le kantisme est un idéalisme mitigé de réalisme
qu'est-ce que le kantisme ?
E. Janssens
Le kantisme est, nous semble-t- il, un idéalisme mitigé de réalisme, un phénoménisme atténué par un étrange retour au monde des choses-en-soi et de l'intelligible pur.
L'innovation fondamentale de la Critique de la raison pure consiste à expliquer la connaissance, non par l'action des choses sur notre entendement, comme on l'avait fait jusqu'alors, mais par les lois a priori de l'esprit, modelant à leur image les données ou intuitions sensibles.
Cette méthode nouvelle, son auteur la considérait comme une révolution analogue à celle qui avait renversé le système géocentrique de Ptolémée. "On avait admis jusqu'ici - écrit Kant dans la préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure - que toutes nos connaissances devaient se régler sur les objets... Que l'on recherche donc une fois si nous ne serions pas plus heureux dans les problèmes de la métaphysique, en supposant que les objets se règlent sur notre connaissance... Il en est ici comme de l'idée que conçut Copernic : voyant qu'il ne pouvait venir à bout d'expliquer les mouvements du ciel en admettant que toute la multitude des astres tournait autour du spectateur, il chercha s'il ne serait pas mieux de supposer que c'est le spectateur qui tourne et que les astres demeurent immobiles" (1).
notes
(1) Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, trad. Barni, t. I, p.24.
E. Janssens, extrait d'une dissertation intitulée :
Le néo-criticisme de Charles Renouvier, Louvain,
Institut de philosophie, 1904.
explication des notions
- le kantisme, ou philosophie kantienne, est la théorie élaborée par Kant à la fin du XVIIIe siècle.
"Alors que le matérialisme dominait en France, (...) et que le dogmatisme le plus absolu dominait l'esprit allemand, un philosophe parut qui, avec une puissance sans égale d'analyse et de synthèse, prétendit démontrer à chaque système philosophique qui l'avait précédé toute l'inanité de ses principes et l'étroitesse de ses vues ; c'était Kant, et c'était le dogmatisme de Wolf et le scepticisme de Hume qu'il voulait attaquer de front ; c'était avec eux qu'il prétendait en finir, et pour cela, il entreprit de faire la critique de la raison humaine, de marquer ses bornes et son étendue et de mesurer sa portée.
Contre les matérialistes et les
sceptiques, Kant défendit le point de vue
selon lequel l'esprit ou plutôt l'entendement
possède a priori des principes
de savoir ; et contre les dogmatistes il maintint que l'expérience
seule peut conduire à la certitude de
l'existence réelle ou objective et que, même dans cet ordre
de faits, nous ne pouvons encore être assurés que les choses
soient telles qu'elles nous apparaissent. Il faisait cependant une exception
en faveur des vérités morales, de la loi du devoir dont nous
pouvons percevoir la réalité objective
et la certitude absolue." (dictionnaire Imago @ Mundi source)
- idéalisme : "le propre de l'idéalisme est de ne pas
admettre que la réalité externe soit la cause de nos représentations,
soit qu'il nie cette réalité externe (immatérialisme), soit qu'il en nie
l'indépendance par rapport à l'esprit (Kant), soit qu'il affirme que sa
cause est l'Idée (Platon)". S. Auroux, Y. Weil, Nouveau vocabulaire des études philosophiques, Paris, Hachette, 1975, pp. 106-107.
- réalisme : thèse philosophique selon laquelle le monde existe bien en dehors de la représentation que nous en avons.
"Au contraire des idéalistes, les réalistes considèrent que les formes n'existent pas en
dehors de leurs incarnations physiques. C'est plutôt l'esprit humain qui abstrait
ces formes à partir de l'observation attentive des choses qu'il y a à connaître avec
nos cinq sens. Les réalistes insistent sur l'existence objective des formes dans le
monde". (source)
- phénoménisme :
"Doctrine philosophique dont la thèse
principale, sous sa forme absolue, consiste à révoquer en
doute
l'existence de toute substance
matérielle ou spirituelle sous les phénomènes
perçus par les sens et la conscience.
Le phénoménisme est ainsi un cas très particulier
d'une doctrine beaucoup plus vaste, l'idéalisme.
Car, tandis que l'idéalisme, étroitement uni avec le rationalisme
par ses plus grands représentants, Platon,
Descartes,
Malebranche,
Hegel
et Schelling, résout simultanément
le problème de la connaissance
et celui de l'existence, le phénoménisme s'associe volontiers
à l'empirisme pour donner à la
question : «de quoi les êtres sont-ils faits ?» cette
réponse : «ils ne sont qu'un faisceau de phénomènes».
Ni l'idéalisme,
ni l'empirisme des Anciens n'ont revêtu
la forme phénoméniste. Malgré les différences
qui les séparent, Platon et Épicure
s'accordent à reconnaître aux apparences
sensibles un support substantiel, objectivement réel, Idée
chez l'un, Atome chez l'autre.
Éprise de raison
ou attachée à l'expérience,
toute la philosophie antique est substantialiste,
et le Moyen âge l'a suivie dans cette voie au point de réaliser
certaines qualités sensibles de la matière.
Il faut arriver
jusqu'à Descartes pour trouver, sous
des dehors purement substantialistes, le germe de la thèse phénoméniste.
Sans doute, Descartes distinguait, sous les qualités sensibles relatives
au sujet qui connaît, l'étendue, essence invariable de la
matière. Mais il préparait ainsi la voie aux disciples plus
hardis et plus conséquents qui devaient réduire l'idée
d'étendue elle-même à des
sensations tactiles et musculaires et dissiper ainsi le dernier substratum
métaphysique
de tout attribut sensible." (dictionnaire Imago @ Mundi source)
- chose-en-soi, noumène : c'est une "réalité" intelligible que l'on peut penser. Dans la philosophie kantienne, le noumène s'oppose au phénomène sensible. Le noumène ne peut être connu puisque toute connaissance implique une intuition sensible.
Le noumène ne peut avoir de sens qu'en relation avec les notions d'objet transcendental et de chose-en-soi.
La chose-en-soi est cette réalité inconnaissable que nous devons supposer pour comprendre ce qu'est un phénomène : elle se phénoménalise, se manifeste, apparaît en lui.
Le sujet transcendental suppose, dans le mécanisme de la connaissance, que soit posé un objet en général, dit objet transcendental (qui n'est pas sensible).
Noumène et chose en soi sont assimilés parfois, la chose-en-soi est confondue avec l'objet transcendental. Le sujet humain, en tant qu'il n'est pas entièrement déterminé par des causes naturelles, est dit noumène.
(source : Kant, une révolution philosophique, Michèle Crampe-Casnabet, éd. Bordas, 1989, lexique, p. 179.