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Profs d'Histoire lycée Claude Lebois
22 août 2007

Guy Môquet en toutes lettres (journal Libération)

Guy_Moquet_1931


 

Guy Môquet en toutes lettres


«Je vais mourir!» Emblème de la Résistance, la dernière lettre du jeune militant communiste fusillé en octobre 1941 a été érigée en modèle par Nicolas Sarkozy. Derrière ces mots poignants, se dessine le parcours déterminé d'un adolescent engagé dans le sillage paternel.

Libération, mercredi 6 juin 2007
par Édouard LAUNET
Saint-Lô (Manche) envoyé spécial

I. Un papier jauni
Voici la lettre. Anne-Marie la dépose sans mot dire sur la nappe de la table du séjour. C'est une feuille de papier jauni, avec un quadrillage rectangulaire. Elle est couverte de bas en haut d'une belle écriture scolaire, au crayon à papier. «Je vais mourir !» On ose à peine la toucher. Anne-Marie et son mari Alain Saffray l'ont abritée dans une pochette en plastique transparent. Dans cette maison de Saint-Lô (Manche), au bord d'une rue peu avenante, sur une nappe à gros carreaux rouge et orange, la lettre est posée. «Certes, j'aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon coeur, c'est que ma mort serve à quelque chose», écrit Guy Môquet avec pleins et déliés.

Alain et Anne-Marie ont retrouvé la lettre en rangeant les affaires de Prosper Môquet, le père de Guy et d'Anne-Marie. En 1960, Prosper avait adopté la fille de sa seconde épouse : c'est ainsi qu'Anne-Marie est devenue la soeur de Guy Môquet, sans l'avoir jamais connu. C'est à elle qu'est revenu de trier les affaires de Prosper, mort en 1986 à Bréhal, près de Granville. Mais ce n'est que récemment qu'elle et son mari Alain ont découvert cette feuille de papier, pliée en quatre dans le portefeuille de Juliette Môquet, première épouse de Prosper et mère de Guy. «Petite maman.»

On connaissait déjà un original de la lettre de Guy Môquet, celle-là écrite à l'encre, retrouvée également dans les affaires de Prosper et confiée au musée de la Résistance. Mais ce nouvel original serait plus original que le précédent qui est, semble-t-il, une simple recopie à l'encre. Les scientifiques veulent se donner un peu de temps avant de trancher. Dans le courant du mois, le musée prendra possession de ce nouveau document, pour l'exposer sans doute à l'automne dans son établissement de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne).

«Je vais mourir !» C'était le 22 octobre 1941, au camp de Châteaubriant (Loire-Atlantique), près de Nantes. Guy Môquet est fusillé vers 16 heures. Ils sont vingt-sept à tomber, en trois vagues puisqu'il n'y a que neuf poteaux d'exécution. A 15 h 50 tombent Charles Michels, Jean-Pierre Timbaud et sept autres. A 16 heures, Guy Môquet et huit compagnons. A 16 h 10, neuf encore. Guy Môquet a 17 ans et demi. «Ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous.»
Guy, né à Paris le 26 avril 1924, a l'accent du titi parisien. Sa cousine Denise Legendre, 81 ans, l'entend encore. Ils ont passé quelques mois d'août ensemble à Bréhal, où Guy venait en vacances chez ses grands-parents. Il parle à Denise de Paris, de son lycée Carnot dans le XVIIe, de la vie dans cette capitale où sa cousine n'a jamais mis les pieds. Il cause aussi de politique, beaucoup. «Pour son âge, il était très avancé, se souvient Denise Legendre. Il discutait politique comme un homme. Même quand il n'avait que 14 ans.» Sinon, cousin et cousine aiment aller à la marée vers Bréville-sur-mer, sur une charrette à cheval. «La dernière fois que je l'ai vu, c'était en août 40. Il était venu à bicyclette de Paris.» Août 1940 : Guy a 16 ans et plus guère de liberté devant lui. Il est arrêté le 13 octobre au métro Gare-de-l'Est par des policiers qui traquent les militants communistes. Il n'a que 16 ans mais déjà la rage : son père a été arrêté un an auparavant, en octobre 1939. «Papa est arrêté, je dois le remplacer», annonce-t-il à sa mère. Il commence à militer au sein des Jeunesses communistes. Guy suit le chemin de son père.

II. Le chemin du père
Le sillon de ce père commence à Bréhal, berceau familial. Fils de petits cultivateurs, Prosper Môquet débute sa vie active comme garçon de ferme. La Grande Guerre l'envoie sur le front en 1916. Il n'est démobilisé qu'en septembre 1919. L'ancien soldat ne retourne pas en Normandie mais découvre à Paris un nouveau métier : cheminot. En 1923, il adhère à la fédération CGTU des chemins de fer. Entre au PCF en 1926. Peu à peu, Prosper se révèle : il prend des responsabilités syndicales, devient délégué du personnel, délégué à la sécurité, puis membre de la commission administrative. Le père de Guy se hisse en 1935 jusqu'au poste de secrétaire adjoint de la fédération unitaire des cheminots, au moment de la fusion entre la CGTU et la CGT. Le garçon de ferme normand a fait du chemin.

L'année suivante, en mai 1936, Prosper Môquet se présente aux législatives à Paris, dans la 3e circonscription (le quartier des Épinettes). Il est élu, le voici embarqué dans l'aventure du Front populaire. Le fiston est fier, naturellement. Lui n'a que 12 ans, mais il est déjà un titi des Épinettes.

1939. Le 26 septembre, un mois après la signature du pacte germano-soviétique, le président du Conseil Édouard Daladier prend un décret qui dissout le Parti communiste. Quarante-deux députés du PCF (sur soixante-douze) reconstituent immédiatement un «Groupe ouvrier et paysan français», ce qui leur vaut d'être arrêtés début octobre. Prosper Môquet est des leurs. Il perd son mandat de député en janvier 1940, lorsque la Chambre des députés vote la déchéance des parlementaires communistes ayant refusé de condamner le pacte germano-soviétique. Le 5 février, avec les autres membres du Groupe ouvrier et paysan, Môquet père est renvoyé devant le 3e Tribunal militaire permanent de Paris. L'ordonnance de renvoi leur reproche en particulier «la rédaction et la diffusion d'une lettre en date du 1er octobre 1939, adressée à Monsieur le président de la Chambre des députés, et prônant la paix sous les auspices de l'Union soviétique» ainsi que d'avoir «participé à une activité ayant directement ou indirectement pour objet de propager les mots d'ordre émanant de la IIIe Internationale communiste».

Prosper est jugé à huis clos fin mars, et condamné début avril à cinq ans de prison. L'année suivante, en mars 1941, il est déporté au bagne de Maison-Carrée, en Algérie. Vingt-six autres députés communistes connaîtront le même sort ; ce groupe des vingt-sept est resté célèbre sous le nom de «Chemin de l'honneur», selon l'expression de Florimond Bonte.

III. Les alexandrins du fils
On ne sait ce que Guy, du haut de ses 15 ans, perçoit vraiment des errements du PCF en 1939, mais il est clair qu'à partir d'août de cette année-là, alors que la répression commence à s'abattre sur la presse communiste, s'afficher militant devient risqué. Pourtant, Guy rejoint les Jeunesses communistes à l'automne 1939. En novembre, pour réclamer la libération de son père, il adresse à Édouard Herriot, président de l'Assemblée nationale, un long poème en alexandrins. Extrait : «Je suis jeune Français, et j'aime ma patrie/J'ai un coeur de Français, qui demande et supplie/Qu'on lui rende son père, lui qui a combattu/Pour notre belle France avec tant de vertu.» (1)

À son père en prison, Guy envoie ces autres alexandrins : «Je veux mon cher Papa, te faire savoir ici/Le juvénile amour que j'ai eu jusqu'ici/En celui à présent qui est bien enfermé/En toi mon doux Papa que j'ai toujours aimé» . Il ne suit plus guère les cours du lycée Carnot.

Le 14 juin 1940, les Allemands entrent dans Paris. Guy continue de distribuer des tracts. On lit sur l'un d'eux : «Des magnats d'industrie (Schneider, de Wendel, Michelin, Mercie...), tous, qu'ils soient juifs, catholiques, protestants ou francs-maçons, par esprit de lucre, par haine de la classe ouvrière, ont trahi notre pays et l'ont contraint à subir l'occupation étrangère.» En août, il est avec sa cousine à Bréhal. Le 13 octobre, il est arrêté. Les policiers veulent qu'ils livrent les noms des amis de son père, il est frappé. Direction, la prison de Fresnes. Comme son père, il est inculpé d'«infraction au décret du 26 septembre 1939, portant dissolution des organisations communistes» .

Le gamin de 16 ans et demi est acquitté par la 15e chambre correctionnelle de Paris, et doit être mis en liberté surveillée le 23 janvier 1941. Or il reste prisonnier. Le 10 février, Môquet est transféré à la Santé. Il s'impatiente, écrit au procureur : «Je me permets de protester énergiquement contre ces actes illégaux.» Il est transféré à Clairvaux. Puis au camp de Châteaubriant.

IV. La promesse d'Odette
Le 20 octobre 1941, le commandant des troupes d'occupation de Loire-Inférieure, Karl Hotz, est abattu à Nantes par trois jeunes communistes. Les Allemands veulent que cinquante otages soient fusillés. Le ministre de l'Intérieur du gouvernement Pétain, Pierre Pucheu, est chargé d'établir une liste. Vingt-sept des otages sont pris dans le camp de Châteaubriant. Presque tous des communistes. Parmi eux, Charles Michels, 38 ans, secrétaire général des cuirs et peaux CGT ; Jean-Pierre Timbaud, 37 ans, dirigeant de la métallurgie CGT ; Jean Grandel, 50 ans, secrétaire de la fédération postale CGT. Guy Môquet, 17 ans, fils de député communiste. C'est le plus jeune.

couvertureGuy va mourir. Il écrit cette fameuse dernière lettre à sa famille. Qui commence par : «Je vais mourir !» Et se termine par : «Je vous embrasse de tout mon coeur d'enfant.» Puis il rédige un ultime petit mot. «Ma petite Odette, je vais mourir avec mes 26 camarades, nous sommes courageux. Ce que je regrette, c'est de ne pas avoir eu ce que tu m'avais promis. Mille grosses caresses.» Au camp, Guy est tombé amoureux d'Odette [Nilès], une militante communiste à laquelle il a pu parler au-dessus des barbelés qui, au camp, séparent filles et garçons. Et promesse il y a eu. Dans l'Humanité du 24 mai dernier, Odette a donné le fin mot : «Guy m'avait dit un jour : "Est-ce que tu serais d'accord pour me faire un patin ?" Et moi, qui ne savais pas du tout ce que c'était, j'avais répondu : "Si tu veux"».

Le 22 octobre 1941, à 16 heures, dans la carrière de la Sablière, Guy Môquet est mort.

(1) Cité dans Guy Môquet : une enfance fusillée, de Pierre-Louis Basse, Stock, 2000 (rééd. 2007).

Édouard LAUNET
http://www.liberation.fr/transversales/grandsangles/259277.FR.php
© Libération

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