peinture chrétienne gothique (XIVe siècle)
Duccio,
Scènes de la Passion du Christ
(1308)
1- l'entrée du Christ à Jérusalem
9 - Premier reniement de Pierre
10 - le Christ devant Caïpeh (grand prêtre)
_________________________________
Il est intéressant de noter les différentes fonctions des scènes représentées sur les deux faces de la Maestà. La façade avant représente une image de dévotion destinée à la communauté des fidèles (ce qui explique sa taille, bien visible de tous les coins de l'église), tandis que l'arrière était essentiellement destiné au clergé desservant le sanctuaire. La face arrière se compose de quatorze panneaux, initialement séparés par des colonnes ou pilastres qui ont été perdus avec le cadre extérieur dans le démembrement de 1771.
Hormis l'entrée à Jérusalem et la Crucifixion, chaque panneau présente deux épisodes. La partie centrale du registre inférieur qui représente l'agonie au jardin des Oliviers et l’arrestation du Christ est deux fois plus large que les autres compartiments, sauf en ce qui concerne le panneau de la Crucifixion au registre supérieur, de même taille, mais avec une scène unique. De nombreuses théories ont été avancées par les critiques quant à l’ordre des séquences, rendu problématique par la variété des sources du Nouveau Testament qu’utilise Duccio. Il est certain que le cycle débute en bas à gauche et s’achève en haut à droite, en procédant de gauche à droite sur le registre inférieur, puis sur le registre supérieur.
L’entrée à Jérusalem
La scène est inhabituelle en raison de l'attention accordée au
paysage, riche en détails. La route pavée, la porte de la ville et ses
remparts, les embrasures des murs, les tours élancées et le bâtiment
polygonal de marbre blanc témoignent d’une mise en page remarquablement
réaliste. Le petit arbre, flétri et sans feuilles à l’arrière de la
tête du Christ, est le figuier qu’il a trouvé sans fruits et qu’il a
maudit. Florens Deuchler a suggéré que cette scène tire sa source d’un
travail historique du premier siècle après JC, le «De Bello Judaico»
de Flavius Josèphe, très connu au Moyen-Âge. Le panneau de Duccio est
une reproduction fidèle à la description de Jérusalem dans le livre V
de l’historien juif. La photographie infrarouge durant la restauration
a révélé plusieurs changements dans la zone située autour de l'arbre au
centre et autour de la route.
Le lavement des pieds
Seul Jean raconte l’épisode du Lavement des pieds. Le cadre est
l'intérieur d'une salle très simple, avec comme seuls éléments
décoratifs le plafond à caissons et l’espèce de rose sur la paroi
arrière. Ce détail doit être imaginé dans la scène suivante, celui de
la Cène, car il est caché par l’auréole du Christ. Il réapparaît en
effet dans la scène du discours aux apôtres qui, selon l'évangile à
lieu dans la même salle.
Le Lavement des pieds reflète quelques échos de l'art byzantin, dans
le groupe compact des apôtres et le geste de Pierre, tandis que la
position de Christ rappelle les modèles occidentaux. La forme des
sandales noires, bien décrites par Cesare Brandi «comme si elles
étaient des scarabées précieux en onyx», est typique de l’époque.
La Cène
La Cène est dominée par la figure centrale de Jésus qui, à la
stupéfaction des apôtres, offre le pain à Judas Iscariote, absent de la
scène suivante (il s’est éclipsé pour trahir), mais présent dans la
scène de l’arrestation. La position de Jean est classique, mais
cependant son auréole se trouve derrière le dos du Christ. Des bols en
bois, des couteaux, une cruche décorée et un plat de viande, l'agneau
pascal, sont disposés sur la table, couverte d'une simple nappe tissée
en motifs de losanges.
Le Christ prend congé des Apôtres
Après le repas, toujours d’après Jean, alors que Judas s’esquive
pour trahir son maître, le Christ parle une dernière fois à ses onze
apôtres et les prépare à leur mission future d’enseigner le
« ommandement nouveau». Assis de trois-quart devant la porte ouverte,
il contraste avec le groupe compact des disciples, positionnés tous de
la même manière et plongés dans l’écoute et la réflexion. La scène est
animée par les drapés doux de personnages, et les auréoles de la rangée
supérieure des disciples donnent de la profondeur à la scène. Comme
dans le lavement des pieds et la dernière Cène, Duccio a évité, pour
des raisons d’équilibre et d’espace, de peindre des auréoles aux
personnages du premier plan.
Le pacte avec Judas
La trahison de Judas et son pacte avec le Sanhédrin se déroulent dans un environnement extérieur où l'espace est organisé en différents degrés de profondeur. Le groupe des personnages se trouve sur le même plan que le pilier de droite et est rassemblé devant une loggia voûtée d’ogives et à grandes et arches en plein cintre. La tour polygonale, un peu en arrière du bâtiment central, remplit l'arrière-plan.
Jésus au jardin des Oliviers
Dans l'agonie du mont des Oliviers, Jésus se tourne vers Pierre, Jacques le Majeur et Jean, et de les admoneste afin qu’ils ne tombent pas en tentation, alors que les autres disciples dorment. Sur la droite, en conformité avec l'Evangile de Luc, le seul à mentionner l’apparition d’un ange, il se retire dans la prière. Il se dégage une grande atmosphère de calme, rompue uniquement par les gestes du Christ, de Pierre et de l’Ange…
L’arrestation de Jésus
Le mont des Oliviers devient le théâtre d’une l'agitation inattendue dans la scène de l’arrestation du Christ, qui raconte trois épisodes distincts : au centre le baiser de Judas, à gauche Pierre coupant l'oreille du serviteur Malchus, et à droite la fuite des apôtres. L'intensité dramatique de la scène est renforcée par la succession de lances, lanternes et torches, dans les mouvements excités des personnages et l'expressivité de leurs visages. Le paysage, uniquement décoratif dans les scènes précédentes, prend ici un nouveau rôle scénique : la végétation et les falaises rocheuses, d'inspiration nettement byzantine, font partie intégrante de l'action : dans la scène de l’agonie les trois arbres à droite isolent le Christ, tandis que dans cette scène ils jouent une sorte de rôle, comme s’ils permettaient aux disciples de s'échapper.
Le Christ devant Anne
La règle de l'autonomie absolue de chaque scène est rompue avec bonheur dans ce panneau. Les deux épisodes, racontée par Jean, se produisent simultanément, mais dans des endroits différents et l'escalier joue un rôle de lien dans l’espace et dans le temps. Alors que Jésus est traduit devant le Grand Prêtre Anne, Pierre reste dans la cour où une servante le reconnaît comme comme ami de l'accusé : de sa main, il fait le geste de dénégation. L’environnement est rempli des détails architecturaux qui animent la scène : la porte à arc brisé ouvrant sur un porche, la fenêtre gothique à baie géminée du petit balcon souligné d’une bande lombarde, l’arcature du mur du fond de la salle d’audience, le plafond à caissons de petits carrés… Pierre, dont le halo passe curieusement derrière la tête de son voisin, se chauffe les pieds d'une manière très réaliste.
Le Christ devant Caïphe
Selon l'Évangile de saint Matthieu, le panneau doit être lu de bas
en haut. Les scènes du Christ devant Caïphe et du Christ aux outrages
se déroulent dans le même lieu, la cour de justice du Sanhédrin, où le
Christ est amené devant le Grand Prêtre Caïphe et les Anciens.
Duccio donne une grande importance au personnage isolé parmi une
foule de casques et de visages anonymes qui lève la main et pointe le
doigt pour attirer le regard du spectateur. Réminiscence anticipative
au geste du Baptiste montrant le crucifié ? Caïphe est représenté dans
une attitude de colère et d'indignation face à Jésus : les mains sur sa
poitrine, il déchire sa tunique rouge, montrant celle qu’il porte en
dessous (détail est raconté par Matthieu et Marc). Au seuil de la
salle, Pierre renie une seconde fois.
Le Christ outragé
Selon l'Évangile de saint Matthieu, le panneau doit être lu de bas
en haut. Les scènes du Christ devant Caïphe et du Christ aux outrages
se déroulent dans le même lieu, la cour de justice du Sanhédrin.
Dans cette scène il y a beaucoup plus d’animation : le Christ, les
yeux bandés (selon la version de Marc et de Luc) et immobile dans son
manteau sombre, est outragé et battu par les soldats sous les quolibets
des pharisiens.
À l'extérieur de la salle, Pierre renie encore devant la servante, alors que le coq chante…
Les Christ accusé par les pharisiens devant Pilate
Les scènes où Pilate apparaît (le Christ accusé par les Pharisiens,
le premier interrogatoire du Christ, le second interrogatoire, Pilate
se lavant les mains…) se déroulent dans le palais du gouverneur. Les
minces colonnes spiralées de marbre blanc et la décoration sculptée en
haut des murs sont une référence à l'architecture classique. Pilate,
dépeint avec la solennité d'un empereur romain et coiffé comme lui
d'une couronne de laurier, évoque le monde de l'antiquité classique.
Comme dans l'Evangile, le groupe des pharisiens, au demeurant en
pleine excitation (remarquer encore une fois la main avec le doigt
pointé), se trouve à l'extérieur du bâtiment : les Juifs évitent de
pénétrer à l'intérieur pour ne pas se souiller avant la Pâque. À
droite, au milieu des soldats qui regardent vers Pilate et les Juifs,
le Christ semble écrasé de solitude…
Pilate interroge le Christ une première fois
Le Christ devant Hérode
Pilate, apprenant que Jésus relève de la juridiction d'Hérode,
l’envoie au roi pour qu’il le juge. Après l’avoir questionné, après
l’avoir traité avec dérision et mépris, Hérode le renvoie au gouverneur
romain, après l’avoir fait revêtir d’une tunique blanche, distinctive
des fous.
Le Christ devant Pilate
Le Christ, renvoyé par Hérode dans la robe blanche des fous, est à
nouveau devant Pilate.
Bien que placée dans deux environnements architecturaux différents la
disposition des deux scènes est presque identique, à la fois dans la
distribution des personnages et dans leurs mouvements. Le Christ,
décrit dans un état de grande tristesse, est muré dans un silence
total. Les gestes de Pilate et d’Hérode sont les mêmes dans les trois
scènes. Le trône du roi avec des marches, sa structure de base embellie
et ornée, se différencie très nettement du siège très simple du
gouverneur.
La flagellation
La flagellation est à peine mentionnée dans les Évangiles. La
description qu’en fait Duccio est d’une remarquable inventivité, visant
à illustrer chaque moment de la Passion. Le personnage de Pilate
désobéit à toutes les règles de la perspective.
Le couronnement d’épines
La composition respecte fidèlement les Écritures et la scène est illustrée dans les moindres détails.
Pilate se lave les mains
Tout un panneau est consacré au lavement des mains de Pilate, malgré
que l'histoire ne soit que brièvement et seulement racontée par
Matthieu. Encore une fois, la scène est remplie de mouvement et de
vitalité ; la perspective est rendue par différents plans se
superposant dans la scène : Pilate, le grand attroupement devant le
pilier gauche.
Le chemin du calvaire
La scène de la montée au Golgotha, telle que la représente Duccio,
est une scène « intermédiaire » entre le passé et les événements
futurs. D'une part, la figure du Christ, avec ses mains encore liées,
renvoie le spectateur aux différents épisodes du procès. D'autre part,
la direction vers laquelle tous les personnages se meuvent (vers le
panneau de la Crucifixion à droite de la scène) et la croix que porte
Simon de Cyrène, sont une allusion au supplice ultime.
La crucifixion
L'intensité émotionnelle des épisodes de la Passion atteint son
moment le plus dramatique dans la scène de la Crucifixion, qui, placée
au registre supérieur du centre, domine l'ensemble de la face arrière
du retable. La croix élancée se détache du fond or, divisant la foule
en deux groupes distincts. À gauche, le groupe des fidèles du Christ,
calme et bien ordonné, mais dont les visages expriment la douleur et
l’affliction : on y trouve Marie, Mère de Jésus, les « trois Maries »
(Marie de Cléophas, sœur de la Vierge, Marie Salomé, mère de Jacques et
de Zébédée et Marie-Madeleine vêtue de rouge, avec sa longue chevelure
déliée) et Jean l'Evangéliste.
ur la droite, les membres du Sanhédrin
et les gardes Juifs froment une foule bigarrée et très agitée,
insultant et se moquant du crucifié. Le modelé fin du visage du Christ
n'est pas sans rappeler le plasticisme des ivoires gothiques, tandis
que le contraste très fort opposant les deux groupes a des parallèles
avec la Crucifixion de la chaire de la cathédrale, sculptée par Nicola
Pisano en 1266-1268. La scène se déroule dans un paysage désolé de
rochers déchiquetés, allusion claire au Golgotha.
Le modelé très fin du visage du Christ n’est pas sans rappeler le plasticisme des ivoires gothiques.
La déposition de la croix
La déposition, avec le même fond or que la crucifixion (excluant
toute possibilité de distraire l’oeil), est représentée comme un moment
d’une intense émotion. Joseph d'Arimathie et Jean soutiennent le corps
sans vie, alors que Nicodème enlève les clous des pieds et que la
Vierge accueille son fils mort dans ses bras, contemplant son visage
aux yeux clos. Une des Maries serre contre son visage un bras du Christ
bras, tandis que les autres tiennent leurs mains couvertes dans les
plis de leurs manteaux. Les visages expriment le tragique du deuil. Le
filet de sang au pied de la croix, également présent dans la précédente
scène, ajoute une note de réalisme dramatique.
La mise au tombeau
Les mêmes personnages que dans la Crucifixion apparaissent dans la
mise au tombeau. Seule est absente la femme au manteau bleu. Tous sont
penchés sur le corps du Christ. Joseph maintient le linceul alors que
Jean soulève doucement la tête de Christ et que Marie l’embrasse pour
la dernière fois. Seule Marie-Madeleine exprime son désespoir en levant
les deux bras au ciel.
La descente aux limbes
L'épisode de la descente aux enfers n'est pas mentionné dans les
évangiles canoniques, mais relatée dans l’Evangile apocryphe de
Nicodème. Il s'agit d'un thème iconographique peu diffusé dans la
peinture occidentale : il révèle clairement l’influence de l'art
byzantin par l'utilisation abondante de la couleur or sur le vêtement
du Christ et la présentation de la scène elle-même. Ayant ouvert les
portes de l'enfer, le Christ arrive dans les limbes pour y libérer ses
aïeux : tout en aidant Adam à se lever, il terrasse un Satan hideux,
vaincu et aveuglé par la rage.
Les trois Maries à la tombe
La subtilité des postures dans la scène des trois Maries au caveau
est remarquable. Les femmes sont représentées dans les attitudes mèlées
d'émerveillement et de peur ; leurs mouvements délicats vers l'arrière
et les gestes nerveux de leurs mains montrent leur étonnement devant la
soudaine apparition. Pour la réalisation de ces trois personnages, il
semble que Duccio se soit inspiré de la Sibylle de Giovanni Pisano
sculptée sur la façade de la cathédrale de Sienne. En face, l'ange est
assis tranquillement sur le couvercle du sarcophage déplacé et pointe
un doigt vers le tombeau vide. Sa robe blanche (plus blanche et
aérienne que le linceul au bord du sarcophage) coule doucement sur lui
avec des plis harmonieux et contraste magnifiquement avec les rochers
sombres, illuminant l'ensemble de la composition.
Les femmes sont représentées dans les attitudes mèlées de
l'émerveillement et de la peur ; leurs mouvements délicats vers
l'arrière et les gestes nerveux de leurs mains montrent leur étonnement
devant la soudaine apparition.
«Noli me tangere»
Dans l'apparition à Marie-Madeleine, le paysage rocheux fait partie
intégrante de la mise en scène : les ravins escarpés insèrent le
dialogue intime dans un milieu de solitude absolue, et dont les arbres
(qui figurent à nouveau dans un panneau depuis la scène où le Christ
est fait prisonnier) sont les seuls témoins. Jésus se présente de la
même manière que dans la scène de la descente en enfer, avec la croix
surmontée d’un petit drapeau flottant au vent, tandis que
Marie-Madeleine capte le regard dans son manteau rouge vif. La barre
oblique des roches accompagne et met l'accent sur la forme de son corps
en flexion.
Le chemin d’Emmaüs
Seul l'Evangile de saint Luc mentionne que le Christ, vêtu comme un
pèlerin, apparaît à ses disciples sur le chemin d'Emmaüs. Duccio
reprend le texte de l'Évangile, en reproduisant le portrait d'un
authentique pèlerin médiéval qui se distingue par le sac à dos sur
l'épaule, la «pèlerine» et le chapeau à larges bords typique. Comme
dans la partie inférieure, la composition est orientée vers la droite,
où il ya un village sur une colline. Un détail intéressant est la route
pavée avec deux variantes : une partie avec des pavés ronds et, sous la
porte principale, avec des pierres à pavage régulier.