lire ou ne pas lire la lettre de Guy Môquet ? (controverse)
lire ou ne pas lire
la lettre de Guy Môquet ?
controverse
Réponse à 4 professeurs d'Histoire
du lycée de Rive-de-Gier
qui refusent de lire la lettre de Guy Môquet
Position des professeurs d'histoire-géographie [du lycée Georges Brassens à Rive-de-Gier] au sujet de la lecture de la lettre de Guy Môquet
1 - La mémoire de la période de l'occupation en France s'est élaborée avec difficulté ; ce n'est que récemment que cette mémoire peut être qualifiée de sereine et objective.
Nous ne souhaitons pas par cette "commémoration" retomber dans la vision gaulliste ou communiste de l'immédiat après-guerre qui exalte une France unanimement résistante.
Le discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 nous paraît plus objectif qui parle de "la France, droite…fidèle à ses traditions" mais qui reconnaît que "la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français".
Réponse – Que la journée du 22 octobre soit appelée "commémoration" ne doit pas faire oublier que nous sommes avant tout des transmetteurs d'un savoir critique. Le degré d'évolution de telle ou telle mémoire ne saurait être un argument autorisant ou prohibant la délivrance d'une information historique à son sujet. Il n'y a ni à craindre les conceptions gaulliste et communiste d'immédiat après-guerre ni à préférer telle intervention présidentielle d'il y a douze ans. Toutes sont à contextualiser et à expliquer. Ainsi, la vision d'une France unanimement résistante existe dans le discours gaullien ("Paris libéré avec l'appui et le concours de la France tout entière", Hôtel de Ville, 25 août 1944), mais elle n'épuise pas le jugement du chef de la France libre. Dans les Mémoires de guerre, De Gaulle évoque, pour l'été 1944, les "divisions de la nation", les "fractions du peuple français"… Par ailleurs, la liste des Compagnons de la Libération, élaborée et close par le Général, ne comprend que 1038 noms. On est loin d'une France tout entière résistante… De toute façon, personne ne nous demande de propager un discours plutôt qu'un autre. Nous sommes maîtres du contenu historique à transmettre aux élèves. Il n'y a donc là aucun motif d'un refus de lecture de la lettre de Guy Môquet.
2 - La complexité de la période de l'occupation mérite donc des développements importants qui ne peuvent être expliqués en dehors du contexte. Or, ce contexte est étudié en fin de classe de 1ère et c'est à ce moment là que nous jugeons pertinent de lire cette lettre, avec d'autres témoignages.
Réponse – Quelle période n'est-elle pas "complexe"…? L'Occupation l'est tout autant que les causes de la Première Guerre mondiale, la montée des fascismes ou les raisons et modalités de la Guerre froide… Sur toutes ces questions, les lycéens ne partent pas de rien. Ils ont abordé ces thèmes en classe de 3e au collège. Par ailleurs, comme tout le monde, ils ont entendu parler de la lettre de Guy Môquet – jamais elle n'a été autant évoquée…- et les médias leur en rappelleront l'actualité le 22 octobre. Toute une conjoncture suscitant chez les élèves curiosité et attention propices à une exploitation pédagogique. Il serait superficiel de la reporter par fidélité rigide à l'agencement d'un programme.
Le précédent de la commémoration du 10 mai – choisie pareillement par un Président de la République -, "journée de mémoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions" au cours de laquelle il fallait lire en classe un texte choisi parmi des auteurs tels que Bernardin de Saint-Pierre, Condorcet, Alejo Carpentier, Senghor ou Césaire…, n'a pas occasionné les mêmes désapprobations… Et pourtant, la dimension réflexive et critique passait au second plan puisqu'il était dit qu'il "ne s’agit pas à proprement parler d’une action de nature pédagogique ni didactique (…) mais d’un moment de fraternité dans le souvenir des longues et terribles “nuits sans nom” et “sans lune” qui furent celles des esclaves" (B.O. du 16 avril 2006). Je ne connais pas de pétitions dénonciatrices ni de refus de lire ces textes. Pourquoi une telle réaction à propos de Guy Môquet ?
3 - Le choix de Guy Môquet se discute également.
Ce jeune homme de 17 ans n'a pas été exécuté en raison de son engagement net face à l'occupant, mais en tant qu'otage, choisi car communiste et surtout fils d'un député communiste alors interné en Algérie.
Arrêté à un moment (octobre 1940) où le PC lutte contre Vichy, mais non contre l'occupant nazi (pacte germano-soviétique), il est exécuté (octobre 41) à un moment où le PC s'est engagé massivement dans la Résistance (après l'invasion de l'URSS).
Voilà pourquoi nous ne souhaitons pas lire la lettre de Guy Môquet le 22 octobre 2007.
Les professeurs d'histoire-géographie du lycée Georges Brassens
G.Gentric - Th.Georget - J.Parizot - B.Charvet
Réponse – Il est léger de dire qu'à l'automne 1940, "le PC lutte contre Vichy mais non contre l'occupant nazi". À cette époque, "le" PC n'existe pas comme entité homogène et centralisée. Son appareil est désarticulé par la dissolution et par la répression, les militants dispersés, idéologiquement désorientés. Ce qui reste de direction – Jacques Duclos - a poussé à fond la logique du pacte germano-soviétique : demande de reparution légale de l'Humanité auprès des autorités nazies en juin 1940, appels à fraterniser avec les soldats allemands, absence de dénonciation du nazisme…
Mais - et c'est cela qui importe pour interpréter l'attitude du Guy Môquet, - d'autres communistes, y compris des responsables, ont agi, immédiatement après la défaite, sur une ligne à la fois anti-vichyste et anti-nazie. Charles Tillon, responsable régional à Bordeaux, appelle dès le 17 juin 1940 à la lutte contre Vichy et "contre le fascisme hitlérien". Auguste Havez en Bretagne, Georges Guingoin en Haute-Vienne, Auguste Lecoeur dans le Nord, également.
Guy Môquet distribue, certes, des tracts qui "dénoncent mollement l'occupation étrangère" (voir le livre de Pierre-Louis Basse, Guy Môquet, une enfance fusillée, Stock, rééd. 2007, p. 43), mais, avec deux camarades, il échappe aussi à une patrouille de soldats allemands durant l'été 1940 après avoir écrit sur le mur de leur caserne, boulevard Bessières : "Hitler… c'est la guerre" (cf. Pierre-Louis Basse, p. 89).
On ne peut inférer de la ligne officielle du PCF, énoncée par une direction dogmatique et coupée des militants, l'état d'esprit de ces derniers qui combinait le désarroi créé par le pacte germano-soviétique, l'opposition à la répression gouvernementale (celle de Daladier puis celle de Vichy) et la fidélité à l'antifascisme des années 1930. Guy Môquet a bien été résistant. Et il a été fusillé à 17 ans. Je lirai sa dernière lettre.
Michel Renard, professeur d'histoire
lycée Claude Lebois de Saint-Chamond