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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois

1 septembre 2010

les professeurs d'histoire sont rentrés (sept. 2010)

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les professeurs d'Histoire

du lycée Claude Lebois


2010-2011


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Mme Goy, coordinatrice Histoire

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Mme Goy

Pierre_Luc_et_Jean_Luc
M. Bouderlique et M. Degraix

Michel_et_Laurence
Mme Reynaud et M. Renard


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Mme Reynaud et Jonathan, professeur remplaçant

- pages générales sur l'équipe des professeurs d'histoire à Claude Lebois (2008-2010)

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3 août 2010

le kantisme est un idéalisme mitigé de réalisme

kant



qu'est-ce que le kantisme ?

E. Janssens


Le kantisme est, nous semble-t- il, un idéalisme mitigé de réalisme, un phénoménisme atténué par un étrange retour au monde des choses-en-soi et de l'intelligible pur.

L'innovation fondamentale de la Critique de la raison pure consiste à expliquer la connaissance, non par l'action des choses sur notre entendement, comme on l'avait fait jusqu'alors, mais par les lois a priori de l'esprit, modelant à leur image les données ou intuitions sensibles.

Cette méthode nouvelle, son auteur la considérait comme une révolution analogue à celle qui avait renversé le système géocentrique de Ptolémée. "On avait admis jusqu'ici - écrit Kant dans la préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure - que toutes nos connaissances devaient se régler sur les objets... Que l'on recherche donc une fois si nous ne serions pas plus heureux dans les problèmes de la métaphysique, en supposant que les objets se règlent sur notre connaissance... Il en est ici comme de l'idée que conçut Copernic : voyant qu'il ne pouvait venir à bout d'expliquer les mouvements du ciel en admettant que toute la multitude des astres tournait autour du spectateur, il chercha s'il ne serait pas mieux de supposer que c'est le spectateur qui tourne et que les astres demeurent immobiles" (1).

notes

(1) Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, trad. Barni, t. I, p.24.

E. Janssens, extrait d'une dissertation intitulée :
Le néo-criticisme de Charles Renouvier, Louvain,
Institut de philosophie, 1904.

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explication des notions

- le kantisme, ou philosophie kantienne, est la théorie élaborée par Kant à la fin du XVIIIe siècle.

"Alors que le matérialisme dominait en France, (...) et que le dogmatisme le plus absolu dominait l'esprit allemand, un philosophe parut qui, avec une puissance sans égale d'analyse et de synthèse, prétendit démontrer à chaque système philosophique qui l'avait précédé toute l'inanité de ses principes et l'étroitesse de ses vues ; c'était Kant, et c'était le dogmatisme de Wolf et le scepticisme de Hume qu'il voulait attaquer de front ; c'était avec eux qu'il prétendait en finir, et pour cela, il entreprit de faire la critique de la raison humaine, de marquer ses bornes et son étendue et de mesurer sa portée.

Contre les matérialistes et les sceptiques, Kant défendit le point de vue selon lequel l'esprit ou plutôt l'entendement possède a priori des principes de savoir ; et contre les dogmatistes il maintint que l'expérience seule peut conduire à la certitude de l'existence réelle ou objective et que, même dans cet ordre de faits, nous ne pouvons encore être assurés que les choses soient telles qu'elles nous apparaissent. Il faisait cependant une exception en faveur des vérités morales, de la loi du devoir dont nous pouvons percevoir la réalité objective et la certitude absolue." (dictionnaire Imago @ Mundi source)

- idéalisme : "le propre de l'idéalisme est de ne pas admettre que la réalité externe soit la cause de nos représentations, soit qu'il nie cette réalité externe (immatérialisme), soit qu'il en nie l'indépendance par rapport à l'esprit (Kant), soit qu'il affirme que sa cause est l'Idée (Platon)". S. Auroux, Y. Weil, Nouveau vocabulaire des études philosophiques, Paris, Hachette, 1975, pp. 106-107.

- réalisme : thèse philosophique selon laquelle le monde existe bien en dehors de la représentation que nous en avons.
"Au contraire des idéalistes, les réalistes considèrent que les formes n'existent pas en dehors de leurs incarnations physiques. C'est plutôt l'esprit humain qui abstrait ces formes à partir de l'observation attentive des choses qu'il y a à connaître avec nos cinq sens. Les réalistes insistent sur l'existence objective des formes dans le monde". (source)

- phénoménisme :

"Doctrine philosophique dont la thèse principale, sous sa forme absolue, consiste à révoquer en doute l'existence de toute substance matérielle ou spirituelle sous les phénomènes perçus par les sens et la conscience. Le phénoménisme est ainsi un cas très particulier d'une doctrine beaucoup plus vaste, l'idéalisme.
Car, tandis que l'idéalisme, étroitement uni avec le rationalisme par ses plus grands représentants, Platon, Descartes, Malebranche, Hegel et Schelling, résout simultanément le problème de la connaissance et celui de l'existence, le phénoménisme s'associe volontiers à l'empirisme pour donner à la question : «de quoi les êtres sont-ils faits ?» cette réponse : «ils ne sont qu'un faisceau de phénomènes».

Ni l'idéalisme, ni l'empirisme des Anciens n'ont revêtu la forme phénoméniste. Malgré les différences qui les séparent, Platon et Épicure s'accordent à reconnaître aux apparences sensibles un support substantiel, objectivement réel, Idée chez l'un, Atome chez l'autre.
Éprise de raison ou attachée à l'expérience, toute la philosophie antique est substantialiste, et le Moyen âge l'a suivie dans cette voie au point de réaliser certaines qualités sensibles de la matière.
Il faut arriver jusqu'à Descartes pour trouver, sous des dehors purement substantialistes, le germe de la thèse phénoméniste. Sans doute, Descartes distinguait, sous les qualités sensibles relatives au sujet qui connaît, l'étendue, essence invariable de la matière. Mais il préparait ainsi la voie aux disciples plus hardis et plus conséquents qui devaient réduire l'idée d'étendue elle-même à des sensations tactiles et musculaires et dissiper ainsi le dernier substratum métaphysique de tout attribut sensible." (dictionnaire Imago @ Mundi source)

- chose-en-soi, noumène : c'est une "réalité" intelligible que l'on peut penser. Dans la philosophie kantienne, le noumène s'oppose au phénomène sensible. Le noumène ne peut être connu puisque toute connaissance implique une intuition sensible.
Le noumène ne peut avoir de sens qu'en relation avec les notions d'objet transcendental et de chose-en-soi.
La chose-en-soi est cette réalité inconnaissable que nous devons supposer pour comprendre ce qu'est un phénomène : elle se phénoménalise, se manifeste, apparaît en lui.
Le sujet transcendental suppose, dans le mécanisme de la connaissance, que soit posé un objet en général, dit objet transcendental (qui n'est pas sensible).
Noumène et chose en soi sont assimilés parfois, la chose-en-soi est confondue avec l'objet transcendental. Le sujet humain, en tant qu'il n'est pas entièrement déterminé par des causes naturelles, est dit noumène.
(source : Kant, une révolution philosophique, Michèle Crampe-Casnabet, éd. Bordas, 1989, lexique, p. 179.

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10 juillet 2010

Bac juin 2010

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félicitations aux bacheliers 2010

du lycée Claude Lebois...!!!!!



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consultation des résultats, le 6 juillet 2010



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28 mai 2010

8 mai 1945, Sétif, Algérie, film de Rachid Bouchareb

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photo du film "Hors-la-loi" de Rachid Bouchareb (2010)



dossier sur les "massacres de Sétif"

en mai et juin 1945 en Algérie


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source


réactions dans la presse au film "Hors-la-loi"

de Rachid Bouchareb


Il y a plusieurs choses à dire sur Hors la loi de Bouchareb que l'on vient de voir
à Cannes 

Tout d'abord, le climat : protection policière très présente autour du palais du festival, fouilles au corps même pour les journalistes, sacs examinés deux fois plutôt qu'une : on se serait cru au Parc des princes lors d'un PSG-OM ou dans l'aéroport le plus surveillé au monde. Mais la projection s'est bien déroulée. Aucun sifflet, aucune insulte, rien.   

Venons-en au film lui-même. Et faisons d'abord un sort à la fameuse séquence des massacres de Sétif qui a déclenché tant de polémiques. Pour être le plus objectif possible, j'ai fait raconter cette scène à une jeune femme qui ignorait tout du 8 mai 1945. Qu'avait-elle vu ? Une manifestation pacifique d'Algériens, l'un d'entre eux tenant un drapeau algérien, des forces françaises prêtes à riposter, un officier de police qui cherche à récupérer le drapeau, qui fait feu sur l'Algérien, la panique de la foule, les policiers et l'armée française qui tirent sur les manifestants comme dans un stand de tir, faisant des dizaines de morts, deux Algériens sans armes ripostant en état de légitime défense (l'un fait basculer un Européen qui tire, un autre arrache un fusil et le retourne contre un autre Européen avant d'être tué), puis l'arrestation d'un des personnages du film (Sami Bouajila) qui passe devant des dizaines de corps d'Arabes tués... La jeune femme n'a pas vu qu'il y ait eu un massacre d'abord d'Européens par des Arabes.   

Si l'on résume, Bouchareb nous raconte le début de l'histoire (le drapeau, l'officier de police), tout en le condensant (car les massacres n'ont pas eu lieu à Sétif même, le 8 mai 1945, mais pour la plupart après), puis la fin de l'histoire (les massacres par milliers d'Algériens), mais il ne nous montre pas le milieu (le fait que les Européens ont été tués aussi, autrement qu'en légitime défense, par des Algériens qui étaient bien armés).    

Bouchareb, après avoir annoncé qu'il rétablirait la vérité historique, était revenu sur ses déclarations, brandissant, pour calmer le jeu, l'argument de la fiction. Mais il nous semble que si l'on représente un événement historique, on s'engage à le raconter de façon exacte. On a une responsabilité, surtout, face à un événement qui a eu tant de conséquences. Il faut dire et montrer les massacres d'Arabes - terribles, d'une ampleur immense - mais dire et montrer aussi l'autre partie, les massacres d'Européens, même plus réduits en termes de chiffres (102 contre 6.000 à 20.000 selon les sources). On ne peut pas toujours brandir cet argument de la fiction comme un joker qu'on sortirait quand cela nous arrange.   

Débats   

Sur le reste du film, car ne nous focalisons pas sur ces six minutes, constatons d'abord qu'il est très moyen. On est revenu vers un cinéma politique assez lourd, maladroit, où les personnages s'expriment souvent par slogans. Même si, par rapport à Indigènes, on constate qu'il y a plus de cinéma dans ce nouveau film. Mais on a parfois l'impression d'avoir affaire à une de ces oeuvres qui passaient jadis avant une émission des Dossiers de l'écran. Sujet : la lutte du FLN en France.              

Hors la loi a certes, là-dessus, ses vertus : il raconte succinctement, à travers l'itinéraire de trois frères, une histoire jamais montrée au cinéma : celle du FLN, son organisation sur le territoire, de sa radicalisation, de sa lutte aussi contre la police française, qui met en place une organisation secrète, la Main Rouge, qui a bel et bien existé. À cet égard, certaines comparaisons entre les Français et les Allemands - les membres du FLN ayant pris la place des Résistants - devrait sans doute avoir du mal à passer...   

Roschdy Zem (le plus convaincant des trois acteurs) interprète le bras armé, qui élimine en étranglant les éléments gênants, Sami Bouajila, la tête pensante révolutionnaire, prêt à tout sacrifier pour la cause, Djamel (coproducteur du film), plus en marge, tente sa chance dans le monde des cabarets, du business et de la boxe.   

Bouchareb n'est pas angélique sur le FLN et ses méthodes et le film devrait faire grincer des dents en Algérie, où la ministre de la Culture a annoncé une projection. Il rappelle, avec exactitude, que le FLN, en organisant la manifestation réprimée du 17 octobre 1961, a sacrifié nombre d'Algériens en connaissance de cause. Gonflé.   

La polémique va-t-elle retomber ou s'attisera-t-elle ? Bouchareb, au début de la conférence de presse, a tout fait pour calmer les esprits, disant vouloir ouvrir un "débat sur la colonisation française et les relations passées entre Français et Algériens". Il est ouvert. Mais un élément essentiel de ce débat nous semble porter sur l'usage des mots "fiction" et "vérité historique". Les historiens qui ont vu le film ont pointé des erreurs. Elles sont là en effet. Faut-il exclure les historiens du débat ? La fiction excuse-t-elle tout ? Espérons que durant les prochains jours, le débat sera enrichi avec toute la sérénité possible.

PS : on s'étonne de trouver dans le dossier de presse que la phrase fameuse de Mitterrand prononcée après l'insurrection du 1er novembre 1954 ("L'Algérie, c'est la France"), soit attribuée à Pierre Mendès France.

Le Point, 21 mai 2010


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«Ce déchaînement de folie meurtrière, dans lequel les autorités françaises de l’époque ont eu une très lourde responsabilité, a fait des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes…»

    Discours de M.Bernard Bajolet, 27 avril 2008, Ambassadeur de France en Algérie


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articles d'historiens sur les massacres

de Sétif et du Constantinois


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Le 8 mai 1945 et

sa mémoire


en Algérie et en France

(2005)

Guy PERVILLÉ, historien, universitaire



- Communication au colloque Mémoire et histoire, 60 ans après le 8 mai 1945, organisé par la Stiftung Genshagen au château de Genshagen (Berlin), 29-30 avril 2005, présentée à la fin de la journée du 29.

Le rapport entre ce sujet et celui du colloque peut sembler une simple coïncidence de dates, le 8 mai 1945 renvoyant à deux événements à première vue sans rapport entre eux : la capitulation du IIIème Reich à l’issue de la Deuxième guerre mondiale, et une insurrection manquée des nationalistes algériens contre la domination française en Algérie suivie d’une très dure répression.

La signature de la capitulation allemande à Berlin le 8 mai 1945 est un événement dans lequel la participation française est restée  relativement secondaire, même si la Ière armée française du général de Lattre de Tassigny, venue en grande partie d’Afrique du Nord, formait l’aile droite des armées alliées qui ont envahi l’Allemagne par l’ouest. Ce qui explique la réaction du maréchal Keitel en voyant signer celui-ci : «Quoi ? Même les Français ?»

Le 8 mai 1945 en Algérie est, plus qu’une simple coïncidence, en partie une conséquence de l’événement précédent. Le 8 mai, des défilés officiels sont organisés en Algérie pour fêter la capitulation allemande et la fin de la guerre. D’autres manifestations organisées par les nationalistes algériens ont été autorisées sous condition de n’arborer aucun emblème ou slogan jugé séditieux par les autorités, qui viennent d’exiler le leader Messali Hadj à Brazzaville pour éviter un soulèvement. Mais à Sétif, à Bône et à Guelma, des drapeaux et des banderoles nationalistes sont arborées, ce qui provoque l’intervention armée de la police voulant les arracher. Un début d’insurrection se produit à Sétif et se répand dans les campagnes environnantes, puis dans les environs de Guelma.

La répression reprend rapidement le dessus, mais elle sévit pendant plusieurs semaines, particulièrement à Guelma et dans ses environs. Le bilan est bien connu du côté français : 102 morts (dont 14 militaires, et 2 prisonniers italiens), 110 blessés et 10 femmes violées. Mais il est resté très incertain du côté des insurgés : officiellement 1.165 morts, mais ce bilan n’a convaincu personne, et d’autres estimations officieuses ont rapidement circulé : 5.000 à 6.000, 6.000 à 8.000, voire 15.000 à 20.000. Les nationalistes ont retenu 45.000 morts, voire davantage (80.000 ou 100.000 ?), mais sans démonstration probante.

Quant aux causes de ces événements, elles ont été longtemps controversées, entre l’interprétation de la gauche, notamment communiste, dénonçant un complot colonialiste des grands colons et de la haute administration manipulant des nationalistes pro-hitlériens, et  l’interprétation de la droite colonialiste dénonçant uniquement un complot nationaliste algérien [1].

L’objet de cette communication est de retracer l’évolution de l’historiographie de cet événement dans les deux pays, qui est d’abord passée  de la polémique à l’histoire, avant de voir de nouveau la polémique concurrencer et contrarier l’histoire.

De 1945 à 1962 : un enjeu politique direct

Durant une première période, allant de l’insurrection manquée à l’indépendance effective de l’Algérie, les écrits sur le 8 mai 1945 appartiennent à un genre essentiellement politique. La persistance d’enjeux actuels fait que leur production dépend étroitement de prises de positions en rapport direct avec le problème du destin de l’Algérie par rapport à la France.

En France, les échos de cet événement sont alors peu importants, à l’exception du très important débat de l’Assemblée consultative provisoire sur les événements d’Algérie en juillet 1945 [2], accompagné d’une importante déclaration du ministre de l’Intérieur du GPRF Adrien Tixier [3]. Mais ces débats d’une assemblée non élue touchent relativement peu de monde, et la presse  a très peu de place à leur accorder, même si quelques personnalités motivées comme Albert Camus [4] manifestent leur intérêt pour cet événement algérien.

Dans les années suivantes, un seul livre est consacré  à l’insurrection de mai 1945 par un élu français d’Algérie, celui d’Eugène Vallet, Le drame algérien. La vérité sur les émeutes de mai 1945, Les grandes éditions françaises, 291p, 1948. Ce livre était très bien documenté, mais très unilatéral. Un point de vue plus critique envers les abus de la répression se trouve dans ceux d’Henry Bénazet, L’Afrique française  en danger, paru en 1947, pourtant non suspect d’anticolonialisme, et du socialiste Charles-André Julien, L’Afrique du Nord en marche, nationalismes musulmans et souveraineté  française [5], Julliard, 1952.

En Algérie, l’impact de la répression colonialiste sur la propagande nationaliste du PPA-MTLD est très grand, mais il ne se manifeste pas par des recherches  ni par des publications historiques. La propagande orale ou écrite magnifie le crime colonialiste et son bilan, en passant sous silence les victimes européennes de l’insurrection, comme le fait remarquer Charles-André Julien [6] en 1952. Cependant cette propagande se développe encore davantage dans le discours du FLN pendant la guerre d’indépendance [7] qui commence le 1er novembre 1954. Le premier appel de l’ALN évoque alors «1945 avec ses 40.000 victimes», et la propagande du FLN lui accorde une place croissante, en particulier après le retour au pouvoir du général de Gaulle, déjà à la tête du GPRF en mai 1945.

Cependant,  l’exposé le plus frappant pour les Français fut peut-être celui du journaliste suisse Charles-Henry Favrod dans son livre paru en France La révolution algérienne, Tribune libre, Plon, 1959 : «Tous les chefs nationalistes sont unanimes à ce sujet : la révolution de 1954 a été décidée lors des événements de 1945. Tous ceux que j‘ai rencontrés au Caire, à Tunis, à Bonn, à Rome, à Genève, m’ont fait le récit hallucinant des jours et des nuits de mai. Le destin de l’Algérie a été scellé dans ce sang et ces larmes. Ouamrane, Ben Bella, Boudiaf, Chérif, et tant d’autres, sous-officiers et officiers de l’armée française, n’ont pas oublié ce qui s’est passé entre Bougie et Sétif, entre Bône et Souk-Ahras [8]».

À cette exaltation sans cesse croissante de la mémoire de la répression de mai 1945 par le FLN, la France n’a pas répondu. On peut seulement relever la déposition paradoxale du colonel Groussard en 1962 au procès de l’ex-général Salan, lequel a reconnu la gravité de la répression de mai 1945, mais pour en conclure que nombre d’officiers français s’étaient engagés en faveur de la politique d’intégration de l’Algérie dans la France afin d’en éviter la malheureuse répétition [9].

1962-1990 :  le début de l’histoire

L’indépendance de l’Algérie a changé cette situation, en privant le 8 mai 1945 de son importance politique directe. Dans les deux pays, le temps de l’histoire est enfin venu, et une convergence entre les travaux et les publications, quels que soient leurs auteurs, est devenue possible.

En France, la première enquête approfondie est publiée dès la fin de 1962 par une équipe dirigée par l’intellectuel Robert Aron, Les origines de la guerre d’Algérie, Fayard, 332 p. Pour la première fois, de larges extraits de documents d’archives furent publiés pour éclairer ce premier épisode trop méconnu [10]. Vint ensuite en 1969 une autre enquête non moins approfondie dans le premier tome d’une histoire de la décolonisation française publié en 1969 par le journaliste Claude Paillat (sympathisant de l’Algérie française et très bien pourvu en documents de cette origine) : Vingt ans qui déchirèrent la France, t. 1, Le guêpier, 1945-1953, [11], Robert Laffont, 1969.

Plus connue, l’évocation de cet épisode l’année précédente  dans le premier tome de l’histoire de la guerre d’Algérie d’Yves Courrière, Les fils de la Toussaint, Plon, 1968, était beaucoup moins solidement fondée parce  que dépendant essentiellement de la mémoire des militants nationalistes algériens [12].

C’esr pourtant un ancien militant nationaliste algérien, ayant choisi de vivre en France pour y travailler plus librement, Mohammed Harbi, qui réalisa les travaux les plus novateurs et ouvrit la voie à une véritable convergence des points de vue algériens et français. Il publia dès 1975 un petit livre très neuf, Aux origines du FLN, la scission du PPA-MTLD, ou Le populisme révolutionnaire en Algérie, Christian Bourgois, 1975, qui fut le premier à reconnaître que la thèse colonialiste d’un projet d’insurrection  nationaliste était beaucoup plus solidement fondée que celle du complot colonialiste soutenue par la gauche [13], puis Le FLN, mirage et réalité, Editions Jeune Afrique, 1980, où il confirma son analyse [14].

Au même moment la thèse de Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951,  Alger, SNED, 1980 et 1981, vint confirmer avec une abondante documentation que les projets nationalistes d’insurrection étaient très antérieurs à mai 1945, puisqu’ils remontaient au début de la Deuxième guerre mondiale [15]. Puis d’autres historiens algériens approfondirent l’étude du 8 mai 1945 : d’abord Redouane Aïnad-Tabet publia plusieurs versions enrichies de son mémoire sur Le mouvement du 8 mai 1945 en Algérie [16] ; puis Boucif Mekhaled soutint en France [17] sa thèse sur Les événements du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, Paris I, 1989, 724 p.

Durant la même période, les historiens universitaires français ont été plus timides par le volume de leurs publications. Il faut citer avant tout la mise au point de Charles-Robert Ageron dans l’Histoire de l’Algérie contemporaine, [18]  puis deux articles importants, l’un du même Charles-Robert Ageron, «Les troubles insurrectionnels du Nord-Constantinois en mai 1945 : une tentative insurrectionnelle ?» [19], et l’autre d’Annie Rey-Goldzeiguer, « Le 8 mai 1945 au Maghreb » [20]. Les deux principales publications furent le livre engagé mais très bien documenté de la Française d’Algérie Francine Dessaigne, La paix pour dix ans (Sétif, Guelma, mai 1945) [21]), et le très riche recueil de documents des archives militaires publié sous la direction de l’historien Jean-Charles Jauffret, La guerre d’Algérie par les documents [22].

De 1990 à nos jours : retour de mémoire  et  instrumentalisation de l’histoire ?

L’évolution en cours semblait donc annoncer une convergence des travaux historiques, favorable à un accord sue les grandes lignes du sujet entre les historiens des deux pays. Mais elle fut perturbée par un événement imprévu, lié à la transformation soudaine de la vie politique algérienne par la libéralisation du régime politique algérien en 1989 et par la contestation croissante des islamistes.

C’est en 1990 que fut créée la Fondation du 8 mai 1945 par l’ancien ministre Bachir Boumaza, natif de Kerrata au nord de Sétif. Suivant l’un de ses premiers manifestes, celle-ci était «née dans un contexte politique dangereux. Celui de la révision insidieuse par certains nationaux, y compris dans les cercles du pouvoir, de l’histoire coloniale. Procédant par touches successives, certains hommes politiques ont, sous prétexte de ‘dépasser’ une page noire de l’histoire coloniale, encouragé la ‘normalisation’ des rapports entre l’ancienne puissance dominatrice et son ancienne colonie».

C’est pourquoi la Fondation s’est donnée pour objectifs de «réagir contre l’oubli et réanimer la mémoire, démontrer que les massacres de Sétif sont un crime contre l’humanité et non un crime de guerre comme disent les Français», pour «obtenir un dédommagement moral» [23]. Ainsi, l’histoire a été mobilisée au service de la mémoire et de la politique au lieu d’être reconnue comme un but propre.

L’une des idées directrices de la Fondation est en effet d’interpeller la conscience des Français et des autres peuples européens qui «ne semblent s’indigner que sur l’holocauste commis contre les juifs. Cette ségrégation entre les massacres est une tare du monde occidental» [24]. Bachir Boumaza constate : «On applique et on reconnaît le crime contre l’humanité à propos des juifs, mais pas aux Algériens, dont on oublie qu’ils sont des sémites». Il présente son action comme un effort pour «décoloniser l’histoire et situer la colonisation dans l’histoire de l’humanité», «une tentative saine et correcte d’écrire l’histoire. Le phénomène colonial est porteur de certaines valeurs qui doivent disparaître. Elles ne le sont pas encore. Et son expression la plus réussie est ce terme de crime contre l’humanité qui est réservé à une catégorie spéciale de la population».

À son avis, la colonisation française en Algérie «présente, dans toutes ses manifestations, les caractéristiques retenues au tribunal de Nuremberg comme un crime contre l’humanité» ; et il ajoute : «J’ai suivi le procès Barbie. Depuis 1830, l’Algérie a connu des multitudes de Barbie», lesquels n’ont pas été condamnés parce que leurs crimes contre des Algériens n’étaient pas considérés comme tels» [25]. On voit que l’histoire est ici totalement subordonnée à des motivations politiques extérieures au sujet.

Cette revendication s’est largement diffusée en Algérie pendant les années de guerre civile. Sous l’impulsion de la Fondation, les autorités et la presse ont donné un très grand retentissement à chaque anniversaire du 8 mai 1945, et tout particulièrement à son cinquantenaire en 1995. Les discours officiels et les éditoriaux ont alors établi un lien explicite entre la commémoration d’un drame national et l’appel à rétablir l’unité nationale déchirée : «la célébration de ce douloureux anniversaire du massacre de plus de 45.000 Algériens et Algériennes constitue une nouvelle occasion pour interpeller notre conscience sur le sort réservé à ce grand pays qu’est le nôtre, aux prises avec une redoutable crise multidimensionnelle dont l’issue, impatiemment attendue par tous, risque de tarder encore si le bon sens et la sagesse qui nous sont coutumiers font défaut» C’est dans ce sens que M. Mokdad Sifi, chef du gouvernement, a inscrit son intervention remarquée lors de la commémoration de la date historique du 8 mai 1945», écrit l’éditorialiste d’El Moudjahid [26].

Le quotidien indépendant El Watan a reproduit intégralement ce discours, situé mai 1945 dans une longue série de répressions répétées depuis 1830, invité les intellectuels algériens à «travailler au corps» les démocrates français pour qu’ils diffusent dans leur société un sentiment de responsabilité et de culpabilité [27], et réclamé à l’Etat français des excuses officielles au peuple algérien «pour les centaines de milliers d’innocents assassinés au cours de 130 ans de domination coloniale». D’après Liberté, la commémoration du 8 mai est aujourd’hui revendiquée par toute la classe politique, et fait même l’objet d’une surenchère [28]. L’ensemble de ces discours et articles commémoratifs, répétés chaque année, paraît une tentative de rassembler les Algériens divisés contre la France, en ranimant la flamme du  nationalisme pour ne pas l’abandonner aux islamistes.

L’Algérie se trouvait en effet devant un choix difficile. Relancer une «guerre des mémoires» contre la France jusqu’à ce que celle-ci fasse amende honorable  pouvait détourner momentanément l’attention des Algériens des défauts  de leur système politique, sans garantir pour autant le ralliement de tous les islamistes. Mais céder aux aspirations «révisionnistes» d’un prétendu «Parti de la France» aurait risqué d’encourager la violence islamiste en semblant la légitimer.

Le président Bouteflika a choisi la première voie, en suggérant un acte de repentance  à la France dans son discours du 15 juin 2000 à l’Assemblée nationale française : «De vénérables institutions, comme l’Église, des États aussi anciens que le vôtre n’hésitent pas, aujourd’hui, à confesser les erreurs et les crimes qui ont, à un moment ou à un autre, terni leur passé. Que vous ressortiez des oubliettes du non-dit la guerre d’Algérie, en la désignant par son nom, ou que vos institutions éducatives s’efforcent de rectifier, dans les manuels scolaires, l’image parfois déformée de certains épisodes de la colonisation, représente un pas important dans l’œuvre de vérité que vous avez entreprise, pour le plus grand bien de la connaissance historique et de la cause de l’équité entre les hommes» [29].

Le président Jacques Chirac a longtemps fait semblant de ne pas avoir compris cette demande, mais la négociation d’un traité d’amitié entre la France et l’Algérie semble en avoir fait une condition impérative du côté algérien. Le 27 février 2005,  le discours prononcé à Sétif par l’ambassadeur de France [30] a paru apporter une première concession française à la demande algérienne, moins d’une semaine après le vote d’une loi mémorielle favorable à la mémoire des Français et des Français musulmans d’Algérie [31].

En tout cas, la revendication algérienne avait trouvé des relais en France même, sans que pour autant ces relais, obéissant à des motivations propres, aient voulu servir inconditionnellement la politique algérienne. En mai 1995, l’association «Au nom de la mémoire» composée de citoyens français originaires d’Algérie a joué un grand rôle dans une première tentative de faire reconnaître «Le massacre de Sétif», par un film ainsi intitulé [32], par la publication d’une version abrégée de la thèse de Boucif Mekhaled [33], et par l’organisation d’un débat à la Sorbonne avec la participation de Bachir Boumaza, et avec l’appui du Monde, de L’Humanité et de Libération. En 2000, quelques semaines après le discours du président Bouteflika à l’Assemblée nationale, le déclenchement par les mêmes organes d’une campagne de presse visant la pratique de la torture par l’armée française  sembla, à raison ou à tort, vouloir servir la même revendication algérienne de repentance [34].

En janvier 2005, un manifeste intitulé «Nous sommes les indigènes de la République», voulant exprimer le point de vue des minorités immigrées d’origine africaine et musulmane, annonça une marche pour le 8 mai, anniversaire de la victoire sur l’Allemagne et de la défaite française  de Dien Bien Phu, et justifia ainsi son initiative : «Nos parents, nos grands-parents ont été mis en esclavage, colonisés, animalisés. Mais ils n’ont pas été broyés. Ils ont préservé leur dignité d’humains à travers la résistance héroïque qu’ils ont menée pour s’arracher au joug colonial. Nous sommes leurs héritiers comme nous sommes les héritiers de ces Français qui ont résisté à la barbarie nazie et de tous ceux qui se sont engagés avec les opprimés, démontrant, par leur engagement et par leurs sacrifices, que la lutte anti-coloniale est indissociable du combat pour l’égalité sociale, la justice et la citoyenneté. Dien Bien Phu est leur victoire. Dien Bien Phu n’est pas une défaite, mais une victoire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité !» Ce qui justifiait la conclusion suivante : «Le 8 mai 1945, la République révèle ses paradoxes : le jour même où les Français fêtent la capitulation nazie, une répression inouïe s’abat sur les colonisés algériens du Nord-Constantinois : des milliers de morts. Le 8 mai, 60ème anniversaire de ce massacre, poursuivons le combat anticolonial par la première Marche des indigènes de la République !» [35]

L’utilisation du 8 mai 1945 répondait évidemment à la volonté d’exploiter la contradiction entre la version officielle de cette fête nationale, consacrée  à l’exaltation de la participation française à la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, et la version non-conformiste dénonçant une répression coloniale jugée digne des crimes  nazis. Mais elle passait sous silence des faits gênants : l’opposition des nationalistes algériens radicaux à la mobilisation des Algériens dans l’armée française en 1939-1940 et de 1942 à 1945, et les projets d’insurrection contre la France avec ou sans l’aide allemande conçus par plus d’un groupe de militants à l’intérieur du parti depuis les débuts de la Deuxième guerre mondiale (faits historiques révélés par les historiens algériens Harbi et Kaddache, et confirmés  par d’anciens militants dans la presse algérienne [36]).

On voit à travers cet exemple la différence considérable qui sépare l’histoire de la mémoire. Ajoutons que l’examen des travaux d’historiens algériens et français (même ceux dont l’anticolonialisme n’a jamais été mis en doute comme Annie Rey-Goldzeiguer [37] et Charles-Robert Ageron [38]) confirme que la répression du 8 mai 1945 en Algérie a bien été celle d’une tentative d’insurrection nationale insuffisamment préparée, et non pas un «crime contre l’humanité» ou un «génocide colonialiste» unilatéral.

                                                                                                                           Guy Pervillé

[1] Pour plus de détails, voir notre article «Le Maghreb à la fin de la guerre», Historiens et géographes, n° 348, mai-juin 1995, pp. 267-277, et notre livre Pour une histoire de la guerre d’Algérie, Paris, Picard, 2002, pp. 110-116.

[2] JORF, Débats de l’Assemblée consultative provisoire, 10, 11 et 18 juillet 1945, pp. 1344-1367, 1371-1384 et 1397-1418.

[3] Intervention dans les débats de l’ACP, 18 juillet 1944, op.cit., pp. 1402-1414, et Adrien Tixier, ministre de l’Intérieur, Un programme de réformes pour l’Algérie. Discours prononcé à la tribune de l’Assemblée consultative provisoire le 18 juillet 1945. Paris, Editions de la Liberté, 1945, 52 p.

[4] «Crise en Algérie», articles parus dans Combat en mai 1945, reproduits dans les Essais d’Albert Camus, introduits et annotés par Roger Quilliot, Paris, Gallimard-NRF, 1965, pp. 939-959. D’autres réactions d’écrivains ou d’intellectuels sont restées longtemps ignorées, comme celle de Jules Roy, ami d’Albert Camus et de Jean Amrouche : «La France devient là-bas ce que l’Allemagne était en France, mais comment le dire ?» (in Les années déchirement, Journal 1925-1965, Paris, Albin Michel, 1998, p. 248), ou celle de l’assimilationniste kabyle Augustin Ibazizen («La faute suprême», pages écrites à l’automne 1945, in Le testament d’un Berbère, itinéraire spirituel et politique, Paris, Editions Albatros, 1985, pp. 155-165).

[5] Livre réédité et complété en 1953, puis en 1972 avec une bibliographie commentée et mise à jour, 439 p (voir pp. 261-266).

[6] Julien, op. cit., p. 264 («Genèse et causes du mouvement insurrectionnel»).

[7] Voir notamment : «Il y a 13 ans, La « France libre» croyait venir à bout du peuple algérien», El Moudjahid,  n° 23, 5 mai 1958, réédition de Belgrade, t. 3, pp. 447-449, et «Commémoration du 8 mai 1945», n° 42, 25 mai 1959, réédition, pp. 285-286.

[8] Favrod, op. cit., pp. 72-76.

[9] Le procès du général Raoul Salan, compte-rendu  sténographique,  Paris, Editions Albin Michel, pp. 360-364.

[10] Voir la deuxième partie, «Les émeutes de mai 1945 (Sétif-Guelma)», pp. 91-169.

[11] Paillat, op. cit., pp. 22-84. On y trouve notamment, pp. 66-76, un résumé du rapport du général Tubert, tenu longtemps secret (et publié récemment sur le site internet de la Ligue des droits de l’homme de Toulon : http://www.ldh-France.org). Un autre rapport, celui du secrétaire général du gouvernement général Pierre-René Gazagne, a été publié peu après dans les Mémoires du directeur de L’Echo d’Alger Alain de Sérigny, Echos d’Alger, t. 1, 1940-1945, Presses de la Cité, 1972, pp. 313-344.

[12] Courrière, op. cit., pp. 39-46.

[13] Aux origines du FLN..., pp. 15-25, 110-112, et p.178 (note 68) : «L’interprétation la plus appropriée de ces évènements est celle de P. Muselli qui à l’Assemblée consultative provisoire (séance du 10.7.1945), déclarait :"il est prouvé que tout le système de l’insurrection étendait sa toile sur l’Algérie entière. Si cette insurrection n’a pas été générale, c’est parce qu’elle a été prématurée et que l’incident de Sétif, qui est à l’origine des évènements, a éclaté inopinément».

[14] Le FLN..., op. cit., pp. 22-30.

[15] Kaddache, op. cit., pp. 695-734.

[16] 2ème édition, Alger, Office des Publications Universitaires, 1987, 318 p. L’auteur reconnaît que le peuple algérien «n’a pas fait que subir, en victime innocente, une sanglante répression, un complot machiavélique. Il est temps de dire et de souligner qu’il a aussi été l’auteur de ces événements, même s’il a subi un revers, même s’il a payé le prix du sang, le prix de la liberté par des dizaines de milliers de victimes» (p. 9). Il affirme que «le bilan de ces émeutes, de cette révolte et de ces massacres pourrait être réduit à deux nombres : 102 morts européens et quelques dizaines de milliers de musulmans» (p. 182), mais il conclut que «ces journées de violences exercées et subies ont été fécondes en préparant la guerre de libération nationale» (p. 183).

[17] Thèse sous la direction du professeur Jean-Claude Allain. J’étais membre du jury, ainsi que Jean-Charles Jauffret.

[18]  T. 2, Paris, PUF, 1979, pp. 567-578.

[19] XXème siècle, revue d’histoire n° 4, octobre 1984, pp 23-38.

[20] 8 mai 1945 : la victoire en Europe, s. dir. Maurice Vaïsse, Lyon, La Manufacture, 1985, pp 337-363.

[21] Editions Jacques Gandini, 1990, 321 p.

[22] T. 1, L’avertissement, 1943-1946, Vincennes, Service historique de l’armée de terre, 1990, 550 p.

[23] «Contexte d’une naissance. Contre l’assassinat de la mémoire», cité par le mémoire de maîtrise d’histoire de Mohammed Lamine Tabraketine, La commémoration du 8 mai 1945 à travers la presse française et algérienne, Université de Toulouse-Le Mirail, 2000, p. 51.

[24] El Moudjahid, 3 mai 1995, cité par Tabraketine, op. cit., p. 62.

[25] Interview de Bachir Boumaza, cité par Ahmed Rouadjia, «Hideuse et bien-aimée, la France...», in Panoramiques, n° 62, 1er trimestre 2003, pp. 210-211.

[26] N° du 9 mai 1995.

[27] N° du 9 mai 1995.

[28] N° du 8 mai 1999.

[29] Cité dans El Watan, 15 juin 2000, p. 1.

[30] Discours de M. Hubert Colin de Verdières, ambassadeur de France en Algérie, à l’Université de Sétif, dimanche 27 février 2005. Site internet : www.ambafrance-dz.org.

[31] La loi du 23 février 2005 sur les rapatriés et les harkis a été à l’origine de polémiques dont nous reparlerons. Voir nos premières analyses sur notre site internet http://guy.perville.free.fr, rubrique «Mises au point».

[32] Film de Mehdi Lallaoui (président de l’association Au nom de la mémoire) et Bernard Langlois.

[33] Boucif Mekhaled, Chroniques d’un massacre, Sétif, Guelma, Kherrata, Syros et Au nom de la mémoire, 1995. Cette version abrégée de la thèse antérieure était accompagnée de deux préfaces, par Mehdi Lallaoui et par Jean-Charles Jauffret (lequel a contesté peu après l’objectivité du film que l’autre préfacier en avait tiré).

[34] Voir notre article «La revendication algérienne de repentance unilatérale de la France» sur notre site internet http://guy.perville.free.fr.

[35] Texte complet sur le site http://lmsi.net/impression.php3 ?id_article=336.

[36] Le CARNA (Comité d’action révolutionnaire nord-africain), favorable à une alliance avec les Allemands, fut exclu du Parti du peuple algérien dès mai 1939, mais réintégré en 1943. La victoire allemande sur la France incita d’autres groupes de militants à préparer un soulèvement à partir de juin 1940. Voir notamment la «lettre à Mohammed Lamine Debaghine» de Chawki Mostefaï, dans El Watan, sur le site http://www.elwatan.com/print.php3 ?id_article=8089 (imprimé le 10/12/2004), et Awal, Cahiers d’études berbères, n° spécial «Hommage à Mouloud Mammeri», 1990.

[37] Voir son livre Aux origines de la guerre d’Algérie, l’Algérie de 1940 à 1945, La Découverte, 2002. On observe pourtant dans cette étude très approfondie une contradiction entre deux estimations différentes du bilan de la répression : ou bien «La seule estimation possible, c’est que le chiffre dépasse le centuple des pertes européennes» (p. 12), ou bien «J’ai dit en introduction pourquoi il était impossible d’établir un bilan précis des victimes algériennes, dont on peut seulement dire qu’elles se comptent par milliers» (p. 305). Or ces deux affirmations ne sont pas équivalentes. Faut-il conclure, comme Claude Liauzu et Gilbert Meynier dans Le Nouvel Observateur n° 2117, 2 juin 2005, «La seule conclusion que peut faire l’historien : il y eut en effet des milliers de morts, mais s’il est honnête, il n’en dira pas plus» ? Ou parler de 20.000 à 30.000 morts comme Jean-Louis Planche, qui poursuit son enquête depuis dix ans, dans El Watan et dans Le Monde du 8 mai 2005 ? Il est urgent d’élucider ce point capital.

[38] Voir son article «Mai 1945 en Algérie, enjeu de mémoire et d’histoire», Nanterre, Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 39, juillet-décembre 1995, pp 52-56 : «Faut-il rappeler ici qu’en histoire de la décolonisation toute insurrection manquée s’appelle une provocation, toute insurrection réussie une Révolution ? Un historien se contentera de noter impartialement que la tentative avortée en mai 1945 devait servir de répétition générale à l’insurrection victorieuse de la Révolution (thawra) de 1954-1962».

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Sétif, Guelma : de la «tragédie»

aux «massacres épouvantables»

site Mediapart - 28 Avril 2008, par Benjamin Stora

L'ambassadeur de France en Algérie, Bernard  Bajolet, s'est rendu le 27 avril 2008 à Guelma, à l'occasion de la signature d'une  convention de coopération entre les universités de Guelma, Biskra, Skikda et  l'université Marc-Bloch de Strasbourg. Il a déclaré que le «temps de la dénégation» des  massacres perpétrés par la colonisation en Algérie «est terminé». S'exprimant devant les étudiants de l'université du 8 mai 1945, l'ambassadeur a parlé des «épouvantables massacres» commis il y a 63 ans dans  trois grandes villes de l'est algérien: Sétif, Guelma et Kherrata, durant la  colonisation.

«Aussi durs que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé », a déclaré M. Bajolet. Il a poursuivi son discours en  soulignant «la très lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans ce déchaînement de folie meurtrière (qui a fait) des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes».

Ces massacres «ont fait insulte aux principes fondateurs de la République  française et marqué son histoire d'une tache indélébile», souligne l'ambassadeur  de France. Il ajoute que «condamner le système colonial n'est pas condamner les  Français qui sont nés en Algérie» et appelle «les deux ennemis d'hier à porter  plus haut un message d'entente de concorde et d'amitié». Son discours se termine ainsi : «Pour que nos relations (algéro-françaises) soient pleinement apaisées, il faut que la mémoire soit partagée et que l'histoire soit écrite à deux (...)  Il faut que les tabous sautent, des deux côtés, et que les vérités révélées fassent place aux faits avérés.»

M. Bajolet va donc plus loin que Hubert Colin de Verdière, son prédécesseur, qui avait qualifié cette répression de «tragédie inexcusable».  Il parle lui de «massacres épouvantables». Revenons sur cette histoire dramatique, que les historiens qualifient de prélude à la guerre d'Algérie, qui commença dix ans plus tard.

Le 8 mai 1945, la victoire sur le nazisme est aussi le début d'une tragédie qui endeuilla l'Algérie. AÀla fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Algérie connaît une effervescence politique de grande ampleur. Le 1er mars 1944 naît l'association des Amis du manifeste de la liberté (AML) qui réclame l'indépendance de l'Algérie. Le 23 avril 1945, les autorités françaises décident la déportation de Messali Hadj, le leader algérien indépendantiste, à Brazzaville.

À la radicalisation politique s'ajoute une grave crise économique. Une mauvaise récolte provoque la famine dans les campagnes. On voit affluer vers les villes du Constantinois des milliers de paysans affamés qui, faute de travail et de moyens, se raccrochent aux soupes populaires. Le 8 mai 1945, jour de la signature de la capitulation allemande, dans la plupart des villes d'Algérie, des cortèges d'Algériens musulmans défilent avec des banderoles portant comme mot d'ordre : «A bas le fascisme et le colonialisme».

À Sétif, la police tire sur les manifestants algériens. Ces derniers ripostent en s'attaquant aux policiers et aux Européens. C'est le début d'un soulèvement spontané à La Fayette, Chevreuil, Kherrata, Oued Marsa... On relève 103 tués, assassinés dans des conditions atroces, et 110 blessés parmi les Européens.

Les autorités organisent une véritable guerre des représailles qui tourne au massacre. Fusillades, ratissages, exécutions sommaires parmi les populations civiles se poursuivent durant plusieurs semaines. Les nationalistes algériens avanceront le chiffre de 45.000 morts, d'autres sources françaises, récentes, avancent le chiffre de 15.000 à 20.000 morts.

La connaissance de la période des massacres de Sétif et de Guelma de mai 1945 a beaucoup progressé en France ces dernières années, en particulier grâce aux travaux d'Annie Rey Golzeiger, Jean-Charles Jauffret, Jean Pierre Peyroulou et Jean Louis Planche [1]. Les archives militaires déposées au Service Historique de l'Armée de Terre (SHAT) ont accepté plus rapidement que les archives civiles les demandes de dérogation des chercheurs et ont mis à disposition du public des documents de première importance.

Les historiens ont ainsi eu connaissance des faits grâce au rapport du général Henry Martin, commandant du 19ème corps d'armée, chargé de la coordination des forces en Afrique du Nord et donc de la répression. Ils disposent aussi du rapport du général de gendarmerie Paul Tubert, nommé par le Gouverneur Général Chataigneau, à la tête de la Commission d'enquête sur les événements du Constantinois.

L'an dernier est paru  Les massacres de Guelma Algérie, mai 1945 : une enquête inédite sur la furie des milices coloniales, (Paris, Ed La Découverte,  janvier 2006). Rédigé en 1946, le document présenté dans ce livre est exceptionnel. Son auteur, Marcel Reggui (1905-1996), un citoyen français d'origine musulmane et converti au catholicisme, y retrace - avec des précisions restées inédites à ce jour - les massacres de centaines d'Algériens perpétrés en mai 1945 à Guelma, par des milices européennes.

Fondé sur des archives considérables,  (archives des ministères de l'Intérieur, de la guerre, de Matignon) et d'entretiens avec de nombreux témoins et acteurs de cette période, le livre très récent de Jean Louis Planche, Sétif, histoire d'un massacre annoncé, dessine un portrait saisissant de la région à la veille de la répression (la misère et les trafics, le marché noir et les déplacements de ruraux), et l'espérance d'une vie meilleure par un soulèvement populaire.

Jean Louis Planche écrit que, obsédés par l'idée d'un complot nazi, les communistes ne furent parfois pas les derniers à se lancer dans ces expéditions cruelles. En Algérie, rien ne sera plus comme avant l'épisode tragique de mai- juin 1945. Le fossé s'est considérablement élargi entre la masse des Algériens musulmans et la minorité européenne. Une nouvelle génération entre en scène, qui en viendra à faire de la lutte armée un principe absolu.

La guerre d'Algérie a-t-elle commencé à ce moment-là, précisément ? Comme on le voit, ce 8 mai 1945 de Sétif est important et n'a pu s'effacer sous le poids des commémorations de la victoire sur le nazisme.  Les historiens ont encore de multiples voies à explorer dans la connaissance de cet événement tragique : les mises en place d'engrenages de la peur, l'attitude des pouvoirs civils français dans la conduite des processus de violence, les séparations communautaires, le passage à l'imaginaire de la lutte armée chez les nationalistes algériens...

Cette histoire doit s'écrire à deux voix, entre historiens français et algériens. Autant de faits à connaître pour passer à la reconnaissance des crimes commis. Car la question qui se trouve posée à propos de cette séquence reste celle de la reconnaissance par la France des exactions commises, geste que les Algériens attendent depuis plusieurs années. Les déclarations du 27 avril de l'ambassadeur de France sont un acte très important. Elles contredisent les discours sur «l'anti-repentance» prononcés depuis plusieurs années en France et qui empoisonnent les relations entre la France et l'Algérie.

Pour tourner la page, sans l'effacer, la connaissance, la reconnaissance des crimes commis est indispensable. C'est la condition pour affronter sereinement l'avenir, et calmer les mémoires blessées.   


[1] Jean Louis Planche, Sétif, 1945, histoire d'un massacre annoncé, Ed Perrin, 2006, 422 pages.



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Sétif : enquête sur un massacre      

Par Guy Pervillé
publié dans L'Histoire n° 318 - mars 2007             

À Sétif, le 8 mai 1945, une manifestation tourne à l'émeute : des Européens sont tués. La répression sera terrible. L'événement reste méconnu et ses causes font débat entre les historiens. Tandis qu'aujourd'hui encore la France et l'Algérie s'opposent sur le bilan des victimes. Que s'est-il vraiment passé ?

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Le 8 mai 1945, alors que la France célèbre la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie, une tentative d'insurrection défie le pouvoir colonial en Algérie. Depuis 1944, la perspective de la victoire alliée a accrédité un peu partout la thèse d'un renversement de l'ordre colonial, encouragé par la puissance américaine et par le message libérateur de la charte de l'Atlantique. Cette impatience est perceptible en Algérie.

Ferhat Abbas a créé en mars 1944 les Amis du manifeste et de la liberté (AML), sorte de front ouvert à tous les courants de l'opposition anticolonialiste qui revendiquent la reconnaissance d'une nation algérienne et d'une république autonome fédérée à la République française. L'organisation fait la part belle aux partisans de l'indépendance totale et immédiate, regroupés au sein du Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj, clandestin depuis 1939 et particulièrement actif dans le Constantinois, département traditionnellement rebelle à la colonisation française.

En mars 1945, le congrès des Amis du manifeste de la liberté, qui se tient à Alger, voit le triomphe des thèses extrémistes et désigne Messali comme le «leader incontesté du peuple algérien». Dans un climat d'extrême tension, le secrétaire général Gazagne, puis le gouverneur général Chataigneau le font transférer dans le Sahara, puis à Brazzaville. Divers incidents éclatent, à Alger notamment, le 1er mai.   

Le 8 mai, jour de la capitulation allemande, alors que partout ailleurs la plupart des cortèges officiels se déploient sans incidents, à Sétif, la manifestation dégénère au moment où la police tente de s'emparer des banderoles et des drapeaux algériens arborés par certains manifestants. Une fusillade éclate, dont l'origine reste controversée. Des manifestants se ruent alors sur les Européens, faisant 29 morts et des dizaines de blessés. De violents incidents ont lieu l'après-midi même à Bône, puis à Guelma. L'insurrection s'étend ensuite aux campagnes, autour de Sétif, jusqu'à la mer, et le lendemain, autour de Guelma. Au total, on dénombre 102 morts, 110 blessés et 10 femmes violées.

La répression est terrible : supervisée par le général Duval, commandant de la division de Constantine, une reprise en main militaire de grande envergure est ordonnée, avec ratissage des zones insurgées, arrestations en masse et, souvent, exécution des suspects, bombardements aériens et navals, à laquelle s'ajoutent les représailles opérées par des milices européennes hâtivement constituées (notamment par André Achiary, alors sous-préfet de Guelma).

Le bilan officiel des opérations de répression, fixé arbitrairement à un maximum de 1 500 morts, suscite l'incrédulité. Des estimations officieuses donnent des chiffres beaucoup plus élevés (5 000 ou 6 000, de 6 000 à 8 000, ou encore de 15 000 à 20 000...). La répression à Guelma, dirigée par le sous-préfet Achiary, a été particulièrement meurtrière : le bruit court que des centaines de personnes ont été arrêtées sans raisons sérieuses et fusillées par les miliciens pendant plusieurs semaines. 

L'enquête sur la répression féroce qui a suivi les manifestations, menée peu après les événements par Marcel Reggui, un Tunisien converti au catholicisme et établi à Guelma - elle a coûté la vie à trois membres de sa famille - en donne une idée effrayante(1). Mais si elle dénonce courageusement les responsabilités du sous-préfet Achiary («Lui seul a déclenché, puis entretenu par ses exigences la plus impitoyable répression que l'Algérie ait jamais connue») et du préfet de Constantine Lestrade-Carbonnel, qui accepta de faire disparaître les cadavres des victimes dans des fours à chaux, elle ne fournit pas une explication convaincante des faits en reprenant à son compte la thèse communiste du «complot colonialiste».   

Si le déroulement des journées de mai 1945 semble assez bien connu, leur point de départ - une insurrection préparée par les nationalistes algériens, un mouvement spontané, ou encore une provocation colonialiste ? -  ainsi que le bilan de la répression continuent à poser problème. Les débats parlementaires de l'Assemblée consultative provisoire, en juillet 1945, puis ceux de l'Assemblée nationale, en février 1946, ont apporté de précieuses informations sans élucider toutes les questions. Quant aux archives de la répression, elles sont restées inaccessibles jusqu'à la fin des années 1990, date à laquelle elles ont fait l'objet d'une première publication partielle dirigée par l'historien Jean-Charles Jauffret.

Annie Rey-Goldzeiguer a retracé en 2002 les origines de la guerre d'Algérie pendant la Seconde Guerre mondiale, mais Jean-Louis Planche est le premier historien qui ait mené sur le sujet une enquête historique complète, à partir d'un minutieux travail dans les archives publiques et d'entretiens avec les acteurs et les témoins du drame, algériens et français.

Les causes des événements d'abord. À l'époque, socialistes et communistes, en Algérie comme en métropole, y voyaient le fruit d'un complot ou d'une provocation colonialiste. C'était apparemment aussi la conviction du gouverneur général de l'Algérie, le socialiste Yves Chataigneau, qui faisait des massacres le résultat d'un «complot préparé avec soin» ; mais il mettait lui en cause un complot nationaliste.   

Jean-Louis Planche reprend l'hypothèse du complot. Mais, tirant argument du fait que «les victimes massacrées [par la répression] étaient inoffensives», il analyse la répression de mai 1945 comme «une folie meurtrière de masse», qui «pourrait être inscrite dans une logique de terreur». Il met aussi en cause la «part de responsabilité du régime de Vichy», dont la politique raciste aurait «exaspéré des tensions raciales qui auraient survécu au rétablissement de la république ». En conclusion, pour Jean-Louis Planche, le «massacre annoncé» de Sétif relève du phénomène pathologique : «une psychose colonialiste où la frousse se mêlait à la haine», selon le mot d'un témoin.   

Mais la répression se serait-elle abattue sans raison aucune ? Ce serait faire peu de cas de l'hypothèse d'une insurrection nationaliste algérienne - voire d'un projet ou d'un rêve d'insurrection -, à laquelle curieusement l'ouvrage de Jean-Louis Planche ne s'arrête pas. Celle-ci s'était pourtant imposée depuis longtemps aux principaux historiens, aussi bien français qu'algériens.

Dès 1952, Charles-André Julien, dans son Afrique du Nord en marche, jugeait suspecte l'attitude des nationalistes algériens qui dénonçaient à juste titre la férocité de la répression coloniale, mais oubliaient de citer les victimes européennes de l'insurrection à Sétif et aux alentours : «Si le PPA n'y fut pour rien, pourquoi donc le cacher ? Et comment peut-on ajouter foi à une propagande qui fausse la réalité au point d'omettre entièrement un événement d'une exceptionnelle gravité (2) ?»   

Ces Européens, Jean-Louis Planche en reconnaît bien le sort injuste : «Trop lents, trop naïfs ou trop incrédules pour s'abriter d'une foule lancée dans une fuite aveugle, ils sont morts de s'être trouvés là.» Il rappelle aussi l'horreur des blessures infligées par «le revolver, le couteau et le debbous [bâton, gourdin]». Il s'inscrit donc en faux contre la thèse algérienne d'une manifestation pacifique menée par des Algériens désarmés.   

L'idée d'une insurrection armée circulait bien au sein du Parti du peuple algérien depuis le début de la Seconde Guerre mondiale. L'historien algérien Mahfoud Kaddache a montré qu'une fraction du PPA, le Comité d'action révolutionnaire nord-africain (Carna), exclue en 1939 parce qu'elle recherchait l'appui des Allemands en vue d'une insurrection, y avait été réintégrée en 1943 (3).

Quant à l'historien Mohammed Harbi, ancien militant du FLN, il a signalé que «l'idée d'une insurrection avait été soumise avant mai 1945 à Messali par le docteur Lamine et Asselah. Le 14 avril 1945, les responsables du PPA en discutent à Constantine lors du cinquième anniversaire de la mort du cheikh Ben Badis. Hadj Cherchali et Mostefaï s'opposent à une insurrection. Mais la préparation psychologique des populations à une intervention armée est entreprise à travers tout le pays»(4).   

Mohammed Harbi avance aussi que, quelques jours avant le 19 avril 1945, Messali Hadj aurait reçu dans sa résidence forcée de Reibell, sur les hauts plateaux du Sud algérois, «la visite de Hocine Asselah et du docteur Lamine Debaghine, qui l'ont entretenu d'un projet d'insurrection auquel il a donné son accord. Bennaï Ouali était chargé de son évasion. Un gouvernement algérien devait être proclamé et la ferme des Maïza, près de Sétif, lui servir de siège. Le scénario ne se déroula pas comme prévu. Messali est interrogé par la police et transporté à El Goléa».   

Annie Rey-Goldzeiguer, d'abord sceptique(5), s'est également ralliée à cette version des faits : «Le soir du 16 avril 1945, Messali, équipé de «grosses chaussures et d'un burnous» prend donc congé de sa fille et de sa famille, pour disparaître avec une escorte de fidèles. Il reviendra le lendemain, épuisé, effondré : il n'a trouvé ni équipement, ni armes, ni maquisards entraînés. Certains souvenirs de sa fille Djenina, alors enfant, permettent d'authentifier les faits. »   

Alors que s'est-il passé en mai 1945 ?

D'après Mohammed Harbi, les colons, avertis de l'insurrection qui se préparait, auraient devancé le PPA et déchaîné une violence préventive. «L'interprétation la plus appropriée de ces événements est celle de P. Muselli, qui, à l'Assemblée consultative provisoire (séance du 10 juillet 1945), déclarait : «Il est prouvé que tout le système de l'insurrection étendait sa toile sur l'Algérie entière. Si cette insurrection n'a pas été générale, c'est parce qu'elle a été prématurée et que l'incident de Sétif, qui est à l'origine des événements, a éclaté inopinément.» » Ce faisant, Mohammed Harbi donne raison à l'un des porte-parole de la thèse colonialiste - les événements de Sétif sont la conséquence du projet d'insurrection algérienne - contre la thèse socialo-communiste.   

Charles-Robert Ageron a rappelé à ce propos «qu'en histoire de la décolonisation toute insurrection manquée s'appelle une provocation, toute insurrection réussie une révolution. [...] Un historien se contentera de noter impartialement que la tentative avortée en mai 1945 devait servir de répétition générale à l'insurrection victorieuse de la révolution (thawra) de 1954-1962 » (6).

Il paraît donc aujourd'hui bien établi qu'un projet d'insurrection nationale existait en mai 1945. Mais il est aussi généralement reconnu qu'aucune action n'était prévue pour le 8 mai précisément, du fait de l'absence de Messali Hadj, exilé au Sahara puis au Congo. Un ordre d'insurrection a bien été donné par la direction du PPA pour la nuit du 22 au 23 mai, puis annulé in extremis, mais il n'était qu'une vaine tentative de faire diversion à la répression.   

Pour autant, aux yeux des responsables français, ce plan d'insurrection devait exister. De même, il a pu avoir un effet de «préparation psychologique» sur les foules de manifestants du 8 mai, ou tout au moins sur une partie d'entre eux, comme l'a signalé Mohammed Harbi. Le témoignage d'Abdelhamid Benzine, alors tout jeune lycéen à Sétif, qui a déclaré avoir failli déclencher une insurrection populaire avant le 8 mai par sa seule prédication exaltée, va dans le même sens (7). On peut donc penser que, si l'organisation clandestine du PPA manquait encore de moyens d'action, la diffusion de la propagande indépendantiste a été plus rapide que la préparation de la lutte armée.

Reste le bilan des victimes algériennes. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Adrien Tixier, parlait de 1 500 morts. Leur nombre a été porté à 45 000 par la propagande officielle algérienne. Au terme de son enquête, Jean-Louis Planche avance une estimation de 20 000 à 30 000 morts. Plusieurs fois affirmé, ce bilan est démontré à travers deux citations. La première est tirée d'un rapport du gouverneur Chataigneau au ministre de l'Intérieur Adrien Tixier : «Faut-il accorder du crédit au nombre de 10 000 victimes indigènes dans la seule région sétifienne, comme l'indiquerait un informateur qui vient de parcourir cette contrée pendant un mois ?». La seconde provient d'un rapport du gouverneur Léonard en 1952 : «Ceux qui ont vécu la chose donnent des évaluations allant de 6 000 à 15 000». «On acceptera ce chiffre prudent, en le portant à 20 000 ou 30 000, car le cabinet du gouverneur ne disposait plus à cette date des archives concernant la région de Sétif», conclut Jean-Louis Planche.   

Ce raisonnement me paraît fragile, d'abord parce que le gouverneur Chataigneau n'a rien osé affirmer, ensuite parce qu'il employait le mot ambigu de «victimes» au lieu de «morts». Surtout, le fait que seuls les morts et les victimes européennes aient été soigneusement comptés (102 morts, 110 blessés et 10 femmes violées), et que le nombre des morts algériens ait été arbitrairement limité par les autorités à un maximum de 1 500 ne change rien au fait que la seule méthode fiable reste un comptage aussi précis que possible, en chaque lieu. Il n'est pas admissible que deux méthodes aussi différentes et de fiabilité aussi inégale (vrai comptage et estimation non prouvée) soient employées sélectivement. Et même si le nombre prouvé des victimes algériennes reste inférieur au nombre possible, il faut s'en tenir au premier.

Le fait que les populations en présence aient eu également le sentiment d'être les victimes de la violence de l'autre ne prouve naturellement pas que le bilan doive être équilibré, et il ne peut évidemment pas l'être (tout particulièrement à Guelma, où la violence, déclenchée après que les troubles de Sétif ont été connus par le sous-préfet Achiary, prévenu par téléphone, a été presque unilatérale).

Mais à la méthode hasardeuse proposée par Jean-Louis Planche on peut préférer la prudence manifestée par Claude Liauzu et Gilbert Meynier : «La seule conclusion que peut faire l'historien : il y eut en effet des milliers de morts, mais s'il est honnête, il n'en dira pas plus (8).» Conclusion brutale, mais qui nous invite tous à la prudence. Prudence que justifie la revendication algérienne de repentance, presque ignorée en France, formulée en Algérie depuis 1990 par la Fondation du 8 mai 1945 et à Paris par le président Bouteflika en juin 2000, laquelle explique l'échec récent de la négociation du traité d'amitié franco-algérien autant que la loi du 23 février 2005.

Guy Pervillé, magazine, L'Histoire, mars 2007 - source


1. M. Reggui, Les Massacres de Guelma, La Découverte, 2006.   

2. C.-A. Julien, L'Afrique du Nord en marche. Nationalismes musulmans et souveraineté française, rééd. Julliard, 1972.   

3. M. Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, 1919-1951, Alger, SNED, 1980 et 1981.   

4. M. Harbi, Aux origines du FLN, le populisme révolutionnaire en Algérie, Christian Bourgois, 1975. 

5. A. Rey-Goldzeiguer, «Le 8 mai 1945 au Maghreb», M. Vaïsse (dir.), 8 mai 1945, la victoire en Europe, Lyon, La Manufacture, 1985.   

6. C.-R. Ageron, «Mai 1945 en Algérie, enjeu de mémoire et d'histoire», Matériaux pour l'histoire de notre temps n° 39, 1995. Cf. aussi, du même auteur, Histoire de l'Algérie contemporaine. T. II, 1871-1954, PUF, 1979 et «Les troubles du Nord-Constantinois en mai 1945 : une tentative insurrectionnelle ?», Vingtième Siècle n° 4, 1984.   

7. Dans H. Alleg (dir.), La Guerre d'Algérie, t. I, Temps actuels, 1981.   

8. Le Nouvel Observateur, 2 juin 2005.

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9 janvier 2010

Kingdom of Heaven, un film sur les Croisades

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Kingdom of Heaven


(le Royaume des Cieux, film de 2005)



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les erreurs (invraisemblances) historiques

du film

Kingdom of Heaven ("le Royaume des Cieux") de Ridley Scott, 2005

 

Le film du réalisateur britannique Ridley Scott (Blane Runner, 1492, Gladiator…) paru en 2005, Kingdom of Heaven propose une histoire qui se déroule entre 1184 et 1187, peu avant la troisième Croisade, et qui se termine par la prise de Jérusalem par Saladin. l'image des rapports entre chrétiens et musulmans est largement idéalisée. Ainsi :

- l’idée que sous le règne des chrétiens, Jérusalem était ouverte à toutes les religions, ce qui est absolument faux !

- la mise en garde du médecin Templier à Balian arrivé à Jérusalem et qui lui dit qu'il a perdu sa religion : "Ce n'est pas ce qui compte la religion. Au nom de la religion, j'ai vu le délire de fanatiques de toutes les confessions du monde appelé la volonté de Dieu. La sainteté, c'est de faire ce qui est juste, de se battre avec courage pour ceux qui sont sans défense. Ce que Dieu veut, la bonté qu'il exige, est là". Ces propos sont tout à fait inconcevables à cette époque. C'est la religion qui compte, avant tout le reste, pour tous les croyants qu'ils soient Croisés chrétiens ou Sarrasins musulmans. Bien sûr, l'intensité du sentiment religieux peut varier mais pas au point de se situer au-dessus des religions pour évoquer un Dieu de bonté. Les Sarrasins sont des idolâtres païens pour les chrétiens et ceux-ci sont des mécréants pour les musulmans.

- la harangue de Balian lors de la défense de Jérusalem à propos des Lieux Saints ("tous sont légitimes") : impensable à l'époque…!

- les Templiers sont présentés comme des fanatiques, auteurs d'opérations sanglantes (Renaud de Chatillon) dans lesquelles on reconnaît une critique de la politique au Proche-Orient menée par la Maison Blanche et le Pentagone.

- l'affirmation que l’armée de Saladin comptait un minimum de 200 000 hommes, ce qui est également faux ! Au cours de la bataille décisive de Hattin, en juillet 1187, l’armée musulmane comptait entre 12000 et 60 000 hommes selon les sources, alors que les croisés étaient entre 1200 et 2000 chevaliers appuyés par 20 000 autres combattants (?).

- de nombreux petits détails, tels des plans de la ville de Jérusalem, ou des intérieurs de palais n’ont en fait rien d’oriental. Le film a été tourné au Maroc et en Espagne, et ça se voit tout de suite. L’architecture musulmane du Maghreb est très particulière dans ses détails, ses arcades et ses faïences et elle ne ressemble pas à celle de Palestine ou de Syrie.

- la clémence de Saladin lors de la prise de Jérusalem en octobre 1187. Dans le film le dialogue dit : "Saladin - je vous accorde sauf-conduit à tous jusqu'en terre chrétienne, à tous, femmes, enfants, vieillards, tous tes chevaliers et tous tes soldats et ta reine, nul n'aura à souffrir, Allah m'en est témoin. Balian - Les chrétiens ont massacré tous les musulmans après la chute de la ville. Saladin - Sache que je ne suis pas de ces hommes-là, moi, je suis Saladin, Salah ed Dîn". Or, les chroniques nous apprennent que le discours a été totalement inverse… Saldin a dit : "Je ne me conduirai pas envers vous autrement que vos pères envers les nôtres, qui ont tous été massacrés ou réduits en esclavage" (propos tenus dans le film par un lieutenant de Saladin mais pas par Saladin lui-même…). Il a fallu la menace de Balian d'exécuter les 3 à 5 000 prisonniers musulmans et de détruire le Dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsâ pour que Saladin accepte de transiger.

Pourquoi toutes ces erreurs ? Parce que le réalisateur utilise le cadre historique comme métaphore des conflits de son époque : les templiers sont les méchants faucons de l'Amérique, les présidents Bush père et fils partis en "croisade" contre l'Irak (1991 et 2003) ; la cupidité de Renaud de Châtillon dans le film renvoyant à celle des affamés de pétrole.

Source ?

 




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4 janvier 2010

le lycée blanc-gris

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le lycée sous la neige

à la rentrée du 4 janvier 2010


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la "vie scolaire" : ce nom m'a toujours étonné... je ne comprends pas pourquoi
on ne dit plus la "surveillance"... les cours ne font-ils pas partie de la "vie scolaire"...??)


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la cour et le bâtiment du lycée professionnel

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la "vie scolaire" et le parc, vue du 2e étage du bâtiment A

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la "vie scolaire"

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les salles de permanence

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chemin entre la "vie scolaire" et le bâtiment A (à droite) ; au fond, la cour

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le bâtiment L (logistique), puis l'internat et le restaurant scolaire (en blanc)

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le bâtiment L (logistique)

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l'entrée du lycée, avec la désolante "oeuvre du 1% culturel"...

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vue sur le parking des professeurs

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entre les bâtiment B (à gauche) et A (à droite)

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entre les bâtiment B (à droite) et A (à gauche)




quelques réactions sur Facebook

Ydriss Foretz
Ydriss Foretz
(étudiant en Histoire à la Sorbonne, ancien élève de collège de M. Renard)

Le lycée de St-Chamond ou la portée hiémale des Jardins suspendus...

Michel Renard
Michel Renard

- j'y ai déjà pensé... cette architecture a un petit côté néo-babylonien qui me plaît...

Karine Meziane
Karine Meziane

T T ça me manque le lycée!!!

Michel Renard
Michel Renard

- tu es hyper rapide à réagir...!!!! ne t'inquiète pas, c'est une nostalgie qui dure longtemps... ^^

Sarah 'Boom' Boumghar
Sarah 'Boom' Boumghar

Moi aussi ça me manque parfois.

Karine Meziane
Karine Meziane

je HAIS Jean Monnet!!

Sarah 'Boom' Boumghar
Sarah 'Boom' Boumghar

Moi j'aime ma fac =)
Mais au lycée tout était plus simple.

Assia Oukala
Assia Oukala

je suis tout à fait d'accord avec Sarah !!

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18 décembre 2009

fin d'automne neigeuse

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le lycée Claude Lebois sous la neige


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le bâtiment "B"

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le passage entre les deux bâtiments


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au fond, le restaurant scolaire et l'internat


- c'était vendredi 18 décembre 2009


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13 décembre 2009

les liaisons dangereuses

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Choderlos de Laclos


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Choderlos de Laclos

- Les liaisons dangereuses, 1782 : roman épistolaire

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l'exécution littéraire du galant :
"Et qu'avez-vous donc fait que je n'aie surpassé mille fois ? Vous avez séduit, perdu même beaucoup de femmes : mais quelles difficultés avez-vous eu à vaincre ? quels obstacles à surmonter ? où est le mérite qui soit véritablement à vous ? Une belle figure, pur effet du hasard ; des... grâces que l'usage donne presque toujours, de l'esprit à la vérité, mais auquel du jargon suppléerait au besoin ; une impudence assez louable, mais peut-être uniquement due à la facilité de vos premiers succès ; si je ne me trompe, voilà tous vos moyens".

Lettre 81, de la marquise de Merteuil au vicomte de Valmont,
Les liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos.

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22 octobre 2009

méthode d'explication de textes en philo

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méthode d'explication de textes


0. Conseils, présentation

Commençons tout d’abord par nous rappeler qu’"une explication de texte explique un texte". Ceci n’est ni un truisme ni une tautologie. Reprenons : une explication de texte explique… un texte. Autrement dit, il faut rester dans le cadre du texte qui forme un tout, une globalité autosuffisante même si l’auteur ne répond que partiellement à la question ou aux questions qu’il se pose.

Le texte a une signification globale, d’ensemble. Par ailleurs, ‘expliquer’ veut dire qu’il ne faut pas commenter. Il faut expliquer, c’est tout.
Connaître la pensée de l’auteur n’est ni indispensable ni requise. L’explication doit rendre compte, par sa compréhension précise, du problème que se pose l’auteur ou que pose le texte. Cela signifie qu’il faut faire une bonne explication et dégager le problème que pose le texte et pour lequel il propose une réponse.

Si nous n’arrivons pas à expliquer une phrase, nous pouvons émettre des hypothèses, en mentionnant que ce sont des hypothèses. Car il ne faut passer sous silence aucun passage du texte. Il ne faut pas négliger ce que nous ne comprenons pas.

Il faut aborder le texte comme objet d’étude : il ne se livre pas immédiatement au regard ou à la lecture. Mais il s’offre à une investigation curieuse d’en manifester des aspects non évidents au premier abord. Le texte peut manifester une étrangeté : il convient alors de l’analyser à divers niveaux, de savoir "lire entre les lignes". Son vocabulaire, la construction de certaines de ses phrases, son style, la bizarrerie de certaines idées, l’absence d’évidence de l’argument, la présence de paradoxes, peuvent par exemple retenir l’attention et demander une explication.

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Ce qui est indispensable de prime abord, c’est de voir que le texte pose problème. S’il allait de soi, il ne demanderait pas d’explication ! Autrement dit, si la lecture révèle des difficultés, ce n’est pas un inconvénient mais une condition nécessaire. Dès lors, il faut répertorier ces difficultés et évaluer leur importance. Ceci nous permettra de repérer les questions principales qui vont organiser l’ensemble de l’analyse et la structurer.

En ce qui concerne les difficultés rencontrées à la lecture d’un texte, les difficultés techniques concernent des références précises, du vocabulaire précis, etc. Donc nous nous attendons à une réponse précise. D’un autre côté, les difficultés non techniques renvoient au style de l’auteur, au flou de ses phrases, etc. Ici, la réponse relève davantage de l’interprétation personnelle.

Un texte, en plus d’avoir un thème, présente une thèse, réponse à un problème philosophique, qui peut ne pas être évidente à la première lecture.

Ainsi, mieux vaut se concentrer sur sa structure, son organisation et reporter à plus tard l’élucidation de la thèse. Pour ce faire, balisons le texte à l'aide de connecteurs logiques et posons-nous à chaque fois la question de leur fonction. Attention ! ces connecteurs ne sont pas forcément syntaxiques. Nous pouvons laisser inexpliqué un détail secondaire (et encore…) mais pas le cœur de l’argumentation. Le repérage de la structure du texte est ici d’une grande utilité.

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La nécessité d’insister ou non sur la situation du passage dans son contexte variera selon qu’il s’agit d’un moment d’un argument plus général, qui a commencé auparavant et se poursuit ensuite, ou bien au contraire d’un argument relativement autonome. Mais dans un cas comme dans l’autre, il faudra que nous comprenions à partir du texte la nécessité de faire intervenir les éléments du contexte qui seront présentés.

Enfin, n’oublions pas que la lecture d’un texte philosophique n’a pour objet que nourrir la réflexion sur un thème. Étudier un texte signifie donc ceci : montrer en quoi le texte proposé apporte une réponse (et construit celle-ci) à une question philosophique, quels sont les enjeux de la question abordée (i.e. ce que l’étude du texte nous fait gagner).

En réalité, l’objectif de l’explication de texte est de retrouver l’ordre, la progression du texte : il s’agit de retrouver la façon dont le philosophe a abordé les difficultés rencontrées et a tenté de les résoudre. Il ne faut jamais oublier que c’est une bonne explication du texte qui nous conduit naturellement à l’interroger et à l’évaluer, non de manière artificielle et/ou superficielle en lui opposant ses propres convictions ou celles d’un autre auteur, mais en éclaircissant ses présupposés et en comprenant la pertinence de sa démarche.
C’est comme cela que nous pourrons dire avoir compris un aspect de la pensée d’un auteur.
Et The Best Conseil : il nous faut soigner notre calligraphie, ne faire ni fautes d’orthographe ou de grammaire, conjugaison, etc. ; sous peine de lourdes sanctions !

Bon, c’est bien joli tout ça, mais nous sommes restés dans un point de vue très théorique et abstrait. Alors : en pratique, comment ça marche ?

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1. Introduction

Recherches à faire au brouillon ; l’introduction doit se rédiger au brouillon avant la rédaction finale.

1. Mise en contexte, présentation du texte

Il n’est pas interdit de parler de l’auteur, si nous le connaissons, c’est le bon moment ! En général, dans l’énoncé il y a son nom et le titre du livre dont est extrait le texte. De deux choses l’une : si l’auteur n’est pas connu de nous, donner son nom et le titre du livre. A contrario, si l’auteur est connu de nous, il est bon de pouvoir replacer le livre dans l’œuvre de l’auteur (chronologie ou comparaison avec d’autres ouvrages) ; si de plus nous connaissons l’extrait (là c’est le summum), il est bien de donner des références : où se situe l’extrait dans le livre ?
Ensuite, il est bon de voir l’originalité du texte par rapport à ce qui précède ou suit (pour cela, nous utiliserons les connaissances acquises en cours). Posons-nous la question : sur quel plan philosophique se trouve l’auteur ? Est-ce un texte politique, métaphysique, épistémologique, esthétique… ? Y a-t-il des présupposés à ce plan philosophique ?
Bref, il n’est pas interdit de faire appel à des connaissances concernant le contexte plus ou moins large du texte, à la condition que celles-ci n’apparaissent pas pour elles-mêmes, mais en tant seulement qu’elles servent à l’explication elle-même.

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Simone Weil (1909-1943)

2. Plan

Il faut mettre en lumière les différentes étapes par lesquelles l’auteur passe pour asseoir sa thèse : les différentes "parties" du texte. Mais attention, encore une fois, n’oublions pas que ces parties ne sont que les étapes d’une réflexion unitaire. Un texte philosophique n’est jamais constitué de morceaux artificiellement juxtaposés : il expose une pensée par concepts et mots-clefs dont le mouvement est articulé en moments distincts.

Pour retrouver les articulations du texte, il faut penser à s’aider des conjonctions de coordination et de subordination. Les premières marquent entre des mots ou des propositions de même fonction l’union (et), l’opposition (mais, pourtant), l’alternative (ou), la négation (ni), la conséquence (donc), la conclusion (ainsi, enfin), etc. Les secondes établissent une dépendance entre les éléments qu’elles unissent (comme, quand, qui, etc.). Ces petits mots marquent la structure logique du texte, même si ce ne sont pas les seuls. Nous pouvons les souligner ou les entourer, cela aide à visualiser la construction du passage.
De même, il nous faut repérer les concepts, les mots-clefs et les phrases fortes du texte.1021979573

Grâce à cela, nous pouvons faire un plan du texte en précisant les lignes (si possible les débuts et fins de phrases s’il n’y a pas de retour à la ligne). Donner un titre aux parties ; le plus souvent nous donnerons les concepts ou mieux : les distinctions conceptuelles mises en œuvre dans chaque partie. Nous pouvons aussi donner comme titres un bref résumé de chacune des parties.


3. Problématisation

Nous nous poserons tout d’abord deux questions à propos de l’auteur : quel est le thème de sa réflexion ? et quelle thèse soutient-il ? Ensuite, n’oublions pas que l’auteur est un individu singulier et que son texte est son point de vue. En ce sens, il n’est donc pas absolu ; il est relatif. Ainsi : quels sont les présupposés inhérents au texte ?
Il faut préciser les enjeux du texte : il s’agit de repérer dans quel débat s’inscrit le texte et quelles conséquences il implique. Il ne faut pas hésiter à lire le texte plusieurs fois afin d’en faire apparaître le sens. La première lecture doit permettre d’en prendre connaissance et de dégager le thème dont le texte se préoccupe. Une seconde lecture permet d’identifier la thèse précise que soutient l’auteur. À la troisième lecture, nous pouvons expliciter le problème dans lequel se situe le texte, et donc repérer éventuellement les points de vue auxquels l’auteur s’oppose et qu’il cherche à réfuter. Il s’agit pour nous de dégager le ou les problème(s) soulevé(s) par une question ou une notion particulière.
Grâce à ce travail effectué, nous pouvons dégager une problématique du texte, un questionnement, un fil directeur : qu’est-ce qui pousse l’auteur à écrire ce texte ? Quelles sont les questions que ce texte soulève ?, etc. C’est la problématisation du texte.

Ces quatre éléments : thème, thèse, problème, structure, constituent l’introduction à l’étude du texte. L’introduction doit se terminer (le plus souvent) par une question : celle à laquelle la thèse du texte apporte une réponse.

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le crâne de Descartes (1596-1650)


2. Développement

À l’aide des mots-clefs et concepts, expliquer en se demandant sans cesse "pourquoi ?" jusqu’à ce que nous arrivions à une réponse qui ne nécessite plus de "pourquoi ?". En général, cela nous conduit à une distinction conceptuelle, à un concept, ou tout simplement à l’explication totale et finale.
Attention ! Ne pas oublier les transitions !, qui doivent être mises en évidence par un saut de ligne avant et après chaque partie. Le sens général du texte, son intention, déterminent le sens de ses éléments. Dans la rédaction du développement, il faut à la fin de chaque partie ou sous-partie, rappeler ce qui a été gagné par rapport au thème et à la thèse et rappeler ce qui nous manque mais va être résolu dans la partie suivante.

Il faut apprendre à questionner le texte. Nous nous demanderons alors pour chaque idée (en plus du "pourquoi ?") : qu’est-ce que cela signifie ?, comment le justifier ?, qu’est-ce que cela implique ? Pour cela, il faut être sensible : à la logique du texte, aux transitions ; aux détails du texte, aux exemples ; aux difficultés d’interprétation.

Pour chaque partie du texte, il faudra rester fidèle à l’auteur, en n’oubliant jamais la question qu’il traite. Bref, il ne faut ni s’éparpiller, ni faire de digressions. Par ailleurs, nous éviterons la paraphrase. Si c’est pour dire (en moins bien) ce que dit l’auteur d’une manière détournée, autant recopier le texte (sic) ! Pour cela, nous n’hésiterons pas à lire entre les lignes.
Il faut aussi proposer des références : savoir utiliser ses connaissances et se référer à d’autres sources d’information que le texte pour l’expliquer ; par exemple, nous pourrons illustrer ce que dit l’auteur (exemple, métaphore, etc.).

Nous l’avons déjà dit, mais il ne faut surtout pas passer sous silence ce que nous ne comprenons pas d’emblée. Les difficultés que nous avons rencontrées permettent de dégager le problème philosophique du texte ; autrement dit de procéder à son évaluation critique : confronter la solution proposée par l’auteur à d’autres solutions possibles ; évaluer la façon dont le problème a été posé ; comparer la thèse de l’auteur à d’autres doctrines étudiées ou d’autres thèses qu’il aurait fournies (la pensée d’un auteur n’est pas figée, elle évolue au fil du temps et parfois au fil d’un texte) ; dégager des questions qu’il conduit à formuler ; montrer que ses présupposés peuvent être mis en question ; apprécier son actualité, ses enjeux.

Ceci ne peut se faire qu’en confrontant aux solutions, à l’approche de l’auteur, d’autres solutions ou approches possibles. Ce contraste permet de réellement comprendre le texte ; de saisir son sens propre. Mais ce ne peut se faire qu’à partir, qu’en partant de l’explication précise du texte lui-même. Il faut suivre le texte, et l’expliquer, afin de mettre en valeur, d’éclairer la démarche de l’auteur.

Pour ce faire, l’ordre est essentiel : si l’auteur aborde tel concept ou telle question avant ou après tel(le) autre, ce n’est pas par hasard. C’est que la première étape appelle ou éclaire la suivante ; que la seconde est portée par la première ou l’englobe. L’ordre du texte est la démarche par laquelle un philosophe a construit sa réponse à une question donnée. Nous n’allons pas du premier étage au troisième sans passer par le second.

D’autre part, il nous faut nous appuyer sur des éléments que nous avons compris. Demandons-nous quel est PROFILleur statut dans l’économie du texte (exemple, idée critiquée, défendue, argument…). Partons de ces éléments pour comprendre l’ensemble du texte et essayons ainsi de combler les passages que nous ne comprenons pas.

Nous pouvons faire cette étude soit de manière linéaire (c’est en général recommandé puisque le texte a une progression) ou de manière globale (mais c’est largement déconseillé parce qu’en général il en sort un devoir informe sans logique interne).


3. Conclusion

La conclusion doit se rédiger au brouillon avant la rédaction finale.

Elle doit être sobre : elle rappelle ce qui a été acquis, les implications de la démonstration qui ont été mises en évidence. C’est un récapitulatif des concepts et distinctions conceptuelles de chaque partie avec explication de leur enchaînement (cela suit la problématique et permet d’y répondre).

En gros, c’est une synthèse des transitions de notre développement. Nous pouvons ici aborder la façon dont l’auteur s’y est pris vis-à-vis de la question qu’il traite : pourquoi et en quoi est-ce pertinent ? en quoi le problème qu’il se pose est un réel problème ? peut-elle nous prémunir ou nous délivrer de certaines illusions ou erreurs ?

boullee

Mais il n’y a pas lieu d’introduire dans la conclusion une idée nouvelle, sans rapports logiques avec ce qui précède, sous prétexte d’"ouverture". Ce serait un simple artifice rhétorique, facile, mais inutile et absolument superflu. La réflexion menée en commun avec l’auteur forme le devoir. Elle seule. Il est inutile de chercher à caser à tout prix ses opinions parce qu’elles auraient un vague rapport avec ce qui a été vu auparavant.

Rien ne peut gâcher plus un devoir bien mené qu’une sentence arbitraire assénée comme une vérité indubitable à la fin de la copie. Donc, si nous sommes tentés par cela, n’oublions pas qu’il ne faut jamais écrire la dernière phrase ! C’est elle qui gâche tout.

Emmanuelle Curatolo
professeur de philosophie, 2009
Emmanuelle_Curatolo










NB : Cette méthode a des aspects redondants, mais il vaut mieux trop que pas assez pour bien l’assimiler.



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6 octobre 2009

électricité

la production d'électricité dans un barrage




croquis_electricite
1. alternateur - 2. barrage - 3. canal de fuite - 4. conduite forcée
5. lac de retenue - 6. ligne à haute tension - 7. transformateur - 8. turbine



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