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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
26 juillet 2015

Pouvoir au village et Révolution. Artois, 1760-1848 (1987) de Jean-Pierre Jessenne - compte rendu par J. Godechot

Jessenne Artois couv

 

 

Pouvoir au village et Révolution. Artois,

1760-1848 (1987)

de Jean-Pierre Jessenne - compte rendu par J. Godechot (1990)

 

Jean-Pierre Jessenne, Pouvoir au village et Révolution. Artois, 1760-1848, Lille, Pul, 1987.

L'auteur a étudié un problème encore mal connu, et, en tout cas fort controversé malgré des thèses importantes, telles que celles de Georges Lefebvre sur les paysans du Nord ou de Paul Bois sur ceux de l'Ouest.

Il établit d'abord la hiérarchie des groupes sociaux, qui était très nette et très stricte en Artois à la fin du XVIIIe siècle : en tête les fermiers (5% de la population). Ce terme ne désigne pas seulement, comme aujourd'hui, les locataires de terres, mais aussi les propriétaires, et d'une manière générale les gros exploitants. Puis les laboureurs (15%) qui se suffisent à eux-mêmes. Viennent ensuite les personnes "vivant de leurs biens", anciens fermiers ou bourgeois revenus au village et vivant des revenus de leurs terres. Les professions libérales, peu nombreuses, surtout médecins et hommes de loi (3%), les marchands (de chevaux, bestiaux etc., 8%), les artisans, groupe assez important (15%), les ménagers (7%) qui ne peuvent vivre de leurs seules propriétés, les manouvriers, le quart de la population rurale, qui doivent se louer pour vivre (dans le Midi on les appelle brassiers), les ouvriers (14%), en général tisserands, les domestiques (7%), les mendiants, de plus en plus nombreux à la veille de la Révolution, et coiffant le tout le seigneur et le curé (ou les religieux, s'il existe une abbaye dans le voisinage).

À la différence du Midi où le village est administré par un conseil politique élu (selon des règles il est vrai, en général peu démocratiques) en Artois c'est le seigneur qui désigne le lieutenant et le maire. Il existe bien des assemblées générales des chefs de famille, mais elles ne se rassemblent que rarement, et pour discuter le plus souvent des biens communaux. En fait le seigneur et les fermiers (par leur influence) dirigent la communauté villageoise.

Qu'en advint-il avec le nouveau régime qui institua les municipalités ? Jean-Pierre Jessenne constate, qu'en moyenne, 45% des membres de nouvelles municipalités ont été recrutés parmi les anciens dirigeants des villages. Quant aux citoyens actifs, c'est-à-dire les électeurs, que Georges Lefebvre estimait minoritaires, Jean-Pierre Jessenne constate comme Paul Bois et d'autres chercheurs travaillant sur le Midi de la France qu'ils formèrent la grande majorité des hommes de plus de 25 ans et n'étant pas domestiques.

Mais, question qui préoccupe - avec raison - les chercheurs aujourd'hui, quelle était la participation électorale ? Faible en général. Rarement elle dépasse 50% des citoyens actifs, et tombe parfois à 11% en 1790. En 1791 les taux de participation sont encore plus faibles, la moyenne atteint 12,7%. Quant aux élus, les fermiers, cette année-là, se taillent la part du lion : 83%. Les élections de septembre 1792 eurent lieu au suffrage universel, la participation ne fut pas plus forte, mais elle amena un renouvellement des élus, la place des paysans semble avoir régressé au profit des artisans. Mais beaucoup de documents ont été perdus. Toutefois les fermiers continuent à dominer les villages. C'est, écrit l'auteur, une "véritable fermocratie". Il conclut : "La continuité du pouvoir au village dans le changement politico-social caractérise la situation des villages artésiens jusqu'en 1792".

En 1793 un nouveau pouvoir naît : les comités de surveillance révolutionnaires, où manouvriers, artisans, tisserands ont la majorité. Ce sont les organismes locaux de la Terreur. Mais ils sont supprimés dès 1795. La Terreur, la guerre - toute proche - et ses conséquences (contributions, réquisitions, logement de soldats), la déchristianisation, la persécution des prêtres réfractaires, éloignent les paysans de la Révolution.

Sous le Directoire, les fermiers reconquièrent le pouvoir, mais la participation électorale reste très faible : en l'an V, 8 à 19%.

À partir du Consulat, et jusqu'à la révolution de 1848, on constate une grande stabilité dans le recrutement des maires, des adjoints et des conseillers municipaux. Les fermiers forment toujours l'énorme majorité. Mais les nobles et les prêtres sont totalement éliminés. Les artisans sont assez bien représentés. Souvent, on se succède de père en fils dans une fonction municipale.

La deuxième partie du volume est consacrée au système de production du village artésien, répartition des terres, mode de tenure (propriété ou fermage), moyens d'exploitation (trains de culture). Le chapitre VII est intitulé la Fermocratie et explique les stratégies familiales et matrimoniales pour maintenir les grosses fermes dans les mêmes familles. Tout ceci explique pourquoi, sauf en 1793-1794, les fermiers ont conservé le pouvoir au village.

Le livre se termine par d'utiles annexes : cartes de l'Artois, liste des villages étudiés avec les principales données numériques les concernant, répartition socio-professionnelle des délégués des communautés en 1789, des municipalités en 1790, participation électorale en 1790, répartition socio-professionnelle des électeurs en 1814, 1821, 1846, répartition des acquéreurs de biens nationaux et reproduction de quelques documents fondamentaux. L'ouvrage est illustré de photographies bien choisies. Il comporte une liste de sources et une bibliographie. Peut-être un index eût-il été utile.

Dans l'ensemble, excellente étude, qui servira de modèle et permettra des comparaisons avec d'autres régions de France.

Jacques Godechot

 

- source : Jacques Godechot, Revue belge de philologie et d'histoire, année 1990, volume 68, numéro 68-4, pp. 1012-1013

 

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 cartes

 

carte du livre de Jessenne
carte du livre de Jean-Pierre Jessenne

 

Nord-Pays-de-Calais paysages ruraux synthèse
Nord-Pas-de-Calais actuel : paysages ruraux, synthèse

 

- source : http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/?-Cartotheque-

 

 

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 images : cartes postales anciennes (avant 1914)

de quelques villages étudiés par Jean-Pierre Jessenne

 

Ayette (Arras) berger cpa
berger à Ayette (Arras)

 

Fleurbaix cpa
Fleurbaix, entrée du bourg par la route d'Armentières

 

Monchy-le-Preux cpa
Montchy-le-Preux, la porte du château

 

 

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