui qui avait travaillé au tombeau de Napoléon 1er aux Invalides.

Voici la description de cette image sur le site consacré à la statuaire extérieure du Louvre :

"Le pavillon Denon (du nom du premier directeur du musée du Louvre) est entièrement centré sur la mise à l’honneur de Napoléon III. Le fronton représente Napoléon III entouré de la paix et des arts (ou L'empereur fort de ses destinées et de l'appui que lui donne la reconnaissance des français pour les bienfaits de Napoléon 1er, clôt l'ère des révolutions et des discordes civiles), oeuvre néoclassique de Pierre Simart. Il s’agit de l’unique représentation de l’empereur dans le cadre du Louvre d’aujourd’hui (le Napoléon III à cheval d’Antoine Barye pour les guichets Lesdiguières fut enlevé en 1870)." (source : http://louvre.sculpturederue.fr/page272.html).

Alors, que représente cette main qualifiée "d'obscure et d'étrange" par notre commentateur ignorant ?

 

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La main de Justice n'est pas un signe franc-maçon. C'est l'un des symboles de la monarchie française qui date au moins du XIIIe siècle. Il s'agit d'un bâton de bois ou d'or surmonté d'une main d'ivoire avec trois doigts ouverts, renvoyant à la Trinité chrétienne, en principe tenue par la main gauche du souverain. Cet insigne désigne le pouvoir royal comme détenteur du droit de justice d'origine religieuse.

Selon certains, les doigts de la main ont également, pour chacun d'eux, un sens symbolique : le pouce représenterait Dieu, l'index la Raison, le majeur la Charité ; les deux autres repliés, la Foi et la Pénitence. Mais cette distribution symbolique n'a pas de source identifiée. Elle ne figure pas dans le célèbre ouvrage de Cesare Ripa (1593), L'iconologia qui est un "recueil de personnifications allégoriques de vertus, de vices, de tempéraments, de passions, qui met à contribution la littérature ancienne sur les hiéroglyphes, la physiognomonie, les emblèmes, le symbolisme des couleurs, les bestiaires et les encyclopédies du Moyen Âge"("Encyclopaedia Universalis").

La dimension religieuse et monarchique de cet insigne est cependant évidente. Et la main de Justice n'est absolument pas un signe franc-maçon.

 

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la force

 

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l'ordre

Plus bas, sur l'édifice, un fronton inférieur est encadré de deux groupes représentant la Force et l’Ordre, œuvre d’Antoine Barye (en vis-à-vis de la Paix et la Guerre, toujours de Barye, du pavillon Richelieu), qui assoient encore l’image de la puissance de l’empereur Napoléon III. Cette position sur l'édifice prouve que l'ordonnancement vertical n'est pas une hiérarchie de valeur qui placerait "l'humanité" sous "l'élite", puisque les allégories de la Force et de l'Ordre sont intégrées plus bas que les cariatides censées représenter "l'humanité" selon le commentaire fantaisiste de la vidéo.

Quand le commentateur croit reconnaître un "flambeau avec des serpents", il ignore, une fois encore, ce qu'est le caducée qui n'a rien à voir avec un serpent.

 

18 – Le globe terrestre

vidéo - 8 mn 02 : "Là, nous avons un beau globe avec écrit Afrique, Australie.. étrange ça aussi… Comme par hasard, en plus, on entend parler de nouvel ordre mondial, de mondialisation… On dirait que c'était déjà prévu, depuis tellement longtemps. Tout ça, c'est quand même clair, c'est quand même visible. Mais c'est vrai qu'à l'époque, on n'avait pas de jumelles… c'est très haut, il faut vraiment lever les yeux pour voir toutes ces petites choses très intéressantes autour du Louvre. Allez-y ! Ça vaut vraiment la peine. Analysez, voilà… laissez libre cours à votre pensée personnelle. Voilà, voilà… L'obscurité, l'obscurité… Moi, c'est ma pensée, mon envie de m'exprimer là-dessus. Je trouve tout ça bien obscur, bien étrange. Par contre, le musée du Louvre est très beau, très intéressant."

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Réponse – Discours d'une indigence rare…! Voir dans toute représentation de la sphère terrestre la préfiguration du "Nouvel ordre mondial" est une pure idée paranoïaque et anachronique.

Que les francs-maçons soient attachés à la symbolique de la sphère comme celle de l'universalité, ne fait que les inscrire dans une très ancienne lignée du savoir et de l'imaginaire humain en général.

La sphéricité de la Terre est connue des Grecs anciens depuis Pythagore, Parménide, Platon ou Aristote. En Égypte, le grec Ératosthène, qui dirigeait la bibliothèque d'Alexandrie au IIIe siècle avant notre ère, donna la première estimation du rayon du globe dont la mesure est à peu près exacte…! Le savoir islamique maîtrisait cette conception à l'époque de l'âge d'or de son astronomie entre les IXe et XIIe siècles.

La tradition chrétienne monarchique utilisait la sphère, concrétisation de l'orbis terrarum (disque terrestre qu'entoure le fleuve Océan et non conscience de la rotondité de la Terre), comme illustration du pouvoir sur le monde. Charlemagne a été représenté tenant dans sa main le globe surmonté d'une croix. Il est difficile d'anticiper dans cette imagerie les tentatives de "nouvel ordre mondial" du capitalisme globalisé de la fin du XXe siècle.

Imaginer que "toutes ces petites choses très intéressantes", repérées par le commentateur de la vidéo, ne sont pas forcément visibles à l'œil nu, c'est oublier que ces œuvres étaient commandées, discutées puis fabriquées dans des ateliers avec un maître sculpteur et ses aides. Au XIXe siècle, l'État a fait travailler des centaines de sculpteurs et de sculpteurs ornemanistes. Il n'y avait pas d'officines obscures où auraient été conçues secrètement cette dispersion des signes ésotériques…

Par ailleurs, le commentateur multiplie les contradictions, parfois à quelques phrases d'intervalle… Ainsi : "Tout ça, c'est quand même clair", et plus loin : " Je trouve tout ça bien obscur"… Il faudrait trancher !

Et quand on appelle à "… laisser libre cours à votre pensée personnelle", on pêche par défaut de méthode intellectuelle. Analyser, c'est d'abord éviter l'anachronisme et l'arbitraire du jugement, en recherchant le sens que ces œuvres et ces symboles avaient pour ceux qui les ont réalisés selon les modes artistiques de l'époque, les conditions sociales de leur travail, leurs préférences personnelles. Prétendre décoder un signe franc-maçon dans tout compas ou toute allusion à la lumière est une grosse bêtise. C'est tout.

La sculpture évoquée ici est intitulée "L'Art et la Science", œuvre de François Jouffroy en 1857. Placée au fronton du pavillon Mollien, côté cour Napoléon, elle représente diverses expressions de la culture : théâtre grec ancien, musique, palette de peintre, livre de géométrie…
Que cette apologie du savoir et des compétences artistiques soit disposée autour d'un globe terrestre dont on montre les régions qu'on ambitionne de voir atteinte par cette culture, est le signe que celle-ci se pense comme universelle. Et il faut bien reconnaître que la culture produite de la Grèce jusqu'à l'Occident européen au XIXe siècle, a sans conteste élevé le niveau général de l'humanisme universel, de la dignité entre les êtres et de la compétence scientifique. C'est ce qu'on l'on croit fermement au XIXe siècle. Même si la domination occidentale a aussi exporté autre chose de moins glorieux.

 

 

19 – Quel homme-Dieu…?

vidéo - 9 mn 06 : "Alors là, c'est quand même significatif de l'Égypte ancienne. Nous avons le bateau, avec un homme-Dieu, on va dire ça… parce que c'est un peu la représentation de ce que veulent devenir certains êtres humains. Au centre de ce bateau, il y a un côté divin, et autour vous avez toujours… Côté gauche, vous avez un ange encore porteur de ces deux serpents. C'est quand même très étrange, hein… Faut quand même savoir… Lisez la Bible, lisez le Coran, c'est valable, ça vaut vraiment le coup."

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réponse – Encore un contre-sens…! Ce fronton du pavillon Turgot, dans la cour Napoléon, représente "l'Abondance", œuvre d'Eugène Guillaume (1822-1905) en 1857, d'après un dessin d'Édouard Baldus (1813-1889). C'est une allégorie, et non un "homme-Dieu" (mais où va-t-il chercher cela…?) sous forme d'un buste de femme coiffée d'un casque. Peut-être s'agit-il d'Athéna-Minerve (semi-cuirasse, ou égide, sur la poitrine, boucliers protecteurs sur les côtés) ? La vigilance de la déesse étant, en effet, source de sécurité et de paix qui garantissent l'abondance. Les rameaux d'olivier, sur le côté droit de l'allégorie, évoquant "Minerva Pacifera".

Athéna-Minerve sur un bateau n'a rien d'étonnant. Ce n'est pas la barque de la religion égyptienne qui fait passer les trépassés au royaume des morts, mais plus vraisemblablement le navire qu'elle construisit pour mener Jason et les Argonautes en Colchide à la recherche de la Toison d'Or. Et le vaisseau renvoie de toute façon à la puissance des échanges commerciaux.

Deux allégories secondaires entourent la principale. À sa droite, l'une porte un caducée qui n'est autre que le célèbre attribut d'Hermès, dieu du commerce, tout à fait à propos sur une telle fresque. Dans son autre main, elle tient une corne d'abondance. L'autre figure présente aussi une corne d'abondance mais on distingue mal ce qu'elle tient dans sa main gauche.

Comme il ne saurait y avoir d'abondance sans loi ni justice, deux petits génies montrent, l'un une main de justice, et l'autre une table de loi. Une fois encore, rien d'étrange dans cette composition. Sauf pour les esprits non informés qui prennent leurs préjugés pour des réalités.

Pour la curiosité, il existe, sur un autre fronton, une sculpture de même configuration mais sans titre particulier et d'allure plus martiale. Elle est due à Théodore Gruyère en 1868.

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Conclusion – Ne s'improvise pas commentateur qui veut. Le décodage de la symbolique artistique d'œuvres s'étalant sur au moins trois siècles exige un minimum de connaissances préalables, d'investigation rigoureuse, de souci historique. Le commentateur de cette vidéo n'y a pas souscrit.

Il est parti avec l'idée que les francs-maçons, les "illuminati", disposaient d'un pouvoir de parasitage des productions artistiques visibles au musée (ancien palais royal) du Louvre. Comme si ce groupe, dirigeant secrètement la société, avait besoin de parsemer de ses symboles occultes l'imaginaire du peuple. Cette hypothèse est absurde. Si une instance toute puissante exerçait réellement un tel pouvoir sur les destinées du monde, pourquoi aurait-elle recours à ces subterfuges ?

Mais, surtout, le décodage proposé s'avère totalement erroné. C'est une imposture intellectuelle sans excuse. Elle méprise le savoir immense accumulé par tous les esprits rigoureux qui ont inventorié les manifestations symboliques de l'esprit humain dans cet espace culturel remontant à l'Antiquité gréco-romaine. L'auteur se croit lucide parce qu'il postule une réalité secrète dont il percevrait les émanations cabalistiques. Mais il oublie le b-a ba de la méthode critique : vérifier les informations, les croiser, identifier les généalogies symboliques réelles, aller chercher le savoir à sa source authentique et non supposée.

Le Louvre n'est pas le repère de messages subliminaux délivrés par la franc-maçonnerie, contrairement à ce que prétend cette vidéo. C'est le dépositaire d'œuvres artistiques dont la symbolique exige un peu plus que le "libre cours laissé à la pensée personnelle". Il faut des connaissances solides et vérifiées avant de tenter des interprétations aléatoires et/ou défaillantes.

Michel Renard
Professeur d'histoire

 

Source iconographique principale : http://louvre.sculpturederue.fr/index.html

- visite d'un temple maçonnique : le Grand Orient de France  : http://www.liberation.fr/culture/06014785-la-face-cachee-des-francs-macons?xtor=EPR-450206 (un peu rapide...)

 

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8 avril 2011

Canada : cartographie

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le Canada

 

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les provinces du Canada (cliquer sur la carte pour l'agrandir)

 

 

 

 

 

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5 février 2011

peinture chrétienne gothique (XIVe siècle)

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Duccio,

Scènes de la Passion du Christ

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1- l'entrée du Christ à Jérusalem


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9 - Premier reniement de Pierre


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10  - le Christ devant Caïpeh (grand prêtre)





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Il est intéressant de noter les différentes fonctions des scènes représentées sur les deux faces de la Maestà. La façade avant représente une image de dévotion destinée à la communauté des fidèles (ce qui explique sa taille, bien visible de tous les coins de l'église), tandis que l'arrière était essentiellement destiné au clergé desservant le sanctuaire. La face arrière se compose de quatorze panneaux, initialement séparés par des colonnes ou pilastres qui ont été perdus avec le cadre extérieur dans le démembrement de 1771.

Hormis l'entrée à Jérusalem et la Crucifixion, chaque panneau présente deux épisodes. La partie centrale du registre inférieur qui représente l'agonie au jardin des Oliviers et l’arrestation du Christ est deux fois plus large que les autres compartiments, sauf en ce qui concerne le panneau de la Crucifixion au registre supérieur, de même taille, mais avec une scène unique. De nombreuses théories ont été avancées par les critiques quant à l’ordre des séquences, rendu problématique par la variété des sources du Nouveau Testament qu’utilise Duccio. Il est certain que le cycle débute en bas à gauche et s’achève en haut à droite, en procédant de gauche à droite sur le registre inférieur, puis sur le registre supérieur.

 

 

L’entrée à Jérusalem
La scène est inhabituelle en raison de l'attention accordée au paysage, riche en détails. La route pavée, la porte de la ville et ses remparts, les embrasures des murs, les tours élancées et le bâtiment polygonal de marbre blanc témoignent d’une mise en page remarquablement réaliste. Le petit arbre, flétri et sans feuilles à l’arrière de la tête du Christ, est le figuier qu’il a trouvé sans fruits et qu’il a maudit. Florens Deuchler a suggéré que cette scène tire sa source d’un travail historique du premier siècle après JC, le «De Bello Judaico» de Flavius Josèphe, très connu au Moyen-Âge. Le panneau de Duccio est une reproduction fidèle à la description de Jérusalem dans le livre V de l’historien juif. La photographie infrarouge durant la restauration a révélé plusieurs changements dans la zone située autour de l'arbre au centre et autour de la route.

 

 

Le lavement des pieds
Seul Jean raconte l’épisode du Lavement des pieds. Le cadre est l'intérieur d'une salle très simple, avec comme seuls éléments décoratifs le plafond à caissons et l’espèce de rose sur la paroi arrière. Ce détail doit être imaginé dans la scène suivante, celui de la Cène, car il est caché par l’auréole du Christ. Il réapparaît en effet dans la scène du discours aux apôtres qui, selon l'évangile à lieu dans la même salle.
Le Lavement des pieds reflète quelques échos de l'art byzantin, dans le groupe compact des apôtres et le geste de Pierre, tandis que la position de Christ rappelle les modèles occidentaux. La forme des sandales noires, bien décrites par Cesare Brandi «comme si elles étaient des scarabées précieux en onyx», est typique de l’époque.

 

 

La Cène
La Cène est dominée par la figure centrale de Jésus qui, à la stupéfaction des apôtres, offre le pain à Judas Iscariote, absent de la scène suivante (il s’est éclipsé pour trahir), mais présent dans la scène de l’arrestation. La position de Jean est classique, mais cependant son auréole se trouve derrière le dos du Christ. Des bols en bois, des couteaux, une cruche décorée et un plat de viande, l'agneau pascal, sont disposés sur la table, couverte d'une simple nappe tissée en motifs de losanges.

 

 

Le Christ prend congé des Apôtres
Après le repas, toujours d’après Jean, alors que Judas s’esquive pour trahir son maître, le Christ parle une dernière fois à ses onze apôtres et les prépare à leur mission future d’enseigner le « ommandement nouveau». Assis de trois-quart devant la porte ouverte, il contraste avec le groupe compact des disciples, positionnés tous de la même manière et plongés dans l’écoute et la réflexion. La scène est animée par les drapés doux de personnages, et les auréoles de la rangée supérieure des disciples donnent de la profondeur à la scène. Comme dans le lavement des pieds et la dernière Cène, Duccio a évité, pour des raisons d’équilibre et d’espace, de peindre des auréoles aux personnages du premier plan.

 

Le pacte avec Judas

 

La trahison de Judas et son pacte avec le Sanhédrin se déroulent dans un environnement extérieur où l'espace est organisé en différents degrés de profondeur. Le groupe des personnages se trouve sur le même plan que le pilier de droite et est rassemblé devant une loggia voûtée d’ogives et à grandes et arches en plein cintre. La tour polygonale, un peu en arrière du bâtiment central, remplit l'arrière-plan.

 

Jésus au jardin des Oliviers

 


 

Dans l'agonie du mont des Oliviers, Jésus se tourne vers Pierre, Jacques le Majeur et Jean, et de les admoneste afin qu’ils ne tombent pas en tentation, alors que les autres disciples dorment. Sur la droite, en conformité avec l'Evangile de Luc, le seul à mentionner l’apparition d’un ange, il se retire dans la prière. Il se dégage une grande atmosphère de calme, rompue uniquement par les gestes du Christ, de Pierre et de l’Ange…

 

L’arrestation de Jésus

 

Le mont des Oliviers devient le théâtre d’une l'agitation inattendue dans la scène de l’arrestation du Christ, qui raconte trois épisodes distincts : au centre le baiser de Judas, à gauche Pierre coupant l'oreille du serviteur Malchus, et à droite la fuite des apôtres. L'intensité dramatique de la scène est renforcée par la succession de lances, lanternes et torches, dans les mouvements excités des personnages et l'expressivité de leurs visages. Le paysage, uniquement décoratif dans les scènes précédentes, prend ici un nouveau rôle scénique : la végétation et les falaises rocheuses, d'inspiration nettement byzantine, font partie intégrante de l'action : dans la scène de l’agonie les trois arbres à droite isolent le Christ, tandis que dans cette scène ils jouent une sorte de rôle, comme s’ils permettaient aux disciples de s'échapper.

 

Le Christ devant Anne

 

La règle de l'autonomie absolue de chaque scène est rompue avec bonheur dans ce panneau. Les deux épisodes, racontée par Jean, se produisent simultanément, mais dans des endroits différents et l'escalier joue un rôle de lien dans l’espace et dans le temps. Alors que Jésus est traduit devant le Grand Prêtre Anne, Pierre reste dans la cour où une servante le reconnaît comme comme ami de l'accusé : de sa main, il fait le geste de dénégation. L’environnement est rempli des détails architecturaux qui animent la scène : la porte à arc brisé ouvrant sur un porche, la fenêtre gothique à baie géminée du petit balcon souligné d’une bande lombarde, l’arcature du mur du fond de la salle d’audience, le plafond à caissons de petits carrés… Pierre, dont le halo passe curieusement derrière la tête de son voisin, se chauffe les pieds d'une manière très réaliste.

 

Le Christ devant Caïphe
Selon l'Évangile de saint Matthieu, le panneau doit être lu de bas en haut. Les scènes du Christ devant Caïphe et du Christ aux outrages se déroulent dans le même lieu, la cour de justice du Sanhédrin, où le Christ est amené devant le Grand Prêtre Caïphe et les Anciens.
Duccio donne une grande importance au personnage isolé parmi une foule de casques et de visages anonymes qui lève la main et pointe le doigt pour attirer le regard du spectateur. Réminiscence anticipative au geste du Baptiste montrant le crucifié ? Caïphe est représenté dans une attitude de colère et d'indignation face à Jésus : les mains sur sa poitrine, il déchire sa tunique rouge, montrant celle qu’il porte en dessous (détail est raconté par Matthieu et Marc). Au seuil de la salle, Pierre renie une seconde fois.

 

Le Christ outragé
Selon l'Évangile de saint Matthieu, le panneau doit être lu de bas en haut. Les scènes du Christ devant Caïphe et du Christ aux outrages se déroulent dans le même lieu, la cour de justice du Sanhédrin.
Dans cette scène il y a beaucoup plus d’animation : le Christ, les yeux bandés (selon la version de Marc et de Luc) et immobile dans son manteau sombre, est outragé et battu par les soldats sous les quolibets des pharisiens.
À l'extérieur de la salle, Pierre renie encore devant la servante, alors que le coq chante…

 

Les Christ accusé par les pharisiens devant Pilate
Les scènes où Pilate apparaît (le Christ accusé par les Pharisiens, le premier interrogatoire du Christ, le second interrogatoire, Pilate se lavant les mains…) se déroulent dans le palais du gouverneur. Les minces colonnes spiralées de marbre blanc et la décoration sculptée en haut des murs sont une référence à l'architecture classique. Pilate, dépeint avec la solennité d'un empereur romain et coiffé comme lui d'une couronne de laurier, évoque le monde de l'antiquité classique.
Comme dans l'Evangile, le groupe des pharisiens, au demeurant en pleine excitation (remarquer encore une fois la main avec le doigt pointé), se trouve à l'extérieur du bâtiment : les Juifs évitent de pénétrer à l'intérieur pour ne pas se souiller avant la Pâque. À droite, au milieu des soldats qui regardent vers Pilate et les Juifs, le Christ semble écrasé de solitude…

 

Pilate interroge le Christ une première fois

 

Le Christ devant Hérode
Pilate, apprenant que Jésus relève de la juridiction d'Hérode, l’envoie au roi pour qu’il le juge. Après l’avoir questionné, après l’avoir traité avec dérision et mépris, Hérode le renvoie au gouverneur romain, après l’avoir fait revêtir d’une tunique blanche, distinctive des fous.

 

Le Christ devant Pilate
Le Christ, renvoyé par Hérode dans la robe blanche des fous, est à nouveau devant Pilate. Bien que placée dans deux environnements architecturaux différents la disposition des deux scènes est presque identique, à la fois dans la distribution des personnages et dans leurs mouvements. Le Christ, décrit dans un état de grande tristesse, est muré dans un silence total. Les gestes de Pilate et d’Hérode sont les mêmes dans les trois scènes. Le trône du roi avec des marches, sa structure de base embellie et ornée, se différencie très nettement du siège très simple du gouverneur.

 

La flagellation
La flagellation est à peine mentionnée dans les Évangiles. La description qu’en fait Duccio est d’une remarquable inventivité, visant à illustrer chaque moment de la Passion. Le personnage de Pilate désobéit à toutes les règles de la perspective.

 

Le couronnement d’épines
La composition respecte fidèlement les Écritures et la scène est illustrée dans les moindres détails.

 

Pilate se lave les mains
Tout un panneau est consacré au lavement des mains de Pilate, malgré que l'histoire ne soit que brièvement et seulement racontée par Matthieu. Encore une fois, la scène est remplie de mouvement et de vitalité ; la perspective est rendue par différents plans se superposant dans la scène : Pilate, le grand attroupement devant le pilier gauche.

 

Le chemin du calvaire
La scène de la montée au Golgotha, telle que la représente Duccio, est une scène « intermédiaire » entre le passé et les événements futurs. D'une part, la figure du Christ, avec ses mains encore liées, renvoie le spectateur aux différents épisodes du procès. D'autre part, la direction vers laquelle tous les personnages se meuvent (vers le panneau de la Crucifixion à droite de la scène) et la croix que porte Simon de Cyrène, sont une allusion au supplice ultime.

 

La crucifixion
L'intensité émotionnelle des épisodes de la Passion atteint son moment le plus dramatique dans la scène de la Crucifixion, qui, placée au registre supérieur du centre, domine l'ensemble de la face arrière du retable. La croix élancée se détache du fond or, divisant la foule en deux groupes distincts. À gauche, le groupe des fidèles du Christ, calme et bien ordonné, mais dont les visages expriment la douleur et l’affliction : on y trouve Marie, Mère de Jésus, les « trois Maries » (Marie de Cléophas, sœur de la Vierge, Marie Salomé, mère de Jacques et de Zébédée et Marie-Madeleine vêtue de rouge, avec sa longue chevelure déliée) et Jean l'Evangéliste.

ur la droite, les membres du Sanhédrin et les gardes Juifs froment une foule bigarrée et très agitée, insultant et se moquant du crucifié. Le modelé fin du visage du Christ n'est pas sans rappeler le plasticisme des ivoires gothiques, tandis que le contraste très fort opposant les deux groupes a des parallèles avec la Crucifixion de la chaire de la cathédrale, sculptée par Nicola Pisano en 1266-1268. La scène se déroule dans un paysage désolé de rochers déchiquetés, allusion claire au Golgotha.
Le modelé très fin du visage du Christ n’est pas sans rappeler le plasticisme des ivoires gothiques.

 

La déposition de la croix
La déposition, avec le même fond or que la crucifixion (excluant toute possibilité de distraire l’oeil), est représentée comme un moment d’une intense émotion. Joseph d'Arimathie et Jean soutiennent le corps sans vie, alors que Nicodème enlève les clous des pieds et que la Vierge accueille son fils mort dans ses bras, contemplant son visage aux yeux clos. Une des Maries serre contre son visage un bras du Christ bras, tandis que les autres tiennent leurs mains couvertes dans les plis de leurs manteaux. Les visages expriment le tragique du deuil. Le filet de sang au pied de la croix, également présent dans la précédente scène, ajoute une note de réalisme dramatique.

 

La mise au tombeau
Les mêmes personnages que dans la Crucifixion apparaissent dans la mise au tombeau. Seule est absente la femme au manteau bleu. Tous sont penchés sur le corps du Christ. Joseph maintient le linceul alors que Jean soulève doucement la tête de Christ et que Marie l’embrasse pour la dernière fois. Seule Marie-Madeleine exprime son désespoir en levant les deux bras au ciel.

 

La descente aux limbes
L'épisode de la descente aux enfers n'est pas mentionné dans les évangiles canoniques, mais relatée dans l’Evangile apocryphe de Nicodème. Il s'agit d'un thème iconographique peu diffusé dans la peinture occidentale : il révèle clairement l’influence de l'art byzantin par l'utilisation abondante de la couleur or sur le vêtement du Christ et la présentation de la scène elle-même. Ayant ouvert les portes de l'enfer, le Christ arrive dans les limbes pour y libérer ses aïeux : tout en aidant Adam à se lever, il terrasse un Satan hideux, vaincu et aveuglé par la rage.

 

Les trois Maries à la tombe
La subtilité des postures dans la scène des trois Maries au caveau est remarquable. Les femmes sont représentées dans les attitudes mèlées d'émerveillement et de peur ; leurs mouvements délicats vers l'arrière et les gestes nerveux de leurs mains montrent leur étonnement devant la soudaine apparition. Pour la réalisation de ces trois personnages, il semble que Duccio se soit inspiré de la Sibylle de Giovanni Pisano sculptée sur la façade de la cathédrale de Sienne. En face, l'ange est assis tranquillement sur le couvercle du sarcophage déplacé et pointe un doigt vers le tombeau vide. Sa robe blanche (plus blanche et aérienne que le linceul au bord du sarcophage) coule doucement sur lui avec des plis harmonieux et contraste magnifiquement avec les rochers sombres, illuminant l'ensemble de la composition.
Les femmes sont représentées dans les attitudes mèlées de l'émerveillement et de la peur ; leurs mouvements délicats vers l'arrière et les gestes nerveux de leurs mains montrent leur étonnement devant la soudaine apparition.

 

«Noli me tangere»
Dans l'apparition à Marie-Madeleine, le paysage rocheux fait partie intégrante de la mise en scène : les ravins escarpés insèrent le dialogue intime dans un milieu de solitude absolue, et dont les arbres (qui figurent à nouveau dans un panneau depuis la scène où le Christ est fait prisonnier) sont les seuls témoins. Jésus se présente de la même manière que dans la scène de la descente en enfer, avec la croix surmontée d’un petit drapeau flottant au vent, tandis que Marie-Madeleine capte le regard dans son manteau rouge vif. La barre oblique des roches accompagne et met l'accent sur la forme de son corps en flexion.

Le chemin d’Emmaüs
Seul l'Evangile de saint Luc mentionne que le Christ, vêtu comme un pèlerin, apparaît à ses disciples sur le chemin d'Emmaüs. Duccio reprend le texte de l'Évangile, en reproduisant le portrait d'un authentique pèlerin médiéval qui se distingue par le sac à dos sur l'épaule, la «pèlerine» et le chapeau à larges bords typique. Comme dans la partie inférieure, la composition est orientée vers la droite, où il ya un village sur une colline. Un détail intéressant est la route pavée avec deux variantes : une partie avec des pavés ronds et, sous la porte principale, avec des pierres à pavage régulier.

 

 

 

 

 




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7 janvier 2011

l'encadrement par l'Église

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le clergé au Moyen Âge



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6 janvier 2011

tympan de Conques : univers religieux de l'Occident médiéval

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analyse du tympan de Conques
 

introduction

Étape majeure, entre Le Puy et Moissac, sur le chemin du pèlerinage de Compostelle en Espagne, l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, dans l'Aveyron, est un témoignage très riche du patrimoine architectural médiéval.
Haut-lieu de la chrétienté, elle incarne une expression de l'univers religieux et de la foi des hommes du Moyen Âge.
Conques a préservé de très nombreuses sculptures romanes (tympan du Jugement dernier, chapiteaux historiés) et conserve un trésor de reliquaires, recouverts d’or et d’argent, d’émaux, de camées, d’intailles (
pierres dures et fines gravées en creux pour servir de sceau ou de cachet) et de pierres précieuses.
Un premier monastère fut fondé à l'époque carolingienne par l'abbé Dadon, puis une nouvelle église fut construite au XIe siècle, entre 1041 et 1082 selon les principes de l'art roman. Entre temps, un moine rapporta les relique de sainte Foy qu'il avait dérobées.

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la statue reliquaire de sainte-Foy de Conques

L'élément d'architecture le plus célèbre de l'abbatiale de Conques est le tympan en façade de l'église ; c'est un bas-relief composé de 124 personnages. Il a été réalisé entre 1107 et 1125.

 

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le tympan de Conques avec la figure centrale du Christ



1) l'abbaye de Conques et son tympan à l'été 2007 (photos)

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la façade dans sa partie haute

 

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façade et portail d'entrée avec le tympan

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le tympan au-dessus des deux grandes portes


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le tympan mesure 6m70 de large et 3m60 de haut

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partie gauche du tympan

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partie droite du tympan

 

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partie centrale du tympan


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partie haute du tympan

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2) vocabulaire

- eschatologie : tout ce qui concerne les fins dernières de l'humanité dans une vision religieuse

- Fils de l'homme : une expression abondamment utilisée au début du VIe siècle av. J-C par le prophète Ezéchiel, dans un sens courant : "être humain", soulignant l’humanité. Au IIe siècle av. J-C, Daniel décrit une vision de la nuit où il a vu Dieu sous l’apparence d’un vieillard sur son trône céleste, servi par des milliers d’anges. Dans sa vision apparaît aussi un être comme un fils d’homme qui est la figure allégorique d’Israël.
Au Ier siècle av., un auteur va reprendre le Fils de l’homme et amplifier considérablement ce personnage.
Ce ne sera plus seulement une figure allégorique, mais un être céleste (comme les anges) tenant son existence de Dieu seul avant la création du monde. Il est incarnable et il viendra sur terre "exercer le jugement "aux derniers jours, avant d’assumer définitivement le pouvoir dans le Royaume de Dieu instauré sur une Terre transformée.

"Fils de l’homme" est une expression utilisée essentiellement par Jésus : 44 fois dans l’Évangile de Matthieu, 43 fois dans celui de Luc, 12 fois dans celui de Jean et 10 fois dans celui de Marc.
Les Évangiles – l’histoire de Jésus – vont y ajouter deux caractères très importants que n’avaient imaginés ni l’auteur de Daniel ni celui des Paraboles d’Hénoch, deux caractères typiquement chrétiens :
1 – le Fils de l’homme / Fils de Dieu s’incarne dans un nouvel être humain ;
2 – le Fils de l’homme devra souffrir et mourir avant d’entrer dans sa gloire.

- tympan : espace semi-sphérique décoré de sculptures entre le linteau et l'ensemble des voussures d'un portail d'église romane ou gothique.

- phylactère : banderole (du gr. phulaktêrion, ce qui sert à protéger) enroulée à ses extrémités, imitant souvent le parchemin et sur laquelle figure une inscription. Dans la peinture chrétienne du Moyen Âge, les phylactères servent à inscrire les paroles prononcées par les personnages représentés : texte de l'archange Gabriel dans la salutation angélique, du Gloria pour les anges de la Nativité. Ils sont souvent présentés par des anges... (source d'après : encyclopédie Larousse)

 

3) les références religieuses évangéliques

- Évangile selon saint Matthieu 25, 31...40

Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siègera sur son trône de gloire. Il dira à ceux qui seront à sa droite : «Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !»
Alors les justes lui répondront : «Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?»
Et le Roi leur répondra : «Amen, je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.»

 

4) structure d'ensemble, les trois registres

 

4acteurs
les principaux acteurs (source)

 

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les espaces-temps (source)



5) identification des personnages et des inscriptions

 

 

inscriptions traduction
traduction des inscriptions du tympan de Conques (source)

 

inscription linteau Conques
inscription du linteau, à la base du tympan de Conques (source photo)


- inscription du linteau, à la base du tympan : O PECCATORES, TRANSMUTETIS NISI MORES JUDICIUM DURUM VOBIS SCITOTE FUTURUM, ce qui signifie "Pêcheurs, si vous ne réformez pas vos mœurs, sachez que vous subirez un jugement redoutable".

 

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tympan de Conques : le Christ en majesté, jugeant


"Central, le Sauveur est assis majestueusement sur un trône car il est roi de gloire. Ce rayonnement de gloire l'environne par cette nuée d'où surgit un ovale caractéristique, identifiant l'état de ressuscité : la mandorle. Des étoiles l'entourent selon un rythme facilement identifiable alors que deux anges portant un cierge - cérophéraires - l'encadrent en-bas, avec deux autres figures angéliques au-dessus.
Vêtu d'une longue tunique plissée à l'orientale, le Christ porte autour du cou le pallium : cette écharpe de laine blanche brodée de croix noires, réservée au pape et à certains dignitaires ecclésiastiques.
Son bras droit, à la pliure vigoureuse, désigne les hauteurs, la main surmontée de la seule étoile à huit branches. Son bras gauche, souple, présente de face, une main largement ouverte. Le côté ouvert permet aussi d'évoquer l'apôtre Thomas désireux de vérifier que le Ressuscité est bien le Crucifié.
"Toi que nous contemplons dans la foi, fait nous partager la joie éternelle à l'heure du jugement" (Intercession du temps de l'Avent)." source

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croix au-dessus de la tête du Christ

"Une partie du motif de la condamnation se lit encore tout en haut de la croix SREXIDEORUM : Jésus de Nazareth, roi des Juifs.
La lance (LANCEA) et le clou (CLAVI) sont tenus par deux  anges en apesanteur, aux ailes arc-en-ciel.
Le soleil (SOL) et la lune (LUNA) sont personnifiés car une éclipse eut lieu le vendredi saint à l'heure de la mort de Jésus. Ces astres rythment aussi le temps qui est racheté par l'acceptation de la croix, d'où la réflexion de saint Cyrille : "la gloire du Christ c'est sa croix". Ce signe de la croix sera dans le ciel, peut on lire encore : OC SIGNVM CRVCIS ERIT IN CELO CVM... quand il viendra dans la gloire.
"Aussitôt après la détresse de ces jours-là, le soleil s'obscurcira, la lune ne brillera plus, les étoiles tomberont du ciel (...). Alors le signe du fils de l'homme apparaîtra dans le ciel. Tous les peuples de la terre verront le fils de l'homme venir sur les nuées du ciel avec beaucoup de puissance et de gloire"..." (source)

 

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"L'assemblée des saints se tient debout, joyeuse, devant le Christ-Juge"
(traduction de l'inscription qui n'est pas une légende de l'image)

 

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les anges porteurs de phylactères

Auréolés, coiffés à l'identique, les anges déploient leur phylactère en oblique : pliure qui répond aux toitures du registre inférieur.
VMILITAS : l'Humilité est nommée au-dessus de la Vierge Marie "petite servante du Seigneur". La règle monastique de saint Benoît  décrit les douze degrés de cette vertu chrétienne.
Effacée, la Constance vient en seconde place. C'est l'endurance dans les épreuves et les tentations, la persévérance dans la suite du Christ.
CARITAS : l'Amour dont Dieu nous aime et dont nous pouvons aimer le prochain, précède Foi ou Espérance sur le quatrième phylactère.
(source)

 

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sainte Foy priant intercède pour les défunts (© M. Renard)

- "La main de Dieu bénit dans un raccourci spatial la martyre sainte Foy, patronne de l'Église. À la main de Dieu qui descend vers la sainte pour la bénir et l'élire répond celle de la sainte qui monte pour prier Dieu et l'adorer. Le nimbe qui entoure la main de Dieu touche la tête nimbée de sainte Foy. L'image médiévale nous élève vers le sacré." (Jacques Le Goff)


 

6) bibliographie

  • Conques, moyenâgeuse, mystique, contemporaine, Marie Renoue et Renaud Dengreville, éd. du Rouergue, 1997.
  • Un Moyen-Age en images, Jacques Le Goff, éd. Hazan, 2007.
  • Description et interprétation du tympan de Conques, Pierre Seguret (site internet)
  • Le Tympan de Conques en détail du frère Jean-Régis Harmel, prémontré de l'abbaye Sainte Foy (site internet)

 

* mauvais sites

 

 

travail en cours...

 

global

 

 

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29 octobre 2010

Crise et mondialisation

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Crise et mondialisation,

la preuve par l’espace

 

avec Thierry Rebour, (université d’Amiens), le mardi 16 décembre 2008, 20h30, au bar l’Atelier, 206 rue de Bourgogne, Orléans.

 

Débat

 

1. Quand on parle de crise longue, peut-on parler, au niveau terminologique, de dépression ?

T. R. - Ici c’est plus qu’une dépression. Les termes de dépression comme de récession désignent des crises de court terme.

 

2. Peut-on relier la crise actuelle aux cycles Kondratieff ?

T. R. - Les cycles Kondratieff sont censés durer 50 ans : 25 ans de croissance économique puis 25 ans de crise économique, avec volumes et prix allant dans le même sens. On les a identifiés depuis le XIXe siècle. Le premier cycle a culminé vers 1870, puis décliné jusqu’en 1910.

Le second a été caractérisé par une croissance économique de 1910 à la crise de 1929, suivie d’une crise jusqu’en 1945, et le troisième par une croissance de 1945 à 1970, et déclin jusqu’à aujourd’hui. Alors que le deuxième Kondratieff est trop court, le nôtre est trop long et, de plus, il voit une divergence prix / volumes (selon le phénomène des ciseaux déjà évoqué). Il vaut mieux donc parler de trends (un trend est un cycle économique multiséculaire entraînant tout à tour les indicateurs économiques vers le haut puis vers le bas) que de cycles de Kondratieff.

 

3. Concernant les rendements d’échelle, pourquoi sont-ils décroissants dans les pays industrialisés et croissants dans les PVD, et comment se manifeste cette différence ?

T. R. - Dans une situation de rendements d’échelle croissants (productivité de tous les facteurs : capital, travail, terre), plus on utilise les facteurs de production, plus on obtient de produits après la production, comme ça a été le cas pendant la révolution industrielle ou les 30 glorieuses. Dans ce contexte, le but des entreprises est de produire le plus possible afin de maximiser leur profit, tout en étant le plus proche les unes des autres pour économiser des coûts (économies d’agglomération). Cela produit donc de l’agglomération. C’est le cas par exemple de la Chine aujourd’hui. Il en résulte une urbanisation très rapide. La plus grande ville du monde aujourd’hui est la nouvelle mégalopole Hong Kong - Canton - Macao, où les trois villes sont jointives selon la règle habituelle des 200 mètres. Leur fusion date de 2004-2005 et la mégalopole compte environ 35 millions d’habitants.

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Les rendements d’échelle croissants génèrent des mégalopoles. Au contraire, les rendements d’échelle décroissants génèrent de la désagglomération, avec des output qui augmentent moins vite que les input. Le but des entreprises est alors d’être les plus petites possibles pour maximiser leur taux de profit. Une autre solution est aussi de fusionner. Mais la solution la plus profitable reste la délocalisation lorsqu’elle est possible. Les rendements d’échelle décroissants génèrent donc des flux centrifuges à toutes les échelles, alors que les rendements d’échelle croissants génèrent des flux centripètes à toutes les échelles. Les causes de ces flux sont le rapport entre la rente foncière et le pouvoir d’achat. Dans les pays industrialisés, les revenus du travail s’érodent. Or parallèlement, les prix fonciers et immobiliers augmentent énormément. Les rendements d’échelle décroissants entraînent donc une déconcentration à cause d’un rapport négatif entre une rente foncière qui s’élève trop vite et des revenus insuffisants.


4. Pour vous, l’augmentation des prix de l’immobilier en Occident et aux États-Unis est-elle liée à une pénurie des biens immobiliers ? Et avez-vous une idée de comment on mesure la notion de pénurie de biens immobiliers ?

T. R. - 1969 a connu le record de production de BTP en France. Depuis, la diminution du nombre de logements construits alors que la population française continue d’augmenter légèrement entraîne une élévation des prix. Or, globalement, le prix du foncier est fixe depuis l’an 1000 : il vaut toujours la même quantité de marchandises (cf La théorie du rachat, Th. Rebour, 2000).

Ce n’est donc pas la rente foncière qui est en cause mais le prix des logements qui augmente à cause d’une pénurie de logements construits et une dégradation progressive des logements anciens. Or, les logements sont payés par les ménages dans le cadre de l’accession des classes moyennes à la propriété privée environ depuis 1980 (auparavant, les logements étaient payés par les entreprises, d’abord via le paternalisme puis via le salaire différé). Or, les ménages dépensent ce qu’ils gagnent, alors que le capital gagne ce qu’il dépense en se rattrapant sur la hausse des prix. C’est comme pour les travaux qui seront à réaliser dans le cadre du Grenelle de l’environnement : ils seront à la charge des ménages (isolation des maisons, mise en conformité, systèmes d’eau...), or ceux-ci n’en ont pas les moyens. C’est à cause de la concurrence internationale que ce ne sont plus les entreprises qui payent. On en revient toujours à la mondialisation qui est au cœur du problème.

5. Vous expliquez donc l’augmentation des prix de l’immobilier par une pénurie de logements depuis 1969 et par une baisse du pouvoir d’achat ? Or, les chiffres de l’INSEE montrent une augmentation de ce pouvoir d’achat.

T.R. - On parle du pouvoir d’achat du travail et non des ménages. Ce ne sont pas les ménages qui s’appauvrissent : il faut prendre le travail comme étalon. Car une petite partie des ménages s’enrichit (10 % environ, qui voient leur pouvoir d’achat augmenter), mais la majorité s’appauvrit. Mais dans la moyenne, cela ne se voit pas. Or ces 10 % consomment peu, mais ils épargnent. Alors que la majorité des ménages consomment tout ce qu’ils ont et n’épargnent pas. Par conséquent, une politique favorable aux riches stimule l’épargne et donc l’investissement. Mais dans les pays développés, la propension à consommer diminue car les inégalités augmentent. Or, la propension à consommer diminue avec le niveau de revenus. Donc s’il y a un déficit de consommation, pourquoi produire puisque les produits ne trouveront pas preneurs ? Ainsi, l’épargne ne se transforme plus en investissement et se financiarise, ce qui conduit à des bulles spéculatives quand la vitesse de circulation de cette épargne s’accélère, et à des cracks quand elle ralentit.

TheAmericanworld
amusant

6. Peut-on parler de fin de système ou de fin du capitalisme ?

T. R. - Ce n’est pas la fin d’un Kondratieff ni même d’un retournement de trend. On est dans une crise de l’hypertrend médiévo-capitaliste (de l’An 1000 à nos jours). Depuis l’An 1000, il y a eu trois trends, le dernier s’étendant du XVIIIe au XXe siècle (trend contemporain). Ces trends s’appuient sur la croissance de l’hypertrend. Les crises de trend sont des crises longues. La crise de 1929 n’est pas une crise de trend mais une crise courte. Il n’y a jamais eu durant ces crises d’inversion globale des flux migratoires. Les villes ont toujours grandi, elles n’ont pas perdu d’habitants (ni pendant la crise de 1300-1450, ni pendant celle du règne de Louis XIV). C’est la première fois que l’on a une crise économique où les indicateurs basculent vers le bas (mais pas les prix) et où les flux migratoires deviennent centrifuges, sauf à remonter jusqu’à la chute de l’Empire romain entre 250 et 950 ap JC.


7. Quelle prospective faîtes-vous de la crise actuelle et que conseilleriez-vous ?

T. R. - On a actuellement deux crises qui s’empilent : une crise de surproduction keynesienne liée à un ajustement des salaires vers le bas à cause de la mondialisation, qui s’ajoute à la crise des rendements d’échelle décroissants dans les pays développés depuis 1970. Il faut rééquilibrer le rapport capital - travail, redonner aux travailleurs les 15 % qu’ils ont perdu au cours des 30 dernières années pour retrouver la situation des années 1970 du point de vue du rapport de richesse capital/travail et rente. Mais pour les causes de la crise longue, l’explication serait trop vaste.

Je vous renvoie à La théorie du rachat, qui est le titre d’un livre que j’ai publié en 2000. Pour la résumer rapidement, la croissance économique serait le fruit de la pénétration progressive des terres sur le marché. La rente de ces terres étant payée avant qu’elles aient produit sur le marché, la demande est toujours en avance sur l’offre. Les prix augmentent et favorisent les revenus flexibles, comme les profits, aux dépens des salaires. C’est la mécanique des trends multiséculaires : les terres se déversent sur le marché, les prix augmentent conséquemment ainsi que les profits, tandis que les salaires diminuent. Lorsque la différence entre le niveau de production et le niveau des salaires est maximal, une crise de surproduction éclate, qui renverse la dynamique du trend. Les prix diminuent, entraînant la diminution des profits, tandis que paradoxalement, les salaires réels se regradent.

Au point bas du niveau de production, la différence profit-salaire est de niveau maximal, mais à l’inverse de la situation de surproduction : on est en situation de pénurie. Un nouveau trend peut alors repartir, puisque les salaires réels sont élevés. Le résultat spatial de ces déséquilibres est le phénomène d’agglomération. Ainsi, le résultat de la croissance du capitalisme en déséquilibre est l’existence des villes et même de mégavilles. Nous parlons ici de la croissance de l’hypertrend (sur lequel les trends se greffent). La théorie du rachat démontre donc que la croissance économique à très long terme résulte de la pénétration progressive des terres sur le marché. Lorsque toutes les terres sont sur le marché, le capitalisme a perdu son moteur.

C’est probablement ce qui arrive actuellement aux pays développés depuis les années 1970. Cette «catastrophe» au sens mathématique de terme s’est déjà produite dans l’histoire : la chute de l’Empire romain. Mais le moteur de la croissance économique dans l’Antiquité n’était pas la terre mais le travail. Ce fut la pénétration progressive du travail sur le marché qui fut à l’origine de la croissance économique à cette époque. Car à l’époque le facteur rare n’était pas la terre mais précisément le travail, d’où l’esclavage. Lorsque tous les travailleurs dépendants furent transformés en esclaves-marchandises, le processus de croissance antique s’arrêta.

Selon la théorie du rachat, la terre, dans le système médiévo-capitaliste, joue le même rôle que l’esclavage dans la civilisation antique. Aux mêmes causes les mêmes effets. Lorsque le rachat s’achève, c’est à dire lorsque toutes les terres sont sur le marché, on est dans la même situation qu’au IIe-IIIe siècle après JC lorsque tous les esclaves étaient sur le marché. Plus qu’une banale crise financière, il s’agit d’une crise longue, non pas même celle du trend contemporain, mais probablement celle de l’hypertrend de l’An 1000 à nos jours. La preuve : de la même manière qu’à la fin de l’Antiquité, les flux migratoires s’inversent à toutes les échelles. C’est ce que j’appelle la preuve par l’espace.

Synthèse des débats par Evelyne GAUCHER,
maître de conférence, université de Tours

URL pour citer cet article :
http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=2046


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12 septembre 2010

Ellis Island - iconographie

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Ellis Island

centre d'accueil

des immigrants aux États-Unis

1892-1954




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vue d'Ellis Island

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gravure

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hall d'enregistrement

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groupe de migrants


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examen médical des yeux


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une famille de migrants en mars 1917


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types d'immigrants


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entre 1909-1932

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une arrivée en 1911

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entre 1907 et 1917


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28 mai 2010

8 mai 1945, Sétif, Algérie, film de Rachid Bouchareb

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photo du film "Hors-la-loi" de Rachid Bouchareb (2010)



dossier sur les "massacres de Sétif"

en mai et juin 1945 en Algérie


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source


réactions dans la presse au film "Hors-la-loi"

de Rachid Bouchareb


Il y a plusieurs choses à dire sur Hors la loi de Bouchareb que l'on vient de voir
à Cannes 

Tout d'abord, le climat : protection policière très présente autour du palais du festival, fouilles au corps même pour les journalistes, sacs examinés deux fois plutôt qu'une : on se serait cru au Parc des princes lors d'un PSG-OM ou dans l'aéroport le plus surveillé au monde. Mais la projection s'est bien déroulée. Aucun sifflet, aucune insulte, rien.   

Venons-en au film lui-même. Et faisons d'abord un sort à la fameuse séquence des massacres de Sétif qui a déclenché tant de polémiques. Pour être le plus objectif possible, j'ai fait raconter cette scène à une jeune femme qui ignorait tout du 8 mai 1945. Qu'avait-elle vu ? Une manifestation pacifique d'Algériens, l'un d'entre eux tenant un drapeau algérien, des forces françaises prêtes à riposter, un officier de police qui cherche à récupérer le drapeau, qui fait feu sur l'Algérien, la panique de la foule, les policiers et l'armée française qui tirent sur les manifestants comme dans un stand de tir, faisant des dizaines de morts, deux Algériens sans armes ripostant en état de légitime défense (l'un fait basculer un Européen qui tire, un autre arrache un fusil et le retourne contre un autre Européen avant d'être tué), puis l'arrestation d'un des personnages du film (Sami Bouajila) qui passe devant des dizaines de corps d'Arabes tués... La jeune femme n'a pas vu qu'il y ait eu un massacre d'abord d'Européens par des Arabes.   

Si l'on résume, Bouchareb nous raconte le début de l'histoire (le drapeau, l'officier de police), tout en le condensant (car les massacres n'ont pas eu lieu à Sétif même, le 8 mai 1945, mais pour la plupart après), puis la fin de l'histoire (les massacres par milliers d'Algériens), mais il ne nous montre pas le milieu (le fait que les Européens ont été tués aussi, autrement qu'en légitime défense, par des Algériens qui étaient bien armés).    

Bouchareb, après avoir annoncé qu'il rétablirait la vérité historique, était revenu sur ses déclarations, brandissant, pour calmer le jeu, l'argument de la fiction. Mais il nous semble que si l'on représente un événement historique, on s'engage à le raconter de façon exacte. On a une responsabilité, surtout, face à un événement qui a eu tant de conséquences. Il faut dire et montrer les massacres d'Arabes - terribles, d'une ampleur immense - mais dire et montrer aussi l'autre partie, les massacres d'Européens, même plus réduits en termes de chiffres (102 contre 6.000 à 20.000 selon les sources). On ne peut pas toujours brandir cet argument de la fiction comme un joker qu'on sortirait quand cela nous arrange.   

Débats   

Sur le reste du film, car ne nous focalisons pas sur ces six minutes, constatons d'abord qu'il est très moyen. On est revenu vers un cinéma politique assez lourd, maladroit, où les personnages s'expriment souvent par slogans. Même si, par rapport à Indigènes, on constate qu'il y a plus de cinéma dans ce nouveau film. Mais on a parfois l'impression d'avoir affaire à une de ces oeuvres qui passaient jadis avant une émission des Dossiers de l'écran. Sujet : la lutte du FLN en France.              

Hors la loi a certes, là-dessus, ses vertus : il raconte succinctement, à travers l'itinéraire de trois frères, une histoire jamais montrée au cinéma : celle du FLN, son organisation sur le territoire, de sa radicalisation, de sa lutte aussi contre la police française, qui met en place une organisation secrète, la Main Rouge, qui a bel et bien existé. À cet égard, certaines comparaisons entre les Français et les Allemands - les membres du FLN ayant pris la place des Résistants - devrait sans doute avoir du mal à passer...   

Roschdy Zem (le plus convaincant des trois acteurs) interprète le bras armé, qui élimine en étranglant les éléments gênants, Sami Bouajila, la tête pensante révolutionnaire, prêt à tout sacrifier pour la cause, Djamel (coproducteur du film), plus en marge, tente sa chance dans le monde des cabarets, du business et de la boxe.   

Bouchareb n'est pas angélique sur le FLN et ses méthodes et le film devrait faire grincer des dents en Algérie, où la ministre de la Culture a annoncé une projection. Il rappelle, avec exactitude, que le FLN, en organisant la manifestation réprimée du 17 octobre 1961, a sacrifié nombre d'Algériens en connaissance de cause. Gonflé.   

La polémique va-t-elle retomber ou s'attisera-t-elle ? Bouchareb, au début de la conférence de presse, a tout fait pour calmer les esprits, disant vouloir ouvrir un "débat sur la colonisation française et les relations passées entre Français et Algériens". Il est ouvert. Mais un élément essentiel de ce débat nous semble porter sur l'usage des mots "fiction" et "vérité historique". Les historiens qui ont vu le film ont pointé des erreurs. Elles sont là en effet. Faut-il exclure les historiens du débat ? La fiction excuse-t-elle tout ? Espérons que durant les prochains jours, le débat sera enrichi avec toute la sérénité possible.

PS : on s'étonne de trouver dans le dossier de presse que la phrase fameuse de Mitterrand prononcée après l'insurrection du 1er novembre 1954 ("L'Algérie, c'est la France"), soit attribuée à Pierre Mendès France.

Le Point, 21 mai 2010


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«Ce déchaînement de folie meurtrière, dans lequel les autorités françaises de l’époque ont eu une très lourde responsabilité, a fait des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes…»

    Discours de M.Bernard Bajolet, 27 avril 2008, Ambassadeur de France en Algérie


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articles d'historiens sur les massacres

de Sétif et du Constantinois


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Le 8 mai 1945 et

sa mémoire


en Algérie et en France

(2005)

Guy PERVILLÉ, historien, universitaire



- Communication au colloque Mémoire et histoire, 60 ans après le 8 mai 1945, organisé par la Stiftung Genshagen au château de Genshagen (Berlin), 29-30 avril 2005, présentée à la fin de la journée du 29.

Le rapport entre ce sujet et celui du colloque peut sembler une simple coïncidence de dates, le 8 mai 1945 renvoyant à deux événements à première vue sans rapport entre eux : la capitulation du IIIème Reich à l’issue de la Deuxième guerre mondiale, et une insurrection manquée des nationalistes algériens contre la domination française en Algérie suivie d’une très dure répression.

La signature de la capitulation allemande à Berlin le 8 mai 1945 est un événement dans lequel la participation française est restée  relativement secondaire, même si la Ière armée française du général de Lattre de Tassigny, venue en grande partie d’Afrique du Nord, formait l’aile droite des armées alliées qui ont envahi l’Allemagne par l’ouest. Ce qui explique la réaction du maréchal Keitel en voyant signer celui-ci : «Quoi ? Même les Français ?»

Le 8 mai 1945 en Algérie est, plus qu’une simple coïncidence, en partie une conséquence de l’événement précédent. Le 8 mai, des défilés officiels sont organisés en Algérie pour fêter la capitulation allemande et la fin de la guerre. D’autres manifestations organisées par les nationalistes algériens ont été autorisées sous condition de n’arborer aucun emblème ou slogan jugé séditieux par les autorités, qui viennent d’exiler le leader Messali Hadj à Brazzaville pour éviter un soulèvement. Mais à Sétif, à Bône et à Guelma, des drapeaux et des banderoles nationalistes sont arborées, ce qui provoque l’intervention armée de la police voulant les arracher. Un début d’insurrection se produit à Sétif et se répand dans les campagnes environnantes, puis dans les environs de Guelma.

La répression reprend rapidement le dessus, mais elle sévit pendant plusieurs semaines, particulièrement à Guelma et dans ses environs. Le bilan est bien connu du côté français : 102 morts (dont 14 militaires, et 2 prisonniers italiens), 110 blessés et 10 femmes violées. Mais il est resté très incertain du côté des insurgés : officiellement 1.165 morts, mais ce bilan n’a convaincu personne, et d’autres estimations officieuses ont rapidement circulé : 5.000 à 6.000, 6.000 à 8.000, voire 15.000 à 20.000. Les nationalistes ont retenu 45.000 morts, voire davantage (80.000 ou 100.000 ?), mais sans démonstration probante.

Quant aux causes de ces événements, elles ont été longtemps controversées, entre l’interprétation de la gauche, notamment communiste, dénonçant un complot colonialiste des grands colons et de la haute administration manipulant des nationalistes pro-hitlériens, et  l’interprétation de la droite colonialiste dénonçant uniquement un complot nationaliste algérien [1].

L’objet de cette communication est de retracer l’évolution de l’historiographie de cet événement dans les deux pays, qui est d’abord passée  de la polémique à l’histoire, avant de voir de nouveau la polémique concurrencer et contrarier l’histoire.

De 1945 à 1962 : un enjeu politique direct

Durant une première période, allant de l’insurrection manquée à l’indépendance effective de l’Algérie, les écrits sur le 8 mai 1945 appartiennent à un genre essentiellement politique. La persistance d’enjeux actuels fait que leur production dépend étroitement de prises de positions en rapport direct avec le problème du destin de l’Algérie par rapport à la France.

En France, les échos de cet événement sont alors peu importants, à l’exception du très important débat de l’Assemblée consultative provisoire sur les événements d’Algérie en juillet 1945 [2], accompagné d’une importante déclaration du ministre de l’Intérieur du GPRF Adrien Tixier [3]. Mais ces débats d’une assemblée non élue touchent relativement peu de monde, et la presse  a très peu de place à leur accorder, même si quelques personnalités motivées comme Albert Camus [4] manifestent leur intérêt pour cet événement algérien.

Dans les années suivantes, un seul livre est consacré  à l’insurrection de mai 1945 par un élu français d’Algérie, celui d’Eugène Vallet, Le drame algérien. La vérité sur les émeutes de mai 1945, Les grandes éditions françaises, 291p, 1948. Ce livre était très bien documenté, mais très unilatéral. Un point de vue plus critique envers les abus de la répression se trouve dans ceux d’Henry Bénazet, L’Afrique française  en danger, paru en 1947, pourtant non suspect d’anticolonialisme, et du socialiste Charles-André Julien, L’Afrique du Nord en marche, nationalismes musulmans et souveraineté  française [5], Julliard, 1952.

En Algérie, l’impact de la répression colonialiste sur la propagande nationaliste du PPA-MTLD est très grand, mais il ne se manifeste pas par des recherches  ni par des publications historiques. La propagande orale ou écrite magnifie le crime colonialiste et son bilan, en passant sous silence les victimes européennes de l’insurrection, comme le fait remarquer Charles-André Julien [6] en 1952. Cependant cette propagande se développe encore davantage dans le discours du FLN pendant la guerre d’indépendance [7] qui commence le 1er novembre 1954. Le premier appel de l’ALN évoque alors «1945 avec ses 40.000 victimes», et la propagande du FLN lui accorde une place croissante, en particulier après le retour au pouvoir du général de Gaulle, déjà à la tête du GPRF en mai 1945.

Cependant,  l’exposé le plus frappant pour les Français fut peut-être celui du journaliste suisse Charles-Henry Favrod dans son livre paru en France La révolution algérienne, Tribune libre, Plon, 1959 : «Tous les chefs nationalistes sont unanimes à ce sujet : la révolution de 1954 a été décidée lors des événements de 1945. Tous ceux que j‘ai rencontrés au Caire, à Tunis, à Bonn, à Rome, à Genève, m’ont fait le récit hallucinant des jours et des nuits de mai. Le destin de l’Algérie a été scellé dans ce sang et ces larmes. Ouamrane, Ben Bella, Boudiaf, Chérif, et tant d’autres, sous-officiers et officiers de l’armée française, n’ont pas oublié ce qui s’est passé entre Bougie et Sétif, entre Bône et Souk-Ahras [8]».

À cette exaltation sans cesse croissante de la mémoire de la répression de mai 1945 par le FLN, la France n’a pas répondu. On peut seulement relever la déposition paradoxale du colonel Groussard en 1962 au procès de l’ex-général Salan, lequel a reconnu la gravité de la répression de mai 1945, mais pour en conclure que nombre d’officiers français s’étaient engagés en faveur de la politique d’intégration de l’Algérie dans la France afin d’en éviter la malheureuse répétition [9].

1962-1990 :  le début de l’histoire

L’indépendance de l’Algérie a changé cette situation, en privant le 8 mai 1945 de son importance politique directe. Dans les deux pays, le temps de l’histoire est enfin venu, et une convergence entre les travaux et les publications, quels que soient leurs auteurs, est devenue possible.

En France, la première enquête approfondie est publiée dès la fin de 1962 par une équipe dirigée par l’intellectuel Robert Aron, Les origines de la guerre d’Algérie, Fayard, 332 p. Pour la première fois, de larges extraits de documents d’archives furent publiés pour éclairer ce premier épisode trop méconnu [10]. Vint ensuite en 1969 une autre enquête non moins approfondie dans le premier tome d’une histoire de la décolonisation française publié en 1969 par le journaliste Claude Paillat (sympathisant de l’Algérie française et très bien pourvu en documents de cette origine) : Vingt ans qui déchirèrent la France, t. 1, Le guêpier, 1945-1953, [11], Robert Laffont, 1969.

Plus connue, l’évocation de cet épisode l’année précédente  dans le premier tome de l’histoire de la guerre d’Algérie d’Yves Courrière, Les fils de la Toussaint, Plon, 1968, était beaucoup moins solidement fondée parce  que dépendant essentiellement de la mémoire des militants nationalistes algériens [12].

C’esr pourtant un ancien militant nationaliste algérien, ayant choisi de vivre en France pour y travailler plus librement, Mohammed Harbi, qui réalisa les travaux les plus novateurs et ouvrit la voie à une véritable convergence des points de vue algériens et français. Il publia dès 1975 un petit livre très neuf, Aux origines du FLN, la scission du PPA-MTLD, ou Le populisme révolutionnaire en Algérie, Christian Bourgois, 1975, qui fut le premier à reconnaître que la thèse colonialiste d’un projet d’insurrection  nationaliste était beaucoup plus solidement fondée que celle du complot colonialiste soutenue par la gauche [13], puis Le FLN, mirage et réalité, Editions Jeune Afrique, 1980, où il confirma son analyse [14].

Au même moment la thèse de Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951,  Alger, SNED, 1980 et 1981, vint confirmer avec une abondante documentation que les projets nationalistes d’insurrection étaient très antérieurs à mai 1945, puisqu’ils remontaient au début de la Deuxième guerre mondiale [15]. Puis d’autres historiens algériens approfondirent l’étude du 8 mai 1945 : d’abord Redouane Aïnad-Tabet publia plusieurs versions enrichies de son mémoire sur Le mouvement du 8 mai 1945 en Algérie [16] ; puis Boucif Mekhaled soutint en France [17] sa thèse sur Les événements du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, Paris I, 1989, 724 p.

Durant la même période, les historiens universitaires français ont été plus timides par le volume de leurs publications. Il faut citer avant tout la mise au point de Charles-Robert Ageron dans l’Histoire de l’Algérie contemporaine, [18]  puis deux articles importants, l’un du même Charles-Robert Ageron, «Les troubles insurrectionnels du Nord-Constantinois en mai 1945 : une tentative insurrectionnelle ?» [19], et l’autre d’Annie Rey-Goldzeiguer, « Le 8 mai 1945 au Maghreb » [20]. Les deux principales publications furent le livre engagé mais très bien documenté de la Française d’Algérie Francine Dessaigne, La paix pour dix ans (Sétif, Guelma, mai 1945) [21]), et le très riche recueil de documents des archives militaires publié sous la direction de l’historien Jean-Charles Jauffret, La guerre d’Algérie par les documents [22].

De 1990 à nos jours : retour de mémoire  et  instrumentalisation de l’histoire ?

L’évolution en cours semblait donc annoncer une convergence des travaux historiques, favorable à un accord sue les grandes lignes du sujet entre les historiens des deux pays. Mais elle fut perturbée par un événement imprévu, lié à la transformation soudaine de la vie politique algérienne par la libéralisation du régime politique algérien en 1989 et par la contestation croissante des islamistes.

C’est en 1990 que fut créée la Fondation du 8 mai 1945 par l’ancien ministre Bachir Boumaza, natif de Kerrata au nord de Sétif. Suivant l’un de ses premiers manifestes, celle-ci était «née dans un contexte politique dangereux. Celui de la révision insidieuse par certains nationaux, y compris dans les cercles du pouvoir, de l’histoire coloniale. Procédant par touches successives, certains hommes politiques ont, sous prétexte de ‘dépasser’ une page noire de l’histoire coloniale, encouragé la ‘normalisation’ des rapports entre l’ancienne puissance dominatrice et son ancienne colonie».

C’est pourquoi la Fondation s’est donnée pour objectifs de «réagir contre l’oubli et réanimer la mémoire, démontrer que les massacres de Sétif sont un crime contre l’humanité et non un crime de guerre comme disent les Français», pour «obtenir un dédommagement moral» [23]. Ainsi, l’histoire a été mobilisée au service de la mémoire et de la politique au lieu d’être reconnue comme un but propre.

L’une des idées directrices de la Fondation est en effet d’interpeller la conscience des Français et des autres peuples européens qui «ne semblent s’indigner que sur l’holocauste commis contre les juifs. Cette ségrégation entre les massacres est une tare du monde occidental» [24]. Bachir Boumaza constate : «On applique et on reconnaît le crime contre l’humanité à propos des juifs, mais pas aux Algériens, dont on oublie qu’ils sont des sémites». Il présente son action comme un effort pour «décoloniser l’histoire et situer la colonisation dans l’histoire de l’humanité», «une tentative saine et correcte d’écrire l’histoire. Le phénomène colonial est porteur de certaines valeurs qui doivent disparaître. Elles ne le sont pas encore. Et son expression la plus réussie est ce terme de crime contre l’humanité qui est réservé à une catégorie spéciale de la population».

À son avis, la colonisation française en Algérie «présente, dans toutes ses manifestations, les caractéristiques retenues au tribunal de Nuremberg comme un crime contre l’humanité» ; et il ajoute : «J’ai suivi le procès Barbie. Depuis 1830, l’Algérie a connu des multitudes de Barbie», lesquels n’ont pas été condamnés parce que leurs crimes contre des Algériens n’étaient pas considérés comme tels» [25]. On voit que l’histoire est ici totalement subordonnée à des motivations politiques extérieures au sujet.

Cette revendication s’est largement diffusée en Algérie pendant les années de guerre civile. Sous l’impulsion de la Fondation, les autorités et la presse ont donné un très grand retentissement à chaque anniversaire du 8 mai 1945, et tout particulièrement à son cinquantenaire en 1995. Les discours officiels et les éditoriaux ont alors établi un lien explicite entre la commémoration d’un drame national et l’appel à rétablir l’unité nationale déchirée : «la célébration de ce douloureux anniversaire du massacre de plus de 45.000 Algériens et Algériennes constitue une nouvelle occasion pour interpeller notre conscience sur le sort réservé à ce grand pays qu’est le nôtre, aux prises avec une redoutable crise multidimensionnelle dont l’issue, impatiemment attendue par tous, risque de tarder encore si le bon sens et la sagesse qui nous sont coutumiers font défaut» C’est dans ce sens que M. Mokdad Sifi, chef du gouvernement, a inscrit son intervention remarquée lors de la commémoration de la date historique du 8 mai 1945», écrit l’éditorialiste d’El Moudjahid [26].

Le quotidien indépendant El Watan a reproduit intégralement ce discours, situé mai 1945 dans une longue série de répressions répétées depuis 1830, invité les intellectuels algériens à «travailler au corps» les démocrates français pour qu’ils diffusent dans leur société un sentiment de responsabilité et de culpabilité [27], et réclamé à l’Etat français des excuses officielles au peuple algérien «pour les centaines de milliers d’innocents assassinés au cours de 130 ans de domination coloniale». D’après Liberté, la commémoration du 8 mai est aujourd’hui revendiquée par toute la classe politique, et fait même l’objet d’une surenchère [28]. L’ensemble de ces discours et articles commémoratifs, répétés chaque année, paraît une tentative de rassembler les Algériens divisés contre la France, en ranimant la flamme du  nationalisme pour ne pas l’abandonner aux islamistes.

L’Algérie se trouvait en effet devant un choix difficile. Relancer une «guerre des mémoires» contre la France jusqu’à ce que celle-ci fasse amende honorable  pouvait détourner momentanément l’attention des Algériens des défauts  de leur système politique, sans garantir pour autant le ralliement de tous les islamistes. Mais céder aux aspirations «révisionnistes» d’un prétendu «Parti de la France» aurait risqué d’encourager la violence islamiste en semblant la légitimer.

Le président Bouteflika a choisi la première voie, en suggérant un acte de repentance  à la France dans son discours du 15 juin 2000 à l’Assemblée nationale française : «De vénérables institutions, comme l’Église, des États aussi anciens que le vôtre n’hésitent pas, aujourd’hui, à confesser les erreurs et les crimes qui ont, à un moment ou à un autre, terni leur passé. Que vous ressortiez des oubliettes du non-dit la guerre d’Algérie, en la désignant par son nom, ou que vos institutions éducatives s’efforcent de rectifier, dans les manuels scolaires, l’image parfois déformée de certains épisodes de la colonisation, représente un pas important dans l’œuvre de vérité que vous avez entreprise, pour le plus grand bien de la connaissance historique et de la cause de l’équité entre les hommes» [29].

Le président Jacques Chirac a longtemps fait semblant de ne pas avoir compris cette demande, mais la négociation d’un traité d’amitié entre la France et l’Algérie semble en avoir fait une condition impérative du côté algérien. Le 27 février 2005,  le discours prononcé à Sétif par l’ambassadeur de France [30] a paru apporter une première concession française à la demande algérienne, moins d’une semaine après le vote d’une loi mémorielle favorable à la mémoire des Français et des Français musulmans d’Algérie [31].

En tout cas, la revendication algérienne avait trouvé des relais en France même, sans que pour autant ces relais, obéissant à des motivations propres, aient voulu servir inconditionnellement la politique algérienne. En mai 1995, l’association «Au nom de la mémoire» composée de citoyens français originaires d’Algérie a joué un grand rôle dans une première tentative de faire reconnaître «Le massacre de Sétif», par un film ainsi intitulé [32], par la publication d’une version abrégée de la thèse de Boucif Mekhaled [33], et par l’organisation d’un débat à la Sorbonne avec la participation de Bachir Boumaza, et avec l’appui du Monde, de L’Humanité et de Libération. En 2000, quelques semaines après le discours du président Bouteflika à l’Assemblée nationale, le déclenchement par les mêmes organes d’une campagne de presse visant la pratique de la torture par l’armée française  sembla, à raison ou à tort, vouloir servir la même revendication algérienne de repentance [34].

En janvier 2005, un manifeste intitulé «Nous sommes les indigènes de la République», voulant exprimer le point de vue des minorités immigrées d’origine africaine et musulmane, annonça une marche pour le 8 mai, anniversaire de la victoire sur l’Allemagne et de la défaite française  de Dien Bien Phu, et justifia ainsi son initiative : «Nos parents, nos grands-parents ont été mis en esclavage, colonisés, animalisés. Mais ils n’ont pas été broyés. Ils ont préservé leur dignité d’humains à travers la résistance héroïque qu’ils ont menée pour s’arracher au joug colonial. Nous sommes leurs héritiers comme nous sommes les héritiers de ces Français qui ont résisté à la barbarie nazie et de tous ceux qui se sont engagés avec les opprimés, démontrant, par leur engagement et par leurs sacrifices, que la lutte anti-coloniale est indissociable du combat pour l’égalité sociale, la justice et la citoyenneté. Dien Bien Phu est leur victoire. Dien Bien Phu n’est pas une défaite, mais une victoire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité !» Ce qui justifiait la conclusion suivante : «Le 8 mai 1945, la République révèle ses paradoxes : le jour même où les Français fêtent la capitulation nazie, une répression inouïe s’abat sur les colonisés algériens du Nord-Constantinois : des milliers de morts. Le 8 mai, 60ème anniversaire de ce massacre, poursuivons le combat anticolonial par la première Marche des indigènes de la République !» [35]

L’utilisation du 8 mai 1945 répondait évidemment à la volonté d’exploiter la contradiction entre la version officielle de cette fête nationale, consacrée  à l’exaltation de la participation française à la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, et la version non-conformiste dénonçant une répression coloniale jugée digne des crimes  nazis. Mais elle passait sous silence des faits gênants : l’opposition des nationalistes algériens radicaux à la mobilisation des Algériens dans l’armée française en 1939-1940 et de 1942 à 1945, et les projets d’insurrection contre la France avec ou sans l’aide allemande conçus par plus d’un groupe de militants à l’intérieur du parti depuis les débuts de la Deuxième guerre mondiale (faits historiques révélés par les historiens algériens Harbi et Kaddache, et confirmés  par d’anciens militants dans la presse algérienne [36]).

On voit à travers cet exemple la différence considérable qui sépare l’histoire de la mémoire. Ajoutons que l’examen des travaux d’historiens algériens et français (même ceux dont l’anticolonialisme n’a jamais été mis en doute comme Annie Rey-Goldzeiguer [37] et Charles-Robert Ageron [38]) confirme que la répression du 8 mai 1945 en Algérie a bien été celle d’une tentative d’insurrection nationale insuffisamment préparée, et non pas un «crime contre l’humanité» ou un «génocide colonialiste» unilatéral.

                                                                                                                           Guy Pervillé

[1] Pour plus de détails, voir notre article «Le Maghreb à la fin de la guerre», Historiens et géographes, n° 348, mai-juin 1995, pp. 267-277, et notre livre Pour une histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Picard, 2002, pp. 110-116.

[2] JORF, Débats de l’Assemblée consultative provisoire, 10, 11 et 18 juillet 1945, pp. 1344-1367, 1371-1384 et 1397-1418.

[3] Intervention dans les débats de l’ACP, 18 juillet 1944, op.cit., pp. 1402-1414, et Adrien Tixier, ministre de l’Intérieur, Un programme de réformes pour l’Algérie. Discours prononcé à la tribune de l’Assemblée consultative provisoire le 18 juillet 1945. Paris, Editions de la Liberté, 1945, 52 p.

[4] «Crise en Algérie», articles parus dans Combat en mai 1945, reproduits dans les Essais d’Albert Camus, introduits et annotés par Roger Quilliot, Paris, Gallimard-NRF, 1965, pp. 939-959. D’autres réactions d’écrivains ou d’intellectuels sont restées longtemps ignorées, comme celle de Jules Roy, ami d’Albert Camus et de Jean Amrouche : «La France devient là-bas ce que l’Allemagne était en France, mais comment le dire ?» (in Les années déchirement, Journal 1925-1965, Paris, Albin Michel, 1998, p. 248), ou celle de l’assimilationniste kabyle Augustin Ibazizen («La faute suprême», pages écrites à l’automne 1945, in Le testament d’un Berbère, itinéraire spirituel et politique, Paris, Editions Albatros, 1985, pp. 155-165).

[5] Livre réédité et complété en 1953, puis en 1972 avec une bibliographie commentée et mise à jour, 439 p (voir pp. 261-266).

[6] Julien, op. cit., p. 264 («Genèse et causes du mouvement insurrectionnel»).

[7] Voir notamment : «Il y a 13 ans, La « France libre» croyait venir à bout du peuple algérien», El Moudjahid,  n° 23, 5 mai 1958, réédition de Belgrade, t. 3, pp. 447-449, et «Commémoration du 8 mai 1945», n° 42, 25 mai 1959, réédition, pp. 285-286.

[8] Favrod, op. cit., pp. 72-76.

[9] Le procès du général Raoul Salan, compte-rendu  sténographique,  Paris, Editions Albin Michel, pp. 360-364.

[10] Voir la deuxième partie, «Les émeutes de mai 1945 (Sétif-Guelma)», pp. 91-169.

[11] Paillat, op. cit., pp. 22-84. On y trouve notamment, pp. 66-76, un résumé du rapport du général Tubert, tenu longtemps secret (et publié récemment sur le site internet de la Ligue des droits de l’homme de Toulon : http://www.ldh-France.org). Un autre rapport, celui du secrétaire général du gouvernement général Pierre-René Gazagne, a été publié peu après dans les Mémoires du directeur de L’Echo d’Alger Alain de Sérigny, Echos d’Alger, t. 1, 1940-1945, Presses de la Cité, 1972, pp. 313-344.

[12] Courrière, op. cit., pp. 39-46.

[13] Aux origines du FLN..., pp. 15-25, 110-112, et p.178 (note 68) : «L’interprétation la plus appropriée de ces évènements est celle de P. Muselli qui à l’Assemblée consultative provisoire (séance du 10.7.1945), déclarait :"il est prouvé que tout le système de l’insurrection étendait sa toile sur l’Algérie entière. Si cette insurrection n’a pas été générale, c’est parce qu’elle a été prématurée et que l’incident de Sétif, qui est à l’origine des évènements, a éclaté inopinément».

[14] Le FLN..., op. cit., pp. 22-30.

[15] Kaddache, op. cit., pp. 695-734.

[16] 2ème édition, Alger, Office des Publications Universitaires, 1987, 318 p. L’auteur reconnaît que le peuple algérien «n’a pas fait que subir, en victime innocente, une sanglante répression, un complot machiavélique. Il est temps de dire et de souligner qu’il a aussi été l’auteur de ces événements, même s’il a subi un revers, même s’il a payé le prix du sang, le prix de la liberté par des dizaines de milliers de victimes» (p. 9). Il affirme que «le bilan de ces émeutes, de cette révolte et de ces massacres pourrait être réduit à deux nombres : 102 morts européens et quelques dizaines de milliers de musulmans» (p. 182), mais il conclut que «ces journées de violences exercées et subies ont été fécondes en préparant la guerre de libération nationale» (p. 183).

[17] Thèse sous la direction du professeur Jean-Claude Allain. J’étais membre du jury, ainsi que Jean-Charles Jauffret.

[18]  T. 2, Paris, PUF, 1979, pp. 567-578.

[19] XXème siècle, revue d’histoire n° 4, octobre 1984, pp 23-38.

[20] 8 mai 1945 : la victoire en Europe, s. dir. Maurice Vaïsse, Lyon, La Manufacture, 1985, pp 337-363.

[21] Editions Jacques Gandini, 1990, 321 p.

[22] T. 1, L’avertissement, 1943-1946, Vincennes, Service historique de l’armée de terre, 1990, 550 p.

[23] «Contexte d’une naissance. Contre l’assassinat de la mémoire», cité par le mémoire de maîtrise d’histoire de Mohammed Lamine Tabraketine, La commémoration du 8 mai 1945 à travers la presse française et algérienne, Université de Toulouse-Le Mirail, 2000, p. 51.

[24] El Moudjahid, 3 mai 1995, cité par Tabraketine, op. cit., p. 62.

[25] Interview de Bachir Boumaza, cité par Ahmed Rouadjia, «Hideuse et bien-aimée, la France...», in Panoramiques, n° 62, 1er trimestre 2003, pp. 210-211.

[26] N° du 9 mai 1995.

[27] N° du 9 mai 1995.

[28] N° du 8 mai 1999.

[29] Cité dans El Watan, 15 juin 2000, p. 1.

[30] Discours de M. Hubert Colin de Verdières, ambassadeur de France en Algérie, à l’Université de Sétif, dimanche 27 février 2005. Site internet : www.ambafrance-dz.org.

[31] La loi du 23 février 2005 sur les rapatriés et les harkis a été à l’origine de polémiques dont nous reparlerons. Voir nos premières analyses sur notre site internet http://guy.perville.free.fr, rubrique «Mises au point».

[32] Film de Mehdi Lallaoui (président de l’association Au nom de la mémoire) et Bernard Langlois.

[33] Boucif Mekhaled, Chroniques d’un massacre, Sétif, Guelma, Kherrata, Syros et Au nom de la mémoire, 1995. Cette version abrégée de la thèse antérieure était accompagnée de deux préfaces, par Mehdi Lallaoui et par Jean-Charles Jauffret (lequel a contesté peu après l’objectivité du film que l’autre préfacier en avait tiré).

[34] Voir notre article «La revendication algérienne de repentance unilatérale de la France» sur notre site internet http://guy.perville.free.fr.

[35] Texte complet sur le site http://lmsi.net/impression.php3 ?id_article=336.

[36] Le CARNA (Comité d’action révolutionnaire nord-africain), favorable à une alliance avec les Allemands, fut exclu du Parti du peuple algérien dès mai 1939, mais réintégré en 1943. La victoire allemande sur la France incita d’autres groupes de militants à préparer un soulèvement à partir de juin 1940. Voir notamment la «lettre à Mohammed Lamine Debaghine» de Chawki Mostefaï, dans El Watan, sur le site http://www.elwatan.com/print.php3 ?id_article=8089 (imprimé le 10/12/2004), et Awal, Cahiers d’études berbères, n° spécial «Hommage à Mouloud Mammeri», 1990.

[37] Voir son livre Aux origines de la guerre d’Algérie, l’Algérie de 1940 à 1945, La Découverte, 2002. On observe pourtant dans cette étude très approfondie une contradiction entre deux estimations différentes du bilan de la répression : ou bien «La seule estimation possible, c’est que le chiffre dépasse le centuple des pertes européennes» (p. 12), ou bien «J’ai dit en introduction pourquoi il était impossible d’établir un bilan précis des victimes algériennes, dont on peut seulement dire qu’elles se comptent par milliers» (p. 305). Or ces deux affirmations ne sont pas équivalentes. Faut-il conclure, comme Claude Liauzu et Gilbert Meynier dans Le Nouvel Observateur n° 2117, 2 juin 2005, «La seule conclusion que peut faire l’historien : il y eut en effet des milliers de morts, mais s’il est honnête, il n’en dira pas plus» ? Ou parler de 20.000 à 30.000 morts comme Jean-Louis Planche, qui poursuit son enquête depuis dix ans, dans El Watan et dans Le Monde du 8 mai 2005 ? Il est urgent d’élucider ce point capital.

[38] Voir son article «Mai 1945 en Algérie, enjeu de mémoire et d’histoire», Nanterre, Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 39, juillet-décembre 1995, pp 52-56 : «Faut-il rappeler ici qu’en histoire de la décolonisation toute insurrection manquée s’appelle une provocation, toute insurrection réussie une Révolution ? Un historien se contentera de noter impartialement que la tentative avortée en mai 1945 devait servir de répétition générale à l’insurrection victorieuse de la Révolution (thawra) de 1954-1962».

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Sétif, Guelma : de la «tragédie»

aux «massacres épouvantables»

site Mediapart - 28 Avril 2008, par Benjamin Stora

L'ambassadeur de France en Algérie, Bernard  Bajolet, s'est rendu le 27 avril 2008 à Guelma, à l'occasion de la signature d'une  convention de coopération entre les universités de Guelma, Biskra, Skikda et  l'université Marc-Bloch de Strasbourg. Il a déclaré que le «temps de la dénégation» des  massacres perpétrés par la colonisation en Algérie «est terminé». S'exprimant devant les étudiants de l'université du 8 mai 1945, l'ambassadeur a parlé des «épouvantables massacres» commis il y a 63 ans dans  trois grandes villes de l'est algérien: Sétif, Guelma et Kherrata, durant la  colonisation.

«Aussi durs que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé », a déclaré M. Bajolet. Il a poursuivi son discours en  soulignant «la très lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans ce déchaînement de folie meurtrière (qui a fait) des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes».

Ces massacres «ont fait insulte aux principes fondateurs de la République  française et marqué son histoire d'une tache indélébile», souligne l'ambassadeur  de France. Il ajoute que «condamner le système colonial n'est pas condamner les  Français qui sont nés en Algérie» et appelle «les deux ennemis d'hier à porter  plus haut un message d'entente de concorde et d'amitié». Son discours se termine ainsi : «Pour que nos relations (algéro-françaises) soient pleinement apaisées, il faut que la mémoire soit partagée et que l'histoire soit écrite à deux (...)  Il faut que les tabous sautent, des deux côtés, et que les vérités révélées fassent place aux faits avérés.»

M. Bajolet va donc plus loin que Hubert Colin de Verdière, son prédécesseur, qui avait qualifié cette répression de «tragédie inexcusable».  Il parle lui de «massacres épouvantables». Revenons sur cette histoire dramatique, que les historiens qualifient de prélude à la guerre d'Algérie, qui commença dix ans plus tard.

Le 8 mai 1945, la victoire sur le nazisme est aussi le début d'une tragédie qui endeuilla l'Algérie. AÀla fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Algérie connaît une effervescence politique de grande ampleur. Le 1er mars 1944 naît l'association des Amis du manifeste de la liberté (AML) qui réclame l'indépendance de l'Algérie. Le 23 avril 1945, les autorités françaises décident la déportation de Messali Hadj, le leader algérien indépendantiste, à Brazzaville.

À la radicalisation politique s'ajoute une grave crise économique. Une mauvaise récolte provoque la famine dans les campagnes. On voit affluer vers les villes du Constantinois des milliers de paysans affamés qui, faute de travail et de moyens, se raccrochent aux soupes populaires. Le 8 mai 1945, jour de la signature de la capitulation allemande, dans la plupart des villes d'Algérie, des cortèges d'Algériens musulmans défilent avec des banderoles portant comme mot d'ordre : «A bas le fascisme et le colonialisme».

À Sétif, la police tire sur les manifestants algériens. Ces derniers ripostent en s'attaquant aux policiers et aux Européens. C'est le début d'un soulèvement spontané à La Fayette, Chevreuil, Kherrata, Oued Marsa... On relève 103 tués, assassinés dans des conditions atroces, et 110 blessés parmi les Européens.

Les autorités organisent une véritable guerre des représailles qui tourne au massacre. Fusillades, ratissages, exécutions sommaires parmi les populations civiles se poursuivent durant plusieurs semaines. Les nationalistes algériens avanceront le chiffre de 45.000 morts, d'autres sources françaises, récentes, avancent le chiffre de 15.000 à 20.000 morts.

La connaissance de la période des massacres de Sétif et de Guelma de mai 1945 a beaucoup progressé en France ces dernières années, en particulier grâce aux travaux d'Annie Rey Golzeiger, Jean-Charles Jauffret, Jean Pierre Peyroulou et Jean Louis Planche [1]. Les archives militaires déposées au Service Historique de l'Armée de Terre (SHAT) ont accepté plus rapidement que les archives civiles les demandes de dérogation des chercheurs et ont mis à disposition du public des documents de première importance.

Les historiens ont ainsi eu connaissance des faits grâce au rapport du général Henry Martin, commandant du 19ème corps d'armée, chargé de la coordination des forces en Afrique du Nord et donc de la répression. Ils disposent aussi du rapport du général de gendarmerie Paul Tubert, nommé par le Gouverneur Général Chataigneau, à la tête de la Commission d'enquête sur les événements du Constantinois.

L'an dernier est paru  Les massacres de Guelma Algérie, mai 1945 : une enquête inédite sur la furie des milices coloniales, (Paris, Ed La Découverte,  janvier 2006). Rédigé en 1946, le document présenté dans ce livre est exceptionnel. Son auteur, Marcel Reggui (1905-1996), un citoyen français d'origine musulmane et converti au catholicisme, y retrace - avec des précisions restées inédites à ce jour - les massacres de centaines d'Algériens perpétrés en mai 1945 à Guelma, par des milices européennes.

Fondé sur des archives considérables,  (archives des ministères de l'Intérieur, de la guerre, de Matignon) et d'entretiens avec de nombreux témoins et acteurs de cette période, le livre très récent de Jean Louis Planche, Sétif, histoire d'un massacre annoncé, dessine un portrait saisissant de la région à la veille de la répression (la misère et les trafics, le marché noir et les déplacements de ruraux), et l'espérance d'une vie meilleure par un soulèvement populaire.

Jean Louis Planche écrit que, obsédés par l'idée d'un complot nazi, les communistes ne furent parfois pas les derniers à se lancer dans ces expéditions cruelles. En Algérie, rien ne sera plus comme avant l'épisode tragique de mai- juin 1945. Le fossé s'est considérablement élargi entre la masse des Algériens musulmans et la minorité européenne. Une nouvelle génération entre en scène, qui en viendra à faire de la lutte armée un principe absolu.

La guerre d'Algérie a-t-elle commencé à ce moment-là, précisément ? Comme on le voit, ce 8 mai 1945 de Sétif est important et n'a pu s'effacer sous le poids des commémorations de la victoire sur le nazisme.  Les historiens ont encore de multiples voies à explorer dans la connaissance de cet événement tragique : les mises en place d'engrenages de la peur, l'attitude des pouvoirs civils français dans la conduite des processus de violence, les séparations communautaires, le passage à l'imaginaire de la lutte armée chez les nationalistes algériens...

Cette histoire doit s'écrire à deux voix, entre historiens français et algériens. Autant de faits à connaître pour passer à la reconnaissance des crimes commis. Car la question qui se trouve posée à propos de cette séquence reste celle de la reconnaissance par la France des exactions commises, geste que les Algériens attendent depuis plusieurs années. Les déclarations du 27 avril de l'ambassadeur de France sont un acte très important. Elles contredisent les discours sur «l'anti-repentance» prononcés depuis plusieurs années en France et qui empoisonnent les relations entre la France et l'Algérie.

Pour tourner la page, sans l'effacer, la connaissance, la reconnaissance des crimes commis est indispensable. C'est la condition pour affronter sereinement l'avenir, et calmer les mémoires blessées.   


[1] Jean Louis Planche, Sétif, 1945, histoire d'un massacre annoncé, Ed Perrin, 2006, 422 pages.



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Sétif : enquête sur un massacre      

Par Guy Pervillé
publié dans L'Histoire n° 318 - mars 2007             

À Sétif, le 8 mai 1945, une manifestation tourne à l'émeute : des Européens sont tués. La répression sera terrible. L'événement reste méconnu et ses causes font débat entre les historiens. Tandis qu'aujourd'hui encore la France et l'Algérie s'opposent sur le bilan des victimes. Que s'est-il vraiment passé ?

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Le 8 mai 1945, alors que la France célèbre la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie, une tentative d'insurrection défie le pouvoir colonial en Algérie. Depuis 1944, la perspective de la victoire alliée a accrédité un peu partout la thèse d'un renversement de l'ordre colonial, encouragé par la puissance américaine et par le message libérateur de la charte de l'Atlantique. Cette impatience est perceptible en Algérie.

Ferhat Abbas a créé en mars 1944 les Amis du manifeste et de la liberté (AML), sorte de front ouvert à tous les courants de l'opposition anticolonialiste qui revendiquent la reconnaissance d'une nation algérienne et d'une république autonome fédérée à la République française. L'organisation fait la part belle aux partisans de l'indépendance totale et immédiate, regroupés au sein du Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj, clandestin depuis 1939 et particulièrement actif dans le Constantinois, département traditionnellement rebelle à la colonisation française.

En mars 1945, le congrès des Amis du manifeste de la liberté, qui se tient à Alger, voit le triomphe des thèses extrémistes et désigne Messali comme le «leader incontesté du peuple algérien». Dans un climat d'extrême tension, le secrétaire général Gazagne, puis le gouverneur général Chataigneau le font transférer dans le Sahara, puis à Brazzaville. Divers incidents éclatent, à Alger notamment, le 1er mai.   

Le 8 mai, jour de la capitulation allemande, alors que partout ailleurs la plupart des cortèges officiels se déploient sans incidents, à Sétif, la manifestation dégénère au moment où la police tente de s'emparer des banderoles et des drapeaux algériens arborés par certains manifestants. Une fusillade éclate, dont l'origine reste controversée. Des manifestants se ruent alors sur les Européens, faisant 29 morts et des dizaines de blessés. De violents incidents ont lieu l'après-midi même à Bône, puis à Guelma. L'insurrection s'étend ensuite aux campagnes, autour de Sétif, jusqu'à la mer, et le lendemain, autour de Guelma. Au total, on dénombre 102 morts, 110 blessés et 10 femmes violées.

La répression est terrible : supervisée par le général Duval, commandant de la division de Constantine, une reprise en main militaire de grande envergure est ordonnée, avec ratissage des zones insurgées, arrestations en masse et, souvent, exécution des suspects, bombardements aériens et navals, à laquelle s'ajoutent les représailles opérées par des milices européennes hâtivement constituées (notamment par André Achiary, alors sous-préfet de Guelma).

Le bilan officiel des opérations de répression, fixé arbitrairement à un maximum de 1 500 morts, suscite l'incrédulité. Des estimations officieuses donnent des chiffres beaucoup plus élevés (5 000 ou 6 000, de 6 000 à 8 000, ou encore de 15 000 à 20 000...). La répression à Guelma, dirigée par le sous-préfet Achiary, a été particulièrement meurtrière : le bruit court que des centaines de personnes ont été arrêtées sans raisons sérieuses et fusillées par les miliciens pendant plusieurs semaines. 

L'enquête sur la répression féroce qui a suivi les manifestations, menée peu après les événements par Marcel Reggui, un Tunisien converti au catholicisme et établi à Guelma - elle a coûté la vie à trois membres de sa famille - en donne une idée effrayante(1). Mais si elle dénonce courageusement les responsabilités du sous-préfet Achiary («Lui seul a déclenché, puis entretenu par ses exigences la plus impitoyable répression que l'Algérie ait jamais connue») et du préfet de Constantine Lestrade-Carbonnel, qui accepta de faire disparaître les cadavres des victimes dans des fours à chaux, elle ne fournit pas une explication convaincante des faits en reprenant à son compte la thèse communiste du «complot colonialiste».   

Si le déroulement des journées de mai 1945 semble assez bien connu, leur point de départ - une insurrection préparée par les nationalistes algériens, un mouvement spontané, ou encore une provocation colonialiste ? -  ainsi que le bilan de la répression continuent à poser problème. Les débats parlementaires de l'Assemblée consultative provisoire, en juillet 1945, puis ceux de l'Assemblée nationale, en février 1946, ont apporté de précieuses informations sans élucider toutes les questions. Quant aux archives de la répression, elles sont restées inaccessibles jusqu'à la fin des années 1990, date à laquelle elles ont fait l'objet d'une première publication partielle dirigée par l'historien Jean-Charles Jauffret.

Annie Rey-Goldzeiguer a retracé en 2002 les origines de la guerre d'Algérie pendant la Seconde Guerre mondiale, mais Jean-Louis Planche est le premier historien qui ait mené sur le sujet une enquête historique complète, à partir d'un minutieux travail dans les archives publiques et d'entretiens avec les acteurs et les témoins du drame, algériens et français.

Les causes des événements d'abord. À l'époque, socialistes et communistes, en Algérie comme en métropole, y voyaient le fruit d'un complot ou d'une provocation colonialiste. C'était apparemment aussi la conviction du gouverneur général de l'Algérie, le socialiste Yves Chataigneau, qui faisait des massacres le résultat d'un «complot préparé avec soin» ; mais il mettait lui en cause un complot nationaliste.   

Jean-Louis Planche reprend l'hypothèse du complot. Mais, tirant argument du fait que «les victimes massacrées [par la répression] étaient inoffensives», il analyse la répression de mai 1945 comme «une folie meurtrière de masse», qui «pourrait être inscrite dans une logique de terreur». Il met aussi en cause la «part de responsabilité du régime de Vichy», dont la politique raciste aurait «exaspéré des tensions raciales qui auraient survécu au rétablissement de la république ». En conclusion, pour Jean-Louis Planche, le «massacre annoncé» de Sétif relève du phénomène pathologique : «une psychose colonialiste où la frousse se mêlait à la haine», selon le mot d'un témoin.   

Mais la répression se serait-elle abattue sans raison aucune ? Ce serait faire peu de cas de l'hypothèse d'une insurrection nationaliste algérienne - voire d'un projet ou d'un rêve d'insurrection -, à laquelle curieusement l'ouvrage de Jean-Louis Planche ne s'arrête pas. Celle-ci s'était pourtant imposée depuis longtemps aux principaux historiens, aussi bien français qu'algériens.

Dès 1952, Charles-André Julien, dans son Afrique du Nord en marche, jugeait suspecte l'attitude des nationalistes algériens qui dénonçaient à juste titre la férocité de la répression coloniale, mais oubliaient de citer les victimes européennes de l'insurrection à Sétif et aux alentours : «Si le PPA n'y fut pour rien, pourquoi donc le cacher ? Et comment peut-on ajouter foi à une propagande qui fausse la réalité au point d'omettre entièrement un événement d'une exceptionnelle gravité (2) ?»   

Ces Européens, Jean-Louis Planche en reconnaît bien le sort injuste : «Trop lents, trop naïfs ou trop incrédules pour s'abriter d'une foule lancée dans une fuite aveugle, ils sont morts de s'être trouvés là.» Il rappelle aussi l'horreur des blessures infligées par «le revolver, le couteau et le debbous [bâton, gourdin]». Il s'inscrit donc en faux contre la thèse algérienne d'une manifestation pacifique menée par des Algériens désarmés.   

L'idée d'une insurrection armée circulait bien au sein du Parti du peuple algérien depuis le début de la Seconde Guerre mondiale. L'historien algérien Mahfoud Kaddache a montré qu'une fraction du PPA, le Comité d'action révolutionnaire nord-africain (Carna), exclue en 1939 parce qu'elle recherchait l'appui des Allemands en vue d'une insurrection, y avait été réintégrée en 1943 (3).

Quant à l'historien Mohammed Harbi, ancien militant du FLN, il a signalé que «l'idée d'une insurrection avait été soumise avant mai 1945 à Messali par le docteur Lamine et Asselah. Le 14 avril 1945, les responsables du PPA en discutent à Constantine lors du cinquième anniversaire de la mort du cheikh Ben Badis. Hadj Cherchali et Mostefaï s'opposent à une insurrection. Mais la préparation psychologique des populations à une intervention armée est entreprise à travers tout le pays»(4).   

Mohammed Harbi avance aussi que, quelques jours avant le 19 avril 1945, Messali Hadj aurait reçu dans sa résidence forcée de Reibell, sur les hauts plateaux du Sud algérois, «la visite de Hocine Asselah et du docteur Lamine Debaghine, qui l'ont entretenu d'un projet d'insurrection auquel il a donné son accord. Bennaï Ouali était chargé de son évasion. Un gouvernement algérien devait être proclamé et la ferme des Maïza, près de Sétif, lui servir de siège. Le scénario ne se déroula pas comme prévu. Messali est interrogé par la police et transporté à El Goléa».   

Annie Rey-Goldzeiguer, d'abord sceptique(5), s'est également ralliée à cette version des faits : «Le soir du 16 avril 1945, Messali, équipé de «grosses chaussures et d'un burnous» prend donc congé de sa fille et de sa famille, pour disparaître avec une escorte de fidèles. Il reviendra le lendemain, épuisé, effondré : il n'a trouvé ni équipement, ni armes, ni maquisards entraînés. Certains souvenirs de sa fille Djenina, alors enfant, permettent d'authentifier les faits. »   

Alors que s'est-il passé en mai 1945 ?

D'après Mohammed Harbi, les colons, avertis de l'insurrection qui se préparait, auraient devancé le PPA et déchaîné une violence préventive. «L'interprétation la plus appropriée de ces événements est celle de P. Muselli, qui, à l'Assemblée consultative provisoire (séance du 10 juillet 1945), déclarait : «Il est prouvé que tout le système de l'insurrection étendait sa toile sur l'Algérie entière. Si cette insurrection n'a pas été générale, c'est parce qu'elle a été prématurée et que l'incident de Sétif, qui est à l'origine des événements, a éclaté inopinément.» » Ce faisant, Mohammed Harbi donne raison à l'un des porte-parole de la thèse colonialiste - les événements de Sétif sont la conséquence du projet d'insurrection algérienne - contre la thèse socialo-communiste.   

Charles-Robert Ageron a rappelé à ce propos «qu'en histoire de la décolonisation toute insurrection manquée s'appelle une provocation, toute insurrection réussie une révolution. [...] Un historien se contentera de noter impartialement que la tentative avortée en mai 1945 devait servir de répétition générale à l'insurrection victorieuse de la révolution (thawra) de 1954-1962 » (6).

Il paraît donc aujourd'hui bien établi qu'un projet d'insurrection nationale existait en mai 1945. Mais il est aussi généralement reconnu qu'aucune action n'était prévue pour le 8 mai précisément, du fait de l'absence de Messali Hadj, exilé au Sahara puis au Congo. Un ordre d'insurrection a bien été donné par la direction du PPA pour la nuit du 22 au 23 mai, puis annulé in extremis, mais il n'était qu'une vaine tentative de faire diversion à la répression.   

Pour autant, aux yeux des responsables français, ce plan d'insurrection devait exister. De même, il a pu avoir un effet de «préparation psychologique» sur les foules de manifestants du 8 mai, ou tout au moins sur une partie d'entre eux, comme l'a signalé Mohammed Harbi. Le témoignage d'Abdelhamid Benzine, alors tout jeune lycéen à Sétif, qui a déclaré avoir failli déclencher une insurrection populaire avant le 8 mai par sa seule prédication exaltée, va dans le même sens (7). On peut donc penser que, si l'organisation clandestine du PPA manquait encore de moyens d'action, la diffusion de la propagande indépendantiste a été plus rapide que la préparation de la lutte armée.

Reste le bilan des victimes algériennes. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Adrien Tixier, parlait de 1 500 morts. Leur nombre a été porté à 45 000 par la propagande officielle algérienne. Au terme de son enquête, Jean-Louis Planche avance une estimation de 20 000 à 30 000 morts. Plusieurs fois affirmé, ce bilan est démontré à travers deux citations. La première est tirée d'un rapport du gouverneur Chataigneau au ministre de l'Intérieur Adrien Tixier : «Faut-il accorder du crédit au nombre de 10 000 victimes indigènes dans la seule région sétifienne, comme l'indiquerait un informateur qui vient de parcourir cette contrée pendant un mois ?». La seconde provient d'un rapport du gouverneur Léonard en 1952 : «Ceux qui ont vécu la chose donnent des évaluations allant de 6 000 à 15 000». «On acceptera ce chiffre prudent, en le portant à 20 000 ou 30 000, car le cabinet du gouverneur ne disposait plus à cette date des archives concernant la région de Sétif», conclut Jean-Louis Planche.   

Ce raisonnement me paraît fragile, d'abord parce que le gouverneur Chataigneau n'a rien osé affirmer, ensuite parce qu'il employait le mot ambigu de «victimes» au lieu de «morts». Surtout, le fait que seuls les morts et les victimes européennes aient été soigneusement comptés (102 morts, 110 blessés et 10 femmes violées), et que le nombre des morts algériens ait été arbitrairement limité par les autorités à un maximum de 1 500 ne change rien au fait que la seule méthode fiable reste un comptage aussi précis que possible, en chaque lieu. Il n'est pas admissible que deux méthodes aussi différentes et de fiabilité aussi inégale (vrai comptage et estimation non prouvée) soient employées sélectivement. Et même si le nombre prouvé des victimes algériennes reste inférieur au nombre possible, il faut s'en tenir au premier.

Le fait que les populations en présence aient eu également le sentiment d'être les victimes de la violence de l'autre ne prouve naturellement pas que le bilan doive être équilibré, et il ne peut évidemment pas l'être (tout particulièrement à Guelma, où la violence, déclenchée après que les troubles de Sétif ont été connus par le sous-préfet Achiary, prévenu par téléphone, a été presque unilatérale).

Mais à la méthode hasardeuse proposée par Jean-Louis Planche on peut préférer la prudence manifestée par Claude Liauzu et Gilbert Meynier : «La seule conclusion que peut faire l'historien : il y eut en effet des milliers de morts, mais s'il est honnête, il n'en dira pas plus (8).» Conclusion brutale, mais qui nous invite tous à la prudence. Prudence que justifie la revendication algérienne de repentance, presque ignorée en France, formulée en Algérie depuis 1990 par la Fondation du 8 mai 1945 et à Paris par le président Bouteflika en juin 2000, laquelle explique l'échec récent de la négociation du traité d'amitié franco-algérien autant que la loi du 23 février 2005.

Guy Pervillé, magazine, L'Histoire, mars 2007 - source


1. M. Reggui, Les Massacres de Guelma, La Découverte, 2006.   

2. C.-A. Julien, L'Afrique du Nord en marche. Nationalismes musulmans et souveraineté française, rééd. Julliard, 1972.   

3. M. Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951, Alger, SNED, 1980 et 1981.   

4. M. Harbi, Aux origines du FLN, le populisme révolutionnaire en Algérie, Christian Bourgois, 1975. 

5. A. Rey-Goldzeiguer, «Le 8 mai 1945 au Maghreb», M. Vaïsse (dir.), 8 mai 1945, la victoire en Europe, Lyon, La Manufacture, 1985.   

6. C.-R. Ageron, «Mai 1945 en Algérie, enjeu de mémoire et d'histoire», Matériaux pour l'histoire de notre temps n° 39, 1995. Cf. aussi, du même auteur, Histoire de l'Algérie contemporaine. T. II, 1871-1954, PUF, 1979 et «Les troubles du Nord-Constantinois en mai 1945 : une tentative insurrectionnelle ?», Vingtième Siècle n° 4, 1984.   

7. Dans H. Alleg (dir.), La Guerre d'Algérie, t. I, Temps actuels, 1981.   

8. Le Nouvel Observateur, 2 juin 2005.

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