grèves du Midi viticole en 1907
les "troubles" du Midi en 1907
la révolte des viticulteurs languedociens
contexte historique
Des viticulteurs en lutte
En 1907, le Languedoc viticole s’estime menacé par la concurrence des vins d’Algérie et la chaptalisation. La Confédération générale viticole réalise une manière d’union sacrée entre les producteurs, des plus petits aux plus grands. De puissants rassemblements crédités de dizaines de milliers de participants se succèdent du 7 avril au 9 juin 1907.
Dans les quatre départements concernés, les conseils municipaux présentent leur démission collective et appellent à la grève de l’impôt. Des perceptions, préfectures et sous-préfectures sont attaquées. Le gouvernement fait appel aux gendarmes et à la cavalerie.
Le sang coule à Narbonne où quatre manifestants sont tués les 19 et 20 juin. À Béziers, le 21, le 17e régiment d’infanterie, majoritairement composé, selon l’usage, de réservistes et de conscrits du pays, craint que les soldats venus des régions septentrionales ne menacent leurs compatriotes. Ils quittent leur caserne, se portent devant la foule et mettent crosse en l’air (ce qui vaudra aux «mutins» d’être expédiés en Tunisie). Clemenceau réplique par de nouvelles démonstrations de force. Le 23 juin une loi est cependant votée, qui réprime la chaptalisation abusive.
Quatre ans plus tard, les viticulteurs de l’Aube se mobilisent pour une tout autre cause. Malgré la mauvaise récolte de 1910, le cours du raisin reste bas. Les viticulteurs de la Marne suspectent les marchands d’avoir acheté et vendu sous le nom de champagne des vins de l’Aube, en infraction au décret du 17 décembre 1908 qui limite l’aire géographique de l’appellation.
Ils s’attaquent aux chais et aux fûts des viticulteurs et négociants de l’Aube, qui répliquent sur un mode similaire à Ay et à Epernay en premier lieu. Tous sont soutenus par leurs élus respectifs. La troupe s’interpose. Le décret est finalement reporté.
Les statues de Ferroul, à Narbonne, de Gaston Chéry à Bar-sur-Aube ou le célèbre «Salut à vous…» de Montéhus sont là pour attester de l’inscription durable de ces événements dans l’histoire et la sensibilité régionales.
Danielle TARTAKOWSKY
professeur d'histoire contemporaine
à l'université Saint-Denis/Paris VIII
statue du Dr Ferroul à Narbonne
la révolte des vignerons
Le 11 mars 1907, 87 vignerons du village d’Argeliers conduits par Marcellin Albert se rendent à Narbonne où siège une commission d’enquête parlementaire envoyée pour étudier la crise de mévente des vins qui sévit depuis sept ans. Afin d’obtenir le droit de vivre en travaillant leur terre, ils exigent que la lutte contre la fraude soit mise à l’ordre du jour et inaugurent une série de manifestations pacifiques qui envahissent, dimanche après dimanche, les esplanades des villes du Languedoc et du Roussillon pour atteindre le 9 juin, à Montpellier, le chiffre de 500 000 participants, inégalé depuis.
Bientôt rallié par Ernest Ferroul, maire socialiste de Narbonne, et appuyé sur une mobilisation générale sans distinction d’opinion ni de classe sociale, Marcellin Albert adresse au gouvernement de Clemenceau un ultimatum pour le vote d’une loi et déclenche, le 10 juin, la grève de l’impôt et la démission des municipalités.
Le Midi est occupé militairement, la plupart des dirigeants de la révolte sont emprisonnés, des fusillades font six morts à Narbonne les 19 et 20 juin. Le 17ème régiment d’infanterie de Béziers se mutine alors, et ne se soumet que sous promesse d’indulgence, avant d’être expédié à Gafsa (Tunisie).
Reçu par Clemenceau le 23 juin, Marcellin Albert est discrédité par le prêt d’un billet de 100 francs pour payer son retour.
Les 29 juin et 15 juillet sont votées les lois qui encadrent pour un siècle la production et le marché des vins en France, en imposant la déclaration des récoltes, en réglementant le sucrage, en pourchassant la fraude et en contrôlant le mouvement des vins. La Confédération générale des vignerons (C.G.V.), première organisation d’un grand secteur agricole, est créée à Narbonne, le 22 septembre, sous la présidence de Ferroul.
Le mouvement de 1907 a tenu en haleine la presse nationale et l’opinion publique pendant plusieurs mois, ce qui suffirait à justifier son évocation. Par sa masse, sa durée, l’unanimité manifestée, il représente la dernière grande révolte paysanne qui s’est déroulée en France, devenant une référence permanente pour d’autres mouvements. Par ses méthodes modernes : fixation des objectifs, propagation des mots d’ordre par la presse, pancartes, discours, interventions parlementaires, il illustre la démocratie participative.
Par ses résultats qui inaugurent une intervention permanente de l’État dans la régulation d’un secteur économique, il modifie profondément l’économie française. Enfin, il institue des préoccupations écologiques et éthiques, avec la défense du vin naturel, et politiques, avec la référence affirmée au midi occitan, la volonté de défendre l’emploi et la prise en compte des spécificités régionales dans la conduite des affaires publiques.
Rémy Pech
professeur d'histoire contemporaine
à l'université de Toulouse-le-Mirail
source
la période qui amena à la révolte de 1907
Le 30 avril 1905, Jean Jaurès venait parler aux arènes de Béziers, principalement aux ouvriers agricoles en grève. Mais Marcelin était présent, accompagné de 30 vignerons d’Argeliès, et ils avaient mis leur programme sur leurs chapeaux : «Viticulteurs méridionaux, travailleurs agricoles, ouvriers, commerçants, Debout, Debout pour le salut du Midi, Par la grève des corps élus, par le refus de l’impôt, défendons nos droits à l’existence».
Les parlementaires de la majorité gouvernementale, socialiste Félix Aldy, les radicaux G. Doumergue et Albert Sarraut tentent d’obtenir de l’Assemblée un titre fiscal de mouvement pour les achats de sucre à partir de 50 kg, et une surtaxe sur les vins de sucre. Le 14 juin ce projet est repoussé par 386 voix contre 200.
Cette décision politique provoque une montée en puissance de l’action du Comité d’Argeliès. Le Conseil municipal d’Argeliès démissionne le 16 juin, et recueille une première pétition 400 signatures principalement, «les soussignés décident de poursuivre leurs justes revendications jusqu’au bout, de se mettre en grève contre l’impôt, de demander la démission de tous les corps élus, et engagent toutes les communes du Midi et de l’Algérie à suivre leur exemple aux cris de : Vive le vin naturel ! à bas les empoisonneurs !» suivi de celui d’Alignan du Vent, de Puissalicon, d’Aigues Vives.
Dans l’Hérault 33 conseils municipaux approuvent les démissions et sont près à suivre. Le 19 juin mille vignerons réunis à Sallèles d’Aude décident de s’opposer par la force aux interventions des huissiers qui venaient saisir les biens des plus endettés, et cette décision a une application immédiate, un huissier qui venait saisir un vigneron d’Argeliès, dut repartir, un peu secoué, avec un billet : «Les soussignés, agissant en vertu d’une décision prise par les contribuables et viticulteurs de la commune d’Argeliès, invitent le porteur de contraintes, à cesser toutes poursuites au sujet du recouvrement de l’impôt.».
Le Comité Régional Viticole prépare une manifestation de protestation pour le 2 juillet aux arènes de Béziers qui réunit 15 000 personnes, de nombreux ouvriers sont présents aux côtés des viticulteurs et des décisions sont prises, démission des élus, il ne sera pas opposé des candidats lorsque de nouvelles élections surviendront, les propriétaires promettent de ne plus licencier de personnel, mais cette volonté semble contestée par les municipalités des grandes villes, Béziers, les élus du Gard refusent la grève des impôts...
Jean Clavel, spécialiste
de l’histoire viticole languedocienne
source
tumulus dressés par les habitants à l'endroit où sont tombées les victimes
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images des "troubles du Midi"
Narbonne en 1907, porte de la sous-préfecture enfoncée par les manifestants,
et gardée ensuite par la troupe
le maire de Nabonne, le docteur Ferroul a présenté sa démission
en solidarité avec les viticulteurs
légende de la carte :
la caserne du 17e après la mutinerie ;
le cadran de l'horloge brisé d'un coup de fusil ;
traces de balles Lebel sur la façade
soldats du 9e bivouaquant la nuit sur le boulevard Gambetta
cuirassiers et soldats du 9e bivouaquant
le colonel du 9e au milieu de ses hommes
arrestation du Dr Ferroul, maire de Narbonne
"le défenseur des gueux est en prison quand les fraudeurs sont en liberté !"
femmes manifestant
Melle Cécile Bourrel morte
funérailles de Melle Cécile Bourrel
funérailles des victimes du 20 juin 1907 à Narbonne
potence érigée sur la place de l'hôtel de ville
à Narbonne à l'adresse de Clemenceau
Marcellin Albert a été reçu par Clemenceau le 23 juin 1907
démontage des barricades de l'hôtel de ville de Narbonne
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analyse d'images
La révolte des viticulteurs du Midi [L'Illustration, 18 mai 1907]
Le serment des vignerons fédérés à Montpellier [L'illustration juin 1907].
Les acteurs des manifestations
Ces photographies (ou cartes postales) donnent à voir les acteurs de quelques-unes de ces manifestations. À Carcassonne, une forte proportion d’hommes, accompagnés de quelques femmes. Tous sont en tenue du dimanche (on est monté en ville…), signifiée par les lavallières ou les spectaculaires chapeaux des dames. La visible disparité des tenues (des pantalons inégalement repassés) révèle la nature interclassiste du mouvement. En Champagne, des femmes, en plus grand nombre, ouvrent ostensiblement la marche, précédée, il est vrai, par deux «hommes de confiance» ; avec, dans les rangs, une partition des sexes.
Des hommes en tenue du dimanche, mais également ici, s’agissant en particulier des femmes, des tenues de travail (tablier, hottes de viticulteurs et harnachements), cependant rehaussées d’insignes aux allures de médailles distribuées lors des comices agricoles. Les manifestants arborent partout des pancartes de facture soignée. Celles de Narbonne constituent une exception si on les compare aux manifestations ouvrières contemporaines.
En se référant aux «gueux» et aux «paysans», elles affichent une identité revendiquée, mais sociologiquement peu conforme à celle des manifestants. Dans l’Aube, on s’en tient à désigner les villages mobilisés ; avec, dans ce département qui est aussi bien ouvrier, une majorité de drapeaux rouges au côté du tricolore. Partout prévaut le sentiment d’une organisation solide.
En face, la troupe, en charge du maintien de l’ordre. À Ay, les dragons chargent. À Béziers, la carte postale immortalise le geste des «mutins» qui mettent, stricto sensu pour deux d’entre eux, crosse en l’air et, pour d’autres, fusil bas. Au premier plan, une femme en cheveux, et en tablier, sans doute sortie de sa boutique, contemple la scène cependant. À l’arrière-plan, on distingue une foule de manifestants (ou de passants ?).
Poses
Des contraintes techniques obligent les photographes à privilégier des moments d’accalmie. La charge des dragons qui seule fait exception est-elle même photographiée dans un moment de calme relatif (des manifestants s’éloignent d’un pas vif mais d’autres, dont une femme, regardent la scène). Toutes les autres sont prises avec l’accord des acteurs qui prennent la pose comme s’il s’agissait là d’une fête convenue. Non sans risque accru s’agissant des «mutins».
Avec, en Champagne, des mines sévères mais des sourires dans le Languedoc. S’ensuit une image pacifiée de ces mouvements parmi les plus violents de la Belle Époque. Ces photographies constituent une source de premier ordre pour une anthropologie des manifestations d’alors. Pour des raisons largement techniques, elles révèlent beaucoup moins bien la violence à l’œuvre dans l’un et l’autre camp.
Danielle Tartakowsky
source
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chants de lutte
la Vigneronne
Chant des manifestants vignerons de 1907.Ce "Chant de Guerre" était extrait de l’Opéra «Le Dauphin Charles IV» d’Halévy. Adapté par le docteur Senty et le pharmacien Blanc, d’Argeliès dans l’Aude, compagnons du Comité de Marcelin Albert, sur un texte de leur création, ils le chantaient dans leurs assemblées.
voici le texte de la chanson :
"Jadis tout n’était qu’allégresse
Aux vignerons point de soucis
Hélas ! Aujourd’hui, la tristesse
Règne partout en ce pays (bis)
On n’entend qu’un cri de colère
Un cri de rage et de douleur (bis)
—
Guerre aux bandits narguant notre misère
Et sans merci guerre aux fraudeurs,
Oui, guerre a mort aux exploiteurs,
Sans nul merci guerre aux fraudeurs
Et guerre a mort aux exploiteurs
Oui...
—
En vain on veut sécher nos larmes
Nous berçant d’espoir mensongers ;
Les actes seuls donnent des armes
Quand la patrie est en danger (bis)
Tous au drapeau, fils de la terre
Et poussons tous ce cri vengeur (bis)
—
C’est dans l’union qu’on aiguise
Les glaives qui font les vainqueurs,
Et la victoire n’est promise
Qu’à l’union des gens de coeur (bis)
Quand la bataille s’exaspère
Il ne faut pas de déserteurs ! (bis)"
soldats du 17e crosses en l'air
Gloire au 17e
par Montéhus, enregistré en 1907
Légitime était votre colère
Le refus était un devoir
On ne doit pas tuer ses père et mère
Pour les grands qui sont au pouvoir
Soldats votre conscience est nette
On n’se tue pas entre Français
Refusant d’rougir vos baïonnettes
Petit soldats oui vous avez bien fait
Refrain
Salut salut à vous
Braves soldats du 17ème
Salut braves pioupious
Chacun vous admire et vous aime
Salut salut à vous
À votre geste magnifique
Vous auriez en tirant sur nous
Assassiné la République
Comm’ les autres vous aimez la France
J’en suis sûr même vous l’aimez bien
Et sous le pantalon garance
Vous êtes restés des citoyens
La patrie c’est d’abord sa mère
Cell’ qui vous a donné le sein
Et vaut mieux même aller aux galères
Que d’accepter d’être son assassin
Espérons qu’un jour viendra en France
Où la paix la concorde régnera
Ayons tous au cœur cette espérance
Que bientôt ce grand jour viendra
Vous avez j’té la premièr’ graine
Dans le sillon d’l’Humanité
La récolte sera prochaine
Et ce jour là vous serez tous fêtés
Gaston Montéhus (1872-1952)
Le 9 juillet 1872, naissance de Gaston Montéhus (Gaston Mardochée Brunswick, de son vrai nom), à Paris. Chansonnier, un temps socialiste révolutionnaire et antimilitariste.
D'abord socialiste modéré, il évolue ensuite (1906) vers un antimilitarisme virulent proche des positions de Gustave Hervé et de son journal "La Guerre Sociale". Auteur de centaine de chansons dont les plus connues comme : "Gloire au 17e" (1907) et "La Grève des Mères" (1910) sont reprises par le Paris révolutionnaire. Elles sont souvent interrompues par les antisémites réactionnaires de Drumont ou par la police (à cause de leur contenu subversif), provoquant des bagarres lors des tours de chants.
Mais dès qu'éclate la guerre (1914), il suit le virage de Gustave Hervé applaudissant "l'Union sacré" et au patriotisme. Franc-maçon, membre du parti socialiste S.F.I.O, il obtiendra en 1947, (ironie de l'histoire) la "légion d'honneur". Il meurt en décembre 1952.
"Légitime était votre colère
Le refus était un devoir
On ne doit pas tuer ses père et mère
Pour les grands qui sont au pouvoir"
Ces quelques vers de "Gloire au 17ème" qui font l'apologie des soldats mutins du 17ème Bataillon de ligne qui refusèrent de tirer sur les vignerons révoltés du sud de la France (en 1907), ont valu à Montéhus de passer devant la Cour d'Assises.
source : éphéméride anarchiste
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cartographie
Le plus ancien Vignoble de France
Avec la construction du Canal du Midi au XVIIe siècle sous l’impulsion de Louis XIV, le commerce du vin et de tout le secteur économique en général, connaît une grande prospérité. Le Canal du Midi sillonne presque tout le Vignoble, de Toulouse à Agde.
En 1868, le Phylloxéra détruisit tout le vignoble. Avec la reconquête du Terroir par la vigne, le Languedoc produit le plus gros volume de Vin de Table en France, avec des rendements allant jusqu’à 120 hectolitres à l’hectare.
En 1945, après la création de l’INAO (Institut National des Appellations d’Origine) en 1936, le Vignoble et ses Terroirs extraordinaires commencent à être reconnus. Les premières appellations en VDQS (Vin De Qualité Supérieure) apparaissent sur tous les noms de Terroirs aujourd’hui en AOC (Appellation d’Origine Contrôlée).
Depuis le début des années 1980, le vignoble connaît un grand remaniement tant quantitatif que qualitatif. Connu jusque là, pour ses vins de table, le Languedoc réapprend son Terroir en arrachant plus de 100 000 hectares de cépages (pas toujours à bon escient). D’autres sont venus les remplacer en prenant les premières places qualitatives et tous les rendements ont fortement diminué pour se situer aujourd’hui sur des rapports de 30 à 35 hectolitres par hectare.
Les géographies du Languedoc – Un Amphithéâtre tourné vers la mer
Le Vignoble Languedocien s’étend sur trois départements, de l’Aude avec le Terroir de Fitou, au Gard avec les Costières de Nîmes. Ces derniers étant rattachés politiquement aux Vins de la Vallée du Rhône, mais dont la typicité méditerranéenne s’identifie sans conteste au Languedoc. En passant par l’Hérault, où se concentrent les principales appellations.
Grâce à cet étalement du vignoble et une superficie en AOC de 53 000 hectares (sur les 300 000 que compte le vignoble languedocien), on peut imaginer l’existence d’une incroyable diversité de sols, de climats et de cépages.
En bordure de mer, les sols sont à tendance sablonneuse, calcaire ou argileuse. Aux affleurements des petites crêtes et vallées, ils seront schisteux, marneux, avec de vastes terrasses de cailloux roulés. Sur certains Terroirs la vigne peut culminer jusqu’à 400 mètres.
chevaux de labour, vigne Labouche, 1907
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liens
- photos des soldats du 17e par compagnies