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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
6 août 2015

les Républicains et la campagne (1870-1892)

Honneur aux agriculteurs comice Iffendic
"Honneur aux agriculteurs" adossé au mur sud de l'église, comice à Iffendic (Ille-et-Vilaine) (date ?)

 

 

La campagnocratie républicaine :

une double conversion

 Soo-Yun CHUN (2003, extraits)

 

Sans doute Wickersheimer dit-il la vérité lorsqu’il prononce en janvier 1886 cette phrase :

«J’ai le regret de constater que lorsqu’on interroge quelques-uns de nos collègues républicains, ils prétendent partager nos principes en matière de libre-échange ; tandis qu’en fait ils se sont laissés gagner par les arguments de nos adversaires» (Chambre des députés, 3 juillet 1886).

Quelques années plus tard, ces «collègues républicains» semblent partager les principes de ces «adversaires».

 

Des républicains «ruralisés»

En fait, on peut discerner la division du parti républicain autour de la question douanière dès le moment où l’anticléricalisme n’arrive plus à faire la «concentration républicaine».

René Goblet min Instruction pub

Ce n’est pas un hasard si le ministre de l’Instruction, Goblet [ci-contre], invoque le danger du mouvement clérical, quand il demande la priorité pour son projet de loi relatif à l’enseignement sur celui du relèvement des droits. Or, la concentration républicaine ne paraît plus à l’ordre du jour, parce que Ganault, membre du groupe agricole républicain, s’y oppose en demandant la priorité de la loi douanière. La Chambre rejette la demande de Goblet (Chambre des députés, 26 juin 1886).

En face de cette question douanière qui ne respecte pas le clivage politique de la décennie précédente, et bien que la droite compte quelques dissidents, en particulier parmi les bonapartistes, c’est le parti républicain qui se trouve divisé en deux camps bien nets : les républicains libre-échangistes de la France urbaine s’opposent aux républicains protectionnistes représentant la France rurale. L’union des villes et des campagnes, chère chez les républicains des années 1870, paraît tomber en désuétude.

Il semble que les républicains libre-échangistes emploient l’expression de «députés ruraux» ou «électeurs ruraux» dans le sens retrouvé des années de la fin de l’Empire et de l’Assemblée nationale de 1871 (Chambre des députés, 6 juillet 1886), alors que les discours des républicains protectionnistes ne sont pas très éloignés de ceux de leurs ennemis d’il y a à peine une ou deux décennies.

Dès les élections de 1881, les républicains modérés font allusion au contraste frappant entre la raideur des formules et les aspérités de l’intransigeance de certaines circonscriptions urbaines, et le calme général dont jouissent les circonscriptions rurales. Ils laissent entendre leur opinion d’après laquelle la République, en dépit de la brutalité des intransigeants qui «déshonorerait Paris, si Paris pouvait être confondu avec la horde de déclassés sans patrie» (La Semaine agricole, 28 août 1881), prospérerait sous la sauvegarde de la paysannerie, considérée comme réservoir de la société française.

On a l’impression qu’ils sont autant, sinon plus, gagnés par la cause paysanne que les paysans ne sont gagnés par la cause républicaine. Les agriculteurs que Méline félicite pour leur capacité de lecture et de mémoire (cf. son discours du 2 juin 1885 devant le groupe agricole, déjà cité) sont devenus conscients de la puissance de leur voix et les républicains opportunistes le sont à leur tour de ce fait.

On peut parler dès lors de la «ruralisation des républicains» aussi bien que de la «républicanisation des masses rurales». (Sur la question de la politisation des campagnes, concernant surtout sa «dernière étape», voir les interventions de Maurice Agulhon, Jean-François Chanet, de Ronald Hubscher, et de Caroline Ford dans les actes du colloque de Rome (20-22 février 1997) : La Politisation des campagnes au XIXe siècle. France, Italie, Espagne et Portugal, École française de Rome, 2000).

L’acculturation ou la conversion ne se jouent pas à sens unique (Lehning, 1995, p. 179-203).

 

Des ruraux «républicanisés»

Nous avons de nouveau une «majorité rurale», mais est-ce qu’elle constitue une «Chambre rurale dans le sens profond et vrai de ce mot» qu’a annoncée Gambetta dans son fameux discours de Bordeaux ?

S’agit-il d’une campagnocratie, reconstruite autour du protectionnisme ? Voit-on dans cette nouvelle majorité rurale un avant-goût de ralliement des conservateurs au régime républicain ou bien la conversion d’une bonne partie du parti républicain au conservatisme agricole ?

Ce qui semble évident, c’est que les dirigeants de la République opportuniste prennent leurs distances aussi bien avec les populations ouvrières qu’avec leurs représentants «démagogues». La conséquence est pour le parti républicain la perte de son aile radicale et de son électorat urbain. Cependant, les dirigeants du parti peuvent se satisfaire d’un effet compensateur : en se ralliant à la cause protectionniste, et en associant le Second Empire et le libre-échange à l’origine de la crise agricole, ils font un grand pas en avant dans leurs efforts de longue date pour détacher les paysans français du régime impérial.

La campagnocratie républicaine se différencie, au moins de ce point, de vue de la campagnocratie impériale. Les agrariens républicains ont raison de faire l’éloge de la fidélité des campagnes qui ont témoigné à la République «leur reconnaissance en la sauvant du coup de folie auquel se laissaient aller la plupart de nos grandes villes, et particulièrement Paris, à la suite du général Boulanger» (article de Couteaux, «L’agriculture», La Semaine agricole, 3 juillet 1892).

Soo-Yun Chun
extraits de l'article
"«Amis de l’agriculture» (1870-1892"
publié dans Histoire & Sociétés rurales, 2003/2
en ligne

 

 

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