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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
6 février 2015

les émeutes du 6 février 1934 - dossier, classes de 1ères lycée

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Le 6 février 1934, «un mythe fondateur»

de l'extrême droite

Olivier DARD, historien, professeur à la Sorbonne (Paris IV)

 

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Olivier Dard

 

INTERVIEW

Il y a quatre-vingts ans, des émeutes impliquant les ligues nationalistes éclataient à quelques pas de l'Assemblée nationale. L'historien Olivier Dard revient sur ces événements et leur postérité.

L'évènement est emblématique d'une époque, les années 1930, que certains comparent à la nôtre. Il y a quatre-vingt ans jour pour jour [article paru le 6 février 2014], le 6 février 1934, des manifestations emmenées par les ligues nationalistes dégénéraient en émeutes à quelques pas de l'Assemblée nationale. Celles-ci faisaient quinze morts, et laissaient croire à une tentative de coup d'État de la part de l'extrême-droite.

Etait-ce le cas ? Quelles furent les conséquences du 6 février, et quelle place occupe-t-il aujourd'hui dans l'imaginaire droitier ? Les réponses d'Olivier Dard, professeur à la Sorbonne, auteur de Charles Maurras (Armand Colin, 2013) et de Les années trente - Le choix impossible (Le Livre de poche, 1999).

Dominique Albertini
journaliste à Libération

9782253905561FS

 

________________________

 

il ne s'agissait pas d'un coup d'État fasciste

 

Action Française 6 février 1934
L'Action Française, journal de la droite monarchiste anti-républicaine, 6 fév. 1934

 

Que s’est-il passé au juste le 6 février 1934 ?

Pour le comprendre, il faut commencer quelques jours plus tôt. Eclaboussé par le scandale Stavisky [la mort douteuse d’un escroc lié à plusieurs parlementaires, ndlr], le gouvernement Chautemps a démissionné le 28 janvier 1934.

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l'escroc Alexandre Stavisky, en 1926

Le 6 février est la date à laquelle le nouveau gouvernement, présidé par Édouard Daladier, doit être présenté à l’Assemblée. Or, avant cette échéance, Daladier a limogé le préfet de police Jean Chiappe, réputé proche des ligues d’extrême-droite, ce qui provoque la fureur de celles-ci et leurs appels à manifester. On a donc une conjonction d’éléments qui provoquent les évènements du 6 février.

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Jean Chiappe, préfet de police de Paris

 

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Daladier a été plusieurs fois président du Conseil (1er ministre) ; ici, on le voit avec son
gouvernement en janvier 1933. Mais deux autres présidents du Conseil lui ont succédé cette année-là :
Sarraut et Chautemps. Le 30 janvier 1934, il devient à nouveau président du Conseil.

 

Contrairement à ce qu’ont pensé les contemporains de gauche, il ne s’agissait pas d’un coup d’État fasciste. Mais ce ne fut pas non plus une simple manifestation. D’ailleurs, au départ, il y a plusieurs cortèges : les mouvements participants ont donné des lieux de rendez-vous différents à leurs membres.

Une partie d’entre eux se sont regroupés rive droite, d’autres rive gauche, avant de converger sur la place de la Concorde. On voit affluer des gens ayant répondu l’appel des ligues, mais aussi de simples curieux. Et bientôt les cortèges refoulés de la rive droite. Puis, des arbres sont arrachés, des bus incendiés, des grilles de fonte descellées. La manifestation tourne à l’émeute.

À cause du changement de tête à la préfecture de police, les forces de l’ordre sont désorganisées, et vite dépassées par les évènements. Au matin, le bilan est de 14 morts chez les manifestants – 18 si l’on compte les blessures fatales. On relève sur les victimes des blessures par balles, par coups de matraques, mais aussi des traces de sabots et de sabres. Du côté des forces de l’ordre, on compte un mort et des blessures suite à des jets de projectiles.

 

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manifestation du 6 février 1934, place de la Concorde à Paris

 

Qui sont les émeutiers ?

Il s’agit de ligues nationalistes, aux profils assez divers. L’Action Française est en pointe : depuis janvier, cette ligue monarchiste mobilise régulièrement ses adhérents étudiants.

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la "Une" du journal L'Action Française, le 9 janvier 1934, lendemain du suicide de Stavisky

 Il y a aussi les Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, la Solidarité française, et surtout les Croix de Feu du colonel de La Rocque, qui font bande à part. On trouve également les anciens combattants de l’UNC, classés à droite, et ceux de l’ARAC, proche des communistes – ces derniers préfèreront faire le coup de poing sur les Champs-Elysées. Ces organisations seront elles-mêmes débordées par la violence de l’émeute, qui exprime l’indignation de leurs membres vis-à-vis de la République parlementaire.

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le colonel de La Rocque et ses Croix-de-Feu

 

Quelles ont été les conséquences politiques de ces émeutes ?

 

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L'Humanité, journal du PCF, 7 février 1934

La gauche défile les 9 et 12 février, ce qui crée un sentiment d’unité à la base. Toutefois, la naissance du Front populaire doit surtout à la nouvelle stratégie de Staline, qui, face à la menace allemande, demande désormais aux partis communistes de s’unir avec les sociaux-démocrates. Du côté de l’extrême-droite, deux discours s’opposent. Pour la plupart des dirigeants, il aurait été impossible de prendre le pouvoir : même si les manifestants avaient envahi l’Assemblée, qu’auraient-ils fait ?

Chez une partie des militants, ce discours provoque une prise de distance avec les ligues. On les retrouvera parmi les fascistes français, par exemple au Parti populaire français de Jacques Doriot. Enfin, le colonel de La Rocque choisira, lui, de créer un Parti social français : celui-ci deviendra un vrai parti de masse, avec de 800 000 à 1 million de membres avant la guerre. Quant aux ligues, elles ont été interdites en 1936 : pour elles, le 6 février 1934 était donc une queue de comète.

 

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brochure du Parti Social Français, en 1936

 

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brochure du Parti Social Français (P.S.F.), en 1936 :
la formule "Travail, Famille, Patrie" y figure déjà

 

En janvier 2011, Bruno Gollnisch, alors vice-président du FN, a rendu hommage aux «morts du 6 février 1934». Quelle est la place de cet évènement dans la mémoire de l’extrême droite ?

Pour la génération de Gollnisch, c’est toujours un mythe fondateur. D’autant que le 6 février 1945 correspond à l’exécution de l’écrivain collaborationniste Robert Brasillach, et le 6 février 1956 à la «journée des tomates» d’Alger, où le Président du conseil, Guy Mollet, fut chahuté par les partisans de l’Algérie française. Jusqu’aux débuts du FN, en 1972, le souvenir du 6 février est très présent. Jean-Marie Le Pen est d’ailleurs un héritier des ligues, que le pouvoir n’intéresse pas plus que ça. Cela dit, il a toujours préféré les urnes à la rue. Pour sa fille, en revanche, le 6 février 1934 n’a sûrement pas la même importance.

 

La comparaison entre les années 1930 et notre époque vous semble-t-elle justifiée ?

Pas vraiment, car la France a considérablement changé. À l’époque, c’était un pays rural, ne connaissant pas le chômage de masse et vivant sous la menace d’une guerre avec l’Allemagne. Il y a cependant deux points communs entre les deux époques : un malaise profond de la société et la crise de l’identité nationale. Dans les années 1930, les élites avaient les solutions en main, mais hésitaient à les prendre. Quant aux discours politiques, ils ressemblaient souvent à des rodomontades. On peut avoir la même impression aujourd’hui.

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Chantonnay, commune de Vendée dans les années 1930

 

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café de la Poste et station-service à Conques-sur-Orbeil dans l'Aude, dans les années 1930

 

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marche de la faim des régions du Nord jusqu'à Paris en 1933

 

Et le parallèle entre les ligues et la manifestation «Jour de colère», agglomération de mouvements radicaux opposés au «système» ?

Pourquoi pas : c’est le même ras-le-bol qui est exprimé. La différence, c’est qu’un mouvement comme l’Action française avait un socle doctrinal beaucoup plus élaboré. L’hymne de l’Action française ["La Royale"] disait : «Si tu veux sauver la France, pense clair et marche droit.» Il faut donc commencer par penser clair... Je doute de toute façon que l’on puisse revoir un 6 février, ne serait-ce que parce que les forces de police ont considérablement amélioré leurs procédés.

La Royale

 

interview recueillie par Dominique ALBERTINI
source : Libération, 6 février 2014
iconographie : Michel Renard

 

548206555

 

* dossier en cours

 

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